" [L'ouvrage] a été rédigé au milieu des années 80 par Lúcia Bruno [née en 1953 à São Paulo au Brésil ou elle a été professeur de sociologie]." (p.
-Avant-propos à Lúcia Bruno, Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?, Vosstanie, 2018, 114 pages.
"L'autonomie ouvrière s'exprime par la pratique de l'action directe contre le capital, sur les lieux de production —épine dorsale du capitalisme. Cette action directe unifie le pouvoir de décision et d'exécution, élimine la division entre travail manuel et intellectuel, abolit la séparation entre dirigeants et dirigés, et fait cesser la représentation par la délégation de pouvoir. [...]
Il s'agit d'un processus de lutte dans lequel la classe ouvrière s'organise et se dirige, en se différenciant des classes dominantes, de leurs institutions, des pratiques et de l’idéologie d'intégration et d'exploitation. C'est une pratique qui unifie tous les fronts de lutte : économique, politique et idéologique, en ayant comme objectif final le socialisme." (pp.13-14)
"L'autonomie ouvrière est une tendance très ancienne à l'intérieur du mouvement ouvrier, qui s'est manifestée aux moments le plus aigus de l'affrontement de classe. Pendant la Commune de Paris (1871), dans la Révolution Russe (1917), dans la Révolution Allemande (1918/19), dans la Révolution Espagnole (1936/39), dans le mouvement ouvrier Portugais après la chute du salazarisme en avril 1974 par exemple.
L'organisation par laquelle le prolétariat en vient historiquement à exprimer son autonomie est le Conseil Ouvrier, où tout le pouvoir appartient aux assemblées générales de travailleurs, axe central des débats et de décisions.
J'utilise ici la dénomination de conseil ouvrier, parce qu'elle est déjà entrée dans le vocabulaire commun. En réalité, ils ont existé et existent sous des noms divers : commission d'usine, commission de travailleurs, comités de grève, soviet, etc. Ce qui importe comme critère de définition, c'est la structure interne de ces organisations, leurs objectifs et l'activité qu'elles développent réellement : le contrôle et la gestion de la production et de toute la vie sociale." (pp.14-15)
"La classe ouvrière n'est pas une réalité morale, mais sociale. Elle n'a de réalité que dans la manière dont elle s'organise, et cette forme est contradictoire.
D'un côté, c'est la classe organisée par le capital, dans les lieux de production, qui développe des relations que le système capitaliste impose par les machines, et une technologie déterminée. Cette logique soumet la classe ouvrière à des opérations fragmentées, qui l'éloigne de la compréhension du processus de travail en la soumettant à une stricte hiérarchie. C'est la classe ouvrière organisée pour la production de profit, dans et pour le capitalisme.
D'un autre côté, les ouvriers développent entre eux, des relations libres et collectives chaque fois qu’ils mènent une lutte directe contre le capital.
Dans ces nouvelles relations, l'égalité entre les ouvriers, dans la lutte contre le système qui les exploite, élimine les hiérarchies imposées par l'entreprise. En outre, la participation dans les réunions et les décisions collectives, fait que chaque ouvrier ne s'éloigne pas de la compréhension de sa propre activité. C'est la classe ouvrière auto-organisée qui lutte pour la réalisation de ses propres objectifs.
De la contradiction entre ces deux formes d'organisation découle que tant qu'il y aura du capitalisme, l'une ne se développera pas sans l'autre. La discipline dans les entreprises suscite toujours des formes de luttes. Donc l'entreprise est le terrain premier, mais pas ultime du développement de la lutte pour l'autonomie." (pp.15-16)
"Sans la lutte du prolétariat pour la diminution du niveau d'exploitation, le prolétariat court le risque, en ne résistant pas, de la misère et de disparaître physiquement.
Dans ce système économique où le prolétariat cherche à augmenter la valeur de sa force de travail, et le capitaliste à la diminuer, se développe un champ institutionnel qui garantit la reproduction de cette contradiction : le champ syndical.
L’organisation syndicale est précisément ce qui permet aux luttes et à ses objectifs d'être intégrés au capitalisme.
Si on y prête attention, à chaque fois que se développe une lutte prolétaire réelle, elle aboutit à déborder le syndicat en créant ses propres formes d'organisation hors du syndicat. Par exemple les comités de grève, les commissions d'usine, etc.
Quand on constate des augmentations de salaires où ces nouvelles formes d'organisations ne sont pas apparues, c'est parce qu'il n'y a eu aucune lutte prolétaire. Le syndicat comprend pleinement son rôle dans le capitalisme, de structure
spécialisée qui planifie les augmentations de salaires dont le capitalisme a besoin pour l’expansion du marché de la consommation.
Quand, en revanche, se développent des luttes prolétariennes qui débordent à l'intérieur de chaque unité de production, les limites du syndicat, les dirigeants syndicaux se chargent de négocier des compromis acceptables pour les patrons. C'est ce type de structure qui intègre les luttes prolétariennes dans la dynamique du capitalisme." (pp.19-20)
"Dans la résistance à l'exploitation du capital tous les ouvriers sont égaux. Le mouvement social des exploités tend aujourd'hui à projeter cette égalité au-delà de la destruction du système qui l'a produite." (p.21)
"De cela nous pouvons donc dire que s'articulent deux réalités contradictoires dans les sociétés contemporaines : le mode de production capitaliste, et le socialisme en développement permanent et tendanciel fondé sur des relations égalitaires et collectives que le prolétariat créé au cours de la lutte." (p.21)
-Lúcia Bruno, Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?, Vosstanie, 2018, 114 pages.