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    Pierre Pellegrin, Dictionnaire Aristote

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Pierre Pellegrin, Dictionnaire Aristote Empty Pierre Pellegrin, Dictionnaire Aristote

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 8 Fév - 22:22

    "Substance / Essence.

    Double traduction de l'intraduisible ousia. Ousia est très difficile à traduire, car le terme représente, chez Aristote, trois choses différentes: la forme, la matière, et le composé des deux (Métaphysique, Z, 3, 1029a27-33). De ces trois choses, seul « le composé des deux » ou substance composée, correspond à ce que nous appelons d'ordinaire substance: les corps et leurs éléments (Métaphysique, L1, 8, 1017b10-12). Matière et forme sont les éléments constituants de cette substance composée, et n'existent pas par elles-mêmes, à la manière des corps. L'analyse d'une substance composée la résout en ces deux éléments que sont la matière et la forme. C'est donc en un tout autre sens de la substance que sont aussi dites « substances » la matière et la forme: elles sont substances parce qu'elles sont causes pour la substance composée de ce qu'elle est (l017b14-18). Ces deux causes ne sont pas d'égale importance, car la matière est une capacité d'être, qui ne se réalise que par et dans la forme; la forme, cause formelle et finale (cf. Cause), est ainsi ce qui définit l'essence de la chose.

    Ousia signifie donc la chose (la substance) et ses causes internes, la matière et la forme; la forme est ce qui correspond à l'essence. Ce double sens de la substance découle de sa fonction. « Substance» est la réponse à la question posée par la recherche sur l'être (Métaphysique, Z, l, 1028b2-7). La substance (il s'agit de la substance composée) est plus être que ne le sont les qualités, quantités et toutes les autres catégories, puisque les autres catégories se disent de la substance qui est leur support. La substance est ainsi le sens premier de l'être (Métaphysique, r, 2, 1003a33-b19). Mais la science de l'être ne se réduit pas à proprement parler à la science de la substance. Il faut que le métaphysicien s'occupe
    « principalement, premièrement et pour ainsi dire uniquement» (Z, l, 1028b6) de la substance, parce qu'elle unifie l'ontologie autour d'elle. C'est ce que les commentateurs anglo-saxons ont appelé la « signification focale» de la substance (cf. Analogie).

    Que la substance soit le sens premier de l'être signifie deux choses: d'abord, au niveau réel, la primauté de l'existence des corps qui sont conditions de l'existence des quantités, qualités, et toutes les autres qualifications; ensuite, au niveau logique, que la substance est le substrat-sujet de toutes les autres catégories qui sont ses attributs. Aristote exprime ces deux versants de la primauté de la substance par deux propriétés négatives: d'abord la substance n'est pas dans un autre être, mais ce sont les autres êtres qui sont en elle ; ensuite la substance n'est pas dite d'un autre être, mais les autres êtres se disent de la substance. Dès lors, et c'est là une constante de la réflexion d'Aristote sur la substance, ce qui sera le plus substance, c'est l'être individuel ontologiquement autonome, non pas l'homme, mais cet homme-ci. Les Catégories, et elles seules, désignent ces substances individuelles par l'expression « substances premières », les opposant aux genres et aux espèces qui sont « substances secondes ». Le genre et l'espèce, en effet, se disent des individus. Il y a certainement là l'une des tensions principales de la pensée d'Aristote, puisque s'il y a chez lui une indéniable tendance vers une ontologie de l'individu, il soutient
    aussi que l'individu comme tel est inconnaissable. Cette fonction de « substrat » de la substance pourrait conduire à l'opinion erronée que la matière est substance, puisque la matière est le support le plus indéterminé que l'on puisse trouver, selon une démarche régressive qui cherche quel est l'élément dernier qui demeure, lorsqu'on supprime les qualifications secondaires (I029al-27).

    Cette opinion est erronée, car cette identification défait la substance même, et fait s'équivaloir substance et indétermination. Si donc la fonction de substrat premier de la prédication distingue la substance des autres qualifications qui sont autant de formes d'être, il faut préciser la nature de ce substrat, qui ne peut être la matière, sauf à perdre un caractère essentiel à la substance, son existence autonome et séparée. Une substance est une chose du monde, identifiable, ce qu'elle ne saurait être en étant une matière sans détermination.

    Si la substance est l'essentiel de la réponse à la question de l'être, la question de l'être propre de la substance va devenir l'objet même de l'examen philosophique: le philosophe doit connaître l'être de la substance, à savoir ses principes et ses causes (Métaphysique r1, 1003a15-17). Or l'être de la substance, comme on l'a dit, est sa forme plutôt que sa matière. On doit donc situer la fonction de la substance selon deux niveaux distincts: 1) la substance est réponse à la question de l'être, de la sorte, elle est le substrat qui ordonne la multiplicité des sens de l'être: elle est, dans la réalité, le support des autres propriétés ; dans les énoncés, elle est le sujet des prédicats. Cette fonction est une fonction d'ordre: la substance ordonne les multiples sens de l'être à partir d'un sens premier; elle donne donc une forme relative d'unité à la multiplicité des sens de l'être. 2) La réponse à la question de l'être de la substance est du côté de la forme, ce qui implique, de nouveau, le choix entre plusieurs possibilités (1028b33-36). Tout le livre Z de la Métaphysique, à l'exclusion de son dernier chapitre, entend répondre à la question « qu'est-ce que la substance? » Le chapitre Z, 17 et le livre H se demandent, quant à eux, en quel sens la substance est « un certain principe et une certaine cause » (1041a9). Aristote élimine un certain nombre de candidats, à savoir la matière et l'universel, qui ne peuvent pas être complètement substance parce qu'ils ne sont pas un « ceci », c'est-à-dire un individuel ontologiquement autonome. Ce qui est le plus à même de remplir les conditions pour être substance, c'est, dans le cas des substances naturelles, la forme du composé. Mais nous connaissons adéquatement une substance quand nous saisissons la quiddité de l'objet caractérisé comme substance (cf. Ontologie) : « il y a connaissance scientifique d'une chose donnée quand nous savons ce que c'est que d'être pour cette chose» (Z, 6, 1031b6). Mais la substance est aussi un principe d'organisation qui fait qu'une matière informée d'une certaine manière peut avoir une certaine identité et une unité fonctionnelle (Métaphysique Z, 17, 1041a26-b9).

    On comprend pourquoi, suivant la facette de la substance qui est considérée, le terme ousia peut être synonyme d'un grand nombre d'autres termes. De « ceci », parce que la substance véritable est un individuel; de logos, parce que la substance est la raison qui fait qu'une chose est ce qu'elle est; de « forme », parce que le fond de la substance, c'est la forme de la chose; de « définition », parce que la différence dernière est à la fois la substance et la définition de la chose." (pp.175-179)
    -Pierre Pellegrin, Dictionnaire Aristote, Ellipses Édition, 2007, 198 pages.



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