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    Stéphanie Roza, « Comment l’utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un débat avec Rousseau »

    Johnathan R. Razorback
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    Stéphanie Roza, « Comment l’utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un débat avec Rousseau » Empty Stéphanie Roza, « Comment l’utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un débat avec Rousseau »

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 3 Nov - 14:36

    "Morelly, Mably et Babeuf ont en commun, à première vue, d'avoir tous trois proclamé la supériorité de l'idéal inactuel de la communauté des biens sur toute autre forme d'organisation sociale existante, et d'avoir tracé au moins une esquisse imaginaire d'une telle forme de vie collective. Les raisons qui permettent, chez les trois auteurs, de qualifier cet idéal d'utopique seront précisées dans la première partie de ce travail ; mais qu'il soit permis d'annoncer d'emblée le lien, établi plus loin dans ses détails, entre l'utopie comme mode singulier de construction théorique et politique, donc aussi comme rapport au réel social, et le principe d'appropriation et de répartition collectives des biens produits, que l'on n'appelle pas encore, à l'époque et dans les textes de Morelly, Mably et Babeuf, le communisme.

    Les œuvres respectives des trois auteurs sont tout à fait singulières, mais elles ont paru devoir être étudiées ensemble et successivement, et ce, tout d'abord parce que l'on peut établir avec une assez grande vraisemblance, sinon avec certitude, une filiation dans l'emploi de certains concepts et certains motifs de l'un à l'autre." (p.4)

    "Selon Jacques Grandjonc, c'est Restif de la Bretonne, dans un des derniers livres de Monsieur Nicolas, rédigé en 1797, qui emploie le premier le mot « communisme » dans son sens moderne." (note 1 p.4)

    "L'influence des concepts anthropologiques du Code de la Nature de Morelly sur l'ouvrage De la Législation de Mably est très probable. Plus clairement encore, Babeuf lui-même a revendiqué, lors du procès de la conjuration dont il était le principal animateur, l’héritage philosophique et politique du Code de la Nature de Morelly, qu'il attribuait à cette époque, comme tout le monde, à Diderot, ainsi que celui des textes de Mably." (pp.4-5)

    "Le premier d'entre eux, Morelly, semble avoir mené une carrière secrète en tant qu'éminence grise du Prince de Conti, accomplissant pour son compte diverses missions diplomatiques. Ses ouvrages sont donc ceux d'un membre discret de l'opposition à Louis XV. Le second, Mably, publie non seulement des traités philosophico-politiques, mais également des textes d'intervention directe dans l'actualité de son temps : le texte Du gouvernement et des lois de la Pologne, écrit en 1770 à la demande du Comte Wielhorski afin de l'aider à réformer sa propre nation, illustre par excellence cette attitude. En réalité, Mably n'a cessé de chercher à influer sur la situation politique : « il a essayé d'animer les tentatives de réforme sociale et institutionnelle en France, en Pologne, aux États-Unis et dans d'autres pays ». [...] De Morelly à Babeuf, l'implication directe dans la vie politique contemporaine, le plus souvent en opposition avec le courant dominant, va croissant." (pp.5-6)

    "Il est possible de montrer que Morelly, Mably et Babeuf représentent un courant des Lumières qui, dans les divergences mêmes qui apparaissent entre les trois auteurs, a sa consistance propre. Celui-ci peut être caractérisé comme un courant des Lumières radicales, dans un sens différent de celui que Jonathan Israël a dégagé pour caractériser l'évolution perceptible entre 1650 et 1750 en Europe. En effet, cette radicalité ne s'exprime pas particulièrement sur le plan ontologique ou religieux : aucun des trois auteurs n'affiche un matérialisme ou un athéisme revendiqués. Au contraire, Morelly et Mably se réfèrent à la Providence comme principe explicatif majeur de la marche du monde ; le matérialisme est explicitement rejeté par chacun d'entre eux. Quant à Babeuf, malgré un athéisme évident dans la production journalistique de la dernière période, en 1795-1796, il manifeste, à travers ses espérances de changement social mêmes, une tendance à réinvestir la promesse millénariste, qui paraît bien étrangère aux raisonnements d'un D'Holbach ou d'un La Mettrie. C'est sur le plan des solutions proposées au problème de l'inégalité, de l'injustice sociale, et à la dépravation morale de la société de propriété, que ces auteurs apparaissent comme des radicaux des Lumières, ainsi que la comparaison de leur pensée avec celle de certains de leurs contemporains(Diderot, Sade, Rousseau, Condorcet) le fera ressortir. En ce sens, et malgré leur extériorité par rapport au courant matérialiste, ils participent d'un mouvement de réappropriation par l'homme de sa propre destinée et de sa propre histoire. Par le lien original qu'ils nouent entre théorie et pratique, à travers les rapports complexes de leurs utopies au réel, ils incarnent donc une forme intéressante de la pensée politique au XVIIIe siècle, une forme à travers laquelle se mettent en place, peu à peu,les conditions de possibilité théoriques et morales de ce qui s'appellera, assez peu de temps plus tard, le socialisme." (pp.8-9)
    -Stéphanie Roza, « Comment l’utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un débat avec Rousseau », thèse pour obtenir le doctorat de philosophie, 2013: https://www.academia.edu/13124098/Comment_l_utopie_est_devenue_un_programme_politique_Morelly_Mably_Babeuf_un_d%C3%A9bat_avec_Rousseau




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