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"La psychologie, par son objet, s’enracine nécessairement dans les [sciences de la vie et de la santé] et dans les [sciences humaines] [car] il n’est pas possible de comprendre l’être humain sans recourir à la biologie et sans l’inscrire dans la société."
"[Cet ouvrage] vise à fournir une réflexion sur la démarche de la psychologie moderne en la rattachant à son histoire, y compris à son passé philosophique qui en fait comprendre l’émergence et dont les débats majeurs se perpétuent en elle, en dépit des proclamations de rupture entre psychologie philosophique et psychologie scientifique."
" [Première partie : histoire]
"Chaque homme est un organisme plus ou moins stable et le produit changeant de la culture dans laquelle il vit ; de plus, l’image de l’homme que construit, avec d’autres, la psychologie a un impact idéologique puisque l’homme est aussi un être social, un acteur du monde dans lequel il vit qui n’est pas qu’un monde naturel."
"Au siècle dernier, [la question de la scientificité de la psychologie] a été résolue d’une façon qui pèse encore fortement sur le critère de la vérité en psychologie : on a considéré que n’était vrai que ce qui était objectif, c’est-à-dire en fait observable ; l’image de l’homme (et peut-être même l’homme lui-même) en a été appauvrie puisqu’il était « réduit » à un ensemble de comportements effectivement observables et mesurables. Puis on s’est avisé que cet appauvrissement pourrait être évité en demandant à la biologie de vérifier les dires des psychologues y compris sur ce qu’ils n’observent pas directement, tant et si bien qu’aujourd’hui on considère souvent comme vraiment scientifiques en la matière les seules approches « biologisées » : il est vrai que l’individu procède de telle et telle façon dans telle situation quand on trouve le substrat biologique (quel qu’il soit) responsable de ce fonctionnement. Cette position, qui à la fin du XIXe semblait permettre de se débarrasser de la métaphysique, de la philosophie, donne aujourd’hui de l’homme l’image d’un organisme et non d’un sujet ; on pourrait se demander quel type d’idéologie sert cette conception, à quoi elle sert dans notre société."
"Pour Platon comme pour Aristote, le monde réel, la Nature, excède l’ensemble des faits seulement observables : la connaissance de la Nature ne peut être élaborée que par le travail que la raison, la dialectique, opère sur les données de l’observation. [...] Dans cette pensée antique, on voit donc prendre forme une distinction, fondamentale pour la psychologie contemporaine, entre ce qui est patent, sensible, et ce qui est latent, à construire à partir du sensible. L’exemple le plus évident aujourd’hui en est la thèse freudienne d’une distinction entre le contenu conscient du rêve, patent pour le dormeur et le contenu latent qui ne peut qu’être, par un effort, construit à partir du contenu patent ; mais on pourrait tout aussi bien trouver un exemple semblable dans les travaux sur la cognition pour lesquels le comportement patent et observable n’est qu’un indice de structures ou d’opérations cognitives latentes et inobservables, mais postulées tout aussi réelles que le comportement."
"Le XIIe est en effet une période de profonds changements dans la vision du monde, dans la culture même de l’Europe : en raison de mutations économiques, du développement considérable du commerce qui va mal s’accommoder de la loi des Evangiles. Le renouveau des villes et des échanges, la constitution de fortunes individuelles vont nécessiter l’élaboration d’un code des rapports économiques, d’une définition des droits de chacun. La vie monastique ne peut plus constituer le modèle de la vie profane, tant celle-ci fait entendre de nouvelles exigences. [...]
Idée d’une confiance qui s’installe dans le pouvoir de la connaissance naturelle et non plus seulement inspirée par la lecture des Saintes Ecritures."
"Au XIIIe siècle, cette thèse en vertu de laquelle Dieu lui-même ne peut être capricieux soulève de vives objections. Elles viennent de ceux qui y voient une offense à la toute-puissance divine qui serait ici soumise à l’ordre de la Nature imaginé par les thomistes à la mesure de la raison humaine et accessible à elle. Des moines s’insurgent contre cette thèse, un courant en quelque sorte « intégriste », qui va parvenir à déclencher une réaction de la papauté : les œuvres de Thomas d’Aquin, qui sera pourtant canonisé en 1323, sont interdites en 1277, trois ans après sa mort."
"Il existe par exemple une version un peu simpliste de nominalisme en psychologie, très éloignée de la profondeur philosophique de G. d’Occam mais qui a le mérite d’être exprimée très clairement. Elle a d’autre part des effets pratiques immédiats, ce qui révèle l’importance de ces prises de position dans des débats apparemment très abstraits. Cette version concerne la conception de la maladie mentale, de la névrose en particulier, telle qu’elle est développée par H. J. Eysenck, un clinicien anglais. Il écrit :
« Comme le terme “névrose” est très souvent employé par les psychiatres, aussi bien que par les profanes, on pourrait s’attendre à ce que sa signification soit claire et qu’il se laisse définir facilement. Ce n’est pas le cas : en effet, on peut douter qu’il existe vraiment une “chose” que l’on puisse appeler névrose, et si elle existe, il s’avère difficile de la cerner. La névrose est bien entendu un concept et les concepts n’ont pas d’existence réelle au sens où on l’entend, par exemple, pour des tables ou des chaises, des vaches ou des cochons (…) L’intelligence est un concept, de même que la gravitation, la chaleur ou l’électricité. De tels concepts résument des cas individuels qui ont quelque chose en commun. Le concept “intelligence” résume les cas individuels où il y a activité, fructueuse ou non, de solution de problème (…) La “névrose” est un terme couramment employé pour désigner le comportement accompagné d’une forte émotion, mal adapté, et qui apparaît à la personne qui en est le siège comme insensé, inadéquat, mais elle est impuissante à changer. »
(La névrose et vous, Bruxelles, Dessart & Mardaga, 1979, p. 13.)
Certes, il n’est pas évident que G. d’Occam reconnaîtrait là son influence, mais il s’agit bien de nominalisme, banalisé, aussi peu philosophique que possible, mais efficace. Pour Eysenck, « névrose », comme « humanité », n’est qu’un terme, pratique pour désigner la somme de symptômes. Ainsi, la maladie n’existe pas réellement, seuls existent des symptômes pris individuellement. C’est notre intellect qui les unifie sous un seul terme, en leur attribuant même une structure, des liens entre eux, qu’ils n’ont pas dans la réalité.
Les conséquences pratiques de cette conception de la maladie « névrose » ont été appliquées par un courant contemporain : la thérapie comportementale. Pour ses praticiens, chaque symptôme doit être considéré individuellement, soigné isolément sans prendre en considération une structure sous-jacente à plusieurs symptômes, fictive, non réelle. L’idée de déplacement de symptômes ici n’a, par exemple, plus aucun sens. Toute pratique fondée sur une représentation de la névrose comme engendrant un groupe de symptômes structurés (comme la pratique de la psychanalyse) est illusoire et non scientifique puisqu’elle raisonne sur des entités non réelles.
On peut trouver de nombreux exemples de conceptions nominalistes dans les ouvrages de behavioristes, de B. F. Skinner en particulier."
-Françoise Parot et Marc Richelle, Introduction à la psychologie. Histoire et Méthodes, PUF, 2013 (1992 pour la première édition), 464 pages.
"La psychologie, par son objet, s’enracine nécessairement dans les [sciences de la vie et de la santé] et dans les [sciences humaines] [car] il n’est pas possible de comprendre l’être humain sans recourir à la biologie et sans l’inscrire dans la société."
"[Cet ouvrage] vise à fournir une réflexion sur la démarche de la psychologie moderne en la rattachant à son histoire, y compris à son passé philosophique qui en fait comprendre l’émergence et dont les débats majeurs se perpétuent en elle, en dépit des proclamations de rupture entre psychologie philosophique et psychologie scientifique."
" [Première partie : histoire]
"Chaque homme est un organisme plus ou moins stable et le produit changeant de la culture dans laquelle il vit ; de plus, l’image de l’homme que construit, avec d’autres, la psychologie a un impact idéologique puisque l’homme est aussi un être social, un acteur du monde dans lequel il vit qui n’est pas qu’un monde naturel."
"Au siècle dernier, [la question de la scientificité de la psychologie] a été résolue d’une façon qui pèse encore fortement sur le critère de la vérité en psychologie : on a considéré que n’était vrai que ce qui était objectif, c’est-à-dire en fait observable ; l’image de l’homme (et peut-être même l’homme lui-même) en a été appauvrie puisqu’il était « réduit » à un ensemble de comportements effectivement observables et mesurables. Puis on s’est avisé que cet appauvrissement pourrait être évité en demandant à la biologie de vérifier les dires des psychologues y compris sur ce qu’ils n’observent pas directement, tant et si bien qu’aujourd’hui on considère souvent comme vraiment scientifiques en la matière les seules approches « biologisées » : il est vrai que l’individu procède de telle et telle façon dans telle situation quand on trouve le substrat biologique (quel qu’il soit) responsable de ce fonctionnement. Cette position, qui à la fin du XIXe semblait permettre de se débarrasser de la métaphysique, de la philosophie, donne aujourd’hui de l’homme l’image d’un organisme et non d’un sujet ; on pourrait se demander quel type d’idéologie sert cette conception, à quoi elle sert dans notre société."
"Pour Platon comme pour Aristote, le monde réel, la Nature, excède l’ensemble des faits seulement observables : la connaissance de la Nature ne peut être élaborée que par le travail que la raison, la dialectique, opère sur les données de l’observation. [...] Dans cette pensée antique, on voit donc prendre forme une distinction, fondamentale pour la psychologie contemporaine, entre ce qui est patent, sensible, et ce qui est latent, à construire à partir du sensible. L’exemple le plus évident aujourd’hui en est la thèse freudienne d’une distinction entre le contenu conscient du rêve, patent pour le dormeur et le contenu latent qui ne peut qu’être, par un effort, construit à partir du contenu patent ; mais on pourrait tout aussi bien trouver un exemple semblable dans les travaux sur la cognition pour lesquels le comportement patent et observable n’est qu’un indice de structures ou d’opérations cognitives latentes et inobservables, mais postulées tout aussi réelles que le comportement."
"Le XIIe est en effet une période de profonds changements dans la vision du monde, dans la culture même de l’Europe : en raison de mutations économiques, du développement considérable du commerce qui va mal s’accommoder de la loi des Evangiles. Le renouveau des villes et des échanges, la constitution de fortunes individuelles vont nécessiter l’élaboration d’un code des rapports économiques, d’une définition des droits de chacun. La vie monastique ne peut plus constituer le modèle de la vie profane, tant celle-ci fait entendre de nouvelles exigences. [...]
Idée d’une confiance qui s’installe dans le pouvoir de la connaissance naturelle et non plus seulement inspirée par la lecture des Saintes Ecritures."
"Au XIIIe siècle, cette thèse en vertu de laquelle Dieu lui-même ne peut être capricieux soulève de vives objections. Elles viennent de ceux qui y voient une offense à la toute-puissance divine qui serait ici soumise à l’ordre de la Nature imaginé par les thomistes à la mesure de la raison humaine et accessible à elle. Des moines s’insurgent contre cette thèse, un courant en quelque sorte « intégriste », qui va parvenir à déclencher une réaction de la papauté : les œuvres de Thomas d’Aquin, qui sera pourtant canonisé en 1323, sont interdites en 1277, trois ans après sa mort."
"Il existe par exemple une version un peu simpliste de nominalisme en psychologie, très éloignée de la profondeur philosophique de G. d’Occam mais qui a le mérite d’être exprimée très clairement. Elle a d’autre part des effets pratiques immédiats, ce qui révèle l’importance de ces prises de position dans des débats apparemment très abstraits. Cette version concerne la conception de la maladie mentale, de la névrose en particulier, telle qu’elle est développée par H. J. Eysenck, un clinicien anglais. Il écrit :
« Comme le terme “névrose” est très souvent employé par les psychiatres, aussi bien que par les profanes, on pourrait s’attendre à ce que sa signification soit claire et qu’il se laisse définir facilement. Ce n’est pas le cas : en effet, on peut douter qu’il existe vraiment une “chose” que l’on puisse appeler névrose, et si elle existe, il s’avère difficile de la cerner. La névrose est bien entendu un concept et les concepts n’ont pas d’existence réelle au sens où on l’entend, par exemple, pour des tables ou des chaises, des vaches ou des cochons (…) L’intelligence est un concept, de même que la gravitation, la chaleur ou l’électricité. De tels concepts résument des cas individuels qui ont quelque chose en commun. Le concept “intelligence” résume les cas individuels où il y a activité, fructueuse ou non, de solution de problème (…) La “névrose” est un terme couramment employé pour désigner le comportement accompagné d’une forte émotion, mal adapté, et qui apparaît à la personne qui en est le siège comme insensé, inadéquat, mais elle est impuissante à changer. »
(La névrose et vous, Bruxelles, Dessart & Mardaga, 1979, p. 13.)
Certes, il n’est pas évident que G. d’Occam reconnaîtrait là son influence, mais il s’agit bien de nominalisme, banalisé, aussi peu philosophique que possible, mais efficace. Pour Eysenck, « névrose », comme « humanité », n’est qu’un terme, pratique pour désigner la somme de symptômes. Ainsi, la maladie n’existe pas réellement, seuls existent des symptômes pris individuellement. C’est notre intellect qui les unifie sous un seul terme, en leur attribuant même une structure, des liens entre eux, qu’ils n’ont pas dans la réalité.
Les conséquences pratiques de cette conception de la maladie « névrose » ont été appliquées par un courant contemporain : la thérapie comportementale. Pour ses praticiens, chaque symptôme doit être considéré individuellement, soigné isolément sans prendre en considération une structure sous-jacente à plusieurs symptômes, fictive, non réelle. L’idée de déplacement de symptômes ici n’a, par exemple, plus aucun sens. Toute pratique fondée sur une représentation de la névrose comme engendrant un groupe de symptômes structurés (comme la pratique de la psychanalyse) est illusoire et non scientifique puisqu’elle raisonne sur des entités non réelles.
On peut trouver de nombreux exemples de conceptions nominalistes dans les ouvrages de behavioristes, de B. F. Skinner en particulier."
-Françoise Parot et Marc Richelle, Introduction à la psychologie. Histoire et Méthodes, PUF, 2013 (1992 pour la première édition), 464 pages.