"Nous parlerons d'autodétermination au sens psychologique: ce manuel est une quête pour tenter de trouver une part de puissance dans nos existences sociales, une part de libération et de transformation pour construire, résister, être, pour faire preuve de courage et changer nos environnements sociaux. [...]
Vous voici donc avec un manuel non de développement personnel, mais de développement social." (p.15)
"Mes premières recherches pour ce livre ont consacrées à trouver tout ce qu'il m'était possible de trouver d'anti-autoritaire structurellement (des structures où une attitude autoritaire n'y était pas un fonctionnement acceptable, où les conditions ne poussaient pas à adopter une attitude ou un comportement autoritaire) et en même temps, de tenter d'éviter de tomber dans les trompe-l'oeil de structures "pseudolibres", c'est-à-dire faussement libres. Je cherchais des notions, des structures, des environnements vraiment libres, vraiment compatissants, vraiment dans l'entraide, vraiment horizontaux, vraiment empuissantants. A mon plus grand bonheur, il y en existe.
Puis, je me suis rendu compte en écrivant que, bien qu'il y ait des faits, des études, des recherches, des exemples appliqués, complets et détaillés, tout cela pouvait être rejeté avec dédain et ne jamais être reproduit, parce qu'au fond de nous, il y a quelque chose qui hait l'humain. On le pense mauvais, idiot, crétin, et surtout capable du pire, soit par sadisme, soit à cause de son cerveau plein de failles et de biais.
Pour le dire franchement, je ne crois plus à cette idée de l'humain-mauvais / crétin. J'ai dû commencer à perdre cette croyance durant ma vingtaine, après un franc cynisme et pessimisme, peut-être était-ce la progéniture d'une ignorance et d'une autodéfense (en ce qui me concerne). J'en étais venue à penser que lorsqu'on partait du postulat que le pire était à venir, et que rien de bon n'était à espérer, on se protégerait des déceptions et des illusions. Dans mon cas, cela m'a paradoxalement rendue -un temps- aveugle aux faits concrets de ma vie, notamment les vrais problèmes qui m'affectaient et que j'aurais pu surmonter.
J'ai opté progressivement pour la perspective du champ de la psycho (cognitive et sociale), où l'humain est davantage appréhendé comme "pâte-à-modelable", c'est-à-dire que l'homme pouvait être bon comme mauvais, tout dépendait des circonstances, des contextes, des situations. Plus globalement, décréter une "nature" de l'Homme me semblait une généralisation beaucoup trop audacieuse tant les profils et les situations pouvaient créer des comportements totalement différents au sein même d'un seul individu ; alors des milliards... [...]
Quand j'ai commencé l'écriture de ce présent livre, j'ai eu donc l'impression que le champ de l'autodétermination allait être rejeté comme l'ancienne moi l'aurait rejeté avec méfiance: si les environnements sociaux se contentent de nourrir les besoins fondamentaux et de laisser les gens autonomes, oui ils s'autodétermineront, seront puissants, mais qu'est-ce qui nous prouve que cette puissance, ce développement, cette liberté sera au service du "bien", qu'il serait altruiste ? N'y aurait-il pas le risque de nourrir des "pulsions de mort" comme dirait Freud ? De rendre les individus encore plus égoïstes ? S'ils étaient puissants, libres, allant vers ce qu'ils veulent vraiment, n'iraient-ils pas faire des actions stupides ou dangereuses mettant en faillite le collectif ?
Avec ces interrogations en tête, j'ai décidé de voir si les penseurs décrétant une nature humaine mauvaise/stupide avaient des arguments qui me permettraient de modérer mon enthousiasme vis-à-vis de l'autodétermination, ou tout du moins d'en être franchement critique. Les arguments philosophiques [de Hobbes, Sade, etc.] ne m'ont pas vraiment convaincue [...]
Alors j'ai décidé d'orienter mes recherches sur les horreurs qu'avait commises l'humanité, notamment les génocides. Est-ce qu'il y avait là, dans les pires actes de massacres massifs, des preuves solides que l'homme était si mauvais qu'il fallait absolument être très autoritaire, contenir toutes ses initiatives, tenir en laisse sa créativité, le manipuler pour éviter qu'il sombre dans une guerre perpétuelle ou dans le n'importe quoi.
Absolument pas.
Au contraire, c'était exactement cela la source du "mal": l'autoritarisme et les systèmes manipulatoires qui se mariant, multiplient et vantent secrètement la valeur de la soumission et de l'irresponsabilité ; et le remède était clairement plus d'autodétermination.
Mais avant d'en venir à cette conclusion, j'ai d'abord été révulsée. Placer une attention soutenue sur des actes insoutenables a été un défi: mon regard fuyait, mes mains décidaient de poser l'objet d'étude sanglant, je me voyais littéralement partir faire autre chose sans pour autant l'avoir décidé. Mon corps refusait cette épreuve. Puis la fuite s'est arrêtée et je me voyais lire, prendre des notes des témoignages les plus insupportables sans rien ressentir. Je ne ressentais toujours plus rien en sortant de ces documents. J'étais vide. Et c'était un mauvais signe, même si, à présent, mon attention arrivait à se focaliser. Ce vide, c'était une forme de dissociation et heureusement des chercheurs comme Jacques Semelin avaient pris soin de prévenir les lecteurs qu'un tel phénomène pouvait advenir dès lors qu'on se concentrait sur ces thématiques.
[...] J'ai repris mes esprits grâce à des auteurs et chercheurs comme Jacques Semelin, Ervin Straub, Teretschenko qui se centraient sur les processus et qui ont eu la sagesse d'étudier à la fois des auteurs de massacre et des résistants. J'ai suivi leur exemple, et j'ai compris que c'était là le seul moyen de mettre fin au processus de dissociation: les résistants, les sauveurs, les altruistes ont cette simplicité de vous sortir de l'horreur en deux trois mouvements et vous re-lier à ce qui compte vraiment, de façon plus vaste, en préservant et en renforçant votre capacité à vous émouvoir. Ils vous reconnectent d'émotions, avec leur joie, leur courage, leur humour, leur colère, leur tristesse. [...]
Un évènement a contribué à renverser radicalement la vapeur: un roman. Les furtifs, d'Alain Damasio, m'a reconnecté définitivement les circuits, et rappelé tant par son contenu tellement empuissantant et sa forme merveilleusement radicale, comment en faisait ce taff d'écrivain, avec quelle posture, avec quel acharnement, et comment on puisait de la force pour savoir quoi écrire, comment, vers où. Cette espèce de sacrifice total, viscéral qui est à ce point que, bien que vous en soyez l'auteur, ce que vous écrivez prend totalement le dessus et dicte lui-même ce dont il a besoin, comment, et il n'y a plus qu'à l'écouter pleinement pour être au mieux à son service.
C'était ça. Encore aujourd'hui, c'est très difficile d'exprimer tout ce que m'a transmis ce roman qui est advenu au moment où j'en avais le plus besoin, mais il m'a plus que restaurée. Dès lors, j'étais en quelque sorte prête pour ce que je devais écrire." (pp.16-18)
"Mes recherches sur le game design ont pris une autre tournure: si je voulais vraiment aborder l'autodétermination d'une façon juste je devais faire un effort paradigmatique et arrêter de penser comme un écrivain, un auteur, quelqu'un qui vulgarise par écrit. Je devais tenter de penser en game designer, c'était ça la façon juste de parler de l'autodétermination, c'était la seule structure juste qui s'imposait à moi.
J'ai repris tous mes écrits et j'ai absolument tout refait, surtout d'un point de vue architecturale. Pendant des mois, j'ai eu l'impression de faire des casse-têtes, de m'acharner sur un rubik's cube géant fait de paragraphes et de chapitres, le tout sans avoir vraiment de point de référence pour mener à bien cette pratique. Je n'arrivais ni à retrouver mes habitudes d'auteure, ni à trouver une façon de faire commune à celle d'une game designer. Il était juste nécessaire de le faire ainsi. C'était à la fois pour moi extrêmement un défi beaucoup trop grand pour lequel je n'avais strictement aucun critère tangible pour me référer, et en même temps c'était complètement transformateur et libérateur: voilà, c'était comme ça que devait être organisé cet ouvrage, c'était ce qui me paraissait juste à ce moment-là.
Il y aurait une "base" qui donnerait des outils théoriques: cette base, ça serait comme un centre de connaissances qu'on pourrait explorer, soit en élève-modèle, soit en élève-rebelle. Et il y aurait alors des "extensions" à cette base qui se rajouteraient à ce lieu de formation afin de l'affûter, le critiquer, le modérer ou étendre les outils qu'on y aurait déjà vus.
Ces connaissances nous donneraient une "quête" bien précise, il ne s'agirait plus d'apprendre, mais d'oeuvrer avec ces connaissances. Et forcément se dresseraient devant nous la réalité et ses "obstacles" énormes, aux situations complexes, aux contextes inextricables, atroces, désespérants ou stupides. Oui, ça rendrait peut-être tout le théorique vu précédemment comme "inutile" ; oui, on pourrait désespérer et tout taxer d'utopie irréaliste au vu de ces obstacles. Et pourtant, on y verrait apparaître des "confrontations" possibles à ces obstacles, des résistances qui, elles, en toute puissance, seraient raccord avec le théorique. Et pourtant, on y verrait apparaître des "constructions" possibles, en toute puissance, qui s'opposeraient totalement à ces obstacles, et répondraient au théorique à l'affirmative, sur le terrain. On y verrait apparaître des "transformations" massivement courageuses, intelligentes et sages.
Quel rapport avec le game design me direz-vous ? Aucun et tout. [...]
Voilà donc tout ce qui m'a motivé, tout ce qui m'a influencé, tout ce qui nourrit ce livre, et qui je l'espère, pourra vous être utile." (p.19)
[SDT: La théorie de l'autodétermination en général]
"Tout a commencé en 1971, avec Edward L. Deci, chercheur en psychologie sociale (puis devenu chercheur interdisciplinaire) qui a exploré les effets des récompenses, du feedback, de la proposition de choix et de leur impact sur la motivation. La première théorie a été ensuite élaborée en collaboration avec Richard Ryan. Suite à des expériences et études d'autres théories s'y sont greffées, complétant tout un modèle de la motivation qu'est la théorie de l'autodétermination. La SDT [Self Determination Theory] a maintenant plus de 40 ans de recherches derrière elle.
Le champ de la SDT est international, compte plusieurs dizaines de chercheurs dans des pays de tous les continents: Canada, Etats-Unis, Belgique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Israël, Corée du Sud, Japon, Pérou, Australie, Inde... [Mais pas la France]. Même dans les livres de référence, toutes les expériences et études ne peuvent pas être reportées tant elles sont nombreuses.
La SDT n'est pas behavioriste, c'est-à-dire qu'elle ne considère pas, pour la motivation, qu'il faille conditionner, programmer l'humain telle une machine fonctionnant sur la base de conditionnements ou de renforcements (la "carotte" ou le "bâton") ; elle n'est pas psychanalytique, c'est-à-dire qu'elle ne pense pas les motivations comme étant seulement des questions de pulsions ou de défense contre celles-ci.
La SDT, par ses méthodes, ses façons d'étayer sa théorie, s'inscrit à la fois dans le champ de la psychologie sociale, de la psychologie de la personnalité, de la psychologie du développement, de la psychologie cognitive, de la psychologie clinique, de la biologie, de la neuropsychologie et de l'économie comportementale. Elle est très interdisciplinaire et touche très souvent à des questions d'ordre politique, sociologique, économique, car elle est extrêmement critique des environnements sociaux. Son focus se fait à la fois au sein de l'individu, ainsi qu'au travers de ses interactions avec son environnement, et dans l'inspection du contrôle que l'environnement exerce sur lui. Elle se centre très clairement sur le rôle qu'ont les environnements sur l'individu ; ainsi, même pour des questions très internes à l'individu, elle renvoie toujours à l'influence et au contrôle que les environnements sociaux ont exercé sur lui.
La SDT considère la motivation comme un élan présent naturellement chez l'homme, inné, et qui est alimenté par l'environnement social qui soit préserve et nourrit cet élan, soit le frustre, soit le sape. On le verra, ce sapage se fait principalement par le contrôle, par domination, par pression. En cela la SDT est, par déduction, à cause de ses résultats de recherche et ce qu'ils démontrent, anti-autoritaire.
Le focus de la SDT est positif, car elle se centre sur les forces positives qui animent les humains pour comprendre aussi bien leur fonctionnement optimal, que pour comprendre comment adviennent les problèmes et le mal-être. On est à l'opposé de ce que fait habituellement la psychologie, c'est-à-dire se centrer sur les problèmes afin de les "annuler" ou de les apaiser: ici on [ne] vise pas l'absence du problème, mais le plein fonctionnement de la personne, son bien-être, sa vitalité et ce, au-delà de son problème qui serait surmonté. [...]
Souvent, on se représente la motivation comme une sorte d'appétit à faire une tâche déplaisante: la motivation, dans le sens commun, est toujours accolée à une tâche de travail, que ce soit être motivé à réviser, être motivé à chercher du travail, être motivé à perdre du poids, etc. Il s'agit de dépasser l'aversion d'une tâche déplaisante.
Ici, dans la SDT, la motivation va bien au-delà de cette représentation: c'est une énergie qui conduit les personnes à l'action, vers certaines directions et pas d'autres. La SDT va distinguer plusieurs formes de motivation, qu'on pourrait diviser en deux grandes catégories:
-celles autodéterminées par la personne, c'est-à-dire les motivations autonomes (dont la motivation intrinsèque et certaines motivations extrinsèques dites intégrées ou identifiées), qui sont donc l'expression de son autodétermination.
-celles qui sont déterminées par les environnements sociaux et endossées par l'individu, c'est-à-dire les motivations dites contrôlées (dont les motivations extrinsèques). L'individu est sous le contrôle d'environnements sociaux avec plus ou moins d'emprise, avec plus ou moins de conscience de cette emprise.
La SDT prouve que ce sont les motivations autonomes (si elles sont permises et alimentées par l'environnement social) qui sont les meilleures à vivre pour l'humain et ses environnements sociaux. [...]
On voit donc que la SDT est résolument positive, mais non naïve, dans sa considération de l'humain et ses natures (c'est-à-dire selon la SDT "ses propensions acquises et ses capacités évoluées"): l'humain aurait pour "nature" d'atteindre un degré plus ou moins important de développement psychologique, social et de préférer des comportements qui développent ses talents, ses capacités, ses potentiels." (pp.27-29)
"Ce n'est pas sans rappeler la notion de conatus de Spinoza, c'est-à-dire l'effort à persévérer dans son être, autrement dit on sera attiré par tout ce qui augmentera notre puissance d'exister, tout au contraire on cherchera à fuir tout ce qui pourrait diminuer notre puissance à exister." (note 7 p.29)
"Ce n'est pas que la nature de l'humain serait "bonne", mais plutôt qu'elle tendrait vers un plein développement, comme un arbre ayant de la place tend à faire des branches de plus en plus grandes et de plus en plus fortes, de plus en plus complexes, nombreuses, et produisant de plus en plus de fruits. Ce plein développement n'a pas à être "appris", "modelé", "conditionné", "contrôlé": les environnements sociaux, que ce soit les parents, l'école, le travail, les proches, etc., n'interviennent positivement que lorsqu'ils nourrissent les besoins de la personne, exactement comme on arroserait une plante, qu'on lui déposerait de l'engrais, qu'on lui offrirait de la place pour s'étendre. Mais ces environnements sociaux ne modèlent pas l'individu comme on modèlerait un bonzaï, en le contraignant à prendre une certaine forme, en réduisant sa terre pour le forcer à rester petit, en coupant ses branches trop ambitieuses, en arrachant ses racines affamées. C'est pourtant ce que font, et parfois de façon bienveillante, bien intentionnée, certains environnements sociaux.
En cela la SDT s'oppose aux disciplines, croyances, modes d'organisation, systèmes, structures, politiques, qui sont fondés sur le préjugé que l'humain serait mauvais/fautif/uniquement faible ou médiocre, agité de pulsions morbides qu'il faudrait canaliser, contrôler, modeler, manipuler, diriger, soumettre. C'est au contraire précisément ce contrôle qui est à la racine des problèmes." (p.29)
"Tout a commencé en 1971, avec Edward L. Deci, chercheur en psychologie sociale (puis devenu chercheur interdisciplinaire) qui a exploré les effets des récompenses, du feedback, de la proposition de choix et leur impact sur la motivation. La première théorie a été ensuite élaborée en collaboration avec Richard Ryan. Suite à des expériences et études d'autres théories s'y sont greffées, complétant tout un modèle de la motivation qu'est la théorie de l'autodétermination. La SDT a maintenant plus de 40 ans de recherches derrière elle.
Le champ de la SDT est international, compte plusieurs dizaines de chercheurs dans des pays de tous les continents: Canada, Etats-Unis, Belgique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Israël, Corée du Sud, Japon, Pérou, Australie, Inde... [Mais pas la France] [...]
La SDT n'est pas behavioriste, c'est-à-dire qu'elle ne considère pas, pour la motivation, qu'il faille conditionner, programmer l'humain telle une fonctionnant sur la base de conditionnements ou de renforcements (la "carotte" ou le "bâton") ; elle n'est pas psychanalytique, c'est-à-dire qu'elle ne pense pas les motivations comme étant seulement des questions de pulsions ou de défense contre celles-ci.
La SDT, par ses méthodes, ses façons d'étayer sa théorie, s'inscrit à la fois dans le champ de la psychologie sociale, de la psychologie de la personnalité, de la psychologie du développement, de la psychologie cognitive, de la psychologie clinique, de la biologie, de la neuropsychologie et de l'économie comportementale. Elle est très interdisciplinaire et touche très souvent à des questions d'ordre politique, sociologique, économique, car elle est extrêmement critique des environnements sociaux. Son focus se fait à la fois au sein de l'individu, ainsi qu'au travers de ses interactions avec son environnement, et dans l'inspection du contrôle que l'environnement exerce sur lui. Elle se centre très clairement sur le rôle qu'ont les environnements sociaux sur l'individu ; ainsi, même pour des questions très internes à l'individu, elle renvoie toujours à l'influence et au contrôle que les environnements sociaux ont exercé sur lui.
La SDT considère la motivation comme un élan présent naturellement chez l'homme, inné, et qui est alimenté par l'environnement social qui soit préserve et nourrit cet élan, soit le frustre, soit le sape. On le verra, ce sapage se fait principalement par le contrôle, par domination, par pression. En cela la SDT est, par déduction, à cause de ses résultats de recherche et ce qu'ils démontrent, anti-autoritaire." (p.27)
"Le focus de la SDT est positif, car elle se centre sur les forces positives qui animent les humains pour comprendre aussi bien leur fonctionnement optimal, que pour comprendre comment adviennent les problèmes et le mal-être. On est à l'opposé de ce que fait habituellement la psychologie, c'est-à-dire se centrer sur les problèmes afin de les "annuler" ou de les apaiser: ici on ne vise pas l'absence du problème, mais le plein fonctionnement de la personne, son bien-être, sa vitalité et ce, au-delà de son problème qui serait surmonté. [...]
1. La motivation selon la SDT
Souvent, on se représente la motivation comme une sorte d'appétit à faire une tâche déplaisante: la motivation, dans le sens commun, est toujours accolée à une tâche de travail, que ce soit être motivé à réviser, être motivé à chercher du travail, être motivé à perdre du poids, etc. Il s'agit de dépasser l'aversion d'une tâche déplaisante.
Ici, dans la SDT, la motivation va bien au-delà de cette représentation : c'est une énergie qui conduit les personnes à l'action, vers certaines directions et pas d'autres. La SDT va distinguer plusieurs formes de motivation, qu'on pourrait diviser en deux grandes catégories:
-celles autodéterminées par la personne, c'est-à-dire les motivations autonomes (dont la motivation intrinsèque et certaines motivations extrinsèques dites intégrées ou identifiées), qui sont donc l'expression de son autodétermination.
-celles qui sont déterminées par les environnements sociaux et endossées par l'individu, c'est-à-dire les motivations dites contrôlées (dont les motivations extrinsèques). L'individu est sous le contrôle d'environnements sociaux avec plus ou moins d'emprise, avec plus ou moins de conscience de cette emprise.
La SDT prouve que ce sont les motivations autonomes (si elles sont permises et alimentées par l'environnement social) qui sont les meilleures à vivre pour l'humain et ses environnements sociaux. Ce sont elles qui conduisent au bien-être, au plein fonctionnement, à l'authenticité, à la vitalité pour la personne comme pour l'environnement dans laquelle elle œuvre. [...]
2. La nature humaine ?
[...] L'humain aurait pour "nature" d'atteindre un degré plus ou moins important de développement psychologique, social et de préférer des comportements qui développent ses talents, ses capacités, ses potentiels. Autrement dit, selon la SDT, l'humain tend vers la complexité via un développement pour lequel il peut avoir de l'attrait, une complexité positive pour lui (bonne santé, bonne vitalité, expression des talents, prosocialité) comme pour l'environnement humain dans lequel il veut être partie prenante de façon positive (participer au développement des groupes humains, apporter ses compétences, échanges, se solidariser, faire le meilleur, participer à un développement positif, etc.)." (pp.27-29)
"Ce n'est pas sans rappeler la notion de conatus de Spinoza, c'est-à-dire l'effort à persévérer dans son être, autrement dit on sera attiré par tout ce qui augmentera notre puissance d'exister, tout au contraire on cherchera à fuir tout ce qui pourrait diminuer notre puissance à exister." (note 7 p.29)
"Ce n'est pas que la nature de l'humain serait "bonne", mais plutôt qu'elle tendrait vers un plein développement, comme un arbre ayant de la place tend à faire des branches de plus en plus grandes et de plus en plus fortes, de plus en plus complexes, nombreuses, et produisant de plus en plus de fruits. Ce plein développement n'a pas à être "appris", "modelé", "conditionné", "contrôlé": les environnements sociaux, que ce soit les parents, l'école, le travail, les proches, etc., n'interviennent positivement que lorsqu'ils nourrissent les besoins de la personne, exactement comme on arroserait une plante, qu'on lui déposerait de l'engrais, qu'on lui offrirait de la place pour s'étendre. Mais ces environnements sociaux ne modèlent pas l'individu comme on modèlerait un bonzaï, en le contraignant à prendre une certaine forme, en réduisant sa terre pour le forcer à rester petit, en coupant ses branches trop ambitieuses, en arrachant ses racines affamées. C'est pourtant ce que font, et parfois de façon bienveillante, bien intentionnée, certains environnements sociaux.
En cela la SDT s'oppose aux disciplines, croyances, modes d'organisation, systèmes, structures, politiques, qui sont fondés sur le préjugé que l'humain serait mauvais / fautif / uniquement faible ou médiocre, agité de pulsions morbides qu'il faudrait canaliser, contrôler, modeler, manipuler, diriger, soumettre. C'est précisément ce contrôle qui est à la racine des problèmes." (p.29)
"La SDT est non-allégeante car elle se concentre sur les environnements sociaux: si un enfant est en refus d'apprendre, c'est parce qu'un ou plusieurs environnements sociaux ont frustré ses besoins psychologiques fondamentaux (autonomie, compétence, proximité sociale), ont sapé sa motivation intrinsèque, ses élans naturels vers l'acquisition de compétences, de capacités, de recherche de relations sociales positives, etc. [...]
Tous les aspects de la motivation, même ceux les plus internes à la personne comme ses objectifs de vie, sont expliqués dans la SDT sous l'angle des environnements sociaux ayant frustré ou comblé les besoins de l'individu." (p.29)
"[La SDT] ne pointe pas du doigt des individus qui seraient mauvais, mais des comportements qui sont eux-mêmes déterminés par d'autres causes systémiques: par exemple, lorsqu'elle étudie les parents contrôlants dont les façons de faire autoritaires sapent la motivation intrinsèque des enfants, la SDT n'accuse pas ces parents. Au contraire, les chercheurs remarquent chez certains d'entre eux leur volonté de faire tout au mieux pour l'enfant. Ce qui détermine ce choix du contrôle chez ces parents peut être lié à une pression sociale, à un surmenage, à des conditions économiques particulières, à des injustices, à leurs propres besoins également sapés par les environnements sociaux, etc. Ainsi, on remonte le fil des causes, sans jamais s'arrêter aux limites individuelles, pour grimper jusqu'à des causes plus larges, d'ordre politique, systémique, organisationnelle, conventionnelle, etc.
En cela, la SDT est prescriptive d'actions, de mesures, de formes politiques et c'est pourquoi ces théories sont très largement ancrées dans des contextes réels, développés de façon pragmatique, terre à terre, comme dans le milieu scolaire, le travail, le sport, les domaines de la santé, et qu'elle s'intéresse à des mesures d'ordre politique et économique.
Ces prescriptions, qui pourraient être perçues comme dérangeantes par leurs risques dogmatiques, autoritaires, "anti-liberté", visent ici l'autodétermination, afin que les humains soient plus libres d'être eux-mêmes, pleinement et authentiquement, et que les environnements sociaux participent davantage à un développement positif de l'humanité et du monde dans lequel elle vit. [...]
"Ces prescriptions n'ont pas non plus un aspect vantant une liberté façon Sade, c'est-à-dire une absence totale de "limites": les limites sont le plein fonctionnement et le bien-être de chacun." (p.30)
"Selon la SDT, l'autodétermination est un développement humain idéal qui est permis (et non imposé, manipulé, contrôlé), grâce des environnements sociaux sains ayant à coeur de nourrir (et non d'orienter, diriger, dominer) l'autonomie, la compétence et la proximité sociale des personnes vivant en sein (c'est-à-dire les relations, le sentiment d'appartenance à l'humanité, le fait de se sentir aimé, etc.). [...]
La SDT vise une vie et un bonheur eudémonique, un plein fonctionnement de l'humain, l'authenticité, le bien-être, une vitalité, et des besoins fondamentaux comblés. Voyons dans le détail de ce que la SDT entend par ces termes." (pp.30-31)
" [Un individu authentique est caractérisé] par un fonctionnement cohérent entre ses actes, sa parole, ses pensées. [...] [Il] a incorporé en [lui] des idées, des valeurs [...] provenant possiblement de son environnement social, mais pas de manière inconsciente, [il] y a réfléchi [...] Un individu n'ayant pas atteint cette authenticité [...] [sera] un individu compartimenté, c'est-à-dire que les valeurs qu'il porte en lui sont faibles, ne sont appliquées que dans certains contextes et s'effondrent dans d'autres. L'individu non authentique est souvent à la merci du contrôle externe (par exemple, il est agressif au travail parce qu'on lui a ordonné de l'être, il est donc en régulation externe)." (p.31)
"Une personne fonctionnant pleinement peut être congruente, authentique, peut utiliser toutes ses compétences, être autonome et vivre pleinement ses relations sociales. Elle est ouverte à la nouveauté, à la réflexion, capable d'intégrer à la fois l'intérieur (ses émotions, ses idées...) et l'extérieur (les demandes de l'environnement social). Elle n'est pas bridée par des conflits internes ou externes: elle s'adapte face aux difficultés, sait changer son mode de fonctionnement pour aller au-delà des problèmes afin de les régler. Le plein fonctionnement est autodéterminé, c'est-à-dire qu'une personne fonctionnant pleinement agit sans avoir besoin de contrôle externe, de pressions, d'ordres, elle n'est pas un pion. [...]
Un individu qui ne fonctionne pas pleinement est déterminé par l'extérieur (sans qu'il en soit conscient), soit par obéissance stricte ou par introjection, soit parce qu'il est à la merci de ses pulsions internes.
Ce fonctionnement bridé, sapé, frustré se perçoit chez l'individu par une défense contre l'extérieur (mais pas contre ce qui l'aliène), par une mauvaise intégration interne (par exemple, l'individu dénie ses propres émotions ou se refuse à réfléchir à certains sujets) et externe (par exemple, il ne prend pas en compte les nouveautés de l'environnement). Il est en mode défensif (par exemple, il ne va pas à la rencontre d'autrui parce qu'il le considère comme une potentielle menace), il est déterminé par ses manques, il fait preuve de rigidité mentale, il a des relations sociales pauvres et les compartimente." (p.32)
"L'eudémonie est une doctrine philosophique provenant d'Aristote qui conçoit le bonheur dans l'expression de l'excellence humaine, dans la réalisation de ses potentiels: on vit ce plein potentiel, ce plein fonctionnement avec un bonheur profond et durable [...]
Le bonheur n'est donc pas ici conçu comme un hédonisme, qui en psychologie est une somme d'affects positifs et l'absence d'affects négatifs [...] parce que certains bonheurs hédoniques ne sont pas signes de bien-être: par exemple, la SDT explique qu'un maniaco-dépressif peut subjectivement se dire très heureux en phase maniaque, pour autant ce n'est pas du bien être ; un individu accro aux drogues peut éprouver quantité d'affects positifs et peu de négatifs lorsqu'il va chercher de la drogue, on ne peut pas dire pour autant que cela est bon pour son plein fonctionnement." (p.33)
"La vitalité, c'est se sentir énergisé, plein de volonté pour œuvre, agir, bouger, vivre. Il s'agit d'une des conséquences d'un plein fonctionnement et d'une authenticité. Le manque de vitalité n'est pas forcément dû à un surmenage, à un trop-plein d'activités, car il peut également être signe de l'ennui, du manque de sens, signe de la conséquence des menaces produites par les environnements sociaux, qu'elles soient présentes ou passées. Il ne s'agit donc pas d'une question de santé ou d'alimentation, mais également de besoins psychologiques: par exemple, la SDT montre qu'une seule lueur d'amour dans les yeux d'autrui peut augmenter l'énergie de la personne." (pp.33-34)
"Les besoins psychologiques fondamentaux de l'individu [...] la SDT les a réduit au nombre de trois: l'autonomie, la proximité sociale, la compétence." (p.34)
" [La proximité sociale est le] besoin d'être connecté à d'autres personnes, de recevoir des soins et de l'attention de celles-ci, d'appartenir à une communauté ou un groupe." (p.36)
-Viciss Hackso, En toute puissance. Manuel d'autodétermination radicale, 631 pages.
Schéma p.36.
Vous voici donc avec un manuel non de développement personnel, mais de développement social." (p.15)
"Mes premières recherches pour ce livre ont consacrées à trouver tout ce qu'il m'était possible de trouver d'anti-autoritaire structurellement (des structures où une attitude autoritaire n'y était pas un fonctionnement acceptable, où les conditions ne poussaient pas à adopter une attitude ou un comportement autoritaire) et en même temps, de tenter d'éviter de tomber dans les trompe-l'oeil de structures "pseudolibres", c'est-à-dire faussement libres. Je cherchais des notions, des structures, des environnements vraiment libres, vraiment compatissants, vraiment dans l'entraide, vraiment horizontaux, vraiment empuissantants. A mon plus grand bonheur, il y en existe.
Puis, je me suis rendu compte en écrivant que, bien qu'il y ait des faits, des études, des recherches, des exemples appliqués, complets et détaillés, tout cela pouvait être rejeté avec dédain et ne jamais être reproduit, parce qu'au fond de nous, il y a quelque chose qui hait l'humain. On le pense mauvais, idiot, crétin, et surtout capable du pire, soit par sadisme, soit à cause de son cerveau plein de failles et de biais.
Pour le dire franchement, je ne crois plus à cette idée de l'humain-mauvais / crétin. J'ai dû commencer à perdre cette croyance durant ma vingtaine, après un franc cynisme et pessimisme, peut-être était-ce la progéniture d'une ignorance et d'une autodéfense (en ce qui me concerne). J'en étais venue à penser que lorsqu'on partait du postulat que le pire était à venir, et que rien de bon n'était à espérer, on se protégerait des déceptions et des illusions. Dans mon cas, cela m'a paradoxalement rendue -un temps- aveugle aux faits concrets de ma vie, notamment les vrais problèmes qui m'affectaient et que j'aurais pu surmonter.
J'ai opté progressivement pour la perspective du champ de la psycho (cognitive et sociale), où l'humain est davantage appréhendé comme "pâte-à-modelable", c'est-à-dire que l'homme pouvait être bon comme mauvais, tout dépendait des circonstances, des contextes, des situations. Plus globalement, décréter une "nature" de l'Homme me semblait une généralisation beaucoup trop audacieuse tant les profils et les situations pouvaient créer des comportements totalement différents au sein même d'un seul individu ; alors des milliards... [...]
Quand j'ai commencé l'écriture de ce présent livre, j'ai eu donc l'impression que le champ de l'autodétermination allait être rejeté comme l'ancienne moi l'aurait rejeté avec méfiance: si les environnements sociaux se contentent de nourrir les besoins fondamentaux et de laisser les gens autonomes, oui ils s'autodétermineront, seront puissants, mais qu'est-ce qui nous prouve que cette puissance, ce développement, cette liberté sera au service du "bien", qu'il serait altruiste ? N'y aurait-il pas le risque de nourrir des "pulsions de mort" comme dirait Freud ? De rendre les individus encore plus égoïstes ? S'ils étaient puissants, libres, allant vers ce qu'ils veulent vraiment, n'iraient-ils pas faire des actions stupides ou dangereuses mettant en faillite le collectif ?
Avec ces interrogations en tête, j'ai décidé de voir si les penseurs décrétant une nature humaine mauvaise/stupide avaient des arguments qui me permettraient de modérer mon enthousiasme vis-à-vis de l'autodétermination, ou tout du moins d'en être franchement critique. Les arguments philosophiques [de Hobbes, Sade, etc.] ne m'ont pas vraiment convaincue [...]
Alors j'ai décidé d'orienter mes recherches sur les horreurs qu'avait commises l'humanité, notamment les génocides. Est-ce qu'il y avait là, dans les pires actes de massacres massifs, des preuves solides que l'homme était si mauvais qu'il fallait absolument être très autoritaire, contenir toutes ses initiatives, tenir en laisse sa créativité, le manipuler pour éviter qu'il sombre dans une guerre perpétuelle ou dans le n'importe quoi.
Absolument pas.
Au contraire, c'était exactement cela la source du "mal": l'autoritarisme et les systèmes manipulatoires qui se mariant, multiplient et vantent secrètement la valeur de la soumission et de l'irresponsabilité ; et le remède était clairement plus d'autodétermination.
Mais avant d'en venir à cette conclusion, j'ai d'abord été révulsée. Placer une attention soutenue sur des actes insoutenables a été un défi: mon regard fuyait, mes mains décidaient de poser l'objet d'étude sanglant, je me voyais littéralement partir faire autre chose sans pour autant l'avoir décidé. Mon corps refusait cette épreuve. Puis la fuite s'est arrêtée et je me voyais lire, prendre des notes des témoignages les plus insupportables sans rien ressentir. Je ne ressentais toujours plus rien en sortant de ces documents. J'étais vide. Et c'était un mauvais signe, même si, à présent, mon attention arrivait à se focaliser. Ce vide, c'était une forme de dissociation et heureusement des chercheurs comme Jacques Semelin avaient pris soin de prévenir les lecteurs qu'un tel phénomène pouvait advenir dès lors qu'on se concentrait sur ces thématiques.
[...] J'ai repris mes esprits grâce à des auteurs et chercheurs comme Jacques Semelin, Ervin Straub, Teretschenko qui se centraient sur les processus et qui ont eu la sagesse d'étudier à la fois des auteurs de massacre et des résistants. J'ai suivi leur exemple, et j'ai compris que c'était là le seul moyen de mettre fin au processus de dissociation: les résistants, les sauveurs, les altruistes ont cette simplicité de vous sortir de l'horreur en deux trois mouvements et vous re-lier à ce qui compte vraiment, de façon plus vaste, en préservant et en renforçant votre capacité à vous émouvoir. Ils vous reconnectent d'émotions, avec leur joie, leur courage, leur humour, leur colère, leur tristesse. [...]
Un évènement a contribué à renverser radicalement la vapeur: un roman. Les furtifs, d'Alain Damasio, m'a reconnecté définitivement les circuits, et rappelé tant par son contenu tellement empuissantant et sa forme merveilleusement radicale, comment en faisait ce taff d'écrivain, avec quelle posture, avec quel acharnement, et comment on puisait de la force pour savoir quoi écrire, comment, vers où. Cette espèce de sacrifice total, viscéral qui est à ce point que, bien que vous en soyez l'auteur, ce que vous écrivez prend totalement le dessus et dicte lui-même ce dont il a besoin, comment, et il n'y a plus qu'à l'écouter pleinement pour être au mieux à son service.
C'était ça. Encore aujourd'hui, c'est très difficile d'exprimer tout ce que m'a transmis ce roman qui est advenu au moment où j'en avais le plus besoin, mais il m'a plus que restaurée. Dès lors, j'étais en quelque sorte prête pour ce que je devais écrire." (pp.16-18)
"Mes recherches sur le game design ont pris une autre tournure: si je voulais vraiment aborder l'autodétermination d'une façon juste je devais faire un effort paradigmatique et arrêter de penser comme un écrivain, un auteur, quelqu'un qui vulgarise par écrit. Je devais tenter de penser en game designer, c'était ça la façon juste de parler de l'autodétermination, c'était la seule structure juste qui s'imposait à moi.
J'ai repris tous mes écrits et j'ai absolument tout refait, surtout d'un point de vue architecturale. Pendant des mois, j'ai eu l'impression de faire des casse-têtes, de m'acharner sur un rubik's cube géant fait de paragraphes et de chapitres, le tout sans avoir vraiment de point de référence pour mener à bien cette pratique. Je n'arrivais ni à retrouver mes habitudes d'auteure, ni à trouver une façon de faire commune à celle d'une game designer. Il était juste nécessaire de le faire ainsi. C'était à la fois pour moi extrêmement un défi beaucoup trop grand pour lequel je n'avais strictement aucun critère tangible pour me référer, et en même temps c'était complètement transformateur et libérateur: voilà, c'était comme ça que devait être organisé cet ouvrage, c'était ce qui me paraissait juste à ce moment-là.
Il y aurait une "base" qui donnerait des outils théoriques: cette base, ça serait comme un centre de connaissances qu'on pourrait explorer, soit en élève-modèle, soit en élève-rebelle. Et il y aurait alors des "extensions" à cette base qui se rajouteraient à ce lieu de formation afin de l'affûter, le critiquer, le modérer ou étendre les outils qu'on y aurait déjà vus.
Ces connaissances nous donneraient une "quête" bien précise, il ne s'agirait plus d'apprendre, mais d'oeuvrer avec ces connaissances. Et forcément se dresseraient devant nous la réalité et ses "obstacles" énormes, aux situations complexes, aux contextes inextricables, atroces, désespérants ou stupides. Oui, ça rendrait peut-être tout le théorique vu précédemment comme "inutile" ; oui, on pourrait désespérer et tout taxer d'utopie irréaliste au vu de ces obstacles. Et pourtant, on y verrait apparaître des "confrontations" possibles à ces obstacles, des résistances qui, elles, en toute puissance, seraient raccord avec le théorique. Et pourtant, on y verrait apparaître des "constructions" possibles, en toute puissance, qui s'opposeraient totalement à ces obstacles, et répondraient au théorique à l'affirmative, sur le terrain. On y verrait apparaître des "transformations" massivement courageuses, intelligentes et sages.
Quel rapport avec le game design me direz-vous ? Aucun et tout. [...]
Voilà donc tout ce qui m'a motivé, tout ce qui m'a influencé, tout ce qui nourrit ce livre, et qui je l'espère, pourra vous être utile." (p.19)
[SDT: La théorie de l'autodétermination en général]
"Tout a commencé en 1971, avec Edward L. Deci, chercheur en psychologie sociale (puis devenu chercheur interdisciplinaire) qui a exploré les effets des récompenses, du feedback, de la proposition de choix et de leur impact sur la motivation. La première théorie a été ensuite élaborée en collaboration avec Richard Ryan. Suite à des expériences et études d'autres théories s'y sont greffées, complétant tout un modèle de la motivation qu'est la théorie de l'autodétermination. La SDT [Self Determination Theory] a maintenant plus de 40 ans de recherches derrière elle.
Le champ de la SDT est international, compte plusieurs dizaines de chercheurs dans des pays de tous les continents: Canada, Etats-Unis, Belgique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Israël, Corée du Sud, Japon, Pérou, Australie, Inde... [Mais pas la France]. Même dans les livres de référence, toutes les expériences et études ne peuvent pas être reportées tant elles sont nombreuses.
La SDT n'est pas behavioriste, c'est-à-dire qu'elle ne considère pas, pour la motivation, qu'il faille conditionner, programmer l'humain telle une machine fonctionnant sur la base de conditionnements ou de renforcements (la "carotte" ou le "bâton") ; elle n'est pas psychanalytique, c'est-à-dire qu'elle ne pense pas les motivations comme étant seulement des questions de pulsions ou de défense contre celles-ci.
La SDT, par ses méthodes, ses façons d'étayer sa théorie, s'inscrit à la fois dans le champ de la psychologie sociale, de la psychologie de la personnalité, de la psychologie du développement, de la psychologie cognitive, de la psychologie clinique, de la biologie, de la neuropsychologie et de l'économie comportementale. Elle est très interdisciplinaire et touche très souvent à des questions d'ordre politique, sociologique, économique, car elle est extrêmement critique des environnements sociaux. Son focus se fait à la fois au sein de l'individu, ainsi qu'au travers de ses interactions avec son environnement, et dans l'inspection du contrôle que l'environnement exerce sur lui. Elle se centre très clairement sur le rôle qu'ont les environnements sur l'individu ; ainsi, même pour des questions très internes à l'individu, elle renvoie toujours à l'influence et au contrôle que les environnements sociaux ont exercé sur lui.
La SDT considère la motivation comme un élan présent naturellement chez l'homme, inné, et qui est alimenté par l'environnement social qui soit préserve et nourrit cet élan, soit le frustre, soit le sape. On le verra, ce sapage se fait principalement par le contrôle, par domination, par pression. En cela la SDT est, par déduction, à cause de ses résultats de recherche et ce qu'ils démontrent, anti-autoritaire.
Le focus de la SDT est positif, car elle se centre sur les forces positives qui animent les humains pour comprendre aussi bien leur fonctionnement optimal, que pour comprendre comment adviennent les problèmes et le mal-être. On est à l'opposé de ce que fait habituellement la psychologie, c'est-à-dire se centrer sur les problèmes afin de les "annuler" ou de les apaiser: ici on [ne] vise pas l'absence du problème, mais le plein fonctionnement de la personne, son bien-être, sa vitalité et ce, au-delà de son problème qui serait surmonté. [...]
Souvent, on se représente la motivation comme une sorte d'appétit à faire une tâche déplaisante: la motivation, dans le sens commun, est toujours accolée à une tâche de travail, que ce soit être motivé à réviser, être motivé à chercher du travail, être motivé à perdre du poids, etc. Il s'agit de dépasser l'aversion d'une tâche déplaisante.
Ici, dans la SDT, la motivation va bien au-delà de cette représentation: c'est une énergie qui conduit les personnes à l'action, vers certaines directions et pas d'autres. La SDT va distinguer plusieurs formes de motivation, qu'on pourrait diviser en deux grandes catégories:
-celles autodéterminées par la personne, c'est-à-dire les motivations autonomes (dont la motivation intrinsèque et certaines motivations extrinsèques dites intégrées ou identifiées), qui sont donc l'expression de son autodétermination.
-celles qui sont déterminées par les environnements sociaux et endossées par l'individu, c'est-à-dire les motivations dites contrôlées (dont les motivations extrinsèques). L'individu est sous le contrôle d'environnements sociaux avec plus ou moins d'emprise, avec plus ou moins de conscience de cette emprise.
La SDT prouve que ce sont les motivations autonomes (si elles sont permises et alimentées par l'environnement social) qui sont les meilleures à vivre pour l'humain et ses environnements sociaux. [...]
On voit donc que la SDT est résolument positive, mais non naïve, dans sa considération de l'humain et ses natures (c'est-à-dire selon la SDT "ses propensions acquises et ses capacités évoluées"): l'humain aurait pour "nature" d'atteindre un degré plus ou moins important de développement psychologique, social et de préférer des comportements qui développent ses talents, ses capacités, ses potentiels." (pp.27-29)
"Ce n'est pas sans rappeler la notion de conatus de Spinoza, c'est-à-dire l'effort à persévérer dans son être, autrement dit on sera attiré par tout ce qui augmentera notre puissance d'exister, tout au contraire on cherchera à fuir tout ce qui pourrait diminuer notre puissance à exister." (note 7 p.29)
"Ce n'est pas que la nature de l'humain serait "bonne", mais plutôt qu'elle tendrait vers un plein développement, comme un arbre ayant de la place tend à faire des branches de plus en plus grandes et de plus en plus fortes, de plus en plus complexes, nombreuses, et produisant de plus en plus de fruits. Ce plein développement n'a pas à être "appris", "modelé", "conditionné", "contrôlé": les environnements sociaux, que ce soit les parents, l'école, le travail, les proches, etc., n'interviennent positivement que lorsqu'ils nourrissent les besoins de la personne, exactement comme on arroserait une plante, qu'on lui déposerait de l'engrais, qu'on lui offrirait de la place pour s'étendre. Mais ces environnements sociaux ne modèlent pas l'individu comme on modèlerait un bonzaï, en le contraignant à prendre une certaine forme, en réduisant sa terre pour le forcer à rester petit, en coupant ses branches trop ambitieuses, en arrachant ses racines affamées. C'est pourtant ce que font, et parfois de façon bienveillante, bien intentionnée, certains environnements sociaux.
En cela la SDT s'oppose aux disciplines, croyances, modes d'organisation, systèmes, structures, politiques, qui sont fondés sur le préjugé que l'humain serait mauvais/fautif/uniquement faible ou médiocre, agité de pulsions morbides qu'il faudrait canaliser, contrôler, modeler, manipuler, diriger, soumettre. C'est au contraire précisément ce contrôle qui est à la racine des problèmes." (p.29)
"Tout a commencé en 1971, avec Edward L. Deci, chercheur en psychologie sociale (puis devenu chercheur interdisciplinaire) qui a exploré les effets des récompenses, du feedback, de la proposition de choix et leur impact sur la motivation. La première théorie a été ensuite élaborée en collaboration avec Richard Ryan. Suite à des expériences et études d'autres théories s'y sont greffées, complétant tout un modèle de la motivation qu'est la théorie de l'autodétermination. La SDT a maintenant plus de 40 ans de recherches derrière elle.
Le champ de la SDT est international, compte plusieurs dizaines de chercheurs dans des pays de tous les continents: Canada, Etats-Unis, Belgique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Israël, Corée du Sud, Japon, Pérou, Australie, Inde... [Mais pas la France] [...]
La SDT n'est pas behavioriste, c'est-à-dire qu'elle ne considère pas, pour la motivation, qu'il faille conditionner, programmer l'humain telle une fonctionnant sur la base de conditionnements ou de renforcements (la "carotte" ou le "bâton") ; elle n'est pas psychanalytique, c'est-à-dire qu'elle ne pense pas les motivations comme étant seulement des questions de pulsions ou de défense contre celles-ci.
La SDT, par ses méthodes, ses façons d'étayer sa théorie, s'inscrit à la fois dans le champ de la psychologie sociale, de la psychologie de la personnalité, de la psychologie du développement, de la psychologie cognitive, de la psychologie clinique, de la biologie, de la neuropsychologie et de l'économie comportementale. Elle est très interdisciplinaire et touche très souvent à des questions d'ordre politique, sociologique, économique, car elle est extrêmement critique des environnements sociaux. Son focus se fait à la fois au sein de l'individu, ainsi qu'au travers de ses interactions avec son environnement, et dans l'inspection du contrôle que l'environnement exerce sur lui. Elle se centre très clairement sur le rôle qu'ont les environnements sociaux sur l'individu ; ainsi, même pour des questions très internes à l'individu, elle renvoie toujours à l'influence et au contrôle que les environnements sociaux ont exercé sur lui.
La SDT considère la motivation comme un élan présent naturellement chez l'homme, inné, et qui est alimenté par l'environnement social qui soit préserve et nourrit cet élan, soit le frustre, soit le sape. On le verra, ce sapage se fait principalement par le contrôle, par domination, par pression. En cela la SDT est, par déduction, à cause de ses résultats de recherche et ce qu'ils démontrent, anti-autoritaire." (p.27)
"Le focus de la SDT est positif, car elle se centre sur les forces positives qui animent les humains pour comprendre aussi bien leur fonctionnement optimal, que pour comprendre comment adviennent les problèmes et le mal-être. On est à l'opposé de ce que fait habituellement la psychologie, c'est-à-dire se centrer sur les problèmes afin de les "annuler" ou de les apaiser: ici on ne vise pas l'absence du problème, mais le plein fonctionnement de la personne, son bien-être, sa vitalité et ce, au-delà de son problème qui serait surmonté. [...]
1. La motivation selon la SDT
Souvent, on se représente la motivation comme une sorte d'appétit à faire une tâche déplaisante: la motivation, dans le sens commun, est toujours accolée à une tâche de travail, que ce soit être motivé à réviser, être motivé à chercher du travail, être motivé à perdre du poids, etc. Il s'agit de dépasser l'aversion d'une tâche déplaisante.
Ici, dans la SDT, la motivation va bien au-delà de cette représentation : c'est une énergie qui conduit les personnes à l'action, vers certaines directions et pas d'autres. La SDT va distinguer plusieurs formes de motivation, qu'on pourrait diviser en deux grandes catégories:
-celles autodéterminées par la personne, c'est-à-dire les motivations autonomes (dont la motivation intrinsèque et certaines motivations extrinsèques dites intégrées ou identifiées), qui sont donc l'expression de son autodétermination.
-celles qui sont déterminées par les environnements sociaux et endossées par l'individu, c'est-à-dire les motivations dites contrôlées (dont les motivations extrinsèques). L'individu est sous le contrôle d'environnements sociaux avec plus ou moins d'emprise, avec plus ou moins de conscience de cette emprise.
La SDT prouve que ce sont les motivations autonomes (si elles sont permises et alimentées par l'environnement social) qui sont les meilleures à vivre pour l'humain et ses environnements sociaux. Ce sont elles qui conduisent au bien-être, au plein fonctionnement, à l'authenticité, à la vitalité pour la personne comme pour l'environnement dans laquelle elle œuvre. [...]
2. La nature humaine ?
[...] L'humain aurait pour "nature" d'atteindre un degré plus ou moins important de développement psychologique, social et de préférer des comportements qui développent ses talents, ses capacités, ses potentiels. Autrement dit, selon la SDT, l'humain tend vers la complexité via un développement pour lequel il peut avoir de l'attrait, une complexité positive pour lui (bonne santé, bonne vitalité, expression des talents, prosocialité) comme pour l'environnement humain dans lequel il veut être partie prenante de façon positive (participer au développement des groupes humains, apporter ses compétences, échanges, se solidariser, faire le meilleur, participer à un développement positif, etc.)." (pp.27-29)
"Ce n'est pas sans rappeler la notion de conatus de Spinoza, c'est-à-dire l'effort à persévérer dans son être, autrement dit on sera attiré par tout ce qui augmentera notre puissance d'exister, tout au contraire on cherchera à fuir tout ce qui pourrait diminuer notre puissance à exister." (note 7 p.29)
"Ce n'est pas que la nature de l'humain serait "bonne", mais plutôt qu'elle tendrait vers un plein développement, comme un arbre ayant de la place tend à faire des branches de plus en plus grandes et de plus en plus fortes, de plus en plus complexes, nombreuses, et produisant de plus en plus de fruits. Ce plein développement n'a pas à être "appris", "modelé", "conditionné", "contrôlé": les environnements sociaux, que ce soit les parents, l'école, le travail, les proches, etc., n'interviennent positivement que lorsqu'ils nourrissent les besoins de la personne, exactement comme on arroserait une plante, qu'on lui déposerait de l'engrais, qu'on lui offrirait de la place pour s'étendre. Mais ces environnements sociaux ne modèlent pas l'individu comme on modèlerait un bonzaï, en le contraignant à prendre une certaine forme, en réduisant sa terre pour le forcer à rester petit, en coupant ses branches trop ambitieuses, en arrachant ses racines affamées. C'est pourtant ce que font, et parfois de façon bienveillante, bien intentionnée, certains environnements sociaux.
En cela la SDT s'oppose aux disciplines, croyances, modes d'organisation, systèmes, structures, politiques, qui sont fondés sur le préjugé que l'humain serait mauvais / fautif / uniquement faible ou médiocre, agité de pulsions morbides qu'il faudrait canaliser, contrôler, modeler, manipuler, diriger, soumettre. C'est précisément ce contrôle qui est à la racine des problèmes." (p.29)
"La SDT est non-allégeante car elle se concentre sur les environnements sociaux: si un enfant est en refus d'apprendre, c'est parce qu'un ou plusieurs environnements sociaux ont frustré ses besoins psychologiques fondamentaux (autonomie, compétence, proximité sociale), ont sapé sa motivation intrinsèque, ses élans naturels vers l'acquisition de compétences, de capacités, de recherche de relations sociales positives, etc. [...]
Tous les aspects de la motivation, même ceux les plus internes à la personne comme ses objectifs de vie, sont expliqués dans la SDT sous l'angle des environnements sociaux ayant frustré ou comblé les besoins de l'individu." (p.29)
"[La SDT] ne pointe pas du doigt des individus qui seraient mauvais, mais des comportements qui sont eux-mêmes déterminés par d'autres causes systémiques: par exemple, lorsqu'elle étudie les parents contrôlants dont les façons de faire autoritaires sapent la motivation intrinsèque des enfants, la SDT n'accuse pas ces parents. Au contraire, les chercheurs remarquent chez certains d'entre eux leur volonté de faire tout au mieux pour l'enfant. Ce qui détermine ce choix du contrôle chez ces parents peut être lié à une pression sociale, à un surmenage, à des conditions économiques particulières, à des injustices, à leurs propres besoins également sapés par les environnements sociaux, etc. Ainsi, on remonte le fil des causes, sans jamais s'arrêter aux limites individuelles, pour grimper jusqu'à des causes plus larges, d'ordre politique, systémique, organisationnelle, conventionnelle, etc.
En cela, la SDT est prescriptive d'actions, de mesures, de formes politiques et c'est pourquoi ces théories sont très largement ancrées dans des contextes réels, développés de façon pragmatique, terre à terre, comme dans le milieu scolaire, le travail, le sport, les domaines de la santé, et qu'elle s'intéresse à des mesures d'ordre politique et économique.
Ces prescriptions, qui pourraient être perçues comme dérangeantes par leurs risques dogmatiques, autoritaires, "anti-liberté", visent ici l'autodétermination, afin que les humains soient plus libres d'être eux-mêmes, pleinement et authentiquement, et que les environnements sociaux participent davantage à un développement positif de l'humanité et du monde dans lequel elle vit. [...]
"Ces prescriptions n'ont pas non plus un aspect vantant une liberté façon Sade, c'est-à-dire une absence totale de "limites": les limites sont le plein fonctionnement et le bien-être de chacun." (p.30)
"Selon la SDT, l'autodétermination est un développement humain idéal qui est permis (et non imposé, manipulé, contrôlé), grâce des environnements sociaux sains ayant à coeur de nourrir (et non d'orienter, diriger, dominer) l'autonomie, la compétence et la proximité sociale des personnes vivant en sein (c'est-à-dire les relations, le sentiment d'appartenance à l'humanité, le fait de se sentir aimé, etc.). [...]
La SDT vise une vie et un bonheur eudémonique, un plein fonctionnement de l'humain, l'authenticité, le bien-être, une vitalité, et des besoins fondamentaux comblés. Voyons dans le détail de ce que la SDT entend par ces termes." (pp.30-31)
" [Un individu authentique est caractérisé] par un fonctionnement cohérent entre ses actes, sa parole, ses pensées. [...] [Il] a incorporé en [lui] des idées, des valeurs [...] provenant possiblement de son environnement social, mais pas de manière inconsciente, [il] y a réfléchi [...] Un individu n'ayant pas atteint cette authenticité [...] [sera] un individu compartimenté, c'est-à-dire que les valeurs qu'il porte en lui sont faibles, ne sont appliquées que dans certains contextes et s'effondrent dans d'autres. L'individu non authentique est souvent à la merci du contrôle externe (par exemple, il est agressif au travail parce qu'on lui a ordonné de l'être, il est donc en régulation externe)." (p.31)
"Une personne fonctionnant pleinement peut être congruente, authentique, peut utiliser toutes ses compétences, être autonome et vivre pleinement ses relations sociales. Elle est ouverte à la nouveauté, à la réflexion, capable d'intégrer à la fois l'intérieur (ses émotions, ses idées...) et l'extérieur (les demandes de l'environnement social). Elle n'est pas bridée par des conflits internes ou externes: elle s'adapte face aux difficultés, sait changer son mode de fonctionnement pour aller au-delà des problèmes afin de les régler. Le plein fonctionnement est autodéterminé, c'est-à-dire qu'une personne fonctionnant pleinement agit sans avoir besoin de contrôle externe, de pressions, d'ordres, elle n'est pas un pion. [...]
Un individu qui ne fonctionne pas pleinement est déterminé par l'extérieur (sans qu'il en soit conscient), soit par obéissance stricte ou par introjection, soit parce qu'il est à la merci de ses pulsions internes.
Ce fonctionnement bridé, sapé, frustré se perçoit chez l'individu par une défense contre l'extérieur (mais pas contre ce qui l'aliène), par une mauvaise intégration interne (par exemple, l'individu dénie ses propres émotions ou se refuse à réfléchir à certains sujets) et externe (par exemple, il ne prend pas en compte les nouveautés de l'environnement). Il est en mode défensif (par exemple, il ne va pas à la rencontre d'autrui parce qu'il le considère comme une potentielle menace), il est déterminé par ses manques, il fait preuve de rigidité mentale, il a des relations sociales pauvres et les compartimente." (p.32)
"L'eudémonie est une doctrine philosophique provenant d'Aristote qui conçoit le bonheur dans l'expression de l'excellence humaine, dans la réalisation de ses potentiels: on vit ce plein potentiel, ce plein fonctionnement avec un bonheur profond et durable [...]
Le bonheur n'est donc pas ici conçu comme un hédonisme, qui en psychologie est une somme d'affects positifs et l'absence d'affects négatifs [...] parce que certains bonheurs hédoniques ne sont pas signes de bien-être: par exemple, la SDT explique qu'un maniaco-dépressif peut subjectivement se dire très heureux en phase maniaque, pour autant ce n'est pas du bien être ; un individu accro aux drogues peut éprouver quantité d'affects positifs et peu de négatifs lorsqu'il va chercher de la drogue, on ne peut pas dire pour autant que cela est bon pour son plein fonctionnement." (p.33)
"La vitalité, c'est se sentir énergisé, plein de volonté pour œuvre, agir, bouger, vivre. Il s'agit d'une des conséquences d'un plein fonctionnement et d'une authenticité. Le manque de vitalité n'est pas forcément dû à un surmenage, à un trop-plein d'activités, car il peut également être signe de l'ennui, du manque de sens, signe de la conséquence des menaces produites par les environnements sociaux, qu'elles soient présentes ou passées. Il ne s'agit donc pas d'une question de santé ou d'alimentation, mais également de besoins psychologiques: par exemple, la SDT montre qu'une seule lueur d'amour dans les yeux d'autrui peut augmenter l'énergie de la personne." (pp.33-34)
"Les besoins psychologiques fondamentaux de l'individu [...] la SDT les a réduit au nombre de trois: l'autonomie, la proximité sociale, la compétence." (p.34)
" [La proximité sociale est le] besoin d'être connecté à d'autres personnes, de recevoir des soins et de l'attention de celles-ci, d'appartenir à une communauté ou un groupe." (p.36)
-Viciss Hackso, En toute puissance. Manuel d'autodétermination radicale, 631 pages.
Schéma p.36.