http://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2011/01/Lindividualisme-m%C3%A9thodologique.pdf
"L'individualisme méthodologique, dénomination pour la première fois explicitement utilisée au début des années 1940 par Friedrich Hayek puis par Karl Popper dans des articles d'Economica." (p.4-5)
"Alors qu'il occupe en effet depuis toujours une place de choix dans la réflexion épistémologique anglo-saxonne (Mandeville, Adam Smith...) et germanique (Menger, Mises, Weber...), l'individualisme méthodologique a quasiment été le grand absent des sciences sociales en France pendant les trois premiers quarts du XXème siècle en raison de l'hégémonie qu'y avait prise la tradition sociologique durkheimienne d'inspiration holiste ensuite renforcée par la prégnance des postulats déterministes du marxisme. Cependant, en bénéficiant depuis 1975 environ du déclin idéologique de celui-ci et de la dynamique concomitante de ce qu'on a pu appeler le retour de l'individu ou de l'acteur, la méthode individualiste y a enfin acquis droit intellectuel de cité que ce soit en sociologie (avec les multiples publications remarquées de R. Boudon et Fr. Bourricaud), en économie (avec la percée des « nouveaux économistes » d'inspiration néo-libérale), en politologie (avec la somme de Sur l'individualisme, sous la direction de Pierre Birnbaum et Jean Leca) ou dans le domaine de la pure réflexion épistémologique (avec les travaux de J.-P. Dupuy). Ce tournant s'est d'ailleurs manifesté avec éclat sur le plan de l'édition avec la (re)parution de traductions des grands ouvrages classiques de Mises, Weber, Simmel, Hayek et Popper ainsi que de commentaires éclairants sur leur méthodologie." (p.5-6)
"L'élaboration théorique explicite de l'individualisme méthodologique ne commence à intervenir qu'à la fin du XIXème siècle avec des auteurs tels que C. Menger, M. Weber ou Tarde." (p.23)
"Apport bien sûr de premier ordre de Max Weber (1864-1920) à l'édification théorique de l'individualisme méthodologique puisque les principaux ouvrages dans lesquels il expose ses thèses à ce sujet ont été publiés en 1913 (Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive) puis 1922 (Économie et société). Mais ce retour chronologique en arrière s'impose sans incohérence du fait que malgré une grande parenté d'inspiration subjectiviste avec la tradition « autrichienne » (pour lui aussi, il est possible et nécessaire de fonder les sciences sociales sur la compréhension de la signification intentionnelle des actions individuelles), Weber n'y appartient pas du point de vue « généalogique » et géographique. Il s'en distingue même épistémologiquement sur plusieurs points importants: moindre insistance sur le caractère non attendu et non intentionnel des régularités sociales produites par l'activité humaine." (p.63)
"Dans la mesure où elle constitue l'objet principal de Misère de l'historicisme et par suite l'axe central de la nécessaire redéfinition de la méthodologie des sciences sociales, la critique popperienne du holisme se révèle bien plus soutenue et argumentée que chez les autres « pères fondateurs » de l'individualisme méthodologique. Ramenant sans cesse les thèmes holistes aux présupposés et finalités idéologiques qui les imprègnent (leur connexion avec le collectivisme et le totalitarisme lui paraît clairement établie), Popper ne se contente pas de dévoiler et dénoncer l'illusion épistémologique qu'implique la description des phénomènes sociaux en termes de touts: il met fondamentalement en cause le postulat selon lequel « le groupe social est plus que la simple somme totale de ses membres et il est aussi plus que la simple somme totale des relations purement personnelles qui existent à n'importe quel moment entre n'importe lesquels de ses membres ».
La réfutation commence en récusant la pertinence même de l'usage de la notion de tout qui paraît des plus ambiguës et imprécises à Popper lorsqu'on la
transfère dans le domaine des sciences sociales -alors qu'il apparaît légitime en sciences naturelles à propos des organismes vivants. S'agissant du social, la description d'un phénomène comme constituant un tout est d'autant plus arbitraire qu'elle résulte toujours d'un procédé d'abstraction sélectionnant certains aspects du réel au détriment d'autres: l'idée même qu'il pourrait exister des touts sociaux précisément isolables est dépourvue de toute validité scientifique. Par suite, affirmer que le tout est plus que la somme de ses parties ou bien renvoie à la plus plate des banalités puisque personne n'a jamais
contesté que dans la description d'un phénomène, il faille tenir compte des relations entre les parties et composantes élémentaires -ou bien revient à faire du tout social un nouvel objet réel, autonome, délimitable et transcendant, et l'on se retrouve en plein confusionnisme dissimulant le fait majeur que les phénomènes (ou touts) sociaux ne sont alors jamais que des constructions abstraites spontanées de l'esprit humain autant dénuées de rigueur que d'assise empirique." (p.73-74)
"Cette approche « nominaliste » (selon ses propres termes) ne limite cependant pas les atomes individuels au strict état d'êtres isolés et séparés les uns des autres à la manière de monades autosuffisantes. Sans cesse, Popper souligne que les atomes en cause sont des individus engagés dans de multiples relations de réciprocité agissante avec les autres et que c'est à ce niveau que se trouvent les éléments concrets obtenus par la réduction analytique." (p.76)
"Même si Bourdieu sait finalement échapper à la logique d'un déterminisme total en avançant que les « agents » peuvent éventuellement et partiellement déterminer la situation qui les détermine en prenant conscience des déterminations qui « pèsent » sur eux, on aboutit bel et bien à la définition d'une théorie foncièrement déterministe du social: les « positions » induites par le « champ » imposent des déterminations aux agents qui intériorisent un type déterminé et déterminant de « conditions sociales et économiques » et qui sont les « produits de l'histoire du champ social » érigé en englobant agissant. Ce qui exclut de manière drastique toute possibilité de production de l'ordre social (même non délibérée) par des acteurs dotés d'une subjectivité intentionnelle leur permettant relativement de s'autodéterminer et de fixer leurs propres fins." (p.88-89)
"C'est à Raymond Boudon qu'est revenu le mérite d'avoir fait connaitre mais aussi intellectuellement reconnaitre l'individualisme méthodologique en France. Il a proposé une synthèse (d'inspiration weberienne avouée) de sa riche tradition en la resituant dans sa véritable perspective épistémologique -qui se veut définitivement distincte de l'atomisme et du psychologisme. Objet de toute son œuvre, la défense et l'illustration de la validité de la méthode individualiste présente toutefois certaines particularités par rapport au corps doctrinal des « pères fondateurs ». Elle intègre ainsi utilement plusieurs objections recevables et qui furent à l'origine de malentendus, à propos par exemple de la conception de la rationalité (ici élargie) et de la présocialisation
de l'action individuelle (ici admise). R. Boudon propose d'autre part un éventail assez diversifié d'exemples de situations et de phénomènes sociaux précis interprétables, voire rendus exclusivement explicables par l'approche individualiste." (p.108)
-Alain Laurent, L'individualisme méthodologique, PUF, coll.Que sais-je ?, 1994, 128 pages.
"L'individualisme méthodologique, dénomination pour la première fois explicitement utilisée au début des années 1940 par Friedrich Hayek puis par Karl Popper dans des articles d'Economica." (p.4-5)
"Alors qu'il occupe en effet depuis toujours une place de choix dans la réflexion épistémologique anglo-saxonne (Mandeville, Adam Smith...) et germanique (Menger, Mises, Weber...), l'individualisme méthodologique a quasiment été le grand absent des sciences sociales en France pendant les trois premiers quarts du XXème siècle en raison de l'hégémonie qu'y avait prise la tradition sociologique durkheimienne d'inspiration holiste ensuite renforcée par la prégnance des postulats déterministes du marxisme. Cependant, en bénéficiant depuis 1975 environ du déclin idéologique de celui-ci et de la dynamique concomitante de ce qu'on a pu appeler le retour de l'individu ou de l'acteur, la méthode individualiste y a enfin acquis droit intellectuel de cité que ce soit en sociologie (avec les multiples publications remarquées de R. Boudon et Fr. Bourricaud), en économie (avec la percée des « nouveaux économistes » d'inspiration néo-libérale), en politologie (avec la somme de Sur l'individualisme, sous la direction de Pierre Birnbaum et Jean Leca) ou dans le domaine de la pure réflexion épistémologique (avec les travaux de J.-P. Dupuy). Ce tournant s'est d'ailleurs manifesté avec éclat sur le plan de l'édition avec la (re)parution de traductions des grands ouvrages classiques de Mises, Weber, Simmel, Hayek et Popper ainsi que de commentaires éclairants sur leur méthodologie." (p.5-6)
"L'élaboration théorique explicite de l'individualisme méthodologique ne commence à intervenir qu'à la fin du XIXème siècle avec des auteurs tels que C. Menger, M. Weber ou Tarde." (p.23)
"Apport bien sûr de premier ordre de Max Weber (1864-1920) à l'édification théorique de l'individualisme méthodologique puisque les principaux ouvrages dans lesquels il expose ses thèses à ce sujet ont été publiés en 1913 (Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive) puis 1922 (Économie et société). Mais ce retour chronologique en arrière s'impose sans incohérence du fait que malgré une grande parenté d'inspiration subjectiviste avec la tradition « autrichienne » (pour lui aussi, il est possible et nécessaire de fonder les sciences sociales sur la compréhension de la signification intentionnelle des actions individuelles), Weber n'y appartient pas du point de vue « généalogique » et géographique. Il s'en distingue même épistémologiquement sur plusieurs points importants: moindre insistance sur le caractère non attendu et non intentionnel des régularités sociales produites par l'activité humaine." (p.63)
"Dans la mesure où elle constitue l'objet principal de Misère de l'historicisme et par suite l'axe central de la nécessaire redéfinition de la méthodologie des sciences sociales, la critique popperienne du holisme se révèle bien plus soutenue et argumentée que chez les autres « pères fondateurs » de l'individualisme méthodologique. Ramenant sans cesse les thèmes holistes aux présupposés et finalités idéologiques qui les imprègnent (leur connexion avec le collectivisme et le totalitarisme lui paraît clairement établie), Popper ne se contente pas de dévoiler et dénoncer l'illusion épistémologique qu'implique la description des phénomènes sociaux en termes de touts: il met fondamentalement en cause le postulat selon lequel « le groupe social est plus que la simple somme totale de ses membres et il est aussi plus que la simple somme totale des relations purement personnelles qui existent à n'importe quel moment entre n'importe lesquels de ses membres ».
La réfutation commence en récusant la pertinence même de l'usage de la notion de tout qui paraît des plus ambiguës et imprécises à Popper lorsqu'on la
transfère dans le domaine des sciences sociales -alors qu'il apparaît légitime en sciences naturelles à propos des organismes vivants. S'agissant du social, la description d'un phénomène comme constituant un tout est d'autant plus arbitraire qu'elle résulte toujours d'un procédé d'abstraction sélectionnant certains aspects du réel au détriment d'autres: l'idée même qu'il pourrait exister des touts sociaux précisément isolables est dépourvue de toute validité scientifique. Par suite, affirmer que le tout est plus que la somme de ses parties ou bien renvoie à la plus plate des banalités puisque personne n'a jamais
contesté que dans la description d'un phénomène, il faille tenir compte des relations entre les parties et composantes élémentaires -ou bien revient à faire du tout social un nouvel objet réel, autonome, délimitable et transcendant, et l'on se retrouve en plein confusionnisme dissimulant le fait majeur que les phénomènes (ou touts) sociaux ne sont alors jamais que des constructions abstraites spontanées de l'esprit humain autant dénuées de rigueur que d'assise empirique." (p.73-74)
"Cette approche « nominaliste » (selon ses propres termes) ne limite cependant pas les atomes individuels au strict état d'êtres isolés et séparés les uns des autres à la manière de monades autosuffisantes. Sans cesse, Popper souligne que les atomes en cause sont des individus engagés dans de multiples relations de réciprocité agissante avec les autres et que c'est à ce niveau que se trouvent les éléments concrets obtenus par la réduction analytique." (p.76)
"Même si Bourdieu sait finalement échapper à la logique d'un déterminisme total en avançant que les « agents » peuvent éventuellement et partiellement déterminer la situation qui les détermine en prenant conscience des déterminations qui « pèsent » sur eux, on aboutit bel et bien à la définition d'une théorie foncièrement déterministe du social: les « positions » induites par le « champ » imposent des déterminations aux agents qui intériorisent un type déterminé et déterminant de « conditions sociales et économiques » et qui sont les « produits de l'histoire du champ social » érigé en englobant agissant. Ce qui exclut de manière drastique toute possibilité de production de l'ordre social (même non délibérée) par des acteurs dotés d'une subjectivité intentionnelle leur permettant relativement de s'autodéterminer et de fixer leurs propres fins." (p.88-89)
"C'est à Raymond Boudon qu'est revenu le mérite d'avoir fait connaitre mais aussi intellectuellement reconnaitre l'individualisme méthodologique en France. Il a proposé une synthèse (d'inspiration weberienne avouée) de sa riche tradition en la resituant dans sa véritable perspective épistémologique -qui se veut définitivement distincte de l'atomisme et du psychologisme. Objet de toute son œuvre, la défense et l'illustration de la validité de la méthode individualiste présente toutefois certaines particularités par rapport au corps doctrinal des « pères fondateurs ». Elle intègre ainsi utilement plusieurs objections recevables et qui furent à l'origine de malentendus, à propos par exemple de la conception de la rationalité (ici élargie) et de la présocialisation
de l'action individuelle (ici admise). R. Boudon propose d'autre part un éventail assez diversifié d'exemples de situations et de phénomènes sociaux précis interprétables, voire rendus exclusivement explicables par l'approche individualiste." (p.108)
-Alain Laurent, L'individualisme méthodologique, PUF, coll.Que sais-je ?, 1994, 128 pages.