"L'auteur y verra lui-même en rétrospective son ouvrage le plus important." (p.2)
"Entre l'automne 1945 et le printemps 1947, Carl Schmitt venait en effet de subir plus d'une année de détention à cause de sa compromission avec le régime nazi. [...]
Il était devenu conseiller d'Etat prussien et avait occupé d'autres positions stratégiques dans les cénacles juridiques du Reich ; et s'il avait fait du zèle au point de justifier les assassinats de juillet 1934, c'est que son proche passé, ses rapports avec les ministères Brüning, Papen et Schleicher, non moins que ses attaches notoires avec le catholicisme et la "révolution conservatrice", le rendaient vulnérable aux yeux des nazis du cru [...] à preuve, son éviction en décembre 1936 par les SS autour d'Himmler qui le démasquèrent en dénonçant sa duplicité [...] Depuis, il n'était plus que professeur jusqu'à la fin de la guerre, prenant ses distances avec le régime. Ses écrits se ramenaient dès lors à des analyses, des diagnostics d'un observateur détaché. Pouvait-on lui reprocher de ne pas s'être ouvertement déclaré contre le régime ? Il n'est pas donné à tout le monde d'être martyr, et le moindre mot de sa part aurait suffi pour le devenir, après les violentes attaques de 1936." (pp.2-3)
"Titre de son livre lu en entier: Le nomos de la terre dans le droit des gens du Jus publicum Europaeum. C'est un testament intellectuel que l'auteur vient déposer "sur l'autel de la science juridique", en retraçant l'évolution de cet ordre international d'assise européenne et d'envergure planétaire, désormais caduque." (p.4)
"Toutes les autres critiques découlent d'une certaine manière de ce constat fondamental: au lieu d'instaurer la paix, le Traité de Versailles ne faisait que poursuivre d'une autre manière la guerre contre l'Allemagne devenue simple "organisme de réparations" et pur objet de la politique des vainqueurs. Tel était le cas en particulier de la Rhénanie, et l'occupation de la Ruhr par la France en janvier 1923 en fut une parfaite illustration ; le jeune professeur à Bonn en restera profondément ébranlé." (p.6)
"A la montée de la guerre totale au niveau technologique correspond la dérive vers la guerre juste au niveau conceptuel. Guerre totale et guerre juste sont les deux faces d'une même évolution qui sape le concept de guerre classique, avec tous les principes et distinctions qui s'y rattachent. Tel est le thème d'un important essai intitulé Le passage au concept de guerre discriminatoire de 1938. C'est la non-discrimination qui avait prévalu dans la conception classique de la guerre. Les belligérants s'y affrontaient en égaux, en Etats souverains faisant usage de leur ius belli ac pacis, sans égard à la question de la justice de leurs causes respectives. Le corollaire en était la neutralité des tiers avec les devoirs d'abstention et d'impartialité qui s'ensuivaient. Le conflit s'en trouvait limité, et il le restait jusque dans le règlement de paix, qui pouvait certes se solder par de lourdes charges pour le vaincu, mais ne l'aurait jamais stigmatisé en tant qu'Etat agresseur ou criminel.
Cette logique non discriminatoire du droit international classique a été faussée, de l'avis de Schmitt, par l'entrée en guerre de l'Amérique en avril 1917 et l'esprit de croisade qui s'emparait dès lors des futurs vainqueurs." (pp.9-10)
"Schmitt avait déjà abordé le thème l'année d'avant dans un article intitulé précisément "L'Etat comme mécanisme chez Hobbes et Descartes", dirigé contre l'analyse du commonwealth hobbesien par J. Vialatoux en tant que philosophie de l'Etat totalitaire. Dans l'essai de 1938, il fait surtout ressortir l'aspect protecteur du Léviathan, tout en soulignant avec Hobbes la relation entre protection et obéissance. Sa grande fonction historique aurait été de couper court à la guerre civile confessionnelle, en brisant toute résistance au-dedans par le bais d'un décisionnisme absolu, pour ne laisser subsister que la guerre externe, devenue purement interétatique." (p.12)
"Tout le conflit mondial lui apparaîtra sous les traits d'un Raumordnungskrieg, d'une guerre ayant pour enjeu l'ordre spatial. L'expression figure dans une note de 1940 intitulée "La révolution spatiale". La guerre en cours, jusque-là victorieuse pour l'Allemagne, y est qualifiée de totale et d'entièrement inédite ; elle doit se solder par une paix totale sous la forme d'un grand-espace continental fondé sur une large autonomie de ses constituants ; ce grand-espace pacifié doit faire front à l'universalisme anglo-américain et mettre en échec ses visées de domination mondiale. [...]
Il salut au passage le traité de frontière et d'amitié germano-soviétique, qui consacre l'existence de deux grands-espaces continentaux et le principe de non-ingérence mutuelle entre les empires respectifs." (pp.14-15)
"Destiné d'abord à la Festschrift publiée en l'honneur de Johannes Popitz en décembre 1944, le texte ne paraîtra qu'en 1950, en souvenir de cet ami exécuté en février 1945 pour son implication dans la résistance allemande." (p.20)
"De Nuremberg, il ne rentra pas à Berlin où sa femme avait liquidé leur appartement, mais à Plettenberg, sa ville natale, où il passera le restant de ses jours." (p.25)
"La technologie moderne qui produit ces armements par son dynamisme propre a besoin de cet ennemi absolu." (p.28)
"Tout ordre juridique international, s'il veut être véritable et effectif, est nécessairement un ordre spatial, avant même d'être un ordre normatif. Il y a là une application particulière du konkretes Ordnungsdenken, considéré par Schmitt depuis 1934 comme une des trois grandes options de la pensée juridique, à côté du normativisme et du décisionnisme. [...] Cela n'exclut nullement la composante normative inhérente à tout ordre juridique, mais celle-ci n'est pas primordiale ; au lieu de la concevoir dans l'abstrait, il faut lui donner cette assise spatiale qui la situe concrètement. Quant à la composante décisionniste, que Schmitt n'a jamais entendu répudier mais seulement compléter par l'idée d'ordre concret, elle s'affirme par le biais des "prises de terres" qui seraient à l'origine de tout ordre spatial. La négation absolue de cette vision "topique" de l'ordre juridique, notre auteur la perçoit dans l'utopie, symbole littéraire par définition a-spatial et annonciateur à ses yeux, par le biais de l'industrialisation, du nihilisme moderne. La notion d'espace semble avoir exercé sur lui une fascination croissante." (p.35)
"
(pp.38-39)
"
(p.40)
"On pourrait considérer Le nomos de la terre tout entier comme une gigantesque projection de ce problème central sur une suite de décors "géo-juridiques" échelonnés dans le passé." (p.41)
-Peter Haggenmacher, Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, PUF, coll. Quadrige, 2001 (1950 pour la première édition allemande), 363 pages.
-Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, PUF, coll. Quadrige, 2001 (1950 pour la première édition allemande), 363 pages.
"Entre l'automne 1945 et le printemps 1947, Carl Schmitt venait en effet de subir plus d'une année de détention à cause de sa compromission avec le régime nazi. [...]
Il était devenu conseiller d'Etat prussien et avait occupé d'autres positions stratégiques dans les cénacles juridiques du Reich ; et s'il avait fait du zèle au point de justifier les assassinats de juillet 1934, c'est que son proche passé, ses rapports avec les ministères Brüning, Papen et Schleicher, non moins que ses attaches notoires avec le catholicisme et la "révolution conservatrice", le rendaient vulnérable aux yeux des nazis du cru [...] à preuve, son éviction en décembre 1936 par les SS autour d'Himmler qui le démasquèrent en dénonçant sa duplicité [...] Depuis, il n'était plus que professeur jusqu'à la fin de la guerre, prenant ses distances avec le régime. Ses écrits se ramenaient dès lors à des analyses, des diagnostics d'un observateur détaché. Pouvait-on lui reprocher de ne pas s'être ouvertement déclaré contre le régime ? Il n'est pas donné à tout le monde d'être martyr, et le moindre mot de sa part aurait suffi pour le devenir, après les violentes attaques de 1936." (pp.2-3)
"Titre de son livre lu en entier: Le nomos de la terre dans le droit des gens du Jus publicum Europaeum. C'est un testament intellectuel que l'auteur vient déposer "sur l'autel de la science juridique", en retraçant l'évolution de cet ordre international d'assise européenne et d'envergure planétaire, désormais caduque." (p.4)
"Toutes les autres critiques découlent d'une certaine manière de ce constat fondamental: au lieu d'instaurer la paix, le Traité de Versailles ne faisait que poursuivre d'une autre manière la guerre contre l'Allemagne devenue simple "organisme de réparations" et pur objet de la politique des vainqueurs. Tel était le cas en particulier de la Rhénanie, et l'occupation de la Ruhr par la France en janvier 1923 en fut une parfaite illustration ; le jeune professeur à Bonn en restera profondément ébranlé." (p.6)
"A la montée de la guerre totale au niveau technologique correspond la dérive vers la guerre juste au niveau conceptuel. Guerre totale et guerre juste sont les deux faces d'une même évolution qui sape le concept de guerre classique, avec tous les principes et distinctions qui s'y rattachent. Tel est le thème d'un important essai intitulé Le passage au concept de guerre discriminatoire de 1938. C'est la non-discrimination qui avait prévalu dans la conception classique de la guerre. Les belligérants s'y affrontaient en égaux, en Etats souverains faisant usage de leur ius belli ac pacis, sans égard à la question de la justice de leurs causes respectives. Le corollaire en était la neutralité des tiers avec les devoirs d'abstention et d'impartialité qui s'ensuivaient. Le conflit s'en trouvait limité, et il le restait jusque dans le règlement de paix, qui pouvait certes se solder par de lourdes charges pour le vaincu, mais ne l'aurait jamais stigmatisé en tant qu'Etat agresseur ou criminel.
Cette logique non discriminatoire du droit international classique a été faussée, de l'avis de Schmitt, par l'entrée en guerre de l'Amérique en avril 1917 et l'esprit de croisade qui s'emparait dès lors des futurs vainqueurs." (pp.9-10)
"Schmitt avait déjà abordé le thème l'année d'avant dans un article intitulé précisément "L'Etat comme mécanisme chez Hobbes et Descartes", dirigé contre l'analyse du commonwealth hobbesien par J. Vialatoux en tant que philosophie de l'Etat totalitaire. Dans l'essai de 1938, il fait surtout ressortir l'aspect protecteur du Léviathan, tout en soulignant avec Hobbes la relation entre protection et obéissance. Sa grande fonction historique aurait été de couper court à la guerre civile confessionnelle, en brisant toute résistance au-dedans par le bais d'un décisionnisme absolu, pour ne laisser subsister que la guerre externe, devenue purement interétatique." (p.12)
"Tout le conflit mondial lui apparaîtra sous les traits d'un Raumordnungskrieg, d'une guerre ayant pour enjeu l'ordre spatial. L'expression figure dans une note de 1940 intitulée "La révolution spatiale". La guerre en cours, jusque-là victorieuse pour l'Allemagne, y est qualifiée de totale et d'entièrement inédite ; elle doit se solder par une paix totale sous la forme d'un grand-espace continental fondé sur une large autonomie de ses constituants ; ce grand-espace pacifié doit faire front à l'universalisme anglo-américain et mettre en échec ses visées de domination mondiale. [...]
Il salut au passage le traité de frontière et d'amitié germano-soviétique, qui consacre l'existence de deux grands-espaces continentaux et le principe de non-ingérence mutuelle entre les empires respectifs." (pp.14-15)
"Destiné d'abord à la Festschrift publiée en l'honneur de Johannes Popitz en décembre 1944, le texte ne paraîtra qu'en 1950, en souvenir de cet ami exécuté en février 1945 pour son implication dans la résistance allemande." (p.20)
"De Nuremberg, il ne rentra pas à Berlin où sa femme avait liquidé leur appartement, mais à Plettenberg, sa ville natale, où il passera le restant de ses jours." (p.25)
"La technologie moderne qui produit ces armements par son dynamisme propre a besoin de cet ennemi absolu." (p.28)
"Tout ordre juridique international, s'il veut être véritable et effectif, est nécessairement un ordre spatial, avant même d'être un ordre normatif. Il y a là une application particulière du konkretes Ordnungsdenken, considéré par Schmitt depuis 1934 comme une des trois grandes options de la pensée juridique, à côté du normativisme et du décisionnisme. [...] Cela n'exclut nullement la composante normative inhérente à tout ordre juridique, mais celle-ci n'est pas primordiale ; au lieu de la concevoir dans l'abstrait, il faut lui donner cette assise spatiale qui la situe concrètement. Quant à la composante décisionniste, que Schmitt n'a jamais entendu répudier mais seulement compléter par l'idée d'ordre concret, elle s'affirme par le biais des "prises de terres" qui seraient à l'origine de tout ordre spatial. La négation absolue de cette vision "topique" de l'ordre juridique, notre auteur la perçoit dans l'utopie, symbole littéraire par définition a-spatial et annonciateur à ses yeux, par le biais de l'industrialisation, du nihilisme moderne. La notion d'espace semble avoir exercé sur lui une fascination croissante." (p.35)
"
(pp.38-39)
"
(p.40)
"On pourrait considérer Le nomos de la terre tout entier comme une gigantesque projection de ce problème central sur une suite de décors "géo-juridiques" échelonnés dans le passé." (p.41)
-Peter Haggenmacher, Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, PUF, coll. Quadrige, 2001 (1950 pour la première édition allemande), 363 pages.
-Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, PUF, coll. Quadrige, 2001 (1950 pour la première édition allemande), 363 pages.