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    Jean Brun, Le mal. Suivi de Sombres "Lumières"

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jean Brun, Le mal. Suivi de Sombres "Lumières" Empty Jean Brun, Le mal. Suivi de Sombres "Lumières"

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 31 Mai - 15:47

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Brun_(philosophe)#cite_note-25

    "Jean Brun met en cause l’entreprise philosophique dans son hybris qui est celle de vouloir donner à l’homme la clef de l’existence. Il se dresse même contre l’appareil conceptuel qui se voudrait être une mainmise de l’homme sur sa propre réalité (l’étymologie le dit clairement : « concept » du latin « capio », prendre, attraper, capturer; « Begriff », donc saisie), mais qui abolit au fond l’existence individuelle et débouche sur les totalitarismes qui broient les vies – c’est pourquoi il a recours à un langage plutôt métaphorique, d’une émouvante délicatesse poétique, qui effleure les mystères sans les déflorer, qui suggère et laisse intacte la complexité du vécu."

    "Ce qui caractérise les temps modernes en général et tout particulièrement l’époque actuelle, c’est la tentative grandiose de l’homme de « s’arracher à sa propre essence et à sa propre existence », d’« abolir les données irréductibles de la condition humaine », de maîtriser sa vie et de « transformer son statut de créature en celui de Créateur ». L’essor inouï de la technique, la maîtrise apparente de l’espace et du temps – toute cette entreprise prométhéenne et icarienne, toute cette exaltation du « faire » qui plonge ses racines dans des mythes immémoriaux – ne fait que répondre au désir obscur de l’homme de se libérer par ses propres forces de l’existence donnée, de son poids, de ses limites, de sortir du labyrinthe, de gagner le large, de « se sauver » au double sens du mot. Pour l’homme « riche » (au sens évangélique du terme, c’est-à-dire qui croit pouvoir se passer du Salut), riche de son savoir, de son pouvoir, de ses promesses, le mal de l’existence revêt l’aspect d’un problème pour ainsi dire « de méthode », à même d’être résolu par la raison et les instruments qu’elle forge (par des outils nouveaux, par des techniques d’organisation, par des systèmes politiques, par des thérapeutiques psychologiques, etc.). Dans cette perspective qui remonte à la philosophie antique, le mal n’est pas radical ; il est une « maladie guérissable », car il se réduit à l’ignorance. Une telle vision de la vie et du monde est un déni de la Chute."

    "Au tréfonds de son cœur l’homme porte la blessure de la séparation, la marque d’« un Manque originaire et constitutif » qu’il éprouve comme un indéfini « mal du pays », d’un pays inconnu, d’un « ailleurs » et comme le sentiment de se trouver étranger au monde et inaccompli."

    "Ignorant sa destination finale, se vouant à l’horizontalité, l’homme est condamné à être fondamentalement désorienté, en proie au relativisme. Car se prenant pour « la mesure de toute chose », refusant d’être mesuré, l’homme ne saurait admettre l’existence des « universaux » (le Vrai, le Bien, le Beau), « transcendantaux » qui, comme l’indique le mot, ne sont pas de son invention."

    "Divinisation dont fait l’objet la multitude chez Comte, Durkheim ou Marx."

    "D’aucuns pourraient être surpris par le fait que l’auteur ne donne aucune définition du mal, qu’il se refuse même à en fournir une. C’est justement cette absence de définition qui nous plonge au cœur de sa pensée, car définir, préciser, cerner, marquer les limites d’un contenu, c’est une démarche du Connaître qui crée une illusion de puissance. En tant que concept le mal pourrait être « saisi » et donc maîtrisé. Or, le mal se dérobe à toute « prise » – il est « ce » devant lequel nous sommes impuissants, l’écueil sur lequel s’échouent toutes les tentatives de l’homme de se sauver soi-même. Il n’y aura donc pas de définition, il y aura, en revanche, une action de montrer la réalité et la présence du mal (présence et non pas « privatio boni », simple absence de bien), de suggérer une puissance spirituelle redoutable, un « insondable mystère »."

    "Insister sur le mal radical comme le fait Jean Brun, c’est réveiller la conscience morale engourdie de l’homme moderne, le rappeler à lui-même, l’éveiller à son inquiétude cachée, à son affliction et son indigence inavouées afin de le rendre capable d’entendre la parole de l’affranchissement, de s’ouvrir à l’Espérance – car « ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades » (Mt 9,12)."
    -Monica Papazu, Préface à Jean Brun, Le mal. Suivi de Sombres "Lumières", Artège, 2013.

    => débilité de la droite chrétienne: prétendre parler de ce qu'on a nier pouvoir comprendre.

    "La grande nouveauté des temps modernes réside en ceci que ce n’est plus seulement dans le domaine des passions, avec leur cortège de cruautés mentales, de crimes et de guerres, que l’on assiste au déferlement de maux où triomphe le Mal; l’accroissement de la puissance des techniques issues des sciences de la nature et de celles de la vie, ainsi que l’élargissement de leurs champs d’applications, conduisent en effet à se demander si les progrès du savoir et du pouvoir ne devraient pas être accompagnés de mesures de protection à l’égard de l’homme et de la nature elle-même menacés par les effets pervers des entreprises soucieuses de maîtriser celui-ci et celle-là. En témoignent les discussions gravitant autour de la bioéthique et de l’écologie, ainsi que les précautions prises pour concilier informatique et liberté.

    Par conséquent, on reconnaît implicitement que des thérapeutiques peuvent devenir pathogènes et que les remèdes portent en eux de quoi remettre en question l’efficacité des guérisons qu’ils opèrent. Et nous voilà au rouet : l’homme se trouve de nouveau tragiquement confronté à lui-même et à ses œuvres. [...]
    le drame est que nous ne pouvons combattre l’Intolérable en restant innocents. Pour venir à bout de la violence et de la guerre, il faut utiliser une contre-violence ou déclarer la guerre à la guerre, ce qui revient à recourir à ce que l’on dénonce afin de pouvoir en triompher. Et nous voilà à nouveau au rouet, l’homme étant derechef confronté à lui-même et à ses œuvres.

    Ainsi donc, d’une part, toute tentative pour récuser l’idée du Mal témoigne d’un aveuglement qui se prend pour une extralucidité et, d’autre part, tout effort pour le vaincre par l’action aboutit à faire resurgir autrement ce que l’on voulait détruire. [...]
    Autour et au-dedans de lui-même, l’homme demeure l’artisan de ce qu’il doit toujours combattre sans jamais pouvoir en venir à bout."

    "La tentation ne se réduit pas à l’hésitation; hésiter sur le chemin à prendre à un carrefour implique que l’on ne sache pas quel est le « bon » chemin; être tenté implique, au contraire, que l’on se sente attiré par ce que l’on sait être le « mauvais » chemin, c’est-à-dire celui dont on ignore où vraiment il conduit. Vertige de la liberté, comme le dit Kierkegaard, la tentation est également un vertige de la connaissance."

    "En quoi consiste donc le « mauvais » chemin ? En ceci que nous attendons du connaître qu’il nous fournisse de l’être et qu’il nous permette de nous dépouiller de ce qui est, c’est-à-dire de l’autre et de nous-mêmes. Le vertige vient de la promesse d’une connaissance dont nous attendons de l’être, cette attente se trouve bien traduite dans l’expression courante faire une expérience, cette expérience est celle d’une connaissance dont nous pensons qu’elle débouchera sur « de » l’être et qu’elle fera de nous des dieux fabricants d’être, fabrication qui implique un refus de ce qui est déjà."

    "Nous ne pourrons jamais savoir ce que l’autre pense ni connaître ce qu’il ressent. Connaître l’autre en l’identifiant revient à le décrire à l’aide d’attributs également utilisables pour de nombreux individus qui relèvent des mêmes catégories rationnelles, donc à le décrire de l’extérieur en fonction de ce qu’il a de commun avec d’autres, et par conséquent en fonction de ce qu’il n’est pas, ce qu’a fort bien dit Bergson faisant le procès de l’analyse."

    "[Dans la tentation] est demandé à la connaissance non pas de s’attacher à l’être, mais au contraire de s’arracher à lui pour faire surgir du il y a.

    En cela, la tentation est désir de transgression, non pas transgression d’un interdit qu’il suffirait d’abolir pour que la tentation disparût; mais désir de transgresser le réel et d’en franchir par conséquent les bornes. C’est pourquoi la tentation se présente comme une volonté de violer toutes les lois, de se situer en marge."

    "Il s’agit donc non pas de partir de l’être pour aller vers le connaître, mais de quitter l’être pour demander au connaître de faire surgir ce qui n’est pas et que l’être n’est pas."

    "Toujours intellectualiste, jusque dans son irruption même, la tentation s’organise aujourd’hui dans une recherche technique qui demande à la science de nous affranchir du réel et de nous faire connaître une réalité virtuelle. Mais avant d’aborder ce point important, il convient de se pencher sur l’expérience du rêve où la tentation se déploie en franchissant les portes du réel.

    Dans sa conférence de mars 1901 sur le rêve, Bergson, qui cite Alfred Maury et le marquis Hervey de Saint-Denys, insiste sur cette idée que « avec rien le rêve ne fait rien »; le rêve est, en effet, construit à partir de sensations visuelles, auditives, tactiles, coenesthésiques et à l’aide de souvenirs qui remontent à la surface lorsque les nécessités de l’action ne contraignent plus la conscience à ne choisir que les souvenirs nécessaires, d’où la formule de Bergson « le moi qui rêve est un moi distrait qui se détend ». Lors de la publication de sa conférence, Bergson précisa que, à l’époque où il prononça celle-ci, l’ouvrage de Freud avait paru mais que la « psycho-analyse était très loin de son développement actuel ».

    Tout le mérite de Freud fut de ne pas réduire le rêve à un simple fait psycho-somatique, au cours duquel la conscience se désintéresserait du réel, mais de voir en lui une expérience profondément vécue dans laquelle était impliquée toute la vie passée, présente et future de la conscience. Refus des frontières physiques et sociales du réel, le rêve est cet épisode de l’existence pendant lequel le désir d’abolir les horizons franchit les murs de ce qui est.

    Le matérialisme marxiste avait senti que le freudisme, malgré qu’il en eût, impliquait tout le vécu d’une intériorité qui se débattait avec elle-même et que, en tant que tel, il « devait » être éliminé au profit de la psychologie des réflexes de Pavlov. Certes, on trouve souvent chez Freud une scolastique clinique où les arbres empêchent de voir la forêt, mais, en mettant l’accent sur le symbolisme du rêve, Freud eut le génie de lire dans ce symbolisme tout autre chose que des associations anarchiques d’images. Il alla chercher « la clef des songes » ailleurs que dans les superstitions des oniromanciens ou dans les associationnismes des psychologues à courte vue, mais dans ce bouleversement au cours duquel la conscience tente de trouer les mailles de son filet spatio-temporel ou de se dépouiller d’une réalité qui ne fait qu’un avec sa peau. Freud comprit également que les mots d’esprit, l’humour, l’ironie, tout comme les lapsus, entretenaient des relations profondes avec « l’inconscient » et mettaient au jour ce qui était enfoui dans la conscience."

    "Aujourd’hui, notre monde voué aux machines, dans lesquelles nous avons projeté nos phantasmes de délocalisation, de vol, de créations de présences nouvelles, appelle sirène le bruit fait par des appareils construits pour émettre des signaux d’alerte ou de ralliement. Mais, récemment, les sirènes ont pris corps dans ces images de synthèses calculées sur des écrans d’ordinateurs, projetées comme des hologrammes, devenues des réalités virtuelles auxquelles nous demandons de nous procurer des « rencontres du troisième type » dans un cyberespace.

    Ces réalités virtuelles constituent l’aboutissement de trois inventions sous-tendues par un même désir. Tout d’abord celle du dessin animé qui permet de fabriquer des paysages et des créatures qui ne sont la reproduction cinématographique d’aucun site existant ni d’aucun personnage vivant. Ensuite l’invention des hologrammes qui, beaucoup plus « réalistes » que la stéréophotographie, permettent de faire le tour d’une image, de la voir libérée de toute surface et comme suspendue dans l’espace. Enfin, la construction de ces simulateurs de vol grâce auxquels des pilotes apprennent à diriger un avion dans les circonstances les plus diverses fidèlement reconstituées virtuellement par la machine. Si l’on ne retient que l’aspect technique d’un tel simulateur destiné à des applications pratiques d’apprentissage, on passe entièrement à côté de sa charge métaphysique et de ses promesses fascinantes. Car il est de plus en plus demandé aux machines, nées de rêves désireux de traverser le réel, de nous fournir des rêves et du transréel grâce auxquels nous pourrions passer au travers de nous-mêmes.

    Un virage d’une importance considérable a été opéré avec la construction des réalités virtuelles; l’image traditionnelle impliquait l’enregistrement d’une trace visuelle et sonore laissée par un être préexistant et appartenant au monde réel; l’image de synthèse, au contraire, ne reproduit aucune réalité, aucun être qui lui préexisterait. Au monde réel, elle substitue un univers virtuel où prolifèrent de multiples hybridations avec la réalité. Les images de synthèse ne sont pas seulement « utopiques » au sens étymologique du terme en ce sens qu’elles ne reproduisent aucun lieu, elles sont également uchroniques puisqu’elles diffèrent totalement d’un temps-mémoire fixé par la photographie, le cinéma ou la télévision et réactualisable de façon toujours identique. Un « infosculpteur » peut présenter des sculptures imaginaires de formes en perpétuelle métamorphose libérées dans un espace où la pesanteur n’a plus d’effets et dans lesquelles, en outre, les structures internes des matériaux sont sans cesse générées. Ainsi est née la « Fabrication Assistée par Ordinateur » (F.A.O) à côté de la P.A.O. (Publication Assistée par Ordinateur). De nombreuses applications pratiques sont devenues courantes; c’est ainsi que la construction de réalités virtuelles permet de visiter des bâtiments qui n’existent plus ou des bâtiments qui n’ont pas encore été construits; les architectes et les urbanistes recourent à de tels procédés en insérant visuellement, çà ou là, des monuments à l’état de projet dans la topographie d’une cité bien réelle afin de juger de l’effet produit par ces nouveaux édifices que l’on peut placer virtuellement dans tel ou tel quartier."
    -Jean Brun, Le mal. Suivi de Sombres "Lumières", Artège, 2013.

    "« [O]n veut nous instruire d’une liberté qui est sans Dieu dans le monde [Ep 2,12]. […] [O]n s’est avisé […] de déposer Dieu pour établir l’homme – dirons-nous dans ses droits ? non, inutile, Dieu l’a déjà fait – mais dans les droits de Dieu dont la place reste ainsi vacante une fois qu’on l’a congédié. À coup sûr, pareille témérité aura dans la réalité pour résultat de réduire toujours plus toute l’existence au doute, ou d’en faire un tourbillon. […] Comme […] nul n’est au-dessus de son voisin, mon arbitraire a tout loisir de décider à qui je me joindrai dans mon appréciation du bien suprême […]. Il est de même laissé à mon arbitraire de faire de l’exigence de la loi aujourd’hui telle chose, et demain, telle autre. […] Ou encore, pour décider, suffirait-il de l’union d’une foule de gens, d’un certain nombre de voix ? […] La vie morale est-elle donc soumise à l’arbitraire au point que l’injustice commise par un grand nombre d’hommes, sinon par tous, devienne la justice ? […] L’existence n’a de sérieux, de sens, de vérité et de réalité que lorsque tous et chacun en particulier nous recevons, si j’ose dire, notre mot d’ordre d’un seul et même lieu et que nous obéissons inconditionnellement, chacun en ce qui le concerne, au seul et même commandement. […] Quand il est ainsi, l’ordre règne dans l’existence régie par Dieu ; elle n’est pas un tourbillon […] »
    -KIERKEGAARD, Les Œuvres de l’amour, OC XIV, pp. 105–108.




    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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