https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9ographie_radicale
https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Harvey
https://en.wikipedia.org/wiki/David_Harvey
"David Harvey est un géographe d’origine britannique qui a effectué l’essentiel de sa carrière aux États-Unis, où il enseigne encore à l’université de New York. Dans les milieux intellectuels américains, David Harvey est une grande célébrité, comme en témoigne par exemple la foule qui s’est pressée à sa conférence en avril 2008 à Boston, lors de la réunion annuelle de l’Association des géographes américains (AAG), conférence intitulée « La géographie radicale quarante ans après 1968 ». Pour beaucoup, David Harvey incarne en effet ce courant contestataire de la géographie né aux États-Unis au début des années 1970. Il en est en tout cas un des représentants les plus emblématiques, avec d’autres auteurs comme Edward Soja et Manuel Castells. La radical geography, traduite en français par le terme insatisfaisant de « géographie radicale » (ou parfois de « géographie critique ») trouve son origine dans la contestation de la géographie dominante alors, fondée notamment sur la recherche de la modélisation des faits sociaux. Cette géographie quantitative mettait en évidence des invariants dans l’organisation de l’espace et prétendait pouvoir expliquer les différences géographiques par des modèles théoriques valables partout et à toutes les échelles. A contrario, la géographie radicale, née des mouvements contestataires qui s’expriment aux États-Unis dans les années 1960, met l’accent sur l’explication des inégalités spatiales et sociales par des faits structuraux (économiques, politiques, sociaux, etc.) et mettant en jeu des acteurs.
David Harvey publie alors plusieurs des ouvrages majeurs de ce courant de pensée, qui se fonde explicitement sur une analyse marxiste : c’est Social Justice and the City (1973) qui constitue véritablement le livre fondateur de la pensée de Harvey, suivi en 1982 de The Limits to Capital."
"Partant du constat que l’espace a été négligé dans la théorie de Marx, qui a accordé le primat au temps, l’auteur tente de proposer une géographie du marxisme qu’il justifie épistémologiquement. La pensée de l’auteur se développe alors à plusieurs échelles, afin d’étudier comment le capitalisme structure l’espace."
-Catherine Fournet-Guérin, « Géographie du capitalisme », La Vie des idées , 9 juillet 2008.
"[Au milieu des années 1970], la Grande-Bretagne, et plus singulièrement encore, l'Angleterre, cœur historique de l'impérialisme classique et de la révolution industrielle, connaissait, depuis une dizaine d'années, sa plus grande vague de contestation, de créativité politique et de radicalisation depuis la grève générale de 1926." (p.
"L'effondrement des grandes organisations de la classe ouvrière fordiste d'après guerre et des compromis relatifs qu'elle était parvenue à imposer, a, au contraire, tout à voir avec le retour fantomatique du prolétariat, de tous les sans droits, sans papiers, sans logis, sans salaire, "sans famille", sans retraite, sans couverture santé, sans reconnaissance, vendeurs et vendeuses d'une force de travail dûment soustraite aux "rigidités" des codes du travail et ainsi constituée en "ressource"." (p.12)
"L'exploitation capitaliste semble devenir invisible (se refoule) en proportion inverse de son intensification." (p.13)
"Se mettre hors du soi mutilé, appauvri, abstrait, plutôt mort que vif, qu'engendre et dont se nourrit le capital chaque jour selon de multiples modalités." (p.16)
"Il y a certainement dans diverses célébrations, voire, fétichisations, de la "différence" un fort résidu critique inhérent à cette demande de réhabilitation du particulier, de l'aspérité singulière, du local et de l'organique, du sensuel et de l'esthétique, ou autrement dit, de toutes les manifestations de l'expérience sociale et humaine vécue dans ce qu'elle a de foncièrement qualitatif, tournée vers les valeurs d'usage et traitée comme fin plutôt que comme moyen. Mais quel pourrait être alors l'intérêt de la "différence", dans ce sens, si cet ordre qualitatif n'était pas fondamentalement nié par un système quantitatif total qui lui est absolument indifférent ?" (p.16)
"Nouvelle configuration géographique qu'engendrent les nouvelles conditions de circulation planétaire du capital. On a déjà fait allusion à certains facteurs importants comme la fin du bloc de l'Est, la réorientation de la Chine dans le système-monde (passée des alliances tiers-mondistes vers le Nord et les pays du capitalisme avancé), ou le recul historique du mouvement ouvrier et des luttes sociales dans le centre impérialiste. Ce dernier élément suggère quelque chose de la déstabilisation et reconfiguration du cadre général de l'accumulation capitaliste (alors dite "flexible") et caractérisée par un écrasement, une compression de l'espace-temps [...] les grandes villes et agglomérations de l'industrialisation historique telles que Manchester, Scheffield, Lille, Detroit cédèrent leur place d'atelier du monde à Schenzhen, Canton et au delta de la Rivière des Perles, entre autres. Aux destructions massives d'emplois industriels à l'ouest de l'Europe et en Amérique du Nord correspondit l'élargissement du régime d'accumulation à l'activité productrice de centaines de millions de travailleurs indiens, chinois, mais aussi est-européen et russes. A ce mouvement de généralisation se combinèrent des effets de dérèglementation financière (sur les taux de change, mais aussi sur les crédits à la consommation) et le maintien à un bas niveau des coûts de transport, d'où des possibilités inédites de mobilité géographique accélérée du capital. La nouvelle étendue des options de localisation entraîne de fait des mises en concurrences interurbaines à échelle planétaire, pour attirer la production mais également la consommation, ce dernier impératif contribuant alors à renforcer et accélérer tout le mouvement de marchandisation des centres villes (centres commerciaux, rénovation-gentrification, création de paysages urbains, marketing culturel...)." (pp.23-24)
"
(p.26)
"
(p.28)
"
(p.30)
"
(p.31)
-Thierry Labica, préface à David Harvey, Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010, 280 pages.
"On ne peut pas comprendre l'histoire de notre discipline indépendamment de l'histoire de la société dans laquelle ses pratiques viennent s'inscrire." (p.35)
"Le savoir géographique enregistre, analyse et archive l'information sur la distribution et l'organisation spatiale des conditions (qu'elles soient naturelles ou qu'elles résultent de l'activité humaine) formant la base matérielle de la reproduction de la vie sociale." (p.36)
"
(pp.36-40)
"En proie aux presses externes et aux désorganisations internes, la géographie a eu tendance, au cours des dernières années, à se fragmenter et à chercher son salut dans la professionnalisation de plus en plus étroite de ses diverses sous-branches. Mais plus elle s'est avancée dans cette voie, plus sa méthode a dérivé vers un positivisme monolithique et dogmatique, et plus il a été facile pour chacune de ses branches constitutives de se laisser absorber par telle ou telle discipline analytique apparentée (la géographie physique par la géologie, les théoriciens de la localisation par l'économie, les théoriciens du choix spatial par la psychologie, et ainsi de suite)." (p.41)
"En cumulant une absence d'identité et de profondeur disciplinaire avec une faible base populaire, la géographie universitaire n'a pas réussi à se construire une base de pouvoir, de prestige, et de respectabilité dans le champ de la division universitaire du savoir. Elle ne doit sa survie qu'à la promotion croissante de techniques très pointues (la télédétection, par exemple), ou à la production de savoirs spécialisés au service de grands intérêts sectoriels. L'Etat interventionniste, la grande entreprise et l'armée ont chacun offert une série de niches dans lesquelles les géographes pouvaient venir trouver leur place." (p.42)
"Reclus et Kropotkine exprimèrent leurs préoccupations sociales communes en associant, à la fin du 19ème siècle. Plus récemment, des auteurs comme Owen Lattimore et Keith Buchanan ont tenté un tableau du monde, non pas du point de vue des superpuissances, mais du point de vue des peuples indigènes [...] La répression active de ces penseurs, en particulier pendant la Guerre froide et sous le maccarthysme, conduisit nombre de géographes progressistes à se mettre à l'abri derrière l'apparente neutralité de l' "écran positiviste". [...]
L'intervention des radicaux et des marxistes dans le champ de la géographie à la fin des années 1960 se concentra sur une critique de l'idéologie et de la pratique d'un positivisme régnant alors sans partage. Il s'agissait de révéler les présupposés et les positions de classe alors silencieusement à l'oeuvre derrière cet écran positiviste. Pour la critique marxiste et radicale, le positivisme était une manifestation de la conscience managériale bourgeoise, au pire, consacrée à la manipulation et au contrôle des gens conçus alors comme des objets, et au mieux, faisant preuve de bienveillance paternaliste. Cette critique porta sur le rôle des géographes dans les entreprises impérialistes, dans les procédures d'aménagement urbain et régional visant à plus de contrôle social et plus d'accumulation du capital. Elle s'attaqua au racisme, au sexisme, à l'ethnocentrisme et aux préjugés politiques les plus ordinaires circulant dans quantité de textes géographiques. [...]
Le marxisme, l'anarchisme, l'aménagement participatif (advocacy planning), l' "expédition géographique" et l'humanisme devinrent les points de ralliement de celles et ceux en quête de voies nouvelles." (pp.42-43)
"L'enjeu fondamental est maintenant celui du devenir, de la manière dont les gens (et parmi eux, les géographes) se transforment eux-mêmes à mesure qu'ils transforment leurs milieux naturels et sociaux. Pour les humanistes, ce processus du devenir peut être perçu en termes religieux ou séculiers selon la grille de lecture philosophique choisie, heideggerienne ou husserlienne. Quant aux marxistes, nul besoin d'aller chercher au-delà de la caractérisation, chez Marx, du travail humain comme processus dans lequel les êtres humains, à mesure qu'ils agissent sur une nature qu'ils modifient, transforment leur propre nature. Les anarchistes pouvaient se tourner vers Reclus, selon qui le genre humain est la nature devenue consciente et responsable d'elle-même." (p.45)
"Marx, Marshall, Weber et Durkheim partagent tous cette même priorité accordée au temps au détriment de l'espace qu'ils se content d'envisager (lorsqu'ils se donnent cette peine) comme le cadre ou le contexte non-problématique de l'agir historique. A chaque fois que les théoriciens du social, toutes obédiences confondues, interrogent le sens des catégories et des rapports géographiques, ils se voient alors contraints, soit, de se livrer à une multiplicité telle d'ajustements improvisés que leur travail théorique en perd toute cohérence, soit d'abandonner la théorie pour se tourner vers un langage dérivé de la géométrie pure. Tout reste à faire en matière d'insertion des concepts spatiaux dans le champ de la théorie sociale. Et pourtant, une théorie sociale qui ignore les matérialités des configurations, des rapports et des processus géographiques concrets n'est que partiellement recevable.
D'où une certaine tentation d'abandonner la théorie en faveur d'un repli vers les spécificités supposées du moment et du lieu, vers l'empirisme naïf, et de produire autant de théories qu'il y a de situations. Toutes les perspectives de communication s'effondrent, exceptées celles offertes par les conventions du langage ordinaire dont les ambiguïtés mêmes passent pour de la théorie, égarant ainsi toute possibilité théorique dans un dédale sémantique. L'ambiguïté est peut-être préférable à l'orthodoxie inflexible, mais elle ne peut servir de fondement à la science. En abandonnant le terrain explicitement théorique, on renonce à la possibilité d'interventions conscientes et créatives dans la construction des géographies à venir." (pp.48-49)
"Les marxistes, qui certes insistent en principe sur l'importance du développement géographique inégal, ont eu bien des difficultés à intégrer l'espace ou à développer une sensibilité aux questions de lieux et de milieux dans le cadre de puissantes théories sociales par ailleurs. Cette sensibilité est omniprésente dans la littérature anarchiste qui, cependant, souffre d'un manque de cohérence politique et théorique." (p.51)
"Il nous faut également également définir une vision stratégique radicale, tournée vers le monde de la liberté au-delà de la nécessité matérielle." (p.52)
-David Harvey, "Sur la situation de la géographie, hier et aujourd'hui: un manifeste matérialiste historique", extrait de The Professional Geographer, 1984, republié in David Harvey, Spaces of Capital, 2001, traduis in Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010, 280 pages.
"La philosophie aspire à s'élever au-dessus des différents domaines de la pratique humaine et des connaissances partielles, et vise à assigner des significations définitives aux catégories auxquelles nous faisons appel." (p.54)
"Un événement ou une chose situés à un point dans l'espace ne peuvent être compris par simple référence à ce qui existe à ce point. Il dépend de tout ce qui se passe aux alentours." (p.58)
"Nombreux de penseurs ont déployé leur talent à réfléchir sur les possibilités de la pensée relationnelle. [...] Deleuze a beaucoup développé ces idées." (pp.58-59)
"
(pp.60-62)
"
(p.69)
"
(pp.75-77)
-David Harvey, "L'espace comme mot-clé", in David Harvey, traduis in Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010, 280 pages.
https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Harvey
https://en.wikipedia.org/wiki/David_Harvey
"David Harvey est un géographe d’origine britannique qui a effectué l’essentiel de sa carrière aux États-Unis, où il enseigne encore à l’université de New York. Dans les milieux intellectuels américains, David Harvey est une grande célébrité, comme en témoigne par exemple la foule qui s’est pressée à sa conférence en avril 2008 à Boston, lors de la réunion annuelle de l’Association des géographes américains (AAG), conférence intitulée « La géographie radicale quarante ans après 1968 ». Pour beaucoup, David Harvey incarne en effet ce courant contestataire de la géographie né aux États-Unis au début des années 1970. Il en est en tout cas un des représentants les plus emblématiques, avec d’autres auteurs comme Edward Soja et Manuel Castells. La radical geography, traduite en français par le terme insatisfaisant de « géographie radicale » (ou parfois de « géographie critique ») trouve son origine dans la contestation de la géographie dominante alors, fondée notamment sur la recherche de la modélisation des faits sociaux. Cette géographie quantitative mettait en évidence des invariants dans l’organisation de l’espace et prétendait pouvoir expliquer les différences géographiques par des modèles théoriques valables partout et à toutes les échelles. A contrario, la géographie radicale, née des mouvements contestataires qui s’expriment aux États-Unis dans les années 1960, met l’accent sur l’explication des inégalités spatiales et sociales par des faits structuraux (économiques, politiques, sociaux, etc.) et mettant en jeu des acteurs.
David Harvey publie alors plusieurs des ouvrages majeurs de ce courant de pensée, qui se fonde explicitement sur une analyse marxiste : c’est Social Justice and the City (1973) qui constitue véritablement le livre fondateur de la pensée de Harvey, suivi en 1982 de The Limits to Capital."
"Partant du constat que l’espace a été négligé dans la théorie de Marx, qui a accordé le primat au temps, l’auteur tente de proposer une géographie du marxisme qu’il justifie épistémologiquement. La pensée de l’auteur se développe alors à plusieurs échelles, afin d’étudier comment le capitalisme structure l’espace."
-Catherine Fournet-Guérin, « Géographie du capitalisme », La Vie des idées , 9 juillet 2008.
"[Au milieu des années 1970], la Grande-Bretagne, et plus singulièrement encore, l'Angleterre, cœur historique de l'impérialisme classique et de la révolution industrielle, connaissait, depuis une dizaine d'années, sa plus grande vague de contestation, de créativité politique et de radicalisation depuis la grève générale de 1926." (p.
"L'effondrement des grandes organisations de la classe ouvrière fordiste d'après guerre et des compromis relatifs qu'elle était parvenue à imposer, a, au contraire, tout à voir avec le retour fantomatique du prolétariat, de tous les sans droits, sans papiers, sans logis, sans salaire, "sans famille", sans retraite, sans couverture santé, sans reconnaissance, vendeurs et vendeuses d'une force de travail dûment soustraite aux "rigidités" des codes du travail et ainsi constituée en "ressource"." (p.12)
"L'exploitation capitaliste semble devenir invisible (se refoule) en proportion inverse de son intensification." (p.13)
"Se mettre hors du soi mutilé, appauvri, abstrait, plutôt mort que vif, qu'engendre et dont se nourrit le capital chaque jour selon de multiples modalités." (p.16)
"Il y a certainement dans diverses célébrations, voire, fétichisations, de la "différence" un fort résidu critique inhérent à cette demande de réhabilitation du particulier, de l'aspérité singulière, du local et de l'organique, du sensuel et de l'esthétique, ou autrement dit, de toutes les manifestations de l'expérience sociale et humaine vécue dans ce qu'elle a de foncièrement qualitatif, tournée vers les valeurs d'usage et traitée comme fin plutôt que comme moyen. Mais quel pourrait être alors l'intérêt de la "différence", dans ce sens, si cet ordre qualitatif n'était pas fondamentalement nié par un système quantitatif total qui lui est absolument indifférent ?" (p.16)
"Nouvelle configuration géographique qu'engendrent les nouvelles conditions de circulation planétaire du capital. On a déjà fait allusion à certains facteurs importants comme la fin du bloc de l'Est, la réorientation de la Chine dans le système-monde (passée des alliances tiers-mondistes vers le Nord et les pays du capitalisme avancé), ou le recul historique du mouvement ouvrier et des luttes sociales dans le centre impérialiste. Ce dernier élément suggère quelque chose de la déstabilisation et reconfiguration du cadre général de l'accumulation capitaliste (alors dite "flexible") et caractérisée par un écrasement, une compression de l'espace-temps [...] les grandes villes et agglomérations de l'industrialisation historique telles que Manchester, Scheffield, Lille, Detroit cédèrent leur place d'atelier du monde à Schenzhen, Canton et au delta de la Rivière des Perles, entre autres. Aux destructions massives d'emplois industriels à l'ouest de l'Europe et en Amérique du Nord correspondit l'élargissement du régime d'accumulation à l'activité productrice de centaines de millions de travailleurs indiens, chinois, mais aussi est-européen et russes. A ce mouvement de généralisation se combinèrent des effets de dérèglementation financière (sur les taux de change, mais aussi sur les crédits à la consommation) et le maintien à un bas niveau des coûts de transport, d'où des possibilités inédites de mobilité géographique accélérée du capital. La nouvelle étendue des options de localisation entraîne de fait des mises en concurrences interurbaines à échelle planétaire, pour attirer la production mais également la consommation, ce dernier impératif contribuant alors à renforcer et accélérer tout le mouvement de marchandisation des centres villes (centres commerciaux, rénovation-gentrification, création de paysages urbains, marketing culturel...)." (pp.23-24)
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(p.26)
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(p.28)
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(p.30)
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(p.31)
-Thierry Labica, préface à David Harvey, Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010, 280 pages.
"On ne peut pas comprendre l'histoire de notre discipline indépendamment de l'histoire de la société dans laquelle ses pratiques viennent s'inscrire." (p.35)
"Le savoir géographique enregistre, analyse et archive l'information sur la distribution et l'organisation spatiale des conditions (qu'elles soient naturelles ou qu'elles résultent de l'activité humaine) formant la base matérielle de la reproduction de la vie sociale." (p.36)
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(pp.36-40)
"En proie aux presses externes et aux désorganisations internes, la géographie a eu tendance, au cours des dernières années, à se fragmenter et à chercher son salut dans la professionnalisation de plus en plus étroite de ses diverses sous-branches. Mais plus elle s'est avancée dans cette voie, plus sa méthode a dérivé vers un positivisme monolithique et dogmatique, et plus il a été facile pour chacune de ses branches constitutives de se laisser absorber par telle ou telle discipline analytique apparentée (la géographie physique par la géologie, les théoriciens de la localisation par l'économie, les théoriciens du choix spatial par la psychologie, et ainsi de suite)." (p.41)
"En cumulant une absence d'identité et de profondeur disciplinaire avec une faible base populaire, la géographie universitaire n'a pas réussi à se construire une base de pouvoir, de prestige, et de respectabilité dans le champ de la division universitaire du savoir. Elle ne doit sa survie qu'à la promotion croissante de techniques très pointues (la télédétection, par exemple), ou à la production de savoirs spécialisés au service de grands intérêts sectoriels. L'Etat interventionniste, la grande entreprise et l'armée ont chacun offert une série de niches dans lesquelles les géographes pouvaient venir trouver leur place." (p.42)
"Reclus et Kropotkine exprimèrent leurs préoccupations sociales communes en associant, à la fin du 19ème siècle. Plus récemment, des auteurs comme Owen Lattimore et Keith Buchanan ont tenté un tableau du monde, non pas du point de vue des superpuissances, mais du point de vue des peuples indigènes [...] La répression active de ces penseurs, en particulier pendant la Guerre froide et sous le maccarthysme, conduisit nombre de géographes progressistes à se mettre à l'abri derrière l'apparente neutralité de l' "écran positiviste". [...]
L'intervention des radicaux et des marxistes dans le champ de la géographie à la fin des années 1960 se concentra sur une critique de l'idéologie et de la pratique d'un positivisme régnant alors sans partage. Il s'agissait de révéler les présupposés et les positions de classe alors silencieusement à l'oeuvre derrière cet écran positiviste. Pour la critique marxiste et radicale, le positivisme était une manifestation de la conscience managériale bourgeoise, au pire, consacrée à la manipulation et au contrôle des gens conçus alors comme des objets, et au mieux, faisant preuve de bienveillance paternaliste. Cette critique porta sur le rôle des géographes dans les entreprises impérialistes, dans les procédures d'aménagement urbain et régional visant à plus de contrôle social et plus d'accumulation du capital. Elle s'attaqua au racisme, au sexisme, à l'ethnocentrisme et aux préjugés politiques les plus ordinaires circulant dans quantité de textes géographiques. [...]
Le marxisme, l'anarchisme, l'aménagement participatif (advocacy planning), l' "expédition géographique" et l'humanisme devinrent les points de ralliement de celles et ceux en quête de voies nouvelles." (pp.42-43)
"L'enjeu fondamental est maintenant celui du devenir, de la manière dont les gens (et parmi eux, les géographes) se transforment eux-mêmes à mesure qu'ils transforment leurs milieux naturels et sociaux. Pour les humanistes, ce processus du devenir peut être perçu en termes religieux ou séculiers selon la grille de lecture philosophique choisie, heideggerienne ou husserlienne. Quant aux marxistes, nul besoin d'aller chercher au-delà de la caractérisation, chez Marx, du travail humain comme processus dans lequel les êtres humains, à mesure qu'ils agissent sur une nature qu'ils modifient, transforment leur propre nature. Les anarchistes pouvaient se tourner vers Reclus, selon qui le genre humain est la nature devenue consciente et responsable d'elle-même." (p.45)
"Marx, Marshall, Weber et Durkheim partagent tous cette même priorité accordée au temps au détriment de l'espace qu'ils se content d'envisager (lorsqu'ils se donnent cette peine) comme le cadre ou le contexte non-problématique de l'agir historique. A chaque fois que les théoriciens du social, toutes obédiences confondues, interrogent le sens des catégories et des rapports géographiques, ils se voient alors contraints, soit, de se livrer à une multiplicité telle d'ajustements improvisés que leur travail théorique en perd toute cohérence, soit d'abandonner la théorie pour se tourner vers un langage dérivé de la géométrie pure. Tout reste à faire en matière d'insertion des concepts spatiaux dans le champ de la théorie sociale. Et pourtant, une théorie sociale qui ignore les matérialités des configurations, des rapports et des processus géographiques concrets n'est que partiellement recevable.
D'où une certaine tentation d'abandonner la théorie en faveur d'un repli vers les spécificités supposées du moment et du lieu, vers l'empirisme naïf, et de produire autant de théories qu'il y a de situations. Toutes les perspectives de communication s'effondrent, exceptées celles offertes par les conventions du langage ordinaire dont les ambiguïtés mêmes passent pour de la théorie, égarant ainsi toute possibilité théorique dans un dédale sémantique. L'ambiguïté est peut-être préférable à l'orthodoxie inflexible, mais elle ne peut servir de fondement à la science. En abandonnant le terrain explicitement théorique, on renonce à la possibilité d'interventions conscientes et créatives dans la construction des géographies à venir." (pp.48-49)
"Les marxistes, qui certes insistent en principe sur l'importance du développement géographique inégal, ont eu bien des difficultés à intégrer l'espace ou à développer une sensibilité aux questions de lieux et de milieux dans le cadre de puissantes théories sociales par ailleurs. Cette sensibilité est omniprésente dans la littérature anarchiste qui, cependant, souffre d'un manque de cohérence politique et théorique." (p.51)
"Il nous faut également également définir une vision stratégique radicale, tournée vers le monde de la liberté au-delà de la nécessité matérielle." (p.52)
-David Harvey, "Sur la situation de la géographie, hier et aujourd'hui: un manifeste matérialiste historique", extrait de The Professional Geographer, 1984, republié in David Harvey, Spaces of Capital, 2001, traduis in Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010, 280 pages.
"La philosophie aspire à s'élever au-dessus des différents domaines de la pratique humaine et des connaissances partielles, et vise à assigner des significations définitives aux catégories auxquelles nous faisons appel." (p.54)
"Un événement ou une chose situés à un point dans l'espace ne peuvent être compris par simple référence à ce qui existe à ce point. Il dépend de tout ce qui se passe aux alentours." (p.58)
"Nombreux de penseurs ont déployé leur talent à réfléchir sur les possibilités de la pensée relationnelle. [...] Deleuze a beaucoup développé ces idées." (pp.58-59)
"
(pp.60-62)
"
(p.69)
"
(pp.75-77)
-David Harvey, "L'espace comme mot-clé", in David Harvey, traduis in Géographie et capital : Vers un matérialisme historico-géographique, Paris, Syllepse, 2010, 280 pages.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 19 Avr - 20:51, édité 18 fois