https://www.sciencespo.fr/enjeumondial/fr/auteur/denis-pelletier.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Schlegel
https://fr.book4you.org/book/15952111/30a492
"Il a existé en France, entre la Libération et le milieu des années 1980, un monde de militants et d’intellectuels qui ont estimé légitime de s’engager à gauche au nom de leur foi chrétienne. Protestants et catholiques, ils ont eu la conviction que le combat pour le changement devait être conduit à la fois dans leurs Églises et dans la société, sur le terrain religieux comme sur le terrain politique, syndical ou même culturel. « À gauche, ces chrétiens… » : c’est sous ce titre que la revue Autrement tenta, en février 1977, d’en dresser l’état des lieux, au moment où retombaient à la fois l’enthousiasme du concile Vatican II, qui avait été pour nombre d’entre eux un tournant capital, et les utopies de Mai 68, dont nous oublions trop aisément qu’ils y contribuèrent de façon décisive. Un peu plus de vingt ans auparavant, le 22 décembre 1955, François Mauriac prenait dans L’Express la défense de ces « chrétiens de l’autre bord », avec lesquels il avait renoué à la faveur du soutien à Pierre Mendès France et dans le combat contre la torture en Afrique du Nord.
Ce livre raconte leur histoire, depuis la Libération de 1944, lorsque ce même François Mauriac rêvait avec eux de construire en France un « socialisme humaniste » fondé sur les valeurs de la Résistance, jusqu’aujourd’hui, où leur disparition du paysage politique n’empêche pas qu’on les retrouve à l’œuvre, mais sous d’autres étiquettes, dans la mouvance altermondialiste, au Parti socialiste, chez les Verts et dans d’autres lieux de la gauche."
"Dès les années 1870, le protestantisme politique s’est assimilé à la gauche, et les protestants ont joué un rôle moteur dans la construction de la République laïque, ce qui suffisait à en faire des hommes de gauche, par opposition à un monde catholique dont les élites demeuraient attachées à l’ordre ancien des choses. Le paradoxe veut que la période où l’expression « chrétiens de gauche » prit véritablement un sens ait été celle où, au contraire, la principale innovation politique au sein du protestantisme français était la séduction qu’opérait dans ses rangs le gaullisme. [...]
Rôle original tenu par des militants d’origine catholique dans la recomposition de la gauche, qui allait conduire un peu plus tard à la fondation du nouveau Parti socialiste, mais aussi leur place dans l’extrême gauche, au lendemain de Mai 68. Il mettait surtout en évidence ce fait, inédit dans l’histoire d’une gauche attachée par-dessus tout à la laïcité, que la plupart de ces militants se réclamaient de leur appartenance religieuse, jusqu’à en faire le motif même de leur engagement, le fondement sur lequel ils s’appuyaient pour faire bouger les lignes de partage entre radicalisme, socialisme et communisme en France."
"Il a existé sous la monarchie de Juillet un « socialisme chrétien », celui de Philippe Buchez et du journal L’Atelier, dont la Révolution de février 1848 a paru consacrer la victoire, lorsqu’on a cru à la possibilité d’une rencontre entre le peuple chrétien et la République démocratique. Les émeutes de juin puis le triomphe du Parti de l’Ordre ont sonné le glas de cette première génération de la démocratie chrétienne, mais celle-ci renaît à la fin du XIXe siècle, dans le sillage de l’encyclique Rerum novarum de 1891, le texte fondateur de la doctrine sociale de l’Église. Non pas que le catholicisme social ait été fondamentalement « de gauche » : idéologiquement, Rerum novarum s’inscrit dans le prolongement d’une critique de la modernité affirmée à Rome dès le Syllabus de 1864, ce catalogue des « erreurs modernes » que condamne le pape Pie IX."
"Mouvement des « abbés démocrates ». Parfois prêtres de paroisse, ils sont le plus souvent des promoteurs d’œuvres sociales, des fondateurs de caisses rurales de prévoyance et de coopératives ouvrières, des directeurs de journaux aux titres évocateurs : Le Peuple français de l’abbé Garnier, La Justice sociale de l’abbé Naudet, La Démocratie chrétienne de l’abbé Six. Au même moment, Le Sillon, fondé par Marc Sangnier, devient en 1899 la première organisation de laïcs démocrates chrétiens en France. Certes, ce second moment de la démocratie chrétienne n’a résisté ni au raidissement de Rome contre ce qu’elle a considéré comme une forme de « modernisme social », ni aux effets de l’affaire Dreyfus. La volonté de Sangnier de transformer son mouvement en un parti politique s’est heurtée en 1910 à une condamnation romaine. De cette période demeurent pourtant deux héritages. D’une part, Sangnier, tout en se rangeant à l’injonction romaine, fonde en 1912 la Jeune République, une ligue politique d’inspiration chrétienne qui se transformera bientôt en parti et jouera, après 1944, un rôle non négligeable dans l’histoire de la deuxième gauche. D’autre part, il a existé un dreyfusisme catholique, dont Anatole Leroy-Beaulieu ou Paul Viollet, fondateur en 1899 de la Ligue catholique pour la défense du droit, sont de bons représentants. Plus que des hommes de gauche, qu’ils ne sont pas, ces catholiques sont des libéraux, au sens philosophique du terme : mais leur combat a fini par être assimilé à la gauche, à mesure que s’ancrait à gauche la mémoire du dreyfusisme.
Les années 1930, enfin, sont le troisième moment de la « préhistoire » des chrétiens de gauche. Au moment du Front populaire, la « main tendue » par Maurice Thorez aux catholiques rencontre peu d’échos, hormis du côté des élus de la Jeune République, qui soutiendront le gouvernement de Léon Blum sans y participer, et du petit groupe des « socialistes chrétiens », protestants et catholiques réunis autour du journal Terre nouvelle dirigé par Maurice Laudrain et qui compta dans ses rangs le jeune Paul Ricœur. Mais elle contribue à une interrogation collective sur la manière dont la classe ouvrière a été « perdue » par l’Église. « Par notre faute », répond Henri Guillemin dans un article célèbre paru en 1937 dans La Vie intellectuelle, suivi en cela par les « rouges chrétiens » de l’hebdomadaire Sept, que Rome condamne au silence la même année."
"La question morale agit comme un dissolvant au sein d’une Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) que les méthodes de Guy Mollet rongent de l’intérieur. Elle détruit peu à peu l’aura résistante du Parti communiste français (PCF). Elle explique le malaise des protestants, qui ne se reconnaissent pas dans la politique algérienne de la SFIO. Quant aux catholiques, ils sont tiraillés entre l’interdiction qui leur est faite par Rome d’entrer au PCF, et le refus de la SFIO de s’ouvrir à eux pour des raisons de militantisme laïque. La gauche chrétienne est alors « sans domicile fixe »."
-Denis Pelletier & Jean-Louis Schlegel (dir), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.
"Lorsque le Gouvernement provisoire s’installe à Paris, sous la présidence du général de Gaulle, les valeurs qui imprègnent la vie politique sont issues de la Résistance, nourries par un idéal de rénovation de la démocratie. Cet idéal s’est trempé dans le combat clandestin et dans les débats sur la reconstruction d’une France généreuse et juste. Il est au cœur du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), à la rédaction duquel ont participé des hommes politiques de tous bords. Le seul nouveau parti né dans la Résistance est le Mouvement républicain populaire (MRP), qui est fondé en novembre 1944 et dont le programme est nourri de références à la démocratie chrétienne."
"1944 marque clairement la réintégration dans la vie politique d’un courant que le combat des deux France, la « cléricale » et la « laïque », avait longtemps laissé en marge."
"L’assimilation est plus problématique du côté catholique, à la fois parce que la tradition de gauche y est particulièrement faible, et en raison de l’allégeance au régime de Vichy qu’a maintenue jusqu’au bout, ou presque, la quasi-totalité des évêques et archevêques. Pourtant, on rencontre des militants catholiques dans la plupart des mouvements résistants, souvent aux côtés de communistes et de socialistes. Il a aussi existé une « Résistance spirituelle » dont les Cahiers du Témoignage chrétien clandestins furent le fer de lance et qui a été particulièrement active dans la lutte contre l’antisémitisme. Ajoutons à cela l’engagement de quelques intellectuels, un François Mauriac au sein du Comité national des écrivains (CNE), un Bernanos ou un Maritain depuis leur lieu d’exil."
"Chez les catholiques, pour lesquels l’engagement résistant a supposé de rompre avec la tradition d’obéissance à l’autorité établie, une théologie s’est mise en place, dans les maquis comme aux Cahiers du Témoignage chrétien. Elle affirmait le primat de la conscience sur l’obéissance et celui de la justice sur la charité – ou, plus exactement, elle interdisait de penser la charité en dehors de la référence première à la justice. Surtout, d’un côté comme de l’autre, une théologie de la présence au monde s’est imposée, qui constitue chez les catholiques une subversion à l’égard de la tradition du dialogue avec les maîtres anciens, dans le retrait du studium. Elle donne naissance à une « gauche ecclésiale » qui se reconnaîtra assez proche de l’idéologie de l’engagement telle que la théorisent après guerre Jean-Paul Sartre et les existentialistes des Temps modernes."
"Dès la fin des années 1930, à l’épreuve du Front populaire, le sentiment de l’urgence qu’il y avait à reprendre pied dans la classe ouvrière s’est imposé au sein de l’« aile marchante » du catholicisme français. En 1944, la figure catholique du pauvre rejoint celle de l’ouvrier et, pour bien des militants chrétiens, le Christ a pris les traits du prolétaire."
"L’éviction des communistes du gouvernement dirigé par Paul Ramadier, en mai 1947, suivie des grèves violentes de l’automne suivant, brutalement réprimées par le ministre de l’Intérieur Jules Moch, achève de consommer la rupture avec le PCF. Commence alors le temps des gouvernements dits de « troisième force », qui associent au MRP et à la SFIO ce qui reste du radicalisme et dont les divisions facilitent le retour au pouvoir de la droite traditionnelle, jusque-là tenue à l’écart du fait de sa compromission avec Vichy.
La IVe République a mauvaise presse. On en dénonce l’instabilité ministérielle, que provoque la fragilité des partis de gouvernement face aux oppositions convergentes du PCF et du Rassemblement du peuple français (RPF), fondé en 1947 par la droite gaulliste. Cette République est entachée de deux « sales » guerres coloniales, perdues l’une et l’autre, en Indochine (1945-1954), puis en Algérie, cette dernière ayant provoqué en 1958 la chute du régime et le retour au pouvoir du général de Gaulle. Au milieu de tant d’impéritie, le gouvernement dirigé par Pierre Mendès France en 1954-1955 apparaît comme un court moment de clairvoyance politique et de morale collective."
"De la Libération jusqu’au milieu des années 1950, le dialogue philosophique avec le marxisme, le compagnonnage avec les militants communistes et l’engagement dans la mission ouvrière ont été les différentes composantes de ce que l’on a appelé, parfois de manière abusive, le « progressisme chrétien ».
Au sens strict du terme, l’expression ne s’applique en effet qu’à l’Union des chrétiens progressistes (UCP), fondée au début de 1947 par quelques intellectuels catholiques, Marcel Moiroud, André Mandouze, Jean Verlhac qui, constatant la dérive à droite du MRP dans lequel ils ne se reconnaissent pas, font le choix d’une alliance avec le PCF. Certains y prennent leur carte, à l’image de Maurice Caveing, ou s’alignent sur lui à l’image de Gilbert de Chambrun, député apparenté communiste de la Lozère de 1946 jusqu’à 1956. La plupart, comme Mandouze, ancien réacteur en chef du Courrier français du Témoignage chrétien, choisissent la position de « compagnons de route ». Leur bulletin, Des chrétiens prennent position, bientôt devenu Positions, s’aligne pour l’essentiel sur celles du PCF, et l’UCP est la première organisation politique fondée après 1945 qui se situe ouvertement à gauche sans renoncer à son identité catholique."
-Denis Pelletier, "Une gauche sans domicile fixe", in Denis Pelletier & Jean-Louis Schlegel (dir), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Schlegel
https://fr.book4you.org/book/15952111/30a492
"Il a existé en France, entre la Libération et le milieu des années 1980, un monde de militants et d’intellectuels qui ont estimé légitime de s’engager à gauche au nom de leur foi chrétienne. Protestants et catholiques, ils ont eu la conviction que le combat pour le changement devait être conduit à la fois dans leurs Églises et dans la société, sur le terrain religieux comme sur le terrain politique, syndical ou même culturel. « À gauche, ces chrétiens… » : c’est sous ce titre que la revue Autrement tenta, en février 1977, d’en dresser l’état des lieux, au moment où retombaient à la fois l’enthousiasme du concile Vatican II, qui avait été pour nombre d’entre eux un tournant capital, et les utopies de Mai 68, dont nous oublions trop aisément qu’ils y contribuèrent de façon décisive. Un peu plus de vingt ans auparavant, le 22 décembre 1955, François Mauriac prenait dans L’Express la défense de ces « chrétiens de l’autre bord », avec lesquels il avait renoué à la faveur du soutien à Pierre Mendès France et dans le combat contre la torture en Afrique du Nord.
Ce livre raconte leur histoire, depuis la Libération de 1944, lorsque ce même François Mauriac rêvait avec eux de construire en France un « socialisme humaniste » fondé sur les valeurs de la Résistance, jusqu’aujourd’hui, où leur disparition du paysage politique n’empêche pas qu’on les retrouve à l’œuvre, mais sous d’autres étiquettes, dans la mouvance altermondialiste, au Parti socialiste, chez les Verts et dans d’autres lieux de la gauche."
"Dès les années 1870, le protestantisme politique s’est assimilé à la gauche, et les protestants ont joué un rôle moteur dans la construction de la République laïque, ce qui suffisait à en faire des hommes de gauche, par opposition à un monde catholique dont les élites demeuraient attachées à l’ordre ancien des choses. Le paradoxe veut que la période où l’expression « chrétiens de gauche » prit véritablement un sens ait été celle où, au contraire, la principale innovation politique au sein du protestantisme français était la séduction qu’opérait dans ses rangs le gaullisme. [...]
Rôle original tenu par des militants d’origine catholique dans la recomposition de la gauche, qui allait conduire un peu plus tard à la fondation du nouveau Parti socialiste, mais aussi leur place dans l’extrême gauche, au lendemain de Mai 68. Il mettait surtout en évidence ce fait, inédit dans l’histoire d’une gauche attachée par-dessus tout à la laïcité, que la plupart de ces militants se réclamaient de leur appartenance religieuse, jusqu’à en faire le motif même de leur engagement, le fondement sur lequel ils s’appuyaient pour faire bouger les lignes de partage entre radicalisme, socialisme et communisme en France."
"Il a existé sous la monarchie de Juillet un « socialisme chrétien », celui de Philippe Buchez et du journal L’Atelier, dont la Révolution de février 1848 a paru consacrer la victoire, lorsqu’on a cru à la possibilité d’une rencontre entre le peuple chrétien et la République démocratique. Les émeutes de juin puis le triomphe du Parti de l’Ordre ont sonné le glas de cette première génération de la démocratie chrétienne, mais celle-ci renaît à la fin du XIXe siècle, dans le sillage de l’encyclique Rerum novarum de 1891, le texte fondateur de la doctrine sociale de l’Église. Non pas que le catholicisme social ait été fondamentalement « de gauche » : idéologiquement, Rerum novarum s’inscrit dans le prolongement d’une critique de la modernité affirmée à Rome dès le Syllabus de 1864, ce catalogue des « erreurs modernes » que condamne le pape Pie IX."
"Mouvement des « abbés démocrates ». Parfois prêtres de paroisse, ils sont le plus souvent des promoteurs d’œuvres sociales, des fondateurs de caisses rurales de prévoyance et de coopératives ouvrières, des directeurs de journaux aux titres évocateurs : Le Peuple français de l’abbé Garnier, La Justice sociale de l’abbé Naudet, La Démocratie chrétienne de l’abbé Six. Au même moment, Le Sillon, fondé par Marc Sangnier, devient en 1899 la première organisation de laïcs démocrates chrétiens en France. Certes, ce second moment de la démocratie chrétienne n’a résisté ni au raidissement de Rome contre ce qu’elle a considéré comme une forme de « modernisme social », ni aux effets de l’affaire Dreyfus. La volonté de Sangnier de transformer son mouvement en un parti politique s’est heurtée en 1910 à une condamnation romaine. De cette période demeurent pourtant deux héritages. D’une part, Sangnier, tout en se rangeant à l’injonction romaine, fonde en 1912 la Jeune République, une ligue politique d’inspiration chrétienne qui se transformera bientôt en parti et jouera, après 1944, un rôle non négligeable dans l’histoire de la deuxième gauche. D’autre part, il a existé un dreyfusisme catholique, dont Anatole Leroy-Beaulieu ou Paul Viollet, fondateur en 1899 de la Ligue catholique pour la défense du droit, sont de bons représentants. Plus que des hommes de gauche, qu’ils ne sont pas, ces catholiques sont des libéraux, au sens philosophique du terme : mais leur combat a fini par être assimilé à la gauche, à mesure que s’ancrait à gauche la mémoire du dreyfusisme.
Les années 1930, enfin, sont le troisième moment de la « préhistoire » des chrétiens de gauche. Au moment du Front populaire, la « main tendue » par Maurice Thorez aux catholiques rencontre peu d’échos, hormis du côté des élus de la Jeune République, qui soutiendront le gouvernement de Léon Blum sans y participer, et du petit groupe des « socialistes chrétiens », protestants et catholiques réunis autour du journal Terre nouvelle dirigé par Maurice Laudrain et qui compta dans ses rangs le jeune Paul Ricœur. Mais elle contribue à une interrogation collective sur la manière dont la classe ouvrière a été « perdue » par l’Église. « Par notre faute », répond Henri Guillemin dans un article célèbre paru en 1937 dans La Vie intellectuelle, suivi en cela par les « rouges chrétiens » de l’hebdomadaire Sept, que Rome condamne au silence la même année."
"La question morale agit comme un dissolvant au sein d’une Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) que les méthodes de Guy Mollet rongent de l’intérieur. Elle détruit peu à peu l’aura résistante du Parti communiste français (PCF). Elle explique le malaise des protestants, qui ne se reconnaissent pas dans la politique algérienne de la SFIO. Quant aux catholiques, ils sont tiraillés entre l’interdiction qui leur est faite par Rome d’entrer au PCF, et le refus de la SFIO de s’ouvrir à eux pour des raisons de militantisme laïque. La gauche chrétienne est alors « sans domicile fixe »."
-Denis Pelletier & Jean-Louis Schlegel (dir), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.
"Lorsque le Gouvernement provisoire s’installe à Paris, sous la présidence du général de Gaulle, les valeurs qui imprègnent la vie politique sont issues de la Résistance, nourries par un idéal de rénovation de la démocratie. Cet idéal s’est trempé dans le combat clandestin et dans les débats sur la reconstruction d’une France généreuse et juste. Il est au cœur du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), à la rédaction duquel ont participé des hommes politiques de tous bords. Le seul nouveau parti né dans la Résistance est le Mouvement républicain populaire (MRP), qui est fondé en novembre 1944 et dont le programme est nourri de références à la démocratie chrétienne."
"1944 marque clairement la réintégration dans la vie politique d’un courant que le combat des deux France, la « cléricale » et la « laïque », avait longtemps laissé en marge."
"L’assimilation est plus problématique du côté catholique, à la fois parce que la tradition de gauche y est particulièrement faible, et en raison de l’allégeance au régime de Vichy qu’a maintenue jusqu’au bout, ou presque, la quasi-totalité des évêques et archevêques. Pourtant, on rencontre des militants catholiques dans la plupart des mouvements résistants, souvent aux côtés de communistes et de socialistes. Il a aussi existé une « Résistance spirituelle » dont les Cahiers du Témoignage chrétien clandestins furent le fer de lance et qui a été particulièrement active dans la lutte contre l’antisémitisme. Ajoutons à cela l’engagement de quelques intellectuels, un François Mauriac au sein du Comité national des écrivains (CNE), un Bernanos ou un Maritain depuis leur lieu d’exil."
"Chez les catholiques, pour lesquels l’engagement résistant a supposé de rompre avec la tradition d’obéissance à l’autorité établie, une théologie s’est mise en place, dans les maquis comme aux Cahiers du Témoignage chrétien. Elle affirmait le primat de la conscience sur l’obéissance et celui de la justice sur la charité – ou, plus exactement, elle interdisait de penser la charité en dehors de la référence première à la justice. Surtout, d’un côté comme de l’autre, une théologie de la présence au monde s’est imposée, qui constitue chez les catholiques une subversion à l’égard de la tradition du dialogue avec les maîtres anciens, dans le retrait du studium. Elle donne naissance à une « gauche ecclésiale » qui se reconnaîtra assez proche de l’idéologie de l’engagement telle que la théorisent après guerre Jean-Paul Sartre et les existentialistes des Temps modernes."
"Dès la fin des années 1930, à l’épreuve du Front populaire, le sentiment de l’urgence qu’il y avait à reprendre pied dans la classe ouvrière s’est imposé au sein de l’« aile marchante » du catholicisme français. En 1944, la figure catholique du pauvre rejoint celle de l’ouvrier et, pour bien des militants chrétiens, le Christ a pris les traits du prolétaire."
"L’éviction des communistes du gouvernement dirigé par Paul Ramadier, en mai 1947, suivie des grèves violentes de l’automne suivant, brutalement réprimées par le ministre de l’Intérieur Jules Moch, achève de consommer la rupture avec le PCF. Commence alors le temps des gouvernements dits de « troisième force », qui associent au MRP et à la SFIO ce qui reste du radicalisme et dont les divisions facilitent le retour au pouvoir de la droite traditionnelle, jusque-là tenue à l’écart du fait de sa compromission avec Vichy.
La IVe République a mauvaise presse. On en dénonce l’instabilité ministérielle, que provoque la fragilité des partis de gouvernement face aux oppositions convergentes du PCF et du Rassemblement du peuple français (RPF), fondé en 1947 par la droite gaulliste. Cette République est entachée de deux « sales » guerres coloniales, perdues l’une et l’autre, en Indochine (1945-1954), puis en Algérie, cette dernière ayant provoqué en 1958 la chute du régime et le retour au pouvoir du général de Gaulle. Au milieu de tant d’impéritie, le gouvernement dirigé par Pierre Mendès France en 1954-1955 apparaît comme un court moment de clairvoyance politique et de morale collective."
"De la Libération jusqu’au milieu des années 1950, le dialogue philosophique avec le marxisme, le compagnonnage avec les militants communistes et l’engagement dans la mission ouvrière ont été les différentes composantes de ce que l’on a appelé, parfois de manière abusive, le « progressisme chrétien ».
Au sens strict du terme, l’expression ne s’applique en effet qu’à l’Union des chrétiens progressistes (UCP), fondée au début de 1947 par quelques intellectuels catholiques, Marcel Moiroud, André Mandouze, Jean Verlhac qui, constatant la dérive à droite du MRP dans lequel ils ne se reconnaissent pas, font le choix d’une alliance avec le PCF. Certains y prennent leur carte, à l’image de Maurice Caveing, ou s’alignent sur lui à l’image de Gilbert de Chambrun, député apparenté communiste de la Lozère de 1946 jusqu’à 1956. La plupart, comme Mandouze, ancien réacteur en chef du Courrier français du Témoignage chrétien, choisissent la position de « compagnons de route ». Leur bulletin, Des chrétiens prennent position, bientôt devenu Positions, s’aligne pour l’essentiel sur celles du PCF, et l’UCP est la première organisation politique fondée après 1945 qui se situe ouvertement à gauche sans renoncer à son identité catholique."
-Denis Pelletier, "Une gauche sans domicile fixe", in Denis Pelletier & Jean-Louis Schlegel (dir), A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.