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    Vincent Coussedière, Éloge de l'assimilation

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Vincent Coussedière, Éloge de l'assimilation Empty Vincent Coussedière, Éloge de l'assimilation

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 27 Sep - 13:24

    "Ce qui manque singulièrement au débat sur l’immigration, outre la liberté et le courage de ne pas céder aux intimidations de tous bords, c’est la faculté d’étonnement devant le phénomène lui-même, dont personne ne semble vouloir interroger la légitimité et la signification. C’est qu’un gigantesque effort de naturalisation du phénomène de l’immigration a été produit depuis soixante ans. Tout a été fait pour que nous ne nous en étonnions plus. Des milliers de pages de journaux et de livres ont été écrites, des millions de paroles ont été proférées sur cette question, comme si son entente allait de soi, comme s’il ne pouvait être qu’incongru, tabou, de demander : qu’est-ce que l’immigration ?

    Certes, on s’écharpe sur ses conséquences, sur son évaluation quantitative comme sur son impact économique ou démographique, ou encore sécuritaire ou culturel, mais on ne débat pas de la nature du phénomène et de sa signification, qu’on croit connaître. Le débat sur l’immigration, qui oppose immigrationnistes et anti-immigrationnistes, a rarement été un débat sur la signification de l’immigration en elle-même, mais un débat sur les moyens de la poursuivre ou pas, et à quelle échelle. De part et d’autre on partage donc l’idée que l’on sait ce qu’est l’immigration  : la nature du phénomène ne fait pas problème, c’est sa « gestion » qui est en cause.

    Qu’est-ce que l’immigration ? Poser une telle question liminaire ne consiste pas à sacrifier à une marotte de philosophe en quête de l’« essence », mais résulte d’un véritable étonnement. La quasi-totalité des essais que nous avons lus et qui traitent de cette question, quelle que soit leur qualité, médiocre ou grande, et indépendamment de leur perspective disciplinaire ou de la prise de position qu’ils soutiennent, ne problématisent pas le phénomène migratoire, qui semble du domaine de l’évidence et du simple fait bien connu de tous. Historiens, politistes, économistes, démographes, sociologues dissertent sur l’immigration, sur ses causes, ses conséquences, son importance quantitative, les politiques à mener  : assimilationnistes, intégratrices, inclusives, républicaines ou multiculturalistes – sans jamais que le concept même d’immigration soit travaillé et éclairé.

    Il est vrai qu’un tel travail devrait être celui des philosophes, et plus particulièrement des philosophes politiques. Or il faut bien constater que ceux-ci ne se sont guère penchés sur un problème qui occupe pourtant une place centrale dans le débat public depuis plus de quarante ans. Aussi étrange que cela puisse paraître, la philosophie ne s’est intéressée que de manière marginale au problème de l’immigration. Le silence de la philosophie critique sur cette question, abandonnée aux sciences humaines et à l’idéologie, mériterait en soi une réflexion entière. L’enjeu d’une véritable pensée de l’immigration n’est pas, en effet, d’être pour ou contre celle-ci, mais de retrouver une clairvoyance sur ce qu’elle signifie fondamentalement. Il s’agit d’extraire une fois pour toutes la question migratoire du champ polémique et idéologique pour lui donner ses lettres de noblesse philosophiques et politiques. Une telle entreprise, si on veut la mener à bien, exige dans un premier temps de poser quelques questions simples pour sortir de la confusion entretenue autour de l’immigration.

    En réalité, si l’on veut trouver un commencement de définition de la condition de l’immigré et du phénomène de l’immigration, c’est vers les juristes et l’univers du droit qu’il faut se tourner. Un immigré se définit en droit comme un étranger qui vit depuis plus d’un an dans un pays autre que le sien, un pays vers lequel il a émigré pour y devenir immigré. Aucune définition quelque peu substantielle de l’immigration ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur ses deux caractéristiques principales : le fait que l’immigré soit un étranger, le fait que cet étranger possède la particularité, par rapport à d’autres étrangers, de ne pas vivre dans son propre pays mais dans un autre, de manière durable, que ce soit provisoirement ou définitivement. Un étranger qui ne ferait que passer dans un pays, soit pour en gagner un autre, soit pour le visiter et en repartir, serait un simple migrant ou un touriste.

    Qu’est-ce qu’un étonnement politique ? C’est un étonnement qui vient de la nature politique de l’homme. L’homme est un « animal politique », disait Aristote, et c’est parce qu’il est un animal politique qu’il peut s’étonner de l’immigration. En effet, un « animal politique » fait l’expérience d’une différence entre « nous » et les « autres », entre les citoyens et les étrangers, lesquels ne vivent pas sous les mêmes lois, possèdent des mœurs différentes, ne parlent généralement pas la même langue, n’ont parfois pas la même apparence physique ou la même couleur de peau. De plus, l’immigré n’est pas un étranger comme les autres, il n’est pas seulement différent de « nous », mais des étrangers en général, qui, eux, n’ont pas quitté leur propre pays et sont citoyens ou sujets de celui-ci. D’où l’étonnement de l’animal politique, dont la condition repose sur la valorisation et l’attachement au foyer national, sur un sentiment d’appartenance à une communauté politique, sur l’idée naïve que c’est cette appartenance qui permet à l’individu de se construire et de trouver un sens à son existence. L’étonnement devant l’immigration, devant l’étranger qui vit loin de son pays, provient de la conviction du malheur de l’exil, d’une forme de compassion qui repose sur l’intelligence du fait que l’étranger n’est pas seulement celui qui est différent de nous, mais celui qui a quitté la chaleur de son propre foyer national.

    Nous partirons du constat que l’étonnement devant l’immigration que nous venons de développer et les questions simples qui l’accompagnent ne semblent plus possibles aujourd’hui. Il faut donc nous étonner de cette absence d’étonnement devant l’immigration, et cet étonnement au second degré devrait relever de la philosophie politique. Comment se fait-il que l’homme, qui est un animal politique, et donc, pour les raisons que nous avons dites, s’est toujours étonné de l’immigration, ne puisse plus s’en étonner aujourd’hui ? Nous devons ici préciser notre constat : ce qui n’est plus possible, c’est l’expression publique de l’étonnement ; souterrainement, celui-ci reste un phénomène massif dans la population, mais il ne peut s’exprimer publiquement sans être disqualifié immédiatement comme « populiste ».

    Tout semble fait aujourd’hui pour que le caractère « exceptionnel » et étonnant de l’immigration comme phénomène social soit banalisé, naturalisé. Le « fait migratoire » ne devrait plus surprendre personne, ne devrait pas être problématique, ne devrait plus être vu comme l’exception mais comme la règle. Ce renversement de la perception de l’immigration n’est pas un phénomène spontané, issu du peuple lui-même, lequel reste au contraire sceptique et méfiant face à l’immigration (ce qui ne veut pas dire forcément hostile), mais d’une idéologie produite par les intellectuels et les politiques, dont il nous faudra décrire le contenu et les effets, pour pouvoir rouvrir l’étonnement et accéder de manière neuve et stimulante au phénomène lui-même."

    "L’immigration met en relation un citoyen et un étranger, elle suppose donc la distinction du citoyen et de l’étranger, et elle suppose par ailleurs des raisons pour lesquelles l’étranger est entré en relation avec le citoyen : une volonté d’émigrer, un « projet » d’immigration. Or nous verrons que le cœur de l’idéologisation du phénomène migratoire consiste à gommer ces deux caractéristiques essentielles de l’immigration  : le caractère étranger de l’immigré comme l’existence et la nature de son projet d’installation."

    "Nous espérons apporter un éclairage nouveau sur la question de la genèse d’un multiculturalisme à la française, dont nous montrerons que Sartre est la source principale et trop souvent méconnue.

    Dans un deuxième temps nous examinerons la diffusion de l’idéologie migratoire dans la société civile et dans les institutions politiques durant une période qui va de 1974 jusqu’à nos jours. Cette ascension de l’idéologie migratoire vers le pouvoir a traversé toutes les barrières politiques, même si c’est le pouvoir socialiste, sous les deux mandats de François Mitterrand, qui va lui donner un coup d’accélérateur décisif. Nous verrons comment la victoire de la critique radicale de l’assimilation, orientant le pouvoir vers une politique multiculturaliste, va donner naissance à une opposition « républicaine », prônant l’intégration et la laïcité, opposition qui se révélera insuffisante. En effet, faute d’avoir su repenser l’assimilation, et parce qu’il a conservé une forme de mauvaise conscience à l’égard de celle-ci, le républicanisme va poursuivre la chimère d’une intégration qui s’avérera être un échec. La voie sera alors ouverte pour un abandon total de l’assimilation."

    "En faisant abstraction de l’exigence d’assimilation propre à toute société humaine vis-à-vis de ses propres membres, comme vis-à-vis des étrangers, l’idéologie migratoire voudrait déduire une politique des étrangers, non des exigences de l’assimilation, mais de droits attachés à tout individu en raison de sa nature d’homme, de « droits de l’homme ». Or, des droits, pour être réels, ne sauraient être « des droits de l’homme », il leur faut être des droits du citoyen, et c’est par un peuple qu’ils sont reconnus à travers ses représentants et l’exercice de sa souveraineté. La question de l’immigration ne pourra donc être reposée, comme question politique des étrangers, que lorsque les citoyens des démocraties auront retrouvé la souveraineté de leur État."

    "Ce sont donc toujours des peuples qui reconnaissent des droits aux étrangers, et l’assimilation est la condition pour que ces derniers obtiennent par la naturalisation les mêmes droits que les nationaux, sans quoi ils resteront des étrangers. Cela ne veut pas dire qu’ils seront privés de droits, mais qu’ils disposeront de droits spécifiquement prévus pour eux, en tant qu’étrangers. Mais à quoi l’étranger doit-il s’assimiler  ? Nous aurons à reprendre ici la difficile question de l’identité nationale qui tend aujourd’hui à devenir le passage obligé de la réhabilitation d’une politique d’assimilation. Comment parler de la France pour restaurer l’exigence qu’elle devrait être pour tout candidat à l’assimilation ? Sur ce point, il ne faudra pas se contenter d’une simple réaction « identitaire », qui a tendance à tomber dans une forme de piège tendu par l’idéologie migratoire, mais renouer avec l’exigence du programme gaullien de la « grandeur » de la France. La grandeur, c’est à la fois un héritage qui réclame fidélité et gratitude, mais c’est aussi un projet pour l’avenir.

    L’assimilateur – le peuple français – étant réhabilité dans ses « droits » et dans la finalité qu’il poursuit – la France –, il restera à examiner qui peut être assimilé, dans quelle mesure et comment ? Ce ne sont pas des immigrés victimisés qui peuvent être assimilés, mais des étrangers qui ont fait un choix problématique dont ils sont responsables, choix qu’il faut examiner au regard des exigences et de la difficulté du processus d’assimilation, que nous repenserons comme assimilation imitative, à la lumière de la pensée de Gabriel Tarde. Repenser ainsi l’assimilation des étrangers, implique de prendre la mesure de sa rareté et de sa diffi-culté, et implique donc également d’accepter cette vérité qu’il y aura toujours des étrangers."
    -Vincent Coussedière, Éloge de l'assimilation. Critique de l'idéologie migratoire, Éditions du Rocher, 2021.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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