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    Antoine Bevort, Le Paradigme de Protagoras

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Antoine Bevort, Le Paradigme de Protagoras Empty Antoine Bevort, Le Paradigme de Protagoras

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 14 Jan 2015 - 21:30

    http://socio-logos.revues.org/110

    "Protagoras apparaît, ainsi que Kerferd (1981) le souligne comme le père du contrat social, le penseur de la démocratie radicale, le premier sociologue, un pédagogue et un théoricien de l'éducation… Malheureusement seuls quelques fragments de ses écrits sont parvenus jusqu’à nous. Platon est donc un passeur obligé à la pensée de Protagoras."

    "Originaire d'une cité grecque de la côte thrace, Abdère, Protagoras est né vers 490-485. Pour les uns, il serait le fils d'un riche noble de la cité d'Abdère, pour les autres, il serait d'origine plus modeste au point d'être contraint à exercer le métier de portefaix. Il aurait été, aux débuts de sa vie, élève de Démocrite. Protagoras vécut assez largement du revenu de ses leçons et conférences qu'il fait payer fort cher. Il aurait rencontré et travaillé pour Périclès vers 444 – 443 à la rédaction des lois d'une cité que les Grecs fondaient en Italie."

    "La démonstration convainc Socrate, qui reconnaît que jusqu'ici il avait toujours cru qu'il n'existait pas d'activité humaine susceptible de « conférer leur mérite aux gens de valeur » mais Protagoras l'a éclairé, la vertu s'apprend. [...] En arrivant à la conclusion que la vertu peut s'enseigner, le dialogue réfute le point de vue de Socrate mais aussi celui de Protagoras en établissant que tout est science, la justice, la tempérance, le courage. Si la vertu ainsi que le soutenait Protagoras était autre chose qu'une science, on ne pourrait en effet l'enseigner."

    "Bernard Williams (1998-2000 : 22-23) observe que si Platon est largement responsable de la mauvaise réputation des sophistes, il « éprouvait envers Protagoras un respect marqué et authentique », et que, « quoi qu’elle soit contraire à ses propres thèses, il expose la théorie de Protagoras sous une forme intelligente et convaincante ». Malgré la complexité du débat, les pièces de ce dossier, - notamment celles que Monique Trédé et Paul Demont ont réunies (1993) - plaident fortement en faveur de la thèse selon laquelle la pensée de Protagoras aurait été ici correctement rendue."

    "Selon Duchemin (1972 : 19-21), le mythe de Prométhée, trouve son origine « dans les panthéons suméro-babyloniens, sans qu’il y soit un dieu du feu. » Le dieu de Sumer et d’Akkad Ea-Enki « créa les hommes et les protégea de tout mal, en particulier de la colère des autres dieux » Dans ce mythe originel, il s’agit bien d’un dieu à la fois créateur et bienfaiteur de l’humanité, deux dimensions qui vont être inégalement soulignées, mises en avant par les auteurs grecs qui vont reprendre ce mythe.

    Dans la tradition telle qu’on la connaît notamment à travers Hésiode et Eschyle, observe Jacqueline Duchemin, on retrouve des légendes voisines, dans lesquelles le dieu Ea-Enki prend le nom de Prométhée, et est présenté essentiellement comme le protecteur de l’humanité, un dieu bienfaiteur « le Voleur du Feu, ou, plus exactement sans doute, celui qui donna le feu aux hommes ».

    Le poète Hésiode (VIIIe –VIIe siècles avant J.-C.) a écrit au moins deux versions du mythe dont l'une se trouve dans sa Théogonie (Naissance des dieux) et l'autre dans Les Travaux et les Jours. Vers le milieu du Vè siècle, Eschyle consacre une trilogie aux combats de Prométhée contre Zeus dont on ne connaît que le Prométhée enchaîné. Le Titan y apparaît comme le dieu qui seul osa s’opposer à la volonté de Zeus « d’anéantir la race humaine » en leur donnant « tous les arts des mortels ». « Seul, j’ai eu cette audace ; j’ai libéré les hommes et fait qu’ils ne sont pas descendus dans l’Hadès » (Eschyle cité par Duchemin : 75). C’est cette présentation qui est l’origine « de ce que nous appelons encore l’attitude prométhéenne, la révolte devant la souffrance injuste et le problème du mal » (Duchemin : 80)."

    "Qu’est-ce que l’art politique ?
    En grec, comme le soulignent les traducteurs Monique Trédé et Paul Demont (p 78), le texte lui-même part de la notion de technè pour arriver à celle de arétè, c’est-à-dire d’un art, d’une technique à celle d’une excellence, à la vertu. Cette excellence renvoie à la fois à l’activité politique, c’est-à-dire à la capacité de diriger en acte et en parole la vie publique, et à des qualités, des dispositions : le respect et la justice. Protagoras précise aussi que tout le monde est doté de ces qualités.

    Étymologiquement, le mot politique ne renvoie pas seulement à la cité mais aussi à la capacité d'un groupe d'hommes de former une communauté, à l'art de vivre ensemble (Rey, Alain, 1992). C'est une qualité nécessairement partagée, en tout cas par ceux qui bénéficient du statut de citoyen et qui fondent le pacte politique. « L’art politique » constitue la convention fondatrice des communautés humaines selon Protagoras. Il représente une forme de « contrat social » avant la lettre. Que désigne cet art ? [...] « L’art politique est pour l’essentiel maniement du langage » (Vernant, 1962 : 44-45). Ce qui fait la force et la modernité de la thèse développée selon Platon par Protagoras est la double référence à l’action et à la parole."

    "La politique ne relève pas seulement de la raison, n’est pas un savoir, mais concerne la possibilité toujours précaire de l'action commune, de choix du bien commun, de la destination. Le logos donne les moyens d’un accord, c’est une ressource informationnelle qui facilite la coordination, la formation des communautés politiques, la publicisation de significations partagées. Mais l’art politique dépend aussi des qualités d'aidôs et de dîkè.

    Le respect et la justice.

    L’art politique, c'est-à-dire la capacité à faire la guerre et à créer des villes, n’est pas pure rhétorique - les hommes qui échouaient à créer des villes possédaient la parole -, mais le fait que les hommes - tous les hommes – sont dotés de respect et de justice, ou du moins que tous les hommes doivent paraître prendre en compte ces qualités.

    L’art politique est une morale au sens d’un « système des règles que l’homme suit (ou doit suivre) dans sa vie aussi bien personnelle que sociale » (Weil, 1974).Il suppose un accord sur des règles du jeu. C’est l’Aidôs et la Dîkè qui font tenir ensemble les hommes."

    "L’eunomia : la répartition équitable des charges, des honneurs, du pouvoir entre les individus et les factions qui composent le corps social."

    "Protagoras affirme avec force que dans une communauté politique, tous les citoyens ont une égale compétence politique. [...] Protagoras s'affirme ainsi comme un penseur radical de la démocratie, le critique radical du roi philosophe."

    "C’est dans cette capacité d’un groupe à former une communauté et à agir ensemble que gît la dimension politique de la vie sociale dont le pouvoir n’est que l’expression."

    "Le politique concerne le monde des affaires communes, publiques, la res publicae. Avant même de désigner un ordre de commandement, avant que ne se pose les questions du pouvoir ou du gouvernement, le politique traite de l'agir en commun, des modes de structuration de l'action collective. Audard, dans son Introduction à Rawls (1993 :16), Justice et démocratie, définit ainsi le politique « comme l'apparition dans la société d'une sphère d'intérêts nouveaux qui ne se réduit pas à l'addition des intérêts particuliers. Ce sont ceux de la "communauté" comme telle et de sa survie, c'est-à-dire en d'autres termes, le “bien commun “ »."

    "Le premier enjeu de l'action collective n'est-il pas la constitution du collectif, de l'identité collective ? L'action collective ne résulte pas de l'identité, elle la fonde, elle construit cette identité, comme elle élabore les « intérêts collectifs », non pas simple addition d'intérêts individuels mais fruits d'un compromis social, d'une convention constitutive, de reconnaissance réciproque de « respect » et de « justice ». Le statut social comme la reconnaissance sociale apparaissent à cet égard comme des biens typiquement collectifs, qui bénéficient à tous les membres du groupe indépendamment de leur contribution. [...]
    Le groupe naît de la reconnaissance (construction) d'intérêts communs, d’identités partagées, de la capacité collective à se coordonner, à s’imposer des règles de vie en commun. En partant de la pluralité, ce n'est pas le désordre par rapport à l'ordre, l'anomie par rapport à la régulation, c'est bien l'ordre qui apparaît paradoxal, qu'il soit ordre issu de contraintes, déterminations communes ou ordre émergent de l’interaction d'individus égoïstes. Ni la nature humaine, ni la contrainte, ni l’intéressement n’expliquent la formation des communautés. [...]
    On ne se rassemble pas parce qu'on se ressemble, mais on se ressemble parce qu'on se rassemble. [...]
    L'existence politique de l'homme, des hommes fait problème. Elle est le problème humain parce que les hommes peuvent faire défection. Ni la poursuite de leurs intérêts ni la religion ne permettent de surmonter les comportements opportunistes. C'est l'art politique qui leur permettra de surmonter la méfiance réciproque, de limiter la tricherie, de faire la guerre et de créer des cités stables. C'est avec le respect et la justice qu'ils atteignent une certaine coopération."

    "Les institutions politiques sont des modes de coordination stabilisées."
    -Antoine Bevort, « Le Paradigme de Protagoras », Socio-logos [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 29 mars 2007, consulté le 18 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/socio-logos/110 ; DOI : https://doi.org/10.4000/socio-logos.110




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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