https://ugopalheta.wordpress.com/about/
"En tant que mouvement, le fascisme se développe et gagne une large audience en se présentant comme une force capable de défier le « système » mais aussi de rétablir « la loi et l’ordre » ; c’est cette dimension profondément contradictoire de révolte réactionnaire, mélange explosif de fausse subversion et d’ultra-conservatisme, qui lui permet de séduire des couches sociales dont les aspirations et les intérêts sont fondamentalement antagonistes.
Quand le fascisme parvient à conquérir le pouvoir et à se muer en régime (ou plus précisément en État d’exception). il tend toujours à perpétuer l’ordre social – et ce malgré ses prétentions « anti-système », et parfois même « révolutionnaires »."
"Si son ascension suppose s’opère sur fond de crise structurelle du capitalisme, d’instabilité économique, de frustrations populaires, d’approfondissement des antagonismes sociaux (de classe, de race et de genre) et de panique identitaire, le fascisme n’est à l’ordre du jour que lorsque la crise politique atteint un tel niveau d’intensité qu’elle devient insurmontable dans le cadre des formes établies de la domination politique, ou dit autrement quand il n’est plus possible pour la classe dominante de garantir la stabilité de l’ordre social et politique par les moyens ordinaires associés à la démocratie libérale et par un simple renouvellement de son personnel politique.
Il s’agit là de ce que Gramsci nommait crise d’hégémonie (ou « crise organique »), dont la composante centrale est l’incapacité croissante de la bourgeoisie à imposer sa domination politique par la fabrication d’un consentement majoritaire à l’ordre des choses, c’est-à-dire sans une élévation importante du degré de coercition physique. Dans la mesure où l’élément fondamental qui caractérise cette crise n’est pas la montée impétueuse des luttes populaires, et encore moins un soulèvement qui créerait des fissures profondes au sein de l’État capitaliste, ce type de crise politique ne saurait être caractérisé comme crise révolutionnaire, même si la crise d’hégémonie peut, sous certaines conditions, déboucher sur une situation de type de révolutionnaire ou pré-révolutionnaire."
"Dans un second temps, passé ce qu’on pourrait nommer son moment « plébéien » ou « anti-bourgeois » (caractère auquel le fascisme ne renonce jamais totalement, au moins en discours, ce qui fait l’une de ses spécificités), les dirigeants fascistes aspirent à nouer une alliance avec des représentants de la bourgeoisie – généralement par la médiation de partis ou de dirigeants politiques bourgeois – pour sceller leur accès au pouvoir, utiliser l’État à leur profit (pour des buts politiques mais aussi à des fins d’enrichissement personnel, comme l’ont montré toutes les expériences fascistes et comme l’illustrent régulièrement les condamnations judiciaires de représentants d’extrême droite pour détournement de fonds publics), tout en promettant au capital l’anéantissement de toute opposition. Des prétentions initiales à une « troisième voie » ne reste rien, le fascisme ne proposant pas autre chose que de faire fonctionner le capitalisme sous le régime de la tyrannie."
"Si les extrêmes droites s’opposent partout aux mouvements et aux discours féministes, si elles ne rompent jamais avec une conception essentialiste des rôles de genre, elles peuvent à l’occasion, selon les besoins politiques et les contextes nationaux, adopter une rhétorique de défense des droits des femmes et des minorités sexuelles. Elles vont alors jusqu’à mettre en sourdine certaines de leurs positions traditionnelles (interdiction de l’avortement, criminalisation de l’homosexualité, etc.), pour enrichir la gamme des discours nationalistes de nouvelles tonalités : ainsi rendra-t-on les « étrangers » responsables des violences subies par les femmes et les homosexuel·le·s. Fémo-nationalisme et homo-nationalisme permettent ainsi de viser de nouveaux segments de l’électorat, de gagner en respectabilité politique, et au passage de détourner de toute critique systémique de l’hétéro-patriarcat."
"Une grande partie des mouvements, idéologues et dirigeants néofascistes minimisent notamment le réchauffement climatique (voire le nient purement et simplement), plaidant pour une intensification de l’extractivisme (carbo-fascisme). À l’inverse, certains courants que l’on peut qualifier d’éco-fascistes prétendent constituer une réponse à la crise environnementale mais ne font guère que raviver et maquiller en « écologie » les vieilles idéologies réactionnaires de l’ordre naturel, toujours associées aux idées de rôles et de hiérarchies traditionnels (de genre notamment), mais aussi de communautés organiques fermées (au nom de la « pureté de la race » ou au prétexte de l’« incompatibilité des cultures »). De même utilisent-ils bien souvent l’urgence du désastre pour en appeler à des solutions ultra-autoritaires (éco-dictatures) et racistes (leur néo-malthusianisme justifiant presque toujours pour eux une répression accrue des migrant·es et un empêchement quasi-total des migrations).
Si les seconds demeurent largement minoritaires par rapport aux premiers et ne constituent pas des courants politiques de masse, leurs idées se développent indéniablement jusqu’à imprégner le sens commun néofasciste, si bien qu’émerge une écologie identitaire et que les luttes environnementales deviennent un terrain de lutte crucial pour les antifascistes. Ce clivage renvoie en outre à une tension intrinsèque au fascisme « classique », entre un hyper-modernisme qui exalte la grande industrie et la technique comme marqueurs et leviers de puissance nationale (économique et militaire), et un anti-modernisme qui idéalise la terre et la nature comme foyers de valeurs authentiques avec lesquelles la Nation devrait renouer pour retrouver son essence."
"A moins d’adopter une définition purement formelle/institutionnelle du concept de « révolution » (devenant simple synonyme de changement de régime), le fascisme ne saurait ainsi en aucune manière être décrit comme « révolutionnaire » : toute son idéologie et toute sa pratique de pouvoir tend au contraire vers la consolidation et le renforcement, par des méthodes criminelles, des rapports d’exploitation et d’oppression.
Plus profondément, le projet fasciste consiste à intensifier ces rapports de manière à produire un corps social extrêmement hiérarchisé (du point de vue de la classe et du genre), normalisé (du point de vue des sexualités et des identités de genre) et homogénéisé (du point de vue ethno-racial). L’enfermement et le crime de masse (génocide) n’est donc nullement une conséquence fortuite mais une potentialité inhérente au fascisme."
"Le passage aux méthodes fascistes est toujours précédé par un ensemble de renoncements, par la classe dominante elle-même, à certaines dimensions fondamentales de la démocratie libérale. Les arènes parlementaires sont de plus en plus marginalisées et contournées, à mesure que le pouvoir législatif est accaparé par l’exécutif et que les méthodes de gouvernement deviennent de plus en plus autoritaires (décrets-lois, ordonnances, etc.). Mais cette phase de transition entre démocratie libérale et fascisme passe surtout par la limitation croissante des libertés d’organisation, de réunion et d’expression, ou encore du droit de grève.
C’est sans grande proclamation que s’opère le durcissement autoritaire, qui fait reposer de plus en plus le pouvoir politique sur le soutien et la loyauté des appareils répressifs d’État, l’entraînant dans une spirale anti-démocratique : quadrillage sécuritaire de plus en plus serré des quartiers populaires et d’immigration ; manifestations interdites, empêchées ou durement réprimées ; arrestations préventives et arbitraires ; jugements expéditifs de manifestant·es et usage croissant des peines de prison ; licenciements de plus en plus fréquents de grévistes ; réduction du périmètre et des possibilités de l’action syndicale, etc.
Affirmer que l’opposition entre démocratie libérale et fascisme se situe entre des formes politiques de la domination bourgeoise, ne signifie en rien que l’antifascisme, les mouvements sociaux et les gauches devraient se montrer indifférents au déclin des libertés publiques et des droits démocratiques. Défendre ces libertés et ces droits, ce n’est pas semer l’illusion d’un État ou d’une République conçus comme arbitres neutres des antagonismes sociaux ; c’est défendre l’une des principales conquêtes des classes populaires au cours des 19e et 20e siècles, à savoir le droit des exploité·es et des opprimé·es à s’organiser et à se mobiliser pour défendre leurs conditions de travail et d’existence fondamentales ; base incontournable pour le développement d’une conscience de classe, féministe et antiraciste. Mais c’est également s’affirmer comme alternative à la dé-démocratisation que constitue, dans son projet même, le néolibéralisme."
"La victoire du fascisme est le produit conjoint d’une radicalisation de pans entiers de la classe dominante, par peur que la situation politique leur échappe, et d’un enracinement social du mouvement, des idées et des affects fascistes. Contrairement à une représentation commune, bien faite pour absoudre les classes dominantes et les démocraties libérales de leurs responsabilités dans l’ascension des fascistes vers le pouvoir, les mouvements fascistes ne conquièrent pas le pouvoir politique comme une force armée s’empare d’une citadelle, par une action purement extérieure de prise (un assaut militaire). S’ils parviennent généralement à obtenir le pouvoir par voie légale, ce qui ne veut pas dire sans effusion de sang, c’est que cette conquête est préparée par toute une période historique que l’on peut désigner par l’expression de fascisation."
"La fascisation de la police ne s’exprime et ne s’explique pas principalement par la présence de militants fascistes en son sein, ou par le fait que les policiers votent massivement pour l’extrême droite (en France et ailleurs), mais par son renforcement et son autonomisation (notamment des secteurs préposés aux tâches les plus brutales de maintien de l’ordre, dans les quartiers d’immigration, contre les migrant·es et secondairement dans les mobilisations). Autrement dit, la police s’émancipe de plus en plus du pouvoir politique et du droit, c’est-à-dire de toute forme de contrôle externe (sans même parler d’un introuvable contrôle populaire).
La police ne se fascise donc pas dans son fonctionnement parce qu’elle serait progressivement grignotée par les organisations fascistes. Au contraire, c’est parce que tout son fonctionnement se fascise – évidemment à des degrés inégaux selon les secteurs – qu’il est si facile pour l’extrême droite de diffuser ses idées en son sein et de s’implanter. Cela est particulièrement visible à travers le fait que l’on n’a pas assisté ces dernières années à une progression dans la police du syndicat lié directement à l’extrême droite organisée (France Police-Policiers en colère) mais à un double processus : la montée de mobilisations factieuses venant de la base (mais couverte par le sommet, au sens où elles n’ont fait l’objet d’aucune sanctions administratives) ; et la radicalisation droitière des principaux syndicats policiers (Alliance et Unité SGP Police-FO)."
"L’antifascisme ne peut avoir pour seule boussole l’opposition aux organisations d’extrême droite s’il aspire à faire reculer réellement, non seulement ces organisations, mais aussi et surtout les idées et affects fascistes, qui se propagent et s’enracinent bien au-delà. Il ne peut renoncer à faire le lien entre le combat antifasciste, la nécessité d’une rupture avec le capitalisme racial, patriarcal et écocide, et l’objectif d’une autre société (que nous nommerons ici écosocialiste)."
-Ugo Palheta, "Fascisme. Fascisation. Antifascisme", Contretemps, 28 septembre 2020: https://www.contretemps.eu/fascisme-fascisation-antifascisme/
"En tant que mouvement, le fascisme se développe et gagne une large audience en se présentant comme une force capable de défier le « système » mais aussi de rétablir « la loi et l’ordre » ; c’est cette dimension profondément contradictoire de révolte réactionnaire, mélange explosif de fausse subversion et d’ultra-conservatisme, qui lui permet de séduire des couches sociales dont les aspirations et les intérêts sont fondamentalement antagonistes.
Quand le fascisme parvient à conquérir le pouvoir et à se muer en régime (ou plus précisément en État d’exception). il tend toujours à perpétuer l’ordre social – et ce malgré ses prétentions « anti-système », et parfois même « révolutionnaires »."
"Si son ascension suppose s’opère sur fond de crise structurelle du capitalisme, d’instabilité économique, de frustrations populaires, d’approfondissement des antagonismes sociaux (de classe, de race et de genre) et de panique identitaire, le fascisme n’est à l’ordre du jour que lorsque la crise politique atteint un tel niveau d’intensité qu’elle devient insurmontable dans le cadre des formes établies de la domination politique, ou dit autrement quand il n’est plus possible pour la classe dominante de garantir la stabilité de l’ordre social et politique par les moyens ordinaires associés à la démocratie libérale et par un simple renouvellement de son personnel politique.
Il s’agit là de ce que Gramsci nommait crise d’hégémonie (ou « crise organique »), dont la composante centrale est l’incapacité croissante de la bourgeoisie à imposer sa domination politique par la fabrication d’un consentement majoritaire à l’ordre des choses, c’est-à-dire sans une élévation importante du degré de coercition physique. Dans la mesure où l’élément fondamental qui caractérise cette crise n’est pas la montée impétueuse des luttes populaires, et encore moins un soulèvement qui créerait des fissures profondes au sein de l’État capitaliste, ce type de crise politique ne saurait être caractérisé comme crise révolutionnaire, même si la crise d’hégémonie peut, sous certaines conditions, déboucher sur une situation de type de révolutionnaire ou pré-révolutionnaire."
"Dans un second temps, passé ce qu’on pourrait nommer son moment « plébéien » ou « anti-bourgeois » (caractère auquel le fascisme ne renonce jamais totalement, au moins en discours, ce qui fait l’une de ses spécificités), les dirigeants fascistes aspirent à nouer une alliance avec des représentants de la bourgeoisie – généralement par la médiation de partis ou de dirigeants politiques bourgeois – pour sceller leur accès au pouvoir, utiliser l’État à leur profit (pour des buts politiques mais aussi à des fins d’enrichissement personnel, comme l’ont montré toutes les expériences fascistes et comme l’illustrent régulièrement les condamnations judiciaires de représentants d’extrême droite pour détournement de fonds publics), tout en promettant au capital l’anéantissement de toute opposition. Des prétentions initiales à une « troisième voie » ne reste rien, le fascisme ne proposant pas autre chose que de faire fonctionner le capitalisme sous le régime de la tyrannie."
"Si les extrêmes droites s’opposent partout aux mouvements et aux discours féministes, si elles ne rompent jamais avec une conception essentialiste des rôles de genre, elles peuvent à l’occasion, selon les besoins politiques et les contextes nationaux, adopter une rhétorique de défense des droits des femmes et des minorités sexuelles. Elles vont alors jusqu’à mettre en sourdine certaines de leurs positions traditionnelles (interdiction de l’avortement, criminalisation de l’homosexualité, etc.), pour enrichir la gamme des discours nationalistes de nouvelles tonalités : ainsi rendra-t-on les « étrangers » responsables des violences subies par les femmes et les homosexuel·le·s. Fémo-nationalisme et homo-nationalisme permettent ainsi de viser de nouveaux segments de l’électorat, de gagner en respectabilité politique, et au passage de détourner de toute critique systémique de l’hétéro-patriarcat."
"Une grande partie des mouvements, idéologues et dirigeants néofascistes minimisent notamment le réchauffement climatique (voire le nient purement et simplement), plaidant pour une intensification de l’extractivisme (carbo-fascisme). À l’inverse, certains courants que l’on peut qualifier d’éco-fascistes prétendent constituer une réponse à la crise environnementale mais ne font guère que raviver et maquiller en « écologie » les vieilles idéologies réactionnaires de l’ordre naturel, toujours associées aux idées de rôles et de hiérarchies traditionnels (de genre notamment), mais aussi de communautés organiques fermées (au nom de la « pureté de la race » ou au prétexte de l’« incompatibilité des cultures »). De même utilisent-ils bien souvent l’urgence du désastre pour en appeler à des solutions ultra-autoritaires (éco-dictatures) et racistes (leur néo-malthusianisme justifiant presque toujours pour eux une répression accrue des migrant·es et un empêchement quasi-total des migrations).
Si les seconds demeurent largement minoritaires par rapport aux premiers et ne constituent pas des courants politiques de masse, leurs idées se développent indéniablement jusqu’à imprégner le sens commun néofasciste, si bien qu’émerge une écologie identitaire et que les luttes environnementales deviennent un terrain de lutte crucial pour les antifascistes. Ce clivage renvoie en outre à une tension intrinsèque au fascisme « classique », entre un hyper-modernisme qui exalte la grande industrie et la technique comme marqueurs et leviers de puissance nationale (économique et militaire), et un anti-modernisme qui idéalise la terre et la nature comme foyers de valeurs authentiques avec lesquelles la Nation devrait renouer pour retrouver son essence."
"A moins d’adopter une définition purement formelle/institutionnelle du concept de « révolution » (devenant simple synonyme de changement de régime), le fascisme ne saurait ainsi en aucune manière être décrit comme « révolutionnaire » : toute son idéologie et toute sa pratique de pouvoir tend au contraire vers la consolidation et le renforcement, par des méthodes criminelles, des rapports d’exploitation et d’oppression.
Plus profondément, le projet fasciste consiste à intensifier ces rapports de manière à produire un corps social extrêmement hiérarchisé (du point de vue de la classe et du genre), normalisé (du point de vue des sexualités et des identités de genre) et homogénéisé (du point de vue ethno-racial). L’enfermement et le crime de masse (génocide) n’est donc nullement une conséquence fortuite mais une potentialité inhérente au fascisme."
"Le passage aux méthodes fascistes est toujours précédé par un ensemble de renoncements, par la classe dominante elle-même, à certaines dimensions fondamentales de la démocratie libérale. Les arènes parlementaires sont de plus en plus marginalisées et contournées, à mesure que le pouvoir législatif est accaparé par l’exécutif et que les méthodes de gouvernement deviennent de plus en plus autoritaires (décrets-lois, ordonnances, etc.). Mais cette phase de transition entre démocratie libérale et fascisme passe surtout par la limitation croissante des libertés d’organisation, de réunion et d’expression, ou encore du droit de grève.
C’est sans grande proclamation que s’opère le durcissement autoritaire, qui fait reposer de plus en plus le pouvoir politique sur le soutien et la loyauté des appareils répressifs d’État, l’entraînant dans une spirale anti-démocratique : quadrillage sécuritaire de plus en plus serré des quartiers populaires et d’immigration ; manifestations interdites, empêchées ou durement réprimées ; arrestations préventives et arbitraires ; jugements expéditifs de manifestant·es et usage croissant des peines de prison ; licenciements de plus en plus fréquents de grévistes ; réduction du périmètre et des possibilités de l’action syndicale, etc.
Affirmer que l’opposition entre démocratie libérale et fascisme se situe entre des formes politiques de la domination bourgeoise, ne signifie en rien que l’antifascisme, les mouvements sociaux et les gauches devraient se montrer indifférents au déclin des libertés publiques et des droits démocratiques. Défendre ces libertés et ces droits, ce n’est pas semer l’illusion d’un État ou d’une République conçus comme arbitres neutres des antagonismes sociaux ; c’est défendre l’une des principales conquêtes des classes populaires au cours des 19e et 20e siècles, à savoir le droit des exploité·es et des opprimé·es à s’organiser et à se mobiliser pour défendre leurs conditions de travail et d’existence fondamentales ; base incontournable pour le développement d’une conscience de classe, féministe et antiraciste. Mais c’est également s’affirmer comme alternative à la dé-démocratisation que constitue, dans son projet même, le néolibéralisme."
"La victoire du fascisme est le produit conjoint d’une radicalisation de pans entiers de la classe dominante, par peur que la situation politique leur échappe, et d’un enracinement social du mouvement, des idées et des affects fascistes. Contrairement à une représentation commune, bien faite pour absoudre les classes dominantes et les démocraties libérales de leurs responsabilités dans l’ascension des fascistes vers le pouvoir, les mouvements fascistes ne conquièrent pas le pouvoir politique comme une force armée s’empare d’une citadelle, par une action purement extérieure de prise (un assaut militaire). S’ils parviennent généralement à obtenir le pouvoir par voie légale, ce qui ne veut pas dire sans effusion de sang, c’est que cette conquête est préparée par toute une période historique que l’on peut désigner par l’expression de fascisation."
"La fascisation de la police ne s’exprime et ne s’explique pas principalement par la présence de militants fascistes en son sein, ou par le fait que les policiers votent massivement pour l’extrême droite (en France et ailleurs), mais par son renforcement et son autonomisation (notamment des secteurs préposés aux tâches les plus brutales de maintien de l’ordre, dans les quartiers d’immigration, contre les migrant·es et secondairement dans les mobilisations). Autrement dit, la police s’émancipe de plus en plus du pouvoir politique et du droit, c’est-à-dire de toute forme de contrôle externe (sans même parler d’un introuvable contrôle populaire).
La police ne se fascise donc pas dans son fonctionnement parce qu’elle serait progressivement grignotée par les organisations fascistes. Au contraire, c’est parce que tout son fonctionnement se fascise – évidemment à des degrés inégaux selon les secteurs – qu’il est si facile pour l’extrême droite de diffuser ses idées en son sein et de s’implanter. Cela est particulièrement visible à travers le fait que l’on n’a pas assisté ces dernières années à une progression dans la police du syndicat lié directement à l’extrême droite organisée (France Police-Policiers en colère) mais à un double processus : la montée de mobilisations factieuses venant de la base (mais couverte par le sommet, au sens où elles n’ont fait l’objet d’aucune sanctions administratives) ; et la radicalisation droitière des principaux syndicats policiers (Alliance et Unité SGP Police-FO)."
"L’antifascisme ne peut avoir pour seule boussole l’opposition aux organisations d’extrême droite s’il aspire à faire reculer réellement, non seulement ces organisations, mais aussi et surtout les idées et affects fascistes, qui se propagent et s’enracinent bien au-delà. Il ne peut renoncer à faire le lien entre le combat antifasciste, la nécessité d’une rupture avec le capitalisme racial, patriarcal et écocide, et l’objectif d’une autre société (que nous nommerons ici écosocialiste)."
-Ugo Palheta, "Fascisme. Fascisation. Antifascisme", Contretemps, 28 septembre 2020: https://www.contretemps.eu/fascisme-fascisation-antifascisme/