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    André Rélang, La dialectique de la fortune et de la virtù chez Machiavel

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    André Rélang, La dialectique de la fortune et de la virtù chez Machiavel Empty André Rélang, La dialectique de la fortune et de la virtù chez Machiavel

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 8 Mai - 13:07

    "Si nous écartons l’idée de décrets célestes et de Raison cosmique présidant aux événements, si, en un mot, nous écartons la référence à un ordre transcendant dont l’existence situerait nécessairement la vérité du royaume terrestre dans un arrière-monde inaccessible, que reste-t-il ? La facticité du monde, c’est-à-dire une certaine distribution contingente des choses et la trame des faits. Mais cette réponse ne saurait être pleinement satisfaisante si elle n’était complétée par la référence à la virtù à laquelle reste ordonnée la fiction d’une intentionnalité théologique. Quelle que soit la nature de la fortune, bonne ou mauvaise, l’impossibilité foncière pour l’homme d’en scruter les arcanes et d’en appréhender le sens derrière l’écran de ses illusions, frappe de nullité l’idée même de finalité, de causalité transcendante, et impose à l’acteur politique la charge de sa propre liberté. « Ils ignorent quel est son but ; et comme elle n’agit que par des voies obscures et détournées, il leur reste toujours l’espérance ; et dans cette espérance, ils doivent puiser la force de ne jamais s’abandonner, en quelque infortune et misère qu’ils puissent se trouver ». Avec cette perte d’un Cosmos habité de divinités et déesses, le monde n’en reste pas moins ce qu’il est, mais l’espérance, soumise elle aussi au processus de sécularisation, ne se situe plus dans un lointain au-delà, elle vient se loger en l’homme."

    "En prenant pour thème la notion de fortune (avec ses variations : bonne fortune et infortune), Machiavel n’ignore pas qu’il est l’héritier et le continuateur d’une tradition riche en éponymes que l’on peut faire remonter au moins à Homère chez les poètes, à Aristote chez les philosophes, en passant en autres par Plutarque, Polybe, Pétrarque, Bruno et Dante."

    "Machiavel indique plus fortement, chez ces hommes excellents, la présence d’une haute virtù dont l’impérieuse énergie est capable de convertir la facticité historique en matière occasionnelle. De sorte qu’il faut inverser l’ordre des termes et donner la priorité à la virtù sur l’occasion en affirmant que ce n’est pas l’occasion qui fait naître la virtù et confère à un homme sa vraie stature de « virtuoso », mais que c’est la virtù qui crée l’occasion.

    La confrontation des textes ne laisse aucun doute sur l’intention du secrétaire florentin : il s’agit de revendiquer pour l’homme, non pas une causalité libre à l’instar des métaphysiciens, mais le pouvoir de résister à la fortune, de faire contre-poids à l’hégémonie du hasard et d’opposer à l’inflexibilité des événements l’inflexibilité de la virtù. Autrement dit, nous pouvons agir sur elle autant que celle-ci sur nous. Voilà donc le principe de l’action-réciproque mis en évidence dans le champ politique. Du coup, la réalité de la fortune ne saurait plus être assimilée à un absolu infrangible dont l’existence se situerait en dehors de toute atteinte."

    "à où la fortune donne le ton de la vie politique et semble présider souverainement aux événements, là où les prétendants à l’imperium ne semblent devoir leur survie qu’à la faveur bienveillante de la fortune ou leur chute qu’à sa malignité, c’est que la virtù fait défaut, que le courage, la fermeté d’âme et l’énergie romaine ont disparu, qu’il n’existe plus d’authentiques chefs de guerre."

    "La fatalité devient vérité sitôt que l’homme, gagné par le doute et le désespoir, s’emmure dans l’inaction. Si la virtù est porteuse d’une dimension libératrice, c’est non seulement parce qu’elle se définit comme pouvoir de donner une forme nouvelle à une configuration historique ou pouvoir d’imprimer sa volonté sur la matière du réel, mais aussi parce qu’elle est synonyme d’une réappropriation de soi."

    "L’occasion est moins une structure objective du réel qu’un être en pointillé n’ayant aucune existence en dehors de sa référence à la virtù. Pour tout homme « virtuoso », il n’y a pas eu d’autre occasion que celle qui a résulté de sa situation présente et cette situation est bonne, non pas en soi, mais tout simplement parce qu’il n’y en a pas d’autres. Conditionner son entrée en action à la survenue d’une situation plus favorable revient à accepter sa condition telle qu’elle existe et donc, d’une certaine manière, à contribuer à sa pérennisation. Comment ne pas voir en outre que c’est inscrire le principe même de l’action dans une logique de l’hétéronomie, que c’est consentir à perdre l’initiative sans jamais être positivement sûr de pouvoir la reprendre et finalement remettre son sort à ce qui ne dépend pas de nous ?"

    "Quelle soit collective ou individuelle, la virtù est d’abord un surplus d’énergie. Cependant, force est d’admettre que tout Prince doit, en sus de ses qualités d’énergie, savoir déployer une habilité manœuvrière dans le choix de ses alliances, une prudence consommée, un art de masquer ses intentions, autant de talents qui relèvent de l’esprit. Si donc la virtù est énergie vitale, elle est aussi tout autant intelligence."

    "Aucune maxime d’action ne peut tenir lieu d’action idéale, c’est-à-dire se prévaloir d’une efficacité absolument inconditionnelle. Toute l’attention que l’on pourra porter à l’étude des hauts faits guerriers qu’offre l’histoire ne permettra pas de ramener la question des conditions du succès des affaires politiques à une réponse unique."

    "Le nouveau prince doit s’efforcer de s’adapter au caractère des temps, ce qui suppose une compréhension herméneutique de la réalité sociale et historique à l’intérieur de laquelle il veut insérer son action."

    "La véritable antithèse n’est pas entre la prudence et l’impétuosité, mais entre un style d’action puisant à la virtù et un autre, non [...] En tant qu’elle est une certaine manière de donner du tranchant à l’action, soit par la ruse, soit par le recours à une violence inhumaine, la virtù est le sel de toute entreprise politique."

    "Si la virtù peut être conçue comme principe informateur, c’est parce que tout état de choses peut offrir, à titre de matière, une prise aux passions humaines. Le concept de virtù n’a de sens qu’à cette condition. Puisque la métaphore sexuelle plaide clairement pour une union de la fortune et de l’homme, il appartient à l’habile et vigoureuse virtù d’extorquer à la fortune toute l’aide nécessaire pour la réalisation de ses desseins."
    -André Rélang, La dialectique de la fortune et de la virtù chez Machiavel, « La dialectique de la fortune et de la virtù chez Machiavel », Archives de Philosophie, 2003/4 (Tome 66), p. 649-662. DOI : 10.3917/aphi.663.0649. URL : https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2003-4-page-649.htm



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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