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    Marie-Claire Robic, La ville, objet ou problème ? La géographie urbaine en France (1890-1960)

    Johnathan R. Razorback
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    Marie-Claire Robic, La ville, objet ou problème ? La géographie urbaine en France (1890-1960) Empty Marie-Claire Robic, La ville, objet ou problème ? La géographie urbaine en France (1890-1960)

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 29 Juil - 17:11

    https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2003-1-page-107.htm

    "La géographie urbaine s'est attiré une solide réputation : celle de naître tardivement, au cours des années 1950 seulement. Je soutiendrai à l'inverse une double thèse : d'abord que la géographie urbaine est relativement ancienne, puisqu'elle démarrerait au début du XXe siècle, d'autre part qu'elle est relativement précoce, plus précoce en tout cas que la géographie rurale avec laquelle on a pu la penser en doublet. Ces positions s'opposent à une vision commune qui souligne le poids des campagnes dans la littérature géographique de la première partie du XXe siècle et la prégnance d'une idéologie ruraliste. Elles convoquent les convictions urbanophiles d'auteurs aussi disparates, mais prestigieux, que Émile Levasseur (1828-1911), Élisée Reclus (1830-1905) ou Paul Vidal de la Blache (1845-1918), qui ont ouvertement vanté les vertus de la ville et, souvent, les avantages politiques et économiques des grandes métropoles. Cette géographie urbaine ne se réduit manifestement pas à l'inspiration monographique, comme pourraient le laisser entendre les travaux de Gilles Montigny (1992) ou de Vincent Berdoulay et Oliver Soubeyran (2002). À l'amnésie des géographes qui, dans une belle continuité, de Paul Claval (1970) à Jean-Bernard Racine et Antoine Bailly (1981), font remonter la naissance de cette spécialité à l'après Seconde Guerre mondiale, elles objectent non seulement la relative fréquence des études consacrées aux villes dans les publications, congrès et thèses de géographie des années 1890-1950 mais encore, et surtout, l'affichage ancien d'une branche de « géographie urbaine » au sein de la discipline. Cependant, cette division de la géographie humaine se révèle peu unifiée dans ses contenus et peu questionnée par ses adeptes : quels sont alors les ressorts de la recherche sur la ville ? Le bilan heuristique et co-gnitif de l'analyse des villes proposée par les géographes de la première moitié du XXe siècle est-il aussi anodin que la critique le prétend aujourd'hui (Lussault, 2000) ?"

    "L'attention que Reclus porte à la ville, en une position hétérodoxe par rapport à nombre de ses amis anarchistes, est désormais bien connue. Elle s'exprime tant par la place qu'il consacre aux études monographiques des villes dans sa Géographie universelle que par le rôle qu'il leur accorde dans le progrès de l'humanité, comme le révèlent plusieurs passages de L'Homme et la Terre, reprenant grosso modo les thèmes qu'il a développés dans « The Evolution of Cities » (1895), voire même des propos beaucoup plus anciens. Appliquant une critique esthétique et sociale de la ville moderne, Reclus fonde dans la rétraction de l'espace-temps, qui permettra à terme de faire de la métropole spatialement organisée un cadre de vie agréable pour tous, le processus historique grâce auquel les besoins fondamentaux de l'humanité pourront être satisfaits."

    "Blanchard n'est pas le premier géographe à labelliser ainsi une monographie, puisque Antoine Vacher (1873-1920) l'a précédé avec le sous-titre de son article sur Montluçon (1904)."

    "Consécration institutionnelle ? Une leçon de géographie sur « Paris, géographie urbaine » est proposée à l'agrégation de 1911 à côté par exemple d'une très classique « étude de fleuve »..."

    "L'une de ses toutes premières occurrences figure sous la plume de Jean Brunhes (1869-1930), qui intitule sa communication au congrès de l'Association pour l'avancement des sciences, en 1900 : « Le boulevard comme fait de géographie urbaine ». Il se justifie : « Les villes sont de plus en plus étudiées comme des faits géographiques : parmi les phénomènes qui affectent la surface du sol, ne sont-ils pas des plus caractéristiques et aussi des plus variés ? » C'est, précise-t-il, se distinguer du travail d'un Meuriot, car celui-ci ne s'est pas intéressé à ce point de vue morphologique et c'est se situer dans la perspective de la Siedlungsgeographie, ou étude des établissements humains, telle qu'elle s'esquisse en Allemagne."

    "Rappelons, en comparaison, que l'expression « sociologie urbaine » n'apparaîtrait dans la langue française que vers 1930, puis dans les années cinquante (Topalov, 2001). Quant à l'expression « géographie rurale », elle date des années soixante."

    "Un Vidal de la Blache par exemple est urbanophile, et ce particulièrement dans ses dernières années. Il ne s'agit pas d'une admiration béate pour les vertus civilisatrices de la polis, mais d'un encouragement moderniste au développement économique dirigé par la grande ville (à la française), orienté vers le futur aux dépens du passéisme des projets ruralistes ou de régionalisme culturel."

    "La géographie urbaine s'affirme en effet dans plusieurs lieux au lendemain de la guerre. Ainsi aux USA comme en témoignent les numéros de The Geographical Review publiés entre 1921 et 1924, ou encore en Allemagne où apparaît une nouveauté terminologique avec le néologisme de « géographie urbaine » (Stadtgeographie)."

    "Les géographes tels Brunhes et Albert Demangeon (1872-1940) ont témoigné dans leurs publications de leur participation intense aux séances du groupe de travail consacré à la géographie urbaine, qui a lancé des discussions sur les limites des agglomérations et des recherches cartographiques appliquées à Paris."

    "Symbole de la légitimité savante, la thèse universitaire est atteinte par la vogue de la géographie urbaine comme le montrent non seulement les objets étudiés (exemple Rambert, 1934 ; Clozier, 1940), mais encore l'adoption de sous-titres explicitement référés à ce thème : ainsi des thèses sur l'habitation urbaine (Quennedey, 1926), sur des villes coloniales (Lespès, 1930), sur des villes étrangères telles Cleveland (Dureau, 1925) et Le Caire (M. Clerget, 1934).

    Enfin, des cours sont consacrés à la géographie urbaine dès la fin des années vingt, à la faculté de Lille par exemple, où Sorre lui consacre quatre séances en début d'année universitaire 1928-1929
    ."

    "Les décennies quarante-cinquante sont une période nouvelle d'affirmation de la géographie urbaine, qui s'ouvre en France par la parution d'une série de grands manuels démarrant avec le livre de Chabot, Les villes. Aperçu de géographie humaine (1948) et avec celui que Pierre George (1909-) consacre à La ville. Le fait urbain à travers le monde (1952). Entre-temps, un cours de Jean Tricart (1920-) est aussi paru en polycopié en 1951 : Cours de géographie humaine. Fascicule 2 : L'habitat urbain. Ces manuels ont été toutefois précédés par la Géographie des villes publiée en 1936 par l'urbaniste Pierre Lavedan (1885-1982), salué à sa sortie par Demangeon.

    En parallèle, et phénomène plus nouveau finalement, la ville donne lieu en ce milieu du siècle à des études spécialisées, telle l'analyse de la banlieue (George et al., 1950), et à des confrontations pluridisciplinaires, comme en témoigne le grand colloque Villes et campagnes tenu en 1952. Des sociologues s'y consacrent aussi, tels les travaux de Paul-Henry Chombart de Lauwe (1913-1998) sur l'agglomération parisienne. Il faudra attendre quelques années encore pour que paraisse une seconde série de manuels, avec en 1961 le Précis de géographie urbaine de P. George et en 1963 le Traité de géographie urbaine de Chabot et Jacqueline Beaujeu-Garnier (1917-1995). Dès 1957, l'ouvrage collectif présentant La géographie française au milieu du XXe siècle accorde un chapitre à la géographie urbaine."

    "Ils réifient la ville comme entité collective sans jamais, sauf dans les années cinquante, aborder la question des acteurs sociaux."
    -Marie-Claire Robic, « La ville, objet ou problème ? La géographie urbaine en France (1890-1960) », Sociétés contemporaines, 2003/1-2 (no 49-50), p. 107-138. DOI : 10.3917/soco.049.0107. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2003-1-page-107.htm



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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