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    Sidonie Verhaeghe, Une anarchiste romantique ? Socio-histoire de l’édition des textes de Louise Michel

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Sidonie Verhaeghe, Une anarchiste romantique ? Socio-histoire de l’édition des textes de Louise Michel Empty Sidonie Verhaeghe, Une anarchiste romantique ? Socio-histoire de l’édition des textes de Louise Michel

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 29 Sep - 15:30

    https://journals.openedition.org/contextes/9999

    "Si les textes de Louise Michel ont été édités et réédités soixante-et-une fois en un siècle, cette activité éditoriale n’est pas homogène sur toute la période. En effet, entre 1905 et 1968, seules trois rééditions sont réalisées, soit par des éditions de tendance anarchiste (la Librairie Internationaliste en 1905, les éditions SLIM gérées par l’anarchiste Fernand Planche en 1947), soit par un éditeur de Louise Michel de son vivant (Stock en 1921). Étonnamment, alors que le Parti communiste promeut la mémoire de Louise Michel et instaure des commémorations annuelles pour l’anniversaire de sa mort, on y reviendra, il ne prend pas en charge la réédition de ses textes. C’est donc après 1968 que la pratique éditoriale des ouvrages de Louise Michel s’accélère : six éditions dans les années 1970, six également pour la décennie suivante, sept dans les années 1990 (dont plus de la moitié en 1999, année de publication de la correspondance générale de Louise Michel, réunie par Xavière Gauthier), seize dans les années 2000 (dont plus d’un tiers en 2005 lors du centenaire de la mort de Louise Michel), vingt-et-une entre 2010 et 2020.

    Malgré la richesse et la multitude des textes, romans, ou poèmes écrits par Louise Michel, deux œuvres sont centrales dans la pratique éditoriale, rééditées de nombreuses fois et par des maisons différentes : La Commune et Mémoires."

    "En 1982 est publié dans la même collection un recueil poétique de Louise Michel, présenté par Daniel Armogathe et Marion V. Piper. Cette même année, François Maspero cède le fonds de ses éditions, repris sous le nom de La Découverte. Celle-ci s’inscrit dans une certaine continuité avec les éditions Maspero, et demeure aujourd’hui encore centrale dans la réédition des œuvres de Louise Michel : depuis 1983, La Découverte a réédité à sept reprises des ouvrages de Louise Michel."

    "Le journaliste et critique Henry Bauër, ancien communard et compagnon de déportation de Louise Michel, fervent défenseur des nouvelles formes littéraires naturalistes, se révèle intransigeant face au romantisme de ses œuvres :

    Mais ce qui gâta tous les dons angéliques de notre héroïne, c’est la mauvaise littérature. Louise Michel est ce que Vallès nommait une victime du livre. Elle essaye de nous donner le change par des furies de décadente ; elle fût, elle reste la dernière des romantiques […] Ses phrases affectent la pompe tragique, les couleurs violentes et sombres de la période romantique […] Mais l’on me persuadera malaisément que d’un chaos de mots bizarres et vides, d’un ramas de termes barbares pareils aux hoquets d’un ivrogne puisse sortir une révolution qui décapite le plus clair et le plus précis des langages humains. [Henry Bauer, « La pucelle de Belleville », L’Écho de Paris, 22 octobre 1886."

    "Louise Michel est une romancière militante, et elle n’entend pas séparer la propagande révolutionnaire de l’acte littéraire. Puisqu’elle ne prend pas part directement aux conflits et aux luttes politiques propres au système de la démocratie représentative, en tant que femme et en tant qu’anarchiste, son terrain d’expression politique est celui du militantisme et de l’action directe. L’indifférenciation est donc forte entre son travail littéraire et son travail militant. En 1887, la Librairie Socialiste Internationale Achille Le Roy publie L’Ère Nouvelle. Cinq cents exemplaires sont vendus au profit des grévistes et des détenus politiques. De mars à juin 1888, l’hebdomadaire révolutionnaire havrois L’Idée ouvrière fait paraître son roman Le Monde nouveau sous forme de feuilletons. L’Égalité de Jules Guesde publie la seconde partie de ses Mémoires en plus de soixante-dix épisodes, à partir de 1890. Henri Rochefort, rédacteur en chef de L’Intransigeant, rédige la préface de son recueil de Contes et Légendes, publié aux éditions Kéva.

    En cette fin de xixe siècle, la posture littéraire de Louise Michel n’est pas particulièrement originale : de nombreux auteurs se revendiquent d’une littérature « socialiste », « sociale », voire « anarchiste ». La période est marquée par la rencontre entre artistes, militants et théoriciens anarchistes. En 1889, Louise Michel prend part aux activités du Club de l’art social, aux côtés de Jean Grave, Camille Pissaro, Auguste Rodin ou Lucien Descaves. Elle participe aux rapprochements et aux dialogues entre les artistes et le militantisme anarchiste. De nombreux anarchistes s’essaient également à l’écriture romanesque ou non explicitement théorique. Charles Malato, Jean Grave ou Émile Pouget, par exemple, brouillent ainsi les espaces de l’expression idéologique. Pour autant, Louise Michel ne semble pas réellement trancher dans ses choix littéraires : si l’art doit être au service de la lutte, doit-il pour autant être contraint par une perspective d’éducation populaire ou le propre de l’activité artistique n’est-il pas de conserver une certaine liberté ?

    D’un côté, elle déclare défendre la liberté artistique et la recherche de formes littéraires nouvelles, autrement dit « la nécessité de trouver à des idées nouvelles des expressions correspondantes ». Elle s’inscrit pour cela dans des influences éclectiques. Ses textes sont imprégnés par le lyrisme métaphysique de Lamennais et de ses Paroles d’un croyant, qui a marqué ses jeunes années ; et par le romantisme de Victor Hugo, qu’elle admire depuis l’adolescence. Le surnom qu’elle utilise pour signer ses articles et ses poèmes, au moins jusqu’au procès de la Commune, est un hommage : Enjolras, personnage des Misérables. Outre ces premières influences, la littérature de Louise Michel est également empreinte du naturalisme de Zola, duquel elle hérite la volonté de restituer une vision réaliste de la société ; du positivisme de Jules Verne, avec lequel elle partage un intérêt pour les découvertes scientifiques ; et du symbolisme des décadents, dans lequel elle voit des similitudes avec le projet social anarchiste. En 1886, elle participe à plusieurs conférences organisées par des cercles symbolistes ou décadents."

    "Elle conçoit en effet l’activité artistique comme devant être accessible, et non le fait d’une minorité érudite ou initiée. Ainsi revendique-t-elle « l’art pour tous, la science pour tous, le pain pour tous » (Mémoires). Convaincue de la nécessité du travail éducatif, dans la lignée d’une pensée anarchiste de l’émancipation attentive aux pratiques pédagogiques, Louise Michel publie également de la littérature pour enfants (Le Livre du jour de l’an. Historiettes, contes et légendes pour les enfants ; Lectures encyclopédiques par cycles attractifs). Cette dimension est particulièrement présente dans son théâtre : ses pièces s’inscrivent dans un contexte de lutte sociale (elle écrit Le Coq rouge en 1883 pendant le procès des anarchistes à Lyon, ou L’Ogre au moment des attentats anarchistes afin d’expliquer la propagande par le fait) et leurs représentations sont un espace d’expression révolutionnaire et militant. Ces pièces sont l’occasion d’un appel à un avenir utopique, la révolution sociale, et sont considérées par les anarchistes eux-mêmes comme des « actes de propagande »."

    "Le PC fait preuve d’une certaine réticence à éditer des auteurs dont la pensée précède la révolution russe, et plus encore en ce qui concerne les auteurs français. Le congrès de Kharkov, organisé par l’Union internationale des écrivains révolutionnaires en novembre 1930 déclare qu’il n’existe pas de littérature prolétarienne française. La mémoire communarde passe donc au PC par autre chose que par le livre : elle se construit par le geste, par la commémoration, par la manifestation. C’est donc à travers les pratiques militantes que s’élabore la réception communiste de Louise Michel la communarde : le parti organise notamment des manifestations annuelles dans le cimetière de Levallois-Perret pour l’anniversaire de sa mort."

    "Le mouvement anarchiste connaît un déclin après la première guerre mondiale."
    -Sidonie Verhaeghe, « Une anarchiste romantique ? », COnTEXTES [En ligne], 30 | 2021, mis en ligne le 18 mars 2021, consulté le 30 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/contextes/9999 ; DOI : https://doi.org/10.4000/contextes.9999



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