"Pour contrebalancer tant de culture, de beauté, de savoir-vivre et de tradition historique, il faudra bien évidemment aussi s’accommoder du revers de la médaille : les Viennois peuvent être d’une puissante acculture bigote, hypocrite et ronchonne. Mais c’est de ce mélange de l’aigre et du doux que se révèlent toute la saveur de l’esprit et de l’humour viennois, d’un cynisme à toute épreuve.
Si l’on en croit la plume de Werfel, Zweig, Musil ou Kraus, ce savant mélange, sorte d’équilibre cathartique, façonne Vienne depuis plus de 100 ans. Une partie de la population « patriotise » et « idiotise » à tel point qu’il est presque impossible de la prendre au sérieux, tandis qu’en contrepartie, le microcosme artistique viennois (et autrichien) fait émerger une multitude d’écrivains, cinéastes, peintres, caricaturistes ou cabarettistes d’une verve et d’un esprit critique inégalés (Elfriede Jelinek, Ulrich Seidl, Gerhard Haderer, Josef Hader)."
"Vienne a pour moi deux faces, l’une moderne et progressiste, et l’autre démodée et accrochée à ses vieilles certitudes. Elle est à la fois tendance et rétro, une ville-carrefour où se côtoient, depuis toujours, tradition et modernité.
Une autre facette du caractère viennois est mise en lumière par Robert Schindel dans son texte Mein Wien. « Le Viennois est un spectateur de métier. C’est en badaud qu’il assista au spectacle de la guerre de Trente Ans, tout comme à la Révolution française, si lointaine et dont officiellement, il ne savait rien. Le congrès de Vienne bascula sans transition dans une ambiance de salon de musique. Quand je parle du Viennois, je pense au petit-bourgeois, à la classe moyenne, à l’attitude plaintive et en même temps délurée de cette classe de spectateurs qui conditionnera la ville bien plus que les ouvriers et étudiants révolutionnaires de 1848 ou de 1934. »
Pour expliquer ce détachement affiché face aux événements, il est bon de rappeler que le Viennois est le fruit d’une histoire complexe, ponctuée de bouleversements historiques successifs qui auraient pu venir à bout de peuples bien plus résistants. La devise de l’Autriche Biegen, nicht brechen (plier mais ne pas rompre) illustre bien l’instinct de survie que les Viennois doivent à cette faculté."
"Forte de ses 414 km2 et de ses 1,8 million d’habitants, Vienne dispose du statut de grande métropole européenne, tout en gardant des réflexes de « ville-village », ce qui est d’ailleurs nettement plus agréable et procure une qualité de vie formidable. En effet, Vienne a pour moi quelque chose d’un village. Peut-être est-ce parce que j’y vis, un peu comme je vivrais dans un village. Mon quotidien se déroule dans mon quartier. Le centre-ville et deux ou trois autres quartiers comme celui du Naschmarkt et celui du Belvédère, dans lesquels j’ai vécu à d’autres épisodes de ma vie, font également partie de mes sentiers battus. Mais quand je traverse le Danube pour aller me baigner sur les plages du Strandbad Gänsehäufel, en passant par le quartier de Kaisermühlen, je me sens aussi dépaysée que si je me promenais dans un quartier de Buenos Aires ou dans la City de Londres.
Dans leur quotidien, très peu de Viennois se rendent réellement compte qu’ils vivent dans une métropole de 1,8 million d’habitants, tant leur vie de tous les jours se joue dans l’arrondissement ou le quartier même dans lequel ils vivent. Cette perception un peu paradoxale de la ville est sans doute à l’origine de la proverbiale Wiener Gemütlichkeit, dont la traduction pourrait osciller entre les termes « confort douillet » et « atmosphère sympathique ». [...]
La plupart des quartiers ont leur marché. C’est le samedi que ces marchés, qui sont toujours des lieux très conviviaux, connaissent la plus grande affluence. Le Naschmarkt, le Karmelitermarkt ou le Brunnenmarkt, entre autres, deviennent alors bien plus qu’un point de ravitaillement. Ce sont des lieux de rencontres fortuites et d’échanges. En fin de semaine, la plupart des marchés s’agrandissent d’un Bauernmarkt, un marché provisoire, souvent bio, où les paysans vendent eux-mêmes leur production de fruits, légumes, fleurs, charcuteries, vins et pâtisseries6. Que ce soit dans les arrondissements du centre ou dans les quartiers au-delà du Gürtel7, nombreux sont les habitants qui durant la semaine font leurs provisions auprès des petites échoppes en bois de leur marché habituel.
Les 123 échoppes du grand marché du Naschmarkt8 s’étalent à ciel ouvert sur 22 280 m2 à cheval sur les 5e et 6e arrondissements. Depuis plus de 100 ans, il accueille chaque semaine plus de 64 000 visiteurs de tous les pays. Les Viennois pure souche vous diront que le Naschmarkt a, au fil des ans et des transformations, fini par vendre son âme au tourisme."
"À deux pas du centre-ville, mais de l’autre côté du canal du Danube (Donaukanal) se trouve le Karmelitermarkt, le marché central de la Leopoldstadt, le 2e arrondissement qui aujourd’hui est à nouveau le centre de la communauté juive. C’est dans ce quartier qu’eurent lieu les terribles pogroms de la Nuit de Cristal durant la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Le Karmelitermarkt – dont la création remonte à Léopold Ier en 1671 – est l’un des plus anciens marchés à ciel ouvert. Ce petit marché traditionnel est une bonne adresse, un lieu connu et reconnu bien au-delà de son quartier, non seulement pour sa diversité et ses couleurs, mais aussi parce qu’il est assez central, bien qu’il soit situé de l’autre côté du canal du Danube."
"Le grand marché de rue du Brunnenmarkt/Yppenmarkt qui s’étend en parallèle, juste à l’extérieur du Gürtel, illustre parfaitement l’art de vivre du quartier d’Ottakring : le 16e arrondissement est un quartier multiethnique à grande majorité turque où la cohabitation pacifique et le voisinage priment encore largement sur le repli en ghetto fermé. [...] Le Brunnenmarkt semble toujours improvisé et c’est ce qui fait son charme, à l’instar des marchés d’antan. Ses nombreux vendeurs étrangers, en grande partie turcs mais aussi grecs, lui donnent un accent particulier, méridional et coloré : le Brunnenmarkt est sans aucun doute l’un des coins où l’on se sent le plus proche de l’Orient."
"Le quartier du Brunnenmarkt n’échappe pourtant pas à une certaine ambivalence : les uns estiment qu’il y a ici trop d’étrangers, dépouillant ainsi les Viennois d’emplois possibles. Mais en contrepartie, les propriétaires de ces mêmes échoppes racontent qu’ils n’ont personne pour reprendre leur succession car leurs propres enfants veulent travailler dans d’autres secteurs. Très peu de Viennois seraient finalement prêts à accepter ces emplois mal payés pour des semaines de 70 heures. Les Viennois âgés du quartier adoptent une attitude plutôt critique vis-à-vis des nombreux étrangers, tandis que les nouvelles générations (bobos et autres) trouvent l’ambiance multiculturelle du quartier séduisante et enrichissante.
Le microcosme socioculturel du Brunnenmarkt peut nous éclairer sur l’attitude ambiguë des Viennois face aux « étrangers ». La terminologie dans ce contexte est truffée de termes négatifs : chômage, abus de biens sociaux, impasse éducative, criminalité, etc. On parle à peine du potentiel et des compétences des « étrangers », on se contente de pointer du doigt leurs défauts, ce qui porte préjudice à notre réalité sociale."
"Indépendamment du niveau social des habitants, on ne constate pas de réel fossé entre les communautés, comme dans d’autres capitales comme Londres ou Berlin par exemple, et le caractère populaire ou bourgeois d’un quartier est indépendant de sa distance du centre historique."
"Avec son palais impérial de la Hofburg, la Heldenplatz est sans aucun doute une des plus belles places. Le bâtiment érigé en arc de cercle hébergea – presque sans interruption – la famille impériale des Habsbourg de 1273 à 1918. Il abrite aujourd’hui le siège de la présidence de la République, un important centre de congrès et de nombreuses collections d’art, dont les salles de lecture de la bibliothèque nationale.
Conçue jadis comme vaste forum impérial, la Heldenplatz est un lieu prisé pour la qualité de ses perspectives panoramiques. Placé en son plein centre, entre les deux statues équestres du prince Eugène de Savoie et de l’archiduc Charles, et dos à la Hofburg, on ne voit, sur 360°, que les bâtiments historiques et les arbres des parcs de l’époque où Vienne était la capitale impériale de la dynastie des Habsbourg. À gauche, le Heldentor, majestueux portail de la place menant au Ring10. Ensuite, adjacent à la place, le Volksgarten, premier parc impérial ouvert au public en 1823, dont les collections de rosiers valent largement le détour et dont les pelouses sont, par beau temps, le lieu de prédilection des jeunes citadins. Au-delà des arbres de l’allée du Ring, d’abord la toiture du parlement et ensuite la tour élancée de l’hôtel de ville, emblème incontournable de l’importance de la municipalité viennoise. Le palais impérial de la Hofburg côtoie aujourd’hui les jeunes de la rue faisant jouer leurs chiens sur les pelouses, les familles, les touristes et les flâneurs profitant de la quiétude du parc. Les skateboarders omniprésents donnent à la Heldenplatz une touche définitivement urbaine et contemporaine.
L’imposante Karlsplatz (place Saint-Charles) est, elle, située au-delà de la Ringstrasse, en dehors des remparts de la ville détruits en 1857. Située dans le 4e arrondissement – le Wieden – la Karlsplatz doit son nom à l’empereur Charles VI. Celui-ci prononça le vœu désespéré d’ériger une église si seulement la peste, qui ravagea Vienne en 1713, disparaissait de sa ville. La Karlskirche, l’église baroque la plus remarquable de la ville, fut ainsi conçue par Johann Bernhard Fischer von Erlach et finalisée par son fils Joseph Emmanuel en 1737."
"Otto Wagner construisit infatigablement de nombreux immeubles, palais urbains, banques, magasins pendant plus de trente ans. Il réalisa également l’architecture de tout le réseau de la Stadtbahn, le RER viennois – aujourd’hui intégré dans le réseau du métro 6 – ainsi que les infrastructures du canal du Danube (1894–1902).
Quand je pense à l’acharnement avec lequel Wagner a dû travailler à ces entreprises municipales colossales pour un salaire sans doute dérisoire, j’ai d’autant plus d’admiration pour les 36 stations et gares ainsi que les viaducs, les ponts, les tranchées et les galeries de ces quelque 40 km de réseau qui sont en quelque sorte encore garants de la modernité de nombreuses infrastructures existantes de Vienne. C’est en effet en grande partie au travail d’Otto Wagner qui participa à la construction du Ring, conçut le plan régulateur de la ville, construisit le métro et régula les flots du Danube, que Vienne doit la qualité de son fonctionnement et de ses infrastructures."
"La Franziskanerplatz (place des Franciscains) [...] fut créée en 1624 devant la Franziskanerkirche (église des Franciscains). Aménager une place devant une église était alors précurseur et permettait à l’aristocratie de se mettre en scène conformément à son rang, avant et après les services religieux. Les Franciscains y gagnaient aussi : des aumônes plus élevées leur étaient versées. Avec sa fontaine de Moïse, cette place paisible en marge de l’agitation de la zone piétonne du centre-ville m’apporte toujours le dépaysement d’une piazza italienne.
Dans un genre beaucoup plus urbain et comme son nom l’indique, le Praterstern (place de l’Étoile du Prater) qui, à l’époque de la monarchie, était déjà un point de jonction névralgique, prend la forme d’un colossal rond-point en étoile où se rejoignent sept avenues principales. Il s’agit aujourd’hui d’un nœud routier et ferroviaire important où se croisent plus de 200 000 personnes par jour.
Située dans le 2e arrondissement, en bordure des grandes plaines et forêts étendues de l’immense parc public du Prater, la place du Praterstern abrite aussi la gare de Vienne Praterstern (Bahnhof Wien Praterstern). Il s’agit ici d’une des zones urbaines sensibles de la ville : la place est devenue une sorte de structure de repli pour les sans-abri et les junkies."
"Située au nord-ouest, Grinzing est l’une des communes de l’arrondissement de Döbling, le 19e arrondissement. Depuis le dix-huitième siècle, c’est la viticulture qui représente le gagne-pain principal des villages de Döbling et c’est à ce jour l’arrondissement avec l’activité viticole la plus développée. L’habitat de Grinzing est bien restauré et présente une grande unité, remontant dans sa majorité au dix-huitième siècle. Avec ses anciennes bâtisses trapues, serrées les unes contre les autres et surmontées de toitures en vieilles tuiles, avec ses jolies cours intérieures, Grinzing a tout ce qu’il faut : le terminus de la voie de tram provenant du centre-ville, le boulanger, le supermarché, le boucher, le petit resto, le marchand de journaux, la fleuriste, la droguerie, le bar, l’église et, immanquablement, les nombreux Heuriger.
L’appellation Heuriger désigne en même temps les auberges de vignerons et le vin de l’année que l’on y sert, suivant un décret datant de 1784 mais aujourd’hui très assoupli. Les charmes du Heuriger sont simples et modestes mais certainement pas primitifs ou frustres. Sa valeur culturelle n’est pas purement gastronomique, elle ne s’arrête pas à la chope en verre traditionnelle, au vin sec, à la charcuterie froide et aux bancs brinquebalants. Sa nature hybride, mi-citadine, mi-campagnarde, est un compromis réussi entre les éléments urbains et ruraux dus à l’ambivalence géographique d’une métropole sise au milieu d’un immense vignoble.
La prédilection de l’empereur Charles VI (1685–1740) et de sa fille Marie-Thérèse (1717–1780) pour les collines et les paysages de vignes y est pour beaucoup dans le développement de la région : l’aristocratie et les riches bourgeois de l’époque y construisirent leurs résidences de villégiature."
"Les logements sociaux de « Vienne la Rouge » n’ont en effet rien à voir avec un HLM ou avec une cité-dortoir. Il s’agit du développement de tout un concept communautaire profondément humaniste, avec ses propres infrastructures de vie : crèches, laveries, dispensaires, bibliothèques publiques, etc.
Le concept de logements sociaux développé par la municipalité est plutôt reconnu et assez unique en son genre : encore aujourd’hui, il contribue largement à la paix sociale de la capitale autrichienne. On compte à ce jour quelque 2 000 immeubles de logements sociaux, composés de 220 000 appartements dans lesquels vivent 500 000 habitants, soit plus d’un quart de la population viennoise ! Bien sûr, les loyers ne sont plus aussi bon marché qu’avant, mais néanmoins nettement plus abordables que dans la plupart des grandes villes européennes. Les architectes et les urbanistes de Vienne ont pourtant une inquiétude : que le terme mis en 2004 à la politique de construction de logements sociaux par la municipalité, pour raisons purement financières, n’engendre ultérieurement un manque significatif de logements adéquats pour les personnes à revenus modestes. C’est sans doute la raison pour laquelle Michael Häupl, le maire socialiste (depuis 1994), a centré sa campagne pour les élections municipales d’octobre 2015 sur la construction imminente de 2 000 nouveaux logements sociaux. Les logements sociaux ont une longue tradition et sont un outil efficace des politiques menées par les socialistes. Ils ont déjà démontré que, bien intégrés dans un quartier, ils assurent un mix de classes sociales et de générations. Pour les socialistes, c’est aussi grâce à ceux-ci que l’ascension sociale reste possible. Toutefois, l’augmentation importante des loyers et des prix d’achat dans le secteur privé ferait plutôt pencher la balance vers un « une fois dans un logement social, toujours dans un logement social »."
"Les cafés font preuve de certaines particularités : leur ambiance feutrée en font un havre de paix pour la lecture des journaux et revues qui y sont disposés et l’on peut y passer la journée avec une seule consommation, notamment en lisant ces mêmes journaux montés sur une baguette de bois, sans qu’aucun garçon ne vienne jamais réclamer le renouvellement de la consommation. Nombreux sont ceux qui vont au Kaffeehaus comme s’ils se rendaient au bureau. On voit régulièrement des clients attablés avec leurs documents, stylos ou ordinateurs, travaillant dans la plus grande concentration. Les étudiants s’y retrouvent aussi pour préparer un travail de groupe ou pour réviser. [...]
L’ambiance du Kaffeehaus est la même un peu partout dans Vienne. On entend les clics discrets des joueurs de billard. Le bruit de la rue est absorbé par les banquettes en velours râpées par le temps, par le parquet qui grince et par l’obscurité des pièces mal éclairées. À la table voisine, on entend le froissement des pages d’un journal ou le cliquetis d’un clavier d’ordinateur. Du fond de la pièce nous parviennent des bribes de conversations et dans la pièce d’à côté, les joueurs de cartes se concentrent sur leur jeu. On sent l’odeur du café, un petit peu la fumée des cigarettes de la salle des fumeurs et quelques relents du parfum des dames attablées.
Les Herr Ober, à qui l’on n’oserait jamais dire « garçon », y font preuve d’une certaine insolence mêlée de charme et d’humeur bougonne, ce qui ne les empêche pas d’être absolument attentifs aux besoins de leurs clients. Qu’un Herr Ober connu vienne à décéder, on lui trouvera certainement une mention dans la nécrologie. Voici ce que me disait l’un des Herr Ober du Café Bräunerhof dans la Stallburggasse, un Hollandais, Viennois d’adoption depuis 22 ans : « Les Viennois ont une prédisposition nostalgique, un caractère grincheux et en même temps plein d’humour, et ils ont une tendance xénophobe latente… ».
"La renommée de la ville remonte à l’époque des Romains et est fortement liée à sa situation géographique, stratégiquement positionnée sur la principale voie de communication qui traversait toute l’Europe en longeant le Danube. On retrouve encore aujourd’hui certains vestiges du camp militaire romain de Vindobona. [...]
À la fin du douzième siècle, la dynastie allemande des Babenberger consolide son pouvoir sur les bords du Danube, crée le margraviat (comté) d’Ostarrichi et fait de Vienne sa capitale. En 1221, Vienne obtient le droit de ville qui organise les procédures judiciaires urbaines et le Ius emporii qui lui permet de percevoir un droit de passage auprès des commerçants qui traversent la ville. Vienne développe ainsi son réseau commercial jusqu’à Venise.
Après son élection au trône du Saint-Empire en 1273, Rodolphe de Habsbourg fait de Vienne sa résidence officielle en 1282, qui deviendra par la suite le noyau de la puissance germanique."
"L’empereur Joseph II, se montre un souverain moderne et réformiste. Ses réformes, pour la plupart des mesures d’ouverture et de tolérance, furent néanmoins trop brutales pour être comprises et acceptées par ses sujets. Outre l’abolition de l’esclavage, Joseph II entreprit une réforme territoriale de l’administration avec la création d’un statut de la fonction publique réservé aux titulaires de titres universitaires et non plus à la noblesse du royaume. L’enseignement fut également réformé en profondeur. Ces deux réformes seront particulièrement déterminantes pour maintes générations futures de fonctionnaires et d’écoliers viennois. Les fondements du système scolaire autrichien actuel sont issus des réformes entreprises par Marie-Thérèse et Joseph II. Et ni les siècles, ni les polémiques politiques successives n’ont abouti à une modification profonde des grandes structures du système scolaire autrichien de l’époque ! Nous sommes pourtant confrontés à des statistiques qui nous obligent à la triste conclusion que statut et éducation seraient héréditaires en Autriche."
"La période Biedermeier s’étend de 1815 à 1848. C’est avant tout une manière de vivre, confortable et calfeutrée, à l’image de la culture bourgeoise qui apparut pendant cette première moitié du dix-neuvième siècle. Mais c’est aussi la période du congrès de Vienne où les diplomates s’attellent à la négociation d’un processus de paix, au lendemain des guerres napoléoniennes. Vienne est dans le camp des vainqueurs et participe à la définition des contours de la nouvelle Europe post-napoléonienne. Malgré l’absolutisme instauré par Metternich, la ville vit une période d’épanouissement culturel. Beethoven et Schubert y travaillent, le style Biedermeier domine la peinture et le design mobilier de cette période.
L’industrialisation crée d’importants bouleversements sociaux et l’afflux de forces vives vers la ville provoque des travaux d’infrastructure importants. 1848 est l’année de la révolution, qui commence de manière presque anodine par une manifestation d’ouvriers et de paysans. De fil en aiguille, elle provoquera in fine la chute du prince de Metternich et de son gouvernement, après 27 ans d’absolutisme. Une revanche sanglante anéantira les révolutionnaires et dans le fracas de la révolution, François-Joseph monte en 1848 sur le trône, âgé de 18 ans. Avec François-Joseph (1830–1916), le passage du néoabsolutisme à l’ère constitutionnelle se fera sans changements substantiels."
"Entre 1880 et 1910, la population viennoise est ainsi multipliée par trois et dépasse le seuil des 2 millions d’habitants. La ville développe alors de nouvelles zones d’habitations et de logements sur base d’un schéma en grille et reprend la gestion de la plupart de ses infrastructures : le gaz, l’électricité, les transports publics et le système de santé publique passent sous statut municipal. Les autorités municipales développent également un système performant d’approvisionnement en eau potable qui prouve encore aujourd’hui toute sa qualité et son efficacité. La situation sanitaire jusque-là désastreuse de la ville y trouve aussi sa solution."
"Après des combats violents, la ville de Vienne est libérée par l’armée soviétique en avril 1945. La Basse-Autriche se retrouve sous dominance soviétique et il s’en faut de peu pour que Vienne ne subisse le même sort. Les accords de Londres découpent la ville en quatre secteurs d’occupation. L’Autriche restera ainsi « occupée » par les forces alliées jusqu’en 1955, à la signature du traité d’État autrichien entre les forces occupantes alliées et le gouvernement autrichien, qui marque le rétablissement d’un État autrichien libre, souverain et démocratique. L’exclamation « L’Autriche est libre ! » prononcée le 15 mai 1955 à l’issue de la signature du traité clôture une interminable période de près de 10 ans d’occupation, ponctuée d’infatigables démarches pour le rétablissement de la souveraineté du peuple autrichien. La conscientisation émotionnelle de cette « liberté » fonctionne encore aujourd’hui. Par contre, la fin de l’occupation met en péril le processus de dénazification entamé par les Alliés. Tourner la page sur les crimes nazis d’une Autriche en guerre pour redémarrer sur de nouvelles bases semble moins évident qu’il n’y paraît. La République démocratique autrichienne de l’après-guerre accorde l’armistice à 90 % des anciens adhérents du parti nazi, et en fait autant dès 1957 pour les SS et les membres de la Gestapo. Les anciens membres du NSDAP se sont en grande partie intégrés au sein des partis politiques démocratiques et le gouvernement lui-même est hostile à toute forme d’indemnisation, estimant que l’Autriche a été un pays occupé entre 1938 et 1945. Par ailleurs, nombre d’individus qui se sont approprié les biens de Juifs sont devenus des citoyens autrichiens respectés. S’installe alors une amnésie générale doublée d’une hypocrisie coupable. Ce n’est qu’en 1993, à la suite de l’affaire Waldheim, qu’une excuse officielle du gouvernement autrichien est enfin publiquement exprimée. Entre-temps, l’Autriche s’est dotée en 1998 d’une loi unique en son genre, concernant la restitution des œuvres d’art spoliées sous le nazisme : cette loi oblige tous les musées publics à rechercher d’où proviennent les œuvres de leurs collections."
"Le catholicisme est la croyance de la majorité des Viennois et fait partie intégrante de la société. Historiquement du moins, car les dernières statistiques soulignent que la population n’est plus si catholique que cela : alors qu’au début des années 1970, presque 80 % des Viennois étaient catholiques, ce nombre a chuté de moitié en 2011 et la capitale ne recensait plus que 41,3 % de catholiques. Ces mêmes statistiques prévoient en outre qu’en 2030, Vienne devrait compter plus de personnes athées que de catholiques, suivis par les musulmans."
"Depuis les années 1990, l’Autriche s’est considérablement émancipée. Tandis que des vedettes de cinéma et de télévision n’hésitaient plus à assumer leur homosexualité, la ville – gouvernée sans interruption par la gauche depuis la Seconde Guerre mondiale – a souvent joué un rôle précurseur en instaurant avant d’autres la légalisation des unions homosexuelles. En 2015, la loi légalisant l’adoption pour les couples homosexuels est passée au parlement.
C’est aussi à Vienne, dans les salles de réception de l’hôtel de ville, que se déroule chaque année en mai, depuis deux décennies déjà, le Life Ball au profit de la lutte contre le sida. L’exubérance et l’opulence quasi baroque de ce bal qui attire les drag-queens des quatre coins du monde, s’opposent fortement à l’ordre moral de certains. L’héritage catholique et le côté conservateur encore très présents à Vienne représentent à la fois une chape de plomb et un formidable exutoire menant – dans les milieux artistiques – à une culture de l’extrême et à une violence d’idées qui s’avèrent en définitive très libératrices."
"La ville cultive une mentalité « petit jardin », illustrée par les Schrebergarten et profondément ancrée dans l’esprit de ses habitants. Dès 1865, la municipalité met des parcelles de terrain à la disposition des habitants défavorisés. L’objectif est double : créer des espaces de détente pour les enfants et permettre aux familles défavorisées de créer leur propre potager. On recense aujourd’hui 26 500 de ces jardins communautaires dont 18 000 appartiennent encore à la ville. La superficie totale de ces jardins familiaux ou communautaires est plus importante que celles des vignobles viennois. Ces parcelles sont cultivées avec une méticulosité qui pourrait largement concurrencer toute entreprise agricole. Si ces Viennois recherchent à la fois le confort d’une vie pseudo-campagnarde et la modernité d’une infrastructure urbaine performante, il faut savoir qu’avant tout, leur lopin de terre est essentiel, aussi petit soit-il. Ils soigneront méticuleusement leur maisonnette et leur potager – l’habitat du Schrebergarten ne peut dépasser 50 m2 –, ils protégeront leur petit univers de hautes haies bien coupées et signaleront immédiatement toute infraction commise par leurs voisins aux autorités d’urbanisme."
"Depuis 1870, un réseau de chemins balisés propose de nombreuses excursions dans les alentours de Vienne et c’est aujourd’hui une pratique extrêmement populaire les week-ends. L’accessibilité de ces espaces naturels en transports en commun fait aussi partie de la qualité de vie qu’offre la ville et cette notion est bien ancrée dans les mœurs des Viennois. Les espaces de détente proches comme le Prater, le Wienerwald, la Lobau (bois dans l’eau) ou les rives du Danube invitent à la balade, aux excursions, aux randonnées à pied ou à vélo, aux pique-niques. Elles sont accessibles à tous, sans exception."
"L’accès aux piscines publiques, que ce soit en ville, en banlieue ou sur les rives du Danube, fait depuis longtemps – été comme hiver – partie intégrante des mœurs des Viennois, toutes classes confondues. C’est encore « Vienne la Rouge » qui dans l’entre-deux-guerres réalisa la plupart de ces infrastructures sportives très modernistes. Au fil des ans, elles ont gardé tout leur charme. La piscine art déco Amalienbad ou la piscine Jörgerbad, avec ses caillebotis et ses casiers en bois, qui fut la première piscine publique en propriété de la municipalité, valent certainement le détour."
"En 1907, la municipalité entreprit (encore et toujours) l’aménagement de l’île boisée du Gänsehäufl. Au fil des ans et des rénovations, elle se transforma en véritable station balnéaire où chaque année, plus de 360 000 visiteurs, nageurs et plaisanciers d’un jour passent les chaudes journées d’été. La plage de Gänsehäufel comporte également une vaste zone réservée aux naturistes qui accueille un public disparate où fonctionnaires retraités, jeunes couples et féministes en quête de soleil se partagent les lieux. La qualité des eaux naturelles du vieux Danube est très surveillée par la municipalité et fait l’objet de travaux d’assainissement réguliers."
"La « Transdanubie », c’est en effet ainsi que les Viennois appellent le 22e arrondissement, celui de Donaustadt, dont la superficie représente un quart de celle de Vienne, campé sur la rive gauche du Danube. L’arrondissement de Donaustadt est un territoire bizarre – ni ville, ni campagne, ni périphérie – une sorte d’entre-ville, où se côtoient les tours de logements et les immeubles sans charme, au travers desquels siffle un vent implacable. Mais il abrite aussi les jardins communautaires avec leurs potagers bien alignés et leurs haies méticuleusement coupées, les cabanes pleines de charme des rives du vieux Danube, le parc national Lobau et les zones rurales et conservatrices à la frontière de la Basse-Autriche. Cet arrondissement ouvrier à l’origine était plutôt rural, mais cela fait un temps déjà que la cité du Danube, qui jouxte les tours de l’ONU44, est devenue le nouveau centre urbain de Vienne."
"La métropole – dont les dernières statistiques prédisent qu’elle dépassera les 2 millions d’habitants en 2029 – doit donc se préparer à accueillir quelque 200 000 habitants supplémentaires en moins de 20 ans. Pour une ville et des habitants aussi fortement ancrés dans leur passé, une telle croissance engendre énormément d’appréhension. Les craintes sont diverses et pas toujours rationnelles : la peur que la silhouette urbaine et si familière de la ville ne subisse des changements, la peur des investisseurs et des gratte-ciel qui les accompagnent, la peur de devoir partager sa qualité de vie [...]
C’est évidemment dans les arrondissements de la périphérie, comme la « Transdanubie », que se trouvent les principales zones de croissance de la ville. La périphérie nord-est de l’arrondissement de Donaustadt fait déjà l’objet d’un projet d’urbanisme de grande envergure : la création d’une véritable nouvelle ville, Seestadt Aspern, qui d’ici 2030 pourra accueillir près de 20 000 habitants. Les choses avancent : les premiers d’entre eux se sont déjà installés en 2014, la station de métro Seestadt Aspern et le lac du même nom sont aussi déjà finalisés. Le plus haut gratte-ciel en bois du monde – 84 mètres – y verra le jour en 2028. [...]
À la suite d’une campagne xénophobe et anti-islamique menée par son leader Hans-Christian Strache, le parti d’extrême droite FPÖ45 a presque doublé le nombre de ses représentants au conseil communal de Donaustadt aux élections communales de 2010. Cela signifie qu’un habitant sur trois de Donaustadt a voté pour ce parti, alors qu’un quart de la population de Donaustadt est né à l’étranger ! Le FPÖ a hélàs également progressé de manière importante dans d’autres quartiers populaires de la capitale."
-Alexia Gerhardus, Vienne. Si impériale, si sociale, Nevicata, 2015, 96 pages.
Si l’on en croit la plume de Werfel, Zweig, Musil ou Kraus, ce savant mélange, sorte d’équilibre cathartique, façonne Vienne depuis plus de 100 ans. Une partie de la population « patriotise » et « idiotise » à tel point qu’il est presque impossible de la prendre au sérieux, tandis qu’en contrepartie, le microcosme artistique viennois (et autrichien) fait émerger une multitude d’écrivains, cinéastes, peintres, caricaturistes ou cabarettistes d’une verve et d’un esprit critique inégalés (Elfriede Jelinek, Ulrich Seidl, Gerhard Haderer, Josef Hader)."
"Vienne a pour moi deux faces, l’une moderne et progressiste, et l’autre démodée et accrochée à ses vieilles certitudes. Elle est à la fois tendance et rétro, une ville-carrefour où se côtoient, depuis toujours, tradition et modernité.
Une autre facette du caractère viennois est mise en lumière par Robert Schindel dans son texte Mein Wien. « Le Viennois est un spectateur de métier. C’est en badaud qu’il assista au spectacle de la guerre de Trente Ans, tout comme à la Révolution française, si lointaine et dont officiellement, il ne savait rien. Le congrès de Vienne bascula sans transition dans une ambiance de salon de musique. Quand je parle du Viennois, je pense au petit-bourgeois, à la classe moyenne, à l’attitude plaintive et en même temps délurée de cette classe de spectateurs qui conditionnera la ville bien plus que les ouvriers et étudiants révolutionnaires de 1848 ou de 1934. »
Pour expliquer ce détachement affiché face aux événements, il est bon de rappeler que le Viennois est le fruit d’une histoire complexe, ponctuée de bouleversements historiques successifs qui auraient pu venir à bout de peuples bien plus résistants. La devise de l’Autriche Biegen, nicht brechen (plier mais ne pas rompre) illustre bien l’instinct de survie que les Viennois doivent à cette faculté."
"Forte de ses 414 km2 et de ses 1,8 million d’habitants, Vienne dispose du statut de grande métropole européenne, tout en gardant des réflexes de « ville-village », ce qui est d’ailleurs nettement plus agréable et procure une qualité de vie formidable. En effet, Vienne a pour moi quelque chose d’un village. Peut-être est-ce parce que j’y vis, un peu comme je vivrais dans un village. Mon quotidien se déroule dans mon quartier. Le centre-ville et deux ou trois autres quartiers comme celui du Naschmarkt et celui du Belvédère, dans lesquels j’ai vécu à d’autres épisodes de ma vie, font également partie de mes sentiers battus. Mais quand je traverse le Danube pour aller me baigner sur les plages du Strandbad Gänsehäufel, en passant par le quartier de Kaisermühlen, je me sens aussi dépaysée que si je me promenais dans un quartier de Buenos Aires ou dans la City de Londres.
Dans leur quotidien, très peu de Viennois se rendent réellement compte qu’ils vivent dans une métropole de 1,8 million d’habitants, tant leur vie de tous les jours se joue dans l’arrondissement ou le quartier même dans lequel ils vivent. Cette perception un peu paradoxale de la ville est sans doute à l’origine de la proverbiale Wiener Gemütlichkeit, dont la traduction pourrait osciller entre les termes « confort douillet » et « atmosphère sympathique ». [...]
La plupart des quartiers ont leur marché. C’est le samedi que ces marchés, qui sont toujours des lieux très conviviaux, connaissent la plus grande affluence. Le Naschmarkt, le Karmelitermarkt ou le Brunnenmarkt, entre autres, deviennent alors bien plus qu’un point de ravitaillement. Ce sont des lieux de rencontres fortuites et d’échanges. En fin de semaine, la plupart des marchés s’agrandissent d’un Bauernmarkt, un marché provisoire, souvent bio, où les paysans vendent eux-mêmes leur production de fruits, légumes, fleurs, charcuteries, vins et pâtisseries6. Que ce soit dans les arrondissements du centre ou dans les quartiers au-delà du Gürtel7, nombreux sont les habitants qui durant la semaine font leurs provisions auprès des petites échoppes en bois de leur marché habituel.
Les 123 échoppes du grand marché du Naschmarkt8 s’étalent à ciel ouvert sur 22 280 m2 à cheval sur les 5e et 6e arrondissements. Depuis plus de 100 ans, il accueille chaque semaine plus de 64 000 visiteurs de tous les pays. Les Viennois pure souche vous diront que le Naschmarkt a, au fil des ans et des transformations, fini par vendre son âme au tourisme."
"À deux pas du centre-ville, mais de l’autre côté du canal du Danube (Donaukanal) se trouve le Karmelitermarkt, le marché central de la Leopoldstadt, le 2e arrondissement qui aujourd’hui est à nouveau le centre de la communauté juive. C’est dans ce quartier qu’eurent lieu les terribles pogroms de la Nuit de Cristal durant la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Le Karmelitermarkt – dont la création remonte à Léopold Ier en 1671 – est l’un des plus anciens marchés à ciel ouvert. Ce petit marché traditionnel est une bonne adresse, un lieu connu et reconnu bien au-delà de son quartier, non seulement pour sa diversité et ses couleurs, mais aussi parce qu’il est assez central, bien qu’il soit situé de l’autre côté du canal du Danube."
"Le grand marché de rue du Brunnenmarkt/Yppenmarkt qui s’étend en parallèle, juste à l’extérieur du Gürtel, illustre parfaitement l’art de vivre du quartier d’Ottakring : le 16e arrondissement est un quartier multiethnique à grande majorité turque où la cohabitation pacifique et le voisinage priment encore largement sur le repli en ghetto fermé. [...] Le Brunnenmarkt semble toujours improvisé et c’est ce qui fait son charme, à l’instar des marchés d’antan. Ses nombreux vendeurs étrangers, en grande partie turcs mais aussi grecs, lui donnent un accent particulier, méridional et coloré : le Brunnenmarkt est sans aucun doute l’un des coins où l’on se sent le plus proche de l’Orient."
"Le quartier du Brunnenmarkt n’échappe pourtant pas à une certaine ambivalence : les uns estiment qu’il y a ici trop d’étrangers, dépouillant ainsi les Viennois d’emplois possibles. Mais en contrepartie, les propriétaires de ces mêmes échoppes racontent qu’ils n’ont personne pour reprendre leur succession car leurs propres enfants veulent travailler dans d’autres secteurs. Très peu de Viennois seraient finalement prêts à accepter ces emplois mal payés pour des semaines de 70 heures. Les Viennois âgés du quartier adoptent une attitude plutôt critique vis-à-vis des nombreux étrangers, tandis que les nouvelles générations (bobos et autres) trouvent l’ambiance multiculturelle du quartier séduisante et enrichissante.
Le microcosme socioculturel du Brunnenmarkt peut nous éclairer sur l’attitude ambiguë des Viennois face aux « étrangers ». La terminologie dans ce contexte est truffée de termes négatifs : chômage, abus de biens sociaux, impasse éducative, criminalité, etc. On parle à peine du potentiel et des compétences des « étrangers », on se contente de pointer du doigt leurs défauts, ce qui porte préjudice à notre réalité sociale."
"Indépendamment du niveau social des habitants, on ne constate pas de réel fossé entre les communautés, comme dans d’autres capitales comme Londres ou Berlin par exemple, et le caractère populaire ou bourgeois d’un quartier est indépendant de sa distance du centre historique."
"Avec son palais impérial de la Hofburg, la Heldenplatz est sans aucun doute une des plus belles places. Le bâtiment érigé en arc de cercle hébergea – presque sans interruption – la famille impériale des Habsbourg de 1273 à 1918. Il abrite aujourd’hui le siège de la présidence de la République, un important centre de congrès et de nombreuses collections d’art, dont les salles de lecture de la bibliothèque nationale.
Conçue jadis comme vaste forum impérial, la Heldenplatz est un lieu prisé pour la qualité de ses perspectives panoramiques. Placé en son plein centre, entre les deux statues équestres du prince Eugène de Savoie et de l’archiduc Charles, et dos à la Hofburg, on ne voit, sur 360°, que les bâtiments historiques et les arbres des parcs de l’époque où Vienne était la capitale impériale de la dynastie des Habsbourg. À gauche, le Heldentor, majestueux portail de la place menant au Ring10. Ensuite, adjacent à la place, le Volksgarten, premier parc impérial ouvert au public en 1823, dont les collections de rosiers valent largement le détour et dont les pelouses sont, par beau temps, le lieu de prédilection des jeunes citadins. Au-delà des arbres de l’allée du Ring, d’abord la toiture du parlement et ensuite la tour élancée de l’hôtel de ville, emblème incontournable de l’importance de la municipalité viennoise. Le palais impérial de la Hofburg côtoie aujourd’hui les jeunes de la rue faisant jouer leurs chiens sur les pelouses, les familles, les touristes et les flâneurs profitant de la quiétude du parc. Les skateboarders omniprésents donnent à la Heldenplatz une touche définitivement urbaine et contemporaine.
L’imposante Karlsplatz (place Saint-Charles) est, elle, située au-delà de la Ringstrasse, en dehors des remparts de la ville détruits en 1857. Située dans le 4e arrondissement – le Wieden – la Karlsplatz doit son nom à l’empereur Charles VI. Celui-ci prononça le vœu désespéré d’ériger une église si seulement la peste, qui ravagea Vienne en 1713, disparaissait de sa ville. La Karlskirche, l’église baroque la plus remarquable de la ville, fut ainsi conçue par Johann Bernhard Fischer von Erlach et finalisée par son fils Joseph Emmanuel en 1737."
"Otto Wagner construisit infatigablement de nombreux immeubles, palais urbains, banques, magasins pendant plus de trente ans. Il réalisa également l’architecture de tout le réseau de la Stadtbahn, le RER viennois – aujourd’hui intégré dans le réseau du métro 6 – ainsi que les infrastructures du canal du Danube (1894–1902).
Quand je pense à l’acharnement avec lequel Wagner a dû travailler à ces entreprises municipales colossales pour un salaire sans doute dérisoire, j’ai d’autant plus d’admiration pour les 36 stations et gares ainsi que les viaducs, les ponts, les tranchées et les galeries de ces quelque 40 km de réseau qui sont en quelque sorte encore garants de la modernité de nombreuses infrastructures existantes de Vienne. C’est en effet en grande partie au travail d’Otto Wagner qui participa à la construction du Ring, conçut le plan régulateur de la ville, construisit le métro et régula les flots du Danube, que Vienne doit la qualité de son fonctionnement et de ses infrastructures."
"La Franziskanerplatz (place des Franciscains) [...] fut créée en 1624 devant la Franziskanerkirche (église des Franciscains). Aménager une place devant une église était alors précurseur et permettait à l’aristocratie de se mettre en scène conformément à son rang, avant et après les services religieux. Les Franciscains y gagnaient aussi : des aumônes plus élevées leur étaient versées. Avec sa fontaine de Moïse, cette place paisible en marge de l’agitation de la zone piétonne du centre-ville m’apporte toujours le dépaysement d’une piazza italienne.
Dans un genre beaucoup plus urbain et comme son nom l’indique, le Praterstern (place de l’Étoile du Prater) qui, à l’époque de la monarchie, était déjà un point de jonction névralgique, prend la forme d’un colossal rond-point en étoile où se rejoignent sept avenues principales. Il s’agit aujourd’hui d’un nœud routier et ferroviaire important où se croisent plus de 200 000 personnes par jour.
Située dans le 2e arrondissement, en bordure des grandes plaines et forêts étendues de l’immense parc public du Prater, la place du Praterstern abrite aussi la gare de Vienne Praterstern (Bahnhof Wien Praterstern). Il s’agit ici d’une des zones urbaines sensibles de la ville : la place est devenue une sorte de structure de repli pour les sans-abri et les junkies."
"Située au nord-ouest, Grinzing est l’une des communes de l’arrondissement de Döbling, le 19e arrondissement. Depuis le dix-huitième siècle, c’est la viticulture qui représente le gagne-pain principal des villages de Döbling et c’est à ce jour l’arrondissement avec l’activité viticole la plus développée. L’habitat de Grinzing est bien restauré et présente une grande unité, remontant dans sa majorité au dix-huitième siècle. Avec ses anciennes bâtisses trapues, serrées les unes contre les autres et surmontées de toitures en vieilles tuiles, avec ses jolies cours intérieures, Grinzing a tout ce qu’il faut : le terminus de la voie de tram provenant du centre-ville, le boulanger, le supermarché, le boucher, le petit resto, le marchand de journaux, la fleuriste, la droguerie, le bar, l’église et, immanquablement, les nombreux Heuriger.
L’appellation Heuriger désigne en même temps les auberges de vignerons et le vin de l’année que l’on y sert, suivant un décret datant de 1784 mais aujourd’hui très assoupli. Les charmes du Heuriger sont simples et modestes mais certainement pas primitifs ou frustres. Sa valeur culturelle n’est pas purement gastronomique, elle ne s’arrête pas à la chope en verre traditionnelle, au vin sec, à la charcuterie froide et aux bancs brinquebalants. Sa nature hybride, mi-citadine, mi-campagnarde, est un compromis réussi entre les éléments urbains et ruraux dus à l’ambivalence géographique d’une métropole sise au milieu d’un immense vignoble.
La prédilection de l’empereur Charles VI (1685–1740) et de sa fille Marie-Thérèse (1717–1780) pour les collines et les paysages de vignes y est pour beaucoup dans le développement de la région : l’aristocratie et les riches bourgeois de l’époque y construisirent leurs résidences de villégiature."
"Les logements sociaux de « Vienne la Rouge » n’ont en effet rien à voir avec un HLM ou avec une cité-dortoir. Il s’agit du développement de tout un concept communautaire profondément humaniste, avec ses propres infrastructures de vie : crèches, laveries, dispensaires, bibliothèques publiques, etc.
Le concept de logements sociaux développé par la municipalité est plutôt reconnu et assez unique en son genre : encore aujourd’hui, il contribue largement à la paix sociale de la capitale autrichienne. On compte à ce jour quelque 2 000 immeubles de logements sociaux, composés de 220 000 appartements dans lesquels vivent 500 000 habitants, soit plus d’un quart de la population viennoise ! Bien sûr, les loyers ne sont plus aussi bon marché qu’avant, mais néanmoins nettement plus abordables que dans la plupart des grandes villes européennes. Les architectes et les urbanistes de Vienne ont pourtant une inquiétude : que le terme mis en 2004 à la politique de construction de logements sociaux par la municipalité, pour raisons purement financières, n’engendre ultérieurement un manque significatif de logements adéquats pour les personnes à revenus modestes. C’est sans doute la raison pour laquelle Michael Häupl, le maire socialiste (depuis 1994), a centré sa campagne pour les élections municipales d’octobre 2015 sur la construction imminente de 2 000 nouveaux logements sociaux. Les logements sociaux ont une longue tradition et sont un outil efficace des politiques menées par les socialistes. Ils ont déjà démontré que, bien intégrés dans un quartier, ils assurent un mix de classes sociales et de générations. Pour les socialistes, c’est aussi grâce à ceux-ci que l’ascension sociale reste possible. Toutefois, l’augmentation importante des loyers et des prix d’achat dans le secteur privé ferait plutôt pencher la balance vers un « une fois dans un logement social, toujours dans un logement social »."
"Les cafés font preuve de certaines particularités : leur ambiance feutrée en font un havre de paix pour la lecture des journaux et revues qui y sont disposés et l’on peut y passer la journée avec une seule consommation, notamment en lisant ces mêmes journaux montés sur une baguette de bois, sans qu’aucun garçon ne vienne jamais réclamer le renouvellement de la consommation. Nombreux sont ceux qui vont au Kaffeehaus comme s’ils se rendaient au bureau. On voit régulièrement des clients attablés avec leurs documents, stylos ou ordinateurs, travaillant dans la plus grande concentration. Les étudiants s’y retrouvent aussi pour préparer un travail de groupe ou pour réviser. [...]
L’ambiance du Kaffeehaus est la même un peu partout dans Vienne. On entend les clics discrets des joueurs de billard. Le bruit de la rue est absorbé par les banquettes en velours râpées par le temps, par le parquet qui grince et par l’obscurité des pièces mal éclairées. À la table voisine, on entend le froissement des pages d’un journal ou le cliquetis d’un clavier d’ordinateur. Du fond de la pièce nous parviennent des bribes de conversations et dans la pièce d’à côté, les joueurs de cartes se concentrent sur leur jeu. On sent l’odeur du café, un petit peu la fumée des cigarettes de la salle des fumeurs et quelques relents du parfum des dames attablées.
Les Herr Ober, à qui l’on n’oserait jamais dire « garçon », y font preuve d’une certaine insolence mêlée de charme et d’humeur bougonne, ce qui ne les empêche pas d’être absolument attentifs aux besoins de leurs clients. Qu’un Herr Ober connu vienne à décéder, on lui trouvera certainement une mention dans la nécrologie. Voici ce que me disait l’un des Herr Ober du Café Bräunerhof dans la Stallburggasse, un Hollandais, Viennois d’adoption depuis 22 ans : « Les Viennois ont une prédisposition nostalgique, un caractère grincheux et en même temps plein d’humour, et ils ont une tendance xénophobe latente… ».
"La renommée de la ville remonte à l’époque des Romains et est fortement liée à sa situation géographique, stratégiquement positionnée sur la principale voie de communication qui traversait toute l’Europe en longeant le Danube. On retrouve encore aujourd’hui certains vestiges du camp militaire romain de Vindobona. [...]
À la fin du douzième siècle, la dynastie allemande des Babenberger consolide son pouvoir sur les bords du Danube, crée le margraviat (comté) d’Ostarrichi et fait de Vienne sa capitale. En 1221, Vienne obtient le droit de ville qui organise les procédures judiciaires urbaines et le Ius emporii qui lui permet de percevoir un droit de passage auprès des commerçants qui traversent la ville. Vienne développe ainsi son réseau commercial jusqu’à Venise.
Après son élection au trône du Saint-Empire en 1273, Rodolphe de Habsbourg fait de Vienne sa résidence officielle en 1282, qui deviendra par la suite le noyau de la puissance germanique."
"L’empereur Joseph II, se montre un souverain moderne et réformiste. Ses réformes, pour la plupart des mesures d’ouverture et de tolérance, furent néanmoins trop brutales pour être comprises et acceptées par ses sujets. Outre l’abolition de l’esclavage, Joseph II entreprit une réforme territoriale de l’administration avec la création d’un statut de la fonction publique réservé aux titulaires de titres universitaires et non plus à la noblesse du royaume. L’enseignement fut également réformé en profondeur. Ces deux réformes seront particulièrement déterminantes pour maintes générations futures de fonctionnaires et d’écoliers viennois. Les fondements du système scolaire autrichien actuel sont issus des réformes entreprises par Marie-Thérèse et Joseph II. Et ni les siècles, ni les polémiques politiques successives n’ont abouti à une modification profonde des grandes structures du système scolaire autrichien de l’époque ! Nous sommes pourtant confrontés à des statistiques qui nous obligent à la triste conclusion que statut et éducation seraient héréditaires en Autriche."
"La période Biedermeier s’étend de 1815 à 1848. C’est avant tout une manière de vivre, confortable et calfeutrée, à l’image de la culture bourgeoise qui apparut pendant cette première moitié du dix-neuvième siècle. Mais c’est aussi la période du congrès de Vienne où les diplomates s’attellent à la négociation d’un processus de paix, au lendemain des guerres napoléoniennes. Vienne est dans le camp des vainqueurs et participe à la définition des contours de la nouvelle Europe post-napoléonienne. Malgré l’absolutisme instauré par Metternich, la ville vit une période d’épanouissement culturel. Beethoven et Schubert y travaillent, le style Biedermeier domine la peinture et le design mobilier de cette période.
L’industrialisation crée d’importants bouleversements sociaux et l’afflux de forces vives vers la ville provoque des travaux d’infrastructure importants. 1848 est l’année de la révolution, qui commence de manière presque anodine par une manifestation d’ouvriers et de paysans. De fil en aiguille, elle provoquera in fine la chute du prince de Metternich et de son gouvernement, après 27 ans d’absolutisme. Une revanche sanglante anéantira les révolutionnaires et dans le fracas de la révolution, François-Joseph monte en 1848 sur le trône, âgé de 18 ans. Avec François-Joseph (1830–1916), le passage du néoabsolutisme à l’ère constitutionnelle se fera sans changements substantiels."
"Entre 1880 et 1910, la population viennoise est ainsi multipliée par trois et dépasse le seuil des 2 millions d’habitants. La ville développe alors de nouvelles zones d’habitations et de logements sur base d’un schéma en grille et reprend la gestion de la plupart de ses infrastructures : le gaz, l’électricité, les transports publics et le système de santé publique passent sous statut municipal. Les autorités municipales développent également un système performant d’approvisionnement en eau potable qui prouve encore aujourd’hui toute sa qualité et son efficacité. La situation sanitaire jusque-là désastreuse de la ville y trouve aussi sa solution."
"Après des combats violents, la ville de Vienne est libérée par l’armée soviétique en avril 1945. La Basse-Autriche se retrouve sous dominance soviétique et il s’en faut de peu pour que Vienne ne subisse le même sort. Les accords de Londres découpent la ville en quatre secteurs d’occupation. L’Autriche restera ainsi « occupée » par les forces alliées jusqu’en 1955, à la signature du traité d’État autrichien entre les forces occupantes alliées et le gouvernement autrichien, qui marque le rétablissement d’un État autrichien libre, souverain et démocratique. L’exclamation « L’Autriche est libre ! » prononcée le 15 mai 1955 à l’issue de la signature du traité clôture une interminable période de près de 10 ans d’occupation, ponctuée d’infatigables démarches pour le rétablissement de la souveraineté du peuple autrichien. La conscientisation émotionnelle de cette « liberté » fonctionne encore aujourd’hui. Par contre, la fin de l’occupation met en péril le processus de dénazification entamé par les Alliés. Tourner la page sur les crimes nazis d’une Autriche en guerre pour redémarrer sur de nouvelles bases semble moins évident qu’il n’y paraît. La République démocratique autrichienne de l’après-guerre accorde l’armistice à 90 % des anciens adhérents du parti nazi, et en fait autant dès 1957 pour les SS et les membres de la Gestapo. Les anciens membres du NSDAP se sont en grande partie intégrés au sein des partis politiques démocratiques et le gouvernement lui-même est hostile à toute forme d’indemnisation, estimant que l’Autriche a été un pays occupé entre 1938 et 1945. Par ailleurs, nombre d’individus qui se sont approprié les biens de Juifs sont devenus des citoyens autrichiens respectés. S’installe alors une amnésie générale doublée d’une hypocrisie coupable. Ce n’est qu’en 1993, à la suite de l’affaire Waldheim, qu’une excuse officielle du gouvernement autrichien est enfin publiquement exprimée. Entre-temps, l’Autriche s’est dotée en 1998 d’une loi unique en son genre, concernant la restitution des œuvres d’art spoliées sous le nazisme : cette loi oblige tous les musées publics à rechercher d’où proviennent les œuvres de leurs collections."
"Le catholicisme est la croyance de la majorité des Viennois et fait partie intégrante de la société. Historiquement du moins, car les dernières statistiques soulignent que la population n’est plus si catholique que cela : alors qu’au début des années 1970, presque 80 % des Viennois étaient catholiques, ce nombre a chuté de moitié en 2011 et la capitale ne recensait plus que 41,3 % de catholiques. Ces mêmes statistiques prévoient en outre qu’en 2030, Vienne devrait compter plus de personnes athées que de catholiques, suivis par les musulmans."
"Depuis les années 1990, l’Autriche s’est considérablement émancipée. Tandis que des vedettes de cinéma et de télévision n’hésitaient plus à assumer leur homosexualité, la ville – gouvernée sans interruption par la gauche depuis la Seconde Guerre mondiale – a souvent joué un rôle précurseur en instaurant avant d’autres la légalisation des unions homosexuelles. En 2015, la loi légalisant l’adoption pour les couples homosexuels est passée au parlement.
C’est aussi à Vienne, dans les salles de réception de l’hôtel de ville, que se déroule chaque année en mai, depuis deux décennies déjà, le Life Ball au profit de la lutte contre le sida. L’exubérance et l’opulence quasi baroque de ce bal qui attire les drag-queens des quatre coins du monde, s’opposent fortement à l’ordre moral de certains. L’héritage catholique et le côté conservateur encore très présents à Vienne représentent à la fois une chape de plomb et un formidable exutoire menant – dans les milieux artistiques – à une culture de l’extrême et à une violence d’idées qui s’avèrent en définitive très libératrices."
"La ville cultive une mentalité « petit jardin », illustrée par les Schrebergarten et profondément ancrée dans l’esprit de ses habitants. Dès 1865, la municipalité met des parcelles de terrain à la disposition des habitants défavorisés. L’objectif est double : créer des espaces de détente pour les enfants et permettre aux familles défavorisées de créer leur propre potager. On recense aujourd’hui 26 500 de ces jardins communautaires dont 18 000 appartiennent encore à la ville. La superficie totale de ces jardins familiaux ou communautaires est plus importante que celles des vignobles viennois. Ces parcelles sont cultivées avec une méticulosité qui pourrait largement concurrencer toute entreprise agricole. Si ces Viennois recherchent à la fois le confort d’une vie pseudo-campagnarde et la modernité d’une infrastructure urbaine performante, il faut savoir qu’avant tout, leur lopin de terre est essentiel, aussi petit soit-il. Ils soigneront méticuleusement leur maisonnette et leur potager – l’habitat du Schrebergarten ne peut dépasser 50 m2 –, ils protégeront leur petit univers de hautes haies bien coupées et signaleront immédiatement toute infraction commise par leurs voisins aux autorités d’urbanisme."
"Depuis 1870, un réseau de chemins balisés propose de nombreuses excursions dans les alentours de Vienne et c’est aujourd’hui une pratique extrêmement populaire les week-ends. L’accessibilité de ces espaces naturels en transports en commun fait aussi partie de la qualité de vie qu’offre la ville et cette notion est bien ancrée dans les mœurs des Viennois. Les espaces de détente proches comme le Prater, le Wienerwald, la Lobau (bois dans l’eau) ou les rives du Danube invitent à la balade, aux excursions, aux randonnées à pied ou à vélo, aux pique-niques. Elles sont accessibles à tous, sans exception."
"L’accès aux piscines publiques, que ce soit en ville, en banlieue ou sur les rives du Danube, fait depuis longtemps – été comme hiver – partie intégrante des mœurs des Viennois, toutes classes confondues. C’est encore « Vienne la Rouge » qui dans l’entre-deux-guerres réalisa la plupart de ces infrastructures sportives très modernistes. Au fil des ans, elles ont gardé tout leur charme. La piscine art déco Amalienbad ou la piscine Jörgerbad, avec ses caillebotis et ses casiers en bois, qui fut la première piscine publique en propriété de la municipalité, valent certainement le détour."
"En 1907, la municipalité entreprit (encore et toujours) l’aménagement de l’île boisée du Gänsehäufl. Au fil des ans et des rénovations, elle se transforma en véritable station balnéaire où chaque année, plus de 360 000 visiteurs, nageurs et plaisanciers d’un jour passent les chaudes journées d’été. La plage de Gänsehäufel comporte également une vaste zone réservée aux naturistes qui accueille un public disparate où fonctionnaires retraités, jeunes couples et féministes en quête de soleil se partagent les lieux. La qualité des eaux naturelles du vieux Danube est très surveillée par la municipalité et fait l’objet de travaux d’assainissement réguliers."
"La « Transdanubie », c’est en effet ainsi que les Viennois appellent le 22e arrondissement, celui de Donaustadt, dont la superficie représente un quart de celle de Vienne, campé sur la rive gauche du Danube. L’arrondissement de Donaustadt est un territoire bizarre – ni ville, ni campagne, ni périphérie – une sorte d’entre-ville, où se côtoient les tours de logements et les immeubles sans charme, au travers desquels siffle un vent implacable. Mais il abrite aussi les jardins communautaires avec leurs potagers bien alignés et leurs haies méticuleusement coupées, les cabanes pleines de charme des rives du vieux Danube, le parc national Lobau et les zones rurales et conservatrices à la frontière de la Basse-Autriche. Cet arrondissement ouvrier à l’origine était plutôt rural, mais cela fait un temps déjà que la cité du Danube, qui jouxte les tours de l’ONU44, est devenue le nouveau centre urbain de Vienne."
"La métropole – dont les dernières statistiques prédisent qu’elle dépassera les 2 millions d’habitants en 2029 – doit donc se préparer à accueillir quelque 200 000 habitants supplémentaires en moins de 20 ans. Pour une ville et des habitants aussi fortement ancrés dans leur passé, une telle croissance engendre énormément d’appréhension. Les craintes sont diverses et pas toujours rationnelles : la peur que la silhouette urbaine et si familière de la ville ne subisse des changements, la peur des investisseurs et des gratte-ciel qui les accompagnent, la peur de devoir partager sa qualité de vie [...]
C’est évidemment dans les arrondissements de la périphérie, comme la « Transdanubie », que se trouvent les principales zones de croissance de la ville. La périphérie nord-est de l’arrondissement de Donaustadt fait déjà l’objet d’un projet d’urbanisme de grande envergure : la création d’une véritable nouvelle ville, Seestadt Aspern, qui d’ici 2030 pourra accueillir près de 20 000 habitants. Les choses avancent : les premiers d’entre eux se sont déjà installés en 2014, la station de métro Seestadt Aspern et le lac du même nom sont aussi déjà finalisés. Le plus haut gratte-ciel en bois du monde – 84 mètres – y verra le jour en 2028. [...]
À la suite d’une campagne xénophobe et anti-islamique menée par son leader Hans-Christian Strache, le parti d’extrême droite FPÖ45 a presque doublé le nombre de ses représentants au conseil communal de Donaustadt aux élections communales de 2010. Cela signifie qu’un habitant sur trois de Donaustadt a voté pour ce parti, alors qu’un quart de la population de Donaustadt est né à l’étranger ! Le FPÖ a hélàs également progressé de manière importante dans d’autres quartiers populaires de la capitale."
-Alexia Gerhardus, Vienne. Si impériale, si sociale, Nevicata, 2015, 96 pages.