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"Nous tenterons de nous· frayer une voie à contre-courant de deux pôles qui, en dépit de leur opposition, se rejoignent sur ce point : à contre-courant des marxistes qui saluent Marx comme celui qui aurait eu le mérite d'abandonner les formes de pensée du politique propres à la spéculation philosophique ; à contre-courant de ceux qui désignent en Marx un de ceux qui auraient mis fin à la tradition de la pensée politique. [...]
Nous tenterons de nous· frayer une voie à contre-courant de deux pôles qui, en dépit de leur opposition, se rejoignent sur ce point : à contre-courant des marxistes qui saluent Marx comme celui qui aurait eu le mérite d'abandonner les formes de pensée du politique propres à la spéculation philosophique ; à contre-courant de ceux qui désignent en Marx un de ceux qui auraient mis fin à la tradition de la pensée politique." (p.4)
"Si l'on peut observer chez Marx une tendance à l'occultation du politique sous la forme d'une naturalisation, d'une insertion du politique dans une théorie dialectique de la totalité sociale, son œuvre paraît en même temps travaillée par une orientation contraire. Comme si l'hétérogénéité du politique, le' pouvoir instituant du politique n'avaient pas cessé de le hanter sa vie durant." (p.13)
"Notre lecture s'appuie, surtout dans la seconde partie, sur la Critique du droit politique hégélien, manuscrit publié, nous l'avons souligné, pour la première fois en 1 927, à ne pas confondre avec la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, texte court et percutant, puisqu'y est annoncée la découverte de la négativité propre au prolétariat et qui fut publié par Marx en 1 844 à Paris dans les Annales franco-allemandes." (p.13)
"Annonçant en mars 1842 à Ruge son intention d'élaborer une critique du droit naturel de Hegel, notamment quant au régime intérieur, Marx écrit : « Le fond en est la réfutation de la monarchie constitutionnelle comme une chose bâtarde, contradictoire et qui se condamne elle-même. Res publica n'a pas d'équivalent en allemand. » Et, à l'épreuve de l'échec, peu avant de prendre à son tour la route de « Paris, capitale du XIXe siècle » où il publia en collaboration avec le même Ruge un numéro unique des Annales-franco-allemandes, Marx avoue ainsi la vanité de ce projet dans l'Allemagne de Frédéric-Guillaume IV : « . . . L'Allemagne s'est enfoncée dans le bourbier et s'y enfonce toujours plus. ( . . . ) On éprouve pourtant un sentiment de honte nationale même en Hollande. Comparé au plus grand Allemand, le moindre Hollandais est encore un citoyen. ». La référence à la Hollande qui doit nous alerter, car elle n'est pas sans signification dans le cheminement de Marx ; la Hollande c'est d'abord le pays de Spinoza, auteur du Tractatus theologico-politicus auquel Marx a consacré un cahier important d'extraits en 1841 ; ce fut, en outre, au sein de l'Europe absolutiste, une des rares incarnations du modèle républicain." (p.17)
"Les contributions de Marx, journaliste politique, peuvent donc à un premier niveau s'analyser comme une conjonction harmonieuse du jacobinisme et de l'hégélianisme de gauche ; qui manifeste, à la fois, une volonté d'émanciper l'État de la religion par la création d'une communauté politique séculière et une volonté de détruire les formes politiques de l'Ancien Régime -structures hiérarchiques, règne des privilèges- pour y substituer une république démocratique reposant sur l'égalité politique." (p.17)
"De Spinoza, Marx retient donc non seulement la thèse centrale du Tractatus theologico-politicus favorable à la liberté de philosopher, mais l'idée que, pour fonder la Res publica, il convient de détruire le nexus théologico-politique, ce mixte impur de foi, de croyance et de discours invitant à la soumission, cette alliance particulière du théologique et du politique (tel l'État chrétien contemporain de Marx) dans laquelle, par l'invocation de l'autorité divine, le théologique envahit la cité, réduit la communauté politique à l'esclavage, pire encore, en déséquilibre totalement l'ordonnancement en superposant à sa logique propre une logique relevant d'un autre ordre.
Une ligne de continuité apparaît bien, qui va de Machiavel à Marx en passant par Spinoza, et qui consiste à libérer la communauté politique du despotisme théologique, afin de rendre au politique sa consistance propre." (p.22)
"Marx insère-t-il la découverte du système politique dans le mouvement général d'émancipation des sciences à l' égard de la révélation et de la foi qu'il place sous le patronage de Bacon de Verulam, lequel sut, d'après lui, émanciper la physique de la théologie. Il convient cependant d'observer que, tout en reconnaissant la novation moderne, Marx insiste sur le rapport que cette dernière entretient avec la pensée politique classique, comme si la modernité avait sauté par-dessus le christianisme pour renouer avec la forme de questionnement propre à l'Antiquité. « La philosophie moderne n'a fait que poursuivre une tâche commencée autrefois par Héraclite et Aristote. » Socrate, Platon, Cicéron sont également cités comme symboles de sommets de la culture historique, de moments où l'apogée de la vie populaire allait de pair avec l'essor de la philosophie et le déclin de la religion." (p.23)
"Il s'agit de dénoncer la répétition, sous une forme profane, de l'aliénation religieuse telle que la production l'État échappe à son producteur l'homme et se retourne contre lui en s'érigeant en puissance étrangère. Pour s'être logé à la place qu'avait laissé inoccupée la critique de la religion la place de théos , l'État a engendré une véritable statolâtrie. Réappropriation des puissances humaines gaspillées dans le ciel de la politique, désacralisation de l'État, réorientation de l'émancipation à l'aide encore du modèle copernicien : que l'homme ne gravite plus autour de l'État, soleil illusoire, mais qu'il gravite enfin autour de lui-même, telles sont les directions qu'ouvre cette nouvelle phase de la critique [en 1843]." (p.36)
-Miguel Abensour, La Démocratie contre l'État. Marx et le mouvement machiavélien, PUF, 1997, 115 pages.
"Nous tenterons de nous· frayer une voie à contre-courant de deux pôles qui, en dépit de leur opposition, se rejoignent sur ce point : à contre-courant des marxistes qui saluent Marx comme celui qui aurait eu le mérite d'abandonner les formes de pensée du politique propres à la spéculation philosophique ; à contre-courant de ceux qui désignent en Marx un de ceux qui auraient mis fin à la tradition de la pensée politique. [...]
Nous tenterons de nous· frayer une voie à contre-courant de deux pôles qui, en dépit de leur opposition, se rejoignent sur ce point : à contre-courant des marxistes qui saluent Marx comme celui qui aurait eu le mérite d'abandonner les formes de pensée du politique propres à la spéculation philosophique ; à contre-courant de ceux qui désignent en Marx un de ceux qui auraient mis fin à la tradition de la pensée politique." (p.4)
"Si l'on peut observer chez Marx une tendance à l'occultation du politique sous la forme d'une naturalisation, d'une insertion du politique dans une théorie dialectique de la totalité sociale, son œuvre paraît en même temps travaillée par une orientation contraire. Comme si l'hétérogénéité du politique, le' pouvoir instituant du politique n'avaient pas cessé de le hanter sa vie durant." (p.13)
"Notre lecture s'appuie, surtout dans la seconde partie, sur la Critique du droit politique hégélien, manuscrit publié, nous l'avons souligné, pour la première fois en 1 927, à ne pas confondre avec la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, texte court et percutant, puisqu'y est annoncée la découverte de la négativité propre au prolétariat et qui fut publié par Marx en 1 844 à Paris dans les Annales franco-allemandes." (p.13)
"Annonçant en mars 1842 à Ruge son intention d'élaborer une critique du droit naturel de Hegel, notamment quant au régime intérieur, Marx écrit : « Le fond en est la réfutation de la monarchie constitutionnelle comme une chose bâtarde, contradictoire et qui se condamne elle-même. Res publica n'a pas d'équivalent en allemand. » Et, à l'épreuve de l'échec, peu avant de prendre à son tour la route de « Paris, capitale du XIXe siècle » où il publia en collaboration avec le même Ruge un numéro unique des Annales-franco-allemandes, Marx avoue ainsi la vanité de ce projet dans l'Allemagne de Frédéric-Guillaume IV : « . . . L'Allemagne s'est enfoncée dans le bourbier et s'y enfonce toujours plus. ( . . . ) On éprouve pourtant un sentiment de honte nationale même en Hollande. Comparé au plus grand Allemand, le moindre Hollandais est encore un citoyen. ». La référence à la Hollande qui doit nous alerter, car elle n'est pas sans signification dans le cheminement de Marx ; la Hollande c'est d'abord le pays de Spinoza, auteur du Tractatus theologico-politicus auquel Marx a consacré un cahier important d'extraits en 1841 ; ce fut, en outre, au sein de l'Europe absolutiste, une des rares incarnations du modèle républicain." (p.17)
"Les contributions de Marx, journaliste politique, peuvent donc à un premier niveau s'analyser comme une conjonction harmonieuse du jacobinisme et de l'hégélianisme de gauche ; qui manifeste, à la fois, une volonté d'émanciper l'État de la religion par la création d'une communauté politique séculière et une volonté de détruire les formes politiques de l'Ancien Régime -structures hiérarchiques, règne des privilèges- pour y substituer une république démocratique reposant sur l'égalité politique." (p.17)
"De Spinoza, Marx retient donc non seulement la thèse centrale du Tractatus theologico-politicus favorable à la liberté de philosopher, mais l'idée que, pour fonder la Res publica, il convient de détruire le nexus théologico-politique, ce mixte impur de foi, de croyance et de discours invitant à la soumission, cette alliance particulière du théologique et du politique (tel l'État chrétien contemporain de Marx) dans laquelle, par l'invocation de l'autorité divine, le théologique envahit la cité, réduit la communauté politique à l'esclavage, pire encore, en déséquilibre totalement l'ordonnancement en superposant à sa logique propre une logique relevant d'un autre ordre.
Une ligne de continuité apparaît bien, qui va de Machiavel à Marx en passant par Spinoza, et qui consiste à libérer la communauté politique du despotisme théologique, afin de rendre au politique sa consistance propre." (p.22)
"Marx insère-t-il la découverte du système politique dans le mouvement général d'émancipation des sciences à l' égard de la révélation et de la foi qu'il place sous le patronage de Bacon de Verulam, lequel sut, d'après lui, émanciper la physique de la théologie. Il convient cependant d'observer que, tout en reconnaissant la novation moderne, Marx insiste sur le rapport que cette dernière entretient avec la pensée politique classique, comme si la modernité avait sauté par-dessus le christianisme pour renouer avec la forme de questionnement propre à l'Antiquité. « La philosophie moderne n'a fait que poursuivre une tâche commencée autrefois par Héraclite et Aristote. » Socrate, Platon, Cicéron sont également cités comme symboles de sommets de la culture historique, de moments où l'apogée de la vie populaire allait de pair avec l'essor de la philosophie et le déclin de la religion." (p.23)
"Il s'agit de dénoncer la répétition, sous une forme profane, de l'aliénation religieuse telle que la production l'État échappe à son producteur l'homme et se retourne contre lui en s'érigeant en puissance étrangère. Pour s'être logé à la place qu'avait laissé inoccupée la critique de la religion la place de théos , l'État a engendré une véritable statolâtrie. Réappropriation des puissances humaines gaspillées dans le ciel de la politique, désacralisation de l'État, réorientation de l'émancipation à l'aide encore du modèle copernicien : que l'homme ne gravite plus autour de l'État, soleil illusoire, mais qu'il gravite enfin autour de lui-même, telles sont les directions qu'ouvre cette nouvelle phase de la critique [en 1843]." (p.36)
-Miguel Abensour, La Démocratie contre l'État. Marx et le mouvement machiavélien, PUF, 1997, 115 pages.