"Le territoire réconcilie les approches d'une géographie physique renouvelée en géographie de l'environnement et celles d'une géographie humaine refondée en géographie sociale et spatiale." (p.10)
"-L'appropriation peut être politique. En ce sens, le territoire est une portion d'espace sur lequel s'exerce un pouvoir, qui inscrit généralement sa souveraineté dans le cadre de limites clairement identifiées, parfois juridiquement sanctionnées. Cette acception du territoire demande de réfléchir à la question des acteurs et aux rapports de forces entre ces acteurs. Elle concerne la question des maillages, des frontières, des conflits qui surgissent autour de l'appropriation.
-L'appropriation peut être symbolique. Elle renvoie alors à l'inscription d'un individu ou d'un groupe social dans une terre. On touche ici aux questions des pratiques et des représentations qui construisent un sentiment d'appartenance et qui produisent une identité singulière. Le territoire dans cette perspective rejoint les questions attachées à l'habiter, aux espaces de vie, aux espaces vécus, aux lieux." (p.11)
"Ces processus d'échelle supranationale ne signent en aucun cas la fin du local, et avec elle, la mort des territoires. C'est plutôt l'exact contraire qui se produit: jamais les territoires n'ont été aussi présents. [...] Mondialisation et intégration européenne participent à ce que certains auteurs [F. Girault et B. Antheaume] ont pu qualifier de "fabrication débridée des territoires"." (pp.11-12)
"Chaque composante de ce système territorial, qu'il s'agisse de la société, des activités économiques, des milieux, etc., possède sa propre temporalité, ses propres rythmes d'évolution. De fait, lorsque des dynamiques exogènes, telles que la mondialisation ou l'intégration européenne, affectent le territoire, toutes les composantes du systèmes ne réagissent pas à la même vitesse. Il existe toute une série d'états intermédiaires qui font passer d'un système territorial à un autre et qui correspondent à des recompositions inachevées, des transformations inabouties, des retours en arrière." (p.13)
" [Chapitre 5. Les campagnes françaises et espaces ruraux: entre marginalisation et nouvelles territorialités]
L' "industrialisation" des campagnes n'est toutefois pas le seul fait de la "révolution agricole". Elle est accrue par le mouvement de déconcentration industrielle des années 1960. Recherchant une main-d'oeuvre de moindre coût et peu syndiqué, des groupes industriels, en particulier des industries automobiles et de biens de consommation courante, installent des ateliers et des usines dans les campagnes de l'Ouest de la France notamment. Certes les campagnes n'ont jamais été exclusivement agricoles et ont accueilli très tôt des activités proto-industrielles [...] Mais la déconcentration industrielle vient désormais concurrencer le secteur agricole. On assiste même, dans certains cas, à l'apparition de campagnes industrielles avec la constitution de districts, comme dans le Choletais ou le pays du Vimeu. Ces districts industriels sont caractérisés par de petits unités extrêmement spécialisées dans une production à forte valeur ajoutée [...] chaussure et travail du cuir dans le Chotelais, serrurerie au Vimeu, mécanique de précision avec Méca-technopole en Poitou-Charentes, etc. Ils ont pour origine des structures familiales et artisanales. Dans ces espaces, l'activité industrielle devient dominante en termes d'emplois, même si elle n'empêche pas le maintien de l'activité agricole." (p.118)
" [L'agriculteur] devient un "professionnel de l'agriculture", loin du modèle paysan traditionnel. Il pratique aussi d'autres activités complémentaires, pour que son exploitation soit rentable : vente directe, accueil à la ferme (ferme auberge, tables d'hôtes), services à la construction, à l'entretien du patrimoine, etc. Ce nouveau rapport à la terre est d'autant plus net aujourd'hui que l'agriculture productiviste est remise en question. Alors que des années durant, on a demandé aux agriculteurs de produire pour nourrir la France, la société leur reproche aujourd'hui des pratiques peu respectueuses de l'environnement. De fait, les agriculteurs doivent concilier une vision productrice de la terre et un rôle de "jardinier du paysage", rôle qu'ils rejettent d'ailleurs largement, tout en reconnaissant la nécessité de préserver les milieux." (pp.122-123)
"La population urbaine voit dans la campagne environnante la possibilité de disposer d'une maison individuelle et de jouir d'un cadre de vie agréable, d'autant que le coût du foncier y est souvent moindre. Pour autant, le périurbain n'est pas que résidentiel. Les territoires périurbains mêlent habitat dispersé, petit collectif, noyaux villageois traditionnels, champs, forêts, activités de loisirs, de commerce ou d'industrie, fonctions logistiques, etc.
Les territoires périurbains apparaissent de plus en plus comme des espaces de transition entre la ville et la campagne, hybrides d'urbain et de rural. Les modes de vie et les comportements adoptés sont proches de ceux de la ville, sans pour autant être totalement urbains. Les paysages restent marqués par la domination du végétal qui caractérise la campagne, mais avec une mixité de plus en plus grande des activités, propre à la ville. Les transformations paysagères se jouent à des échelles très fines. Les vieilles maisons rurales, qui avaient été abandonnées lors des grandes phases d'exode et qui sont progressivement restaurées, jouxtent les constructions plus récentes. Certains paysages caractéristiques des campagnes disparaissent: depuis une dizaine d'années, la superficie agricole utile (SAU) française diminue de soixante mille hectares par an, absorbée par la périurbanisation. La périurbanisation concurrente ici l'agriculture.
A une échelle plus petite, la couronne périurbaine est sous domination de la ville-centre. L'INSEE la définit comme l'ensemble des communes dont plus de 40% des actifs vont travailler dans le pôle urbain, c'est-à-dire la ville-centre et ses banlieues proches. [...]
[La périurbanisation] ne modifie pas le rapport centre-périphérie qui caractérise le couple ville/campagne, puisque les espaces périurbains restent sous une forte dépendance de la ville." (pp.122-123)
"Le marais breton. Transformation de l'usage des sols et périurbanisation.
Évolutions de la mise en valeur des sols dans le marais maritime de la Baie de Noirmoutier, aussi appelé marais breton. Cet espace présente trois ensemble fortement individualisés: les plateaux, occupés par des bocages et délimités par une falaise morte, jadis battue par les flots avant la poldérisation du marais ; le marais desséché, poldérisé, qui a été mis en valeur par la saliculture ; le marais maritime, composé des slikkes (vasières) et des schorres (herbus), exploité par les activités conchylicoles et aquacoles. On observe aujourd'hui la déprise des activités salicoles: elles ne subsistent que dans l'île de Noirmoutier, qui a valorisé l'exploitation du sel grâce à une production de qualité labellisée. Le tourisme, qui s'est développé sur l'île et le littoral du pays de Monts, a aussi contribué au maintien de l'activité salicole. Au sud, la présence de Challans et des élevages avicoles a dynamisé les villes et les bourgs ruraux, qui connaissent aujourd'hui une dynamique de périurbanisation. Elle est nettement visible sur le plateau. La partie du marais en crise connaît en revanche une situation de déprise." (p.125)
"Après une longue période de déclin, la population des espaces ruraux augmente désormais au même rythme (0.7% l'an) que l'ensemble de la population française. [...]
Il faut toutefois ici nuancer le constat de la renaissance des campagnes car les moyennes nationales masquent la diversité des situations locales avec des zones qui continuent à perdre de la population." (pp.127-128)
"Comme de moins en moins d'enfants naissent dans les familles d'agriculteurs, le nombre d'enfants qui reprennent l'exploitation est de plus en plus faible. On a alors une crise de reproduction sociale." (p.129)
"Renversement des représentations entraîne en particulier le développement du "tourisme vert" et se traduit par la multiplication des résidences secondaires et des hébergements en gîtes ruraux ou à la ferme, par la création d'infrastructures légères (sentiers de randonnée, éco-musées, etc.). [...] Les exploitants agricoles proposent des activités inspirées des pratiques et traditions locales: jeux taurins, ferrades, journées camarguaises, balades équestres, etc. [...]
La diversification des activités peut soutenir, mais aussi entrer en conflit avec l'activité agricole." (p.130)
"La ville moyenne de Caen (environ 100 000 habitants pour 400 000 habitants dans l'aire urbaine) est le capitale régionale de la Basse-Normandie. Située à quelques kilomètres du littoral de la Manche, Caen polarise une vaste espace agricole: à l'ouest, la "campagne de Caen", pays de champs ouverts tourné vers la céréaliculture, à l'est, le pays d'Auge, pays bocage tourné vers l'élevage. [...] L'extension urbaine de Caen [...] prend deux formes: croissance de l'agglomération en direction de la campagne environnante, croissance des noyaux villageois en solution de continuité avec les banlieues." (p.132)
"Certains auteurs observent une "banalisation" des paysages, qu'ils attribuent au passage d'une polyculture d'autoconsommation à une agriculture intégrée à l'économie de marché. La transition se manifeste par l'homogénéisation et la simplification de l'occupation des sols. Au classique emboîtement région, pays, finage se substitue un paysage façonné à l'échelle de l'exploitation.
Le passage à une agriculture productiviste a en outre entraîné une évolution des structures agraires, c'est-à-dire de la forme dominante des champs, de leur taille, de leur nombre, de l'utilisation du sol, etc. Les transformations liées au remembrement du parcellaire sont particulièrement visibles en pays bocager où le réseau de haies est simplifiée, voire disparaît. En pays d'openfield, on remarque l'accroissement de la taille des parcelles et la géométrie simplifiée de leur agencement. Enfin, la rationalisation technologique a des conséquences sur le bâti. La taille moyenne des exploitations augmente tandis que leur nombre diminue, libérant un grand nombre de bâtiments d'exploitation et d'habitation. Certaines de ces constructions tombent en ruine. Parallèlement, de nouveaux bâtiments surgissent: serres et tunnels de plastique dans la huerta d'Avignon, hangars d'élevage hors-sol ou bâtiments de stabulation en Bretagne, gigantesques silos dans le Bassin parisien." (p.132)
"Disparité des situations entre des campagnes agricoles dynamiques, fortement intégrées à la logique productive européenne et mondiale, telles que les campagnes bretonnes ou les campagnes du Bassin parisien ou encore certains vignobles de crus ; des campagnes où l'activité agricole en déclin se conjugue à une crise démographique, comme par exemple dans le Massif central ; et des campagnes soumises à la dynamique périurbaine, qui deviennent des espaces hybrides. D'autres typologies insistent sur l'intégration à la société française contemporaine, c'est-à-dire au fond, sur le statut de chacune de ces campagnes à l'intérieur du territoire français ; N. Mathieu distingue ainsi des espaces d'intégration ancienne (Beauce par exemple), des espaces intégrés par substitution de fonction (la Sologne), des espaces productifs dépendants du marché mais où les structures ne sont capitalistiques (Cantal) et des espaces abandonnés (Margeride)." (p.134)
"Les campagnes, espaces-patrimoines entre mémoire et labellisation." (p.135)
"La protection s'appuie sur la patrimonialisation des campagnes et aboutit parfois à des situations paradoxales. Par exemple, en Camargue, l'élevage des taureaux et des chevaux renvoie à une reconversion complète des exploitations, qui les déconnecte de plus en plus de tout contexte agricole. Il ne s'agit plus [...] de la préservation du patrimoine rural par le maintien d'une activité agricole structurante, mais de la protection d'une image, d'un folklore, inspiré par la construction au XIXe siècle d'une identité provençale et occitane autour de mouvements régionalistes [...]
D'autre part, la campagne apparaît comme un réservoir de nature dont il convient de sauvegarder les vertus écologiques et qu'il faut, pour cette raison, préserver de l'urbanisation. En particulier, la conservation des paysages ruraux devient un enjeu majeur, défendu au nom de la protection de la "nature", alors même qu'il s'agit de paysages anthropiques patiemment entretenus. La protection du patrimoine "naturel" impose souvent un frein au développement de l'agriculture, qui est pourtant un fondement du patrimoine culturel qu'on cherche par ailleurs à préserver. Si l'on prend l'exemple de la protection du bocage, on s'aperçoit que l'on a d'un côté un enjeu de production et de l'autre, une logique de satisfaction des besoins esthétiques et récréatifs de certaines populations. Ces deux objectifs ne sont pas forcément compatibles: dans le cas du bocage, la préservation du paysage rural entraîne une perte de productivité. Se dessine une nouvelle fois l'opposition structurelle entre des exploitations tournées vers le productivisme ou fortement insérées dans les logiques de marché et dans les filières agro-alimentaires, et des exploitations qui diversifient leurs activités, ne tirent plus l'essentiel de leur revenu de l'agriculture et pour lesquelles le tournant environnementaliste est une opportunité de développement. Cette dichotomie est toutefois à nuancer, ne serait-ce que parce que les aides de la PAC sont aujourd'hui éco-conditionnées, c'est-à-dire soumises au respect de certaines normes environnementales." (p.136)
"Le terroir associe [...] non seulement les potentialités agronomiques d'un territoire (milieu physique), mais aussi l'ensemble des pratiques culturelles et culturales qui s'y développent. Il est donc un produit singulier du rapport nature/société, souvent inscrit dans le temps long. L'association label/terroir promeut ainsi des savoir-faire locaux et des organisations sociales en contribuant à leur préservation mais aussi à leur patrimonialisation. Par exemple, dans les Alpes, les AOC fromagères assurent le maintien d'une agriculture de montagne, avec l'entretien des alpages et des paysages associés. Dans le cas de certains vignobles, comme dans le Languedoc-Rousillon, la production de qualité, sanctionnée par des labels (AOC, appellation d'origine contrôlée, notamment) permet à l'activité vini-viticole de perdurer. La viticulture produit plus largement des paysages qui sont de plus en plus valorisés par le marketing et qui deviennent des ressources touristiques à part entière. Dans les deux cas, la référence au terroir est forte: les producteurs mettent en avant le lien au passé, la préservation des traditions, la transmission des savoir-faire, et ce même si en pratique, la production a été fortement modernisée." (p.137)
"Qu'ils se rangent à l'argument de la fin des campagnes ou qu'ils défendent leur existence, les géographes s'accordent sur l'idée que la campagne continue d'organiser les représentations d'une très large part de la société française, et ce même si ces représentations sont complexes, parfois contradictoires." (pp.138-139)
"Les enquêtes réalisées montrent qu'actuellement [...] Une majorité de Français souhaite vivre à la campagne, même si (et sans doute parce que) leur campagne ressemble de plus en plus par les modes de vies à la ville.
Étudier les campagnes françaises revient finalement à étudier un exemple de transition territoriale [...] Les mutations profondes qu'elles ont connues au cours de ces cinquante dernières années ont transformé leur organisation spatiale, fonctionnelle et sociale, sans y substituer pour autant un nouveau système territorial, car au-delà de la pérennité d'une représentation qui structure encore fortement le rapport des Français à ces territoires, les nouvelles organisations se superposent aux formes héritées." (p.139)
-Magali Reghezza-Zitt, La France dans ses territoires, Sedes, 2012, 243 pages.
"-L'appropriation peut être politique. En ce sens, le territoire est une portion d'espace sur lequel s'exerce un pouvoir, qui inscrit généralement sa souveraineté dans le cadre de limites clairement identifiées, parfois juridiquement sanctionnées. Cette acception du territoire demande de réfléchir à la question des acteurs et aux rapports de forces entre ces acteurs. Elle concerne la question des maillages, des frontières, des conflits qui surgissent autour de l'appropriation.
-L'appropriation peut être symbolique. Elle renvoie alors à l'inscription d'un individu ou d'un groupe social dans une terre. On touche ici aux questions des pratiques et des représentations qui construisent un sentiment d'appartenance et qui produisent une identité singulière. Le territoire dans cette perspective rejoint les questions attachées à l'habiter, aux espaces de vie, aux espaces vécus, aux lieux." (p.11)
"Ces processus d'échelle supranationale ne signent en aucun cas la fin du local, et avec elle, la mort des territoires. C'est plutôt l'exact contraire qui se produit: jamais les territoires n'ont été aussi présents. [...] Mondialisation et intégration européenne participent à ce que certains auteurs [F. Girault et B. Antheaume] ont pu qualifier de "fabrication débridée des territoires"." (pp.11-12)
"Chaque composante de ce système territorial, qu'il s'agisse de la société, des activités économiques, des milieux, etc., possède sa propre temporalité, ses propres rythmes d'évolution. De fait, lorsque des dynamiques exogènes, telles que la mondialisation ou l'intégration européenne, affectent le territoire, toutes les composantes du systèmes ne réagissent pas à la même vitesse. Il existe toute une série d'états intermédiaires qui font passer d'un système territorial à un autre et qui correspondent à des recompositions inachevées, des transformations inabouties, des retours en arrière." (p.13)
" [Chapitre 5. Les campagnes françaises et espaces ruraux: entre marginalisation et nouvelles territorialités]
L' "industrialisation" des campagnes n'est toutefois pas le seul fait de la "révolution agricole". Elle est accrue par le mouvement de déconcentration industrielle des années 1960. Recherchant une main-d'oeuvre de moindre coût et peu syndiqué, des groupes industriels, en particulier des industries automobiles et de biens de consommation courante, installent des ateliers et des usines dans les campagnes de l'Ouest de la France notamment. Certes les campagnes n'ont jamais été exclusivement agricoles et ont accueilli très tôt des activités proto-industrielles [...] Mais la déconcentration industrielle vient désormais concurrencer le secteur agricole. On assiste même, dans certains cas, à l'apparition de campagnes industrielles avec la constitution de districts, comme dans le Choletais ou le pays du Vimeu. Ces districts industriels sont caractérisés par de petits unités extrêmement spécialisées dans une production à forte valeur ajoutée [...] chaussure et travail du cuir dans le Chotelais, serrurerie au Vimeu, mécanique de précision avec Méca-technopole en Poitou-Charentes, etc. Ils ont pour origine des structures familiales et artisanales. Dans ces espaces, l'activité industrielle devient dominante en termes d'emplois, même si elle n'empêche pas le maintien de l'activité agricole." (p.118)
" [L'agriculteur] devient un "professionnel de l'agriculture", loin du modèle paysan traditionnel. Il pratique aussi d'autres activités complémentaires, pour que son exploitation soit rentable : vente directe, accueil à la ferme (ferme auberge, tables d'hôtes), services à la construction, à l'entretien du patrimoine, etc. Ce nouveau rapport à la terre est d'autant plus net aujourd'hui que l'agriculture productiviste est remise en question. Alors que des années durant, on a demandé aux agriculteurs de produire pour nourrir la France, la société leur reproche aujourd'hui des pratiques peu respectueuses de l'environnement. De fait, les agriculteurs doivent concilier une vision productrice de la terre et un rôle de "jardinier du paysage", rôle qu'ils rejettent d'ailleurs largement, tout en reconnaissant la nécessité de préserver les milieux." (pp.122-123)
"La population urbaine voit dans la campagne environnante la possibilité de disposer d'une maison individuelle et de jouir d'un cadre de vie agréable, d'autant que le coût du foncier y est souvent moindre. Pour autant, le périurbain n'est pas que résidentiel. Les territoires périurbains mêlent habitat dispersé, petit collectif, noyaux villageois traditionnels, champs, forêts, activités de loisirs, de commerce ou d'industrie, fonctions logistiques, etc.
Les territoires périurbains apparaissent de plus en plus comme des espaces de transition entre la ville et la campagne, hybrides d'urbain et de rural. Les modes de vie et les comportements adoptés sont proches de ceux de la ville, sans pour autant être totalement urbains. Les paysages restent marqués par la domination du végétal qui caractérise la campagne, mais avec une mixité de plus en plus grande des activités, propre à la ville. Les transformations paysagères se jouent à des échelles très fines. Les vieilles maisons rurales, qui avaient été abandonnées lors des grandes phases d'exode et qui sont progressivement restaurées, jouxtent les constructions plus récentes. Certains paysages caractéristiques des campagnes disparaissent: depuis une dizaine d'années, la superficie agricole utile (SAU) française diminue de soixante mille hectares par an, absorbée par la périurbanisation. La périurbanisation concurrente ici l'agriculture.
A une échelle plus petite, la couronne périurbaine est sous domination de la ville-centre. L'INSEE la définit comme l'ensemble des communes dont plus de 40% des actifs vont travailler dans le pôle urbain, c'est-à-dire la ville-centre et ses banlieues proches. [...]
[La périurbanisation] ne modifie pas le rapport centre-périphérie qui caractérise le couple ville/campagne, puisque les espaces périurbains restent sous une forte dépendance de la ville." (pp.122-123)
"Le marais breton. Transformation de l'usage des sols et périurbanisation.
Évolutions de la mise en valeur des sols dans le marais maritime de la Baie de Noirmoutier, aussi appelé marais breton. Cet espace présente trois ensemble fortement individualisés: les plateaux, occupés par des bocages et délimités par une falaise morte, jadis battue par les flots avant la poldérisation du marais ; le marais desséché, poldérisé, qui a été mis en valeur par la saliculture ; le marais maritime, composé des slikkes (vasières) et des schorres (herbus), exploité par les activités conchylicoles et aquacoles. On observe aujourd'hui la déprise des activités salicoles: elles ne subsistent que dans l'île de Noirmoutier, qui a valorisé l'exploitation du sel grâce à une production de qualité labellisée. Le tourisme, qui s'est développé sur l'île et le littoral du pays de Monts, a aussi contribué au maintien de l'activité salicole. Au sud, la présence de Challans et des élevages avicoles a dynamisé les villes et les bourgs ruraux, qui connaissent aujourd'hui une dynamique de périurbanisation. Elle est nettement visible sur le plateau. La partie du marais en crise connaît en revanche une situation de déprise." (p.125)
"Après une longue période de déclin, la population des espaces ruraux augmente désormais au même rythme (0.7% l'an) que l'ensemble de la population française. [...]
Il faut toutefois ici nuancer le constat de la renaissance des campagnes car les moyennes nationales masquent la diversité des situations locales avec des zones qui continuent à perdre de la population." (pp.127-128)
"Comme de moins en moins d'enfants naissent dans les familles d'agriculteurs, le nombre d'enfants qui reprennent l'exploitation est de plus en plus faible. On a alors une crise de reproduction sociale." (p.129)
"Renversement des représentations entraîne en particulier le développement du "tourisme vert" et se traduit par la multiplication des résidences secondaires et des hébergements en gîtes ruraux ou à la ferme, par la création d'infrastructures légères (sentiers de randonnée, éco-musées, etc.). [...] Les exploitants agricoles proposent des activités inspirées des pratiques et traditions locales: jeux taurins, ferrades, journées camarguaises, balades équestres, etc. [...]
La diversification des activités peut soutenir, mais aussi entrer en conflit avec l'activité agricole." (p.130)
"La ville moyenne de Caen (environ 100 000 habitants pour 400 000 habitants dans l'aire urbaine) est le capitale régionale de la Basse-Normandie. Située à quelques kilomètres du littoral de la Manche, Caen polarise une vaste espace agricole: à l'ouest, la "campagne de Caen", pays de champs ouverts tourné vers la céréaliculture, à l'est, le pays d'Auge, pays bocage tourné vers l'élevage. [...] L'extension urbaine de Caen [...] prend deux formes: croissance de l'agglomération en direction de la campagne environnante, croissance des noyaux villageois en solution de continuité avec les banlieues." (p.132)
"Certains auteurs observent une "banalisation" des paysages, qu'ils attribuent au passage d'une polyculture d'autoconsommation à une agriculture intégrée à l'économie de marché. La transition se manifeste par l'homogénéisation et la simplification de l'occupation des sols. Au classique emboîtement région, pays, finage se substitue un paysage façonné à l'échelle de l'exploitation.
Le passage à une agriculture productiviste a en outre entraîné une évolution des structures agraires, c'est-à-dire de la forme dominante des champs, de leur taille, de leur nombre, de l'utilisation du sol, etc. Les transformations liées au remembrement du parcellaire sont particulièrement visibles en pays bocager où le réseau de haies est simplifiée, voire disparaît. En pays d'openfield, on remarque l'accroissement de la taille des parcelles et la géométrie simplifiée de leur agencement. Enfin, la rationalisation technologique a des conséquences sur le bâti. La taille moyenne des exploitations augmente tandis que leur nombre diminue, libérant un grand nombre de bâtiments d'exploitation et d'habitation. Certaines de ces constructions tombent en ruine. Parallèlement, de nouveaux bâtiments surgissent: serres et tunnels de plastique dans la huerta d'Avignon, hangars d'élevage hors-sol ou bâtiments de stabulation en Bretagne, gigantesques silos dans le Bassin parisien." (p.132)
"Disparité des situations entre des campagnes agricoles dynamiques, fortement intégrées à la logique productive européenne et mondiale, telles que les campagnes bretonnes ou les campagnes du Bassin parisien ou encore certains vignobles de crus ; des campagnes où l'activité agricole en déclin se conjugue à une crise démographique, comme par exemple dans le Massif central ; et des campagnes soumises à la dynamique périurbaine, qui deviennent des espaces hybrides. D'autres typologies insistent sur l'intégration à la société française contemporaine, c'est-à-dire au fond, sur le statut de chacune de ces campagnes à l'intérieur du territoire français ; N. Mathieu distingue ainsi des espaces d'intégration ancienne (Beauce par exemple), des espaces intégrés par substitution de fonction (la Sologne), des espaces productifs dépendants du marché mais où les structures ne sont capitalistiques (Cantal) et des espaces abandonnés (Margeride)." (p.134)
"Les campagnes, espaces-patrimoines entre mémoire et labellisation." (p.135)
"La protection s'appuie sur la patrimonialisation des campagnes et aboutit parfois à des situations paradoxales. Par exemple, en Camargue, l'élevage des taureaux et des chevaux renvoie à une reconversion complète des exploitations, qui les déconnecte de plus en plus de tout contexte agricole. Il ne s'agit plus [...] de la préservation du patrimoine rural par le maintien d'une activité agricole structurante, mais de la protection d'une image, d'un folklore, inspiré par la construction au XIXe siècle d'une identité provençale et occitane autour de mouvements régionalistes [...]
D'autre part, la campagne apparaît comme un réservoir de nature dont il convient de sauvegarder les vertus écologiques et qu'il faut, pour cette raison, préserver de l'urbanisation. En particulier, la conservation des paysages ruraux devient un enjeu majeur, défendu au nom de la protection de la "nature", alors même qu'il s'agit de paysages anthropiques patiemment entretenus. La protection du patrimoine "naturel" impose souvent un frein au développement de l'agriculture, qui est pourtant un fondement du patrimoine culturel qu'on cherche par ailleurs à préserver. Si l'on prend l'exemple de la protection du bocage, on s'aperçoit que l'on a d'un côté un enjeu de production et de l'autre, une logique de satisfaction des besoins esthétiques et récréatifs de certaines populations. Ces deux objectifs ne sont pas forcément compatibles: dans le cas du bocage, la préservation du paysage rural entraîne une perte de productivité. Se dessine une nouvelle fois l'opposition structurelle entre des exploitations tournées vers le productivisme ou fortement insérées dans les logiques de marché et dans les filières agro-alimentaires, et des exploitations qui diversifient leurs activités, ne tirent plus l'essentiel de leur revenu de l'agriculture et pour lesquelles le tournant environnementaliste est une opportunité de développement. Cette dichotomie est toutefois à nuancer, ne serait-ce que parce que les aides de la PAC sont aujourd'hui éco-conditionnées, c'est-à-dire soumises au respect de certaines normes environnementales." (p.136)
"Le terroir associe [...] non seulement les potentialités agronomiques d'un territoire (milieu physique), mais aussi l'ensemble des pratiques culturelles et culturales qui s'y développent. Il est donc un produit singulier du rapport nature/société, souvent inscrit dans le temps long. L'association label/terroir promeut ainsi des savoir-faire locaux et des organisations sociales en contribuant à leur préservation mais aussi à leur patrimonialisation. Par exemple, dans les Alpes, les AOC fromagères assurent le maintien d'une agriculture de montagne, avec l'entretien des alpages et des paysages associés. Dans le cas de certains vignobles, comme dans le Languedoc-Rousillon, la production de qualité, sanctionnée par des labels (AOC, appellation d'origine contrôlée, notamment) permet à l'activité vini-viticole de perdurer. La viticulture produit plus largement des paysages qui sont de plus en plus valorisés par le marketing et qui deviennent des ressources touristiques à part entière. Dans les deux cas, la référence au terroir est forte: les producteurs mettent en avant le lien au passé, la préservation des traditions, la transmission des savoir-faire, et ce même si en pratique, la production a été fortement modernisée." (p.137)
"Qu'ils se rangent à l'argument de la fin des campagnes ou qu'ils défendent leur existence, les géographes s'accordent sur l'idée que la campagne continue d'organiser les représentations d'une très large part de la société française, et ce même si ces représentations sont complexes, parfois contradictoires." (pp.138-139)
"Les enquêtes réalisées montrent qu'actuellement [...] Une majorité de Français souhaite vivre à la campagne, même si (et sans doute parce que) leur campagne ressemble de plus en plus par les modes de vies à la ville.
Étudier les campagnes françaises revient finalement à étudier un exemple de transition territoriale [...] Les mutations profondes qu'elles ont connues au cours de ces cinquante dernières années ont transformé leur organisation spatiale, fonctionnelle et sociale, sans y substituer pour autant un nouveau système territorial, car au-delà de la pérennité d'une représentation qui structure encore fortement le rapport des Français à ces territoires, les nouvelles organisations se superposent aux formes héritées." (p.139)
-Magali Reghezza-Zitt, La France dans ses territoires, Sedes, 2012, 243 pages.