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    Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal + Mariarosa Dalla Costa

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal + Mariarosa Dalla Costa Empty Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal + Mariarosa Dalla Costa

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 9 Jan - 12:09

    https://fr.1lib.fr/book/5292368/a6bfed?dsource=recommend

    "Marx a considérablement contribué au développement de la pensée féministe, envisagée comme composante d'un mouvement de libération et de changement social non seulement pour les femmes mais pour l'ensemble de la société." (p.8 )

    "Marx a reconnu l'importance du rapport entre les hommes et les femmes dans l'histoire dès ses premiers travaux. Il a dénoncé l'oppression des femmes, surtout dans la famille capitaliste, bourgeoise. Ainsi, dans les Manuscrits de 1844, il écrit (évoquant Fourier, en un sens) que le rapport entre les femmes et les hommes dans toute société et à toute époque de l'histoire est la mesure de la capacité des êtres humains à humaniser la nature - ce sont les termes qu'il emploie. Dans L'Idéologie allemande, il parle de l'esclavage latent dans la famille et de la façon dont les hommes s'approprient le travail des femmes. Dans Le Manifeste du Parti communiste, il dénonce l'oppression des femmes dans la famille bourgeoise, comment elles sont traitées comme propriété privée et utilisées dans la transmission de l'héritage. Il y a donc bien une conscience féministe relativement présente, mais
    sous la forme de commentaires ponctuels qui ne se traduisent pas en une théorie en tant que telle.

    Ce n'est que dans le livre 1 du Capital que Marx analyse le travail des femmes dans le capitalisme, mais il n'analyse que le travail des ouvrières dans la grande industrie. Il est vrai que peu de théoriciens ont dénoncé avec tant de passion et de force l'exploitation brutale dans les usines des femmes et des enfants, et des hommes bien entendu, en décrivant la journée de travail, les conditions dégradantes (certes non sans un certain moralisme, comme quand il parle de la dégradation des femmes qui, faute de pouvoir vivre de leur salaire, très bas, doivent le compléter par la prostitution) mais dans les trois livres du Capital, on ne trouve aucune analyse du travail de reproduction.

    Il n'en parle que dans deux petites notes : dans l'une il écrit que les ouvrières, étant toute la journée à l'usine, sont obligées d'acheter ce dont elles ont besoin et dans l'autre, il signale qu'il a fallu une guerre civile pour que les ouvrières puissent s'occuper de leurs enfants, référence à la guerre de Sécession aux Etats-Unis qui avait mis fin à
    l'esclavage et interrompu l'arrivée de coton en Grande-Bretagne, conduisant ainsi à la fermeture des usines.

    Il est curieux qu'il n'ait pas été capable de considérer le travail de reproduction. Il dit pourtant lui-même au début de L'Idéologie allemande que si nous voulons envisager les mécanismes de la vie sociale et du changement social, nous devons partir de la reproduction de la vie quotidienne. Il reconnaît aussi dans un chapitre du livre 1 du Capital intitulé
    « Reproduction simple » (c'est ainsi qu'il désigne la reproduction de la main-d'œuvre) que notre capacité de travail n'est pas une chose naturelle mais une chose qui doit être produite. Il reconnaît que le processus de reproduction de la force de travail est partie intégrante de la production de valeur et de l'accumulation capitaliste (« la production
    du moyen de production le plus indispensable au capitaliste, le travailleur lui-même »). Mais, très paradoxalement d'un point de vue féministe, il considère que cette reproduction reste entièrement pensable à partir du processus de production des marchandises, autrement dit: le travailleur gagne un salaire et avec ce salaire, il satisfait ses besoins vitaux par l'achat de nourriture, de vêtements... Marx ne reconnaît jamais qu'il faut du travail, le travail de reproduction, pour cuisiner, pour nettoyer, pour procréer.

    Marx note que la procréation d'une nouvelle génération de travailleurs est fondamentale pour l'organisation du travail mais il la voit comme un processus naturel, et il écrit que les capitalistes n'ont pas à s'en soucier et qu'ils peuvent se fier à l'instinct de conservation des travailleurs ; il ne pense pas que les hommes et les femmes peuvent avoir des intérêts différents par rapport à la procréation, il ne l'envisage pas comme un terrain de lutte, de négociation. En même temps, il pense que le capitalisme ne dépend pas de la capacité de procréation des femmes puisque les révolutions technologiques assurent la création constante d'une « surpopulation » ; cependant, un indice évident de la préoccupation du capital et de l'Etat à l'égard du volume de la population est le fait qu'avec le capitalisme le contrôle des naissances exercé traditionnellement par les femmes s'est vu de plus en plus prohibé (il en reste encore aujourd'hui de nombreuses traces) et les peines punissant ces pratiques ont gagné en sévérité. Par ailleurs, Marx ne parle des relations sexuelles qu'en rapport avec la prostitution - pratique qu'il considère dégradante et qui s'impose aux femmes du fait de leur paupérisation, comme nous l'avons déjà signalé.

    C'est là un véritable point aveugle de la théorie de Marx. C'est parce qu'il n'a pas pu voir au-delà de l'usine et qu'il s'est refusé à envisager la reproduction comme un aspect du travail social (largement féminisé) qu'il ne s'est pas non plus rendu compte qu'il se tenait - à l'heure où il écrivait son Capital- au seuil même de l'émergence de la famille prolétaire nucléaire." (pp.11-14)

    "Autour de 1870, un grand processus de réforme commence en Angleterre et aux Etats-Unis, avant de s'étendre ailleurs en Europe, qui aboutit à la création de la famille prolétaire- Ce processus est l'expression d'un changement historique de la politique du capital. Jusqu'aux années 1850-1860, le capitalisme se fondait sur ce que Marx a appelé l' «exploitation absolue », un régime où la journée de travail est allongée au maximum et le salaire réduit au minimum. Ainsi, pendant toute la Révolution industrielle, les ouvriers ne pouvaient pratiquement pas se reproduire, puisqu'ils travaillaient entre quatorze et seize heures par jour et qu'ils mouraient à 40 ans. La classe ouvrière se reproduit alors avec beaucoup de difficulté et meurt très jeune, avec une mortalité infantile et maternelle élevée.

    Marx voit tout cela mais il ne se rend pas compte du processus de réforme en cours qui engendre une nouvelle forme de patriarcat, de nouvelles formes de hiérarchies patriarcales. Il continue à penser, comme Engels, que le développement capitaliste, et particulièrement la grande industrie, constitue un facteur de progrès et d'égalité. C'est la fameuse idée selon laquelle l'expansion industrielle et technologique abolit la nécessité de la force physique dans le processus de travail et permet l'entrée des femmes à l'usine, de sorte que s'instaure une coopération entre les femmes et les hommes, une plus grande égalité, libérant les femmes du contrôle patriarcal du travail à domicile, première forme de travail manufacturier au début du capitalisme.

    Marx partage donc l'idée que le développement industriel, capitaliste, favorise un rapport plus égalitaire entre les hommes et les femmes. Mais ce qu'on voit à partir de la fin du XIXe siècle, avec l'introduction du salaire familial, du salaire ouvrier masculin (qui est multiplié par deux entre 1860 et la première décennie du XXe siècle), c'est que les femmes qui travaillaient dans les usines en sont chassées et sont renvoyées au foyer, si bien que le travail domestique devient leur premier travail, au point d'en faire des personnes dépendantes. Cette dépendance à l'égard du salaire masculin définit ce que j'ai appelé le « patriarcat du salaire » ; à travers le salaire se crée une nouvelle hiérarchie, une nouvelle organisation de l'inégalité : l'homme a le pouvoir du salaire et il devient le contremaître du travail non rémunéré de la femme. Et il a aussi le pouvoir de discipliner. Cette organisation du travail et du salaire, qui divise la famille en deux -les salariés et les non-salariés-, crée une situation où la violence est toujours latente.

    Cette nouvelle organisation de la famille marque un tournant historique. Elle a permis un développement capitaliste impossible jusqu'alors. La création de la famille nucléaire accompagne le passage de l'industrie légère (textile) à l'industrie lourde (le charbon, la métallurgie) qui nécessite un type d'ouvrier différent, non plus le travailleur sans force, faiblement productif, produit du régime d'exploitation absolue. Du reste, ces travailleurs qui mouraient à 35 ans se rebellaient contre leur situation. Toute la première moitié du XIXe siècle est une période de rébellion (chartisme, syndicalisme, communisme, socialisme). Cette nouvelle domesticité a provoqué deux phénomènes : d'une part, le travailleur est pacifié, il est exploité mais il a une domestique à disposition, ce qui permet de conquérir la paix sociale; d'autre part, le travailleur est plus productif. On peut ici employer la
    catégorie marxienne de « subsomption réelle », un concept forgé par Marx pour décrire le processus par lequel le capitalisme, par son histoire et son développement, restructure la société à son image, afin de la mettre au service de l'accumulation ; par exemple, il restructure l'école pour qu'elle soit productive dans le processus d'accumulation
    et de la même manière il restructure la famille.

    Evoquer ce processus de création de la famille nucléaire, entre 1870 et 1910, c'est bien se référer à un processus de subsomption réelle du processus de reproduction; le quartier, la communauté sont transformés, les boutiques apparaissent, etc. Ce modèle de famille s'est perpétué jusqu'aux années 1960, et c'est contre celui-ci que le mouvement féministe et les femmes en général se sont soulevés dans les années 1960 et 1970, s'érigeant ainsi contre cette conception de la femme comme un être dépendant. Le féminisme était alors synonyme de recherche d'autonomie, de rejet de la soumission des femmes dans la famille et dans la société (en tant que travailleuses non reconnues et non payées), de soulèvement contre la naturalisation des tâches domestiques et pour la reconnaissance du travail domestique comme travail.

    C'est à partir de cette rébellion que des femmes (dont moi et celles que j'ai mentionnées plus haut) se sont saisies de Marx. A gauche, il était d'usage de lire Marx, d'étudier les pères du socialisme, mais il était clair, pour nous féministes, que ces textes n'apportaient que peu d'éléments pour penser notre situation. C'est dans ce contexte que nous avons engagé une critique de l'œuvre de Marx et que nous avons commencé à étudier le champ de la reproduction, secteur du travail exploité jusqu'alors complètement ignoré. Pour mener à bien cette lecture critique, c'est à Marx lui-même que nous nous sommes référées : nous avons fait jouer Marx contre Marx." (pp.14-18)
    -Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, La Fabrique éditions, 2019, 190 pages.

    "Sans cesse on opposait [le sort des ouvrières] dans les villes industrielles à leur situation dans les ateliers de femmes ou dans le travail à domicile. Certes on reconnaissait souvent que les ouvrières d'usine avaient de bons salaires (meilleurs que ceux des autres travailleuses), mais les conséquences morales avaient bien plus de poids que cet avantage économique. Les ouvrières d'usine étaient, disait-on, exposées à des fréquentations vulgaires, on les séduisait, on les arrachait à leurs travaux domestiques et à leurs enfants ; ailleurs la compagnie des autres leur faisait découvrir les plaisirs de la sensualité, le goût du luxe, la possibilité de satisfaire leurs désirs sexuels et matériels. A l'opposé, les ouvrières employées dans des ateliers de femmes (habituellement de taille restreinte) ou encore travaillant chez elles, étaient décrites comme chastes, rangées, bien préparées aux responsabilités du mariage et de la maternité. [...]

    S'il était vrai que l'absence de démarcation entre les sexes signalait un "grave désordre", il s'ensuivait que la moralisation de la classe ouvrière exigeait que la différence sexuelle soit articulée et imposée. C'est dans cette optique qu'une nouvelle génération de moralistes examine l'impact du travail salarié sur les responsabilités domestiques des femmes et commença de décrire la maternité comme le travail "naturel" et essentiel de la femme." (p.9)
    -Joan W. Scott, "L'ouvrière, mot impie, sordide." Le discours de l'économie politique française sur les ouvrières (1840-1860), Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Année 1990, 83, pp. 2-15.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariarosa_Dalla_Costa





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