L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

-21%
Le deal à ne pas rater :
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, Collection Botanique
39.59 € 49.99 €
Voir le deal

    Claire Blandin, « Les interventions des intellectuels de droite dans Le Figaro littéraire »

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20348
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Claire Blandin, « Les interventions des intellectuels de droite dans Le Figaro littéraire » Empty Claire Blandin, « Les interventions des intellectuels de droite dans Le Figaro littéraire »

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 29 Mar - 17:08

    http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-4-page-179.htm#anchor_citation

    "Des revues novatrices apparaissent en revanche dans les secteurs de la poésie, du théâtre ou du cinéma ; elles se situent politiquement plutôt à gauche, et ont pour nom Confluences, L’Arche, Lettres, La Nef, Critiques, Mesures, La Licorne, Phases, Les Cahiers de la Pléiade, La Pensée, Psyché, Les Cahiers du Sud. Le parti communiste exerce une influence directe sur certaines d’entre elles, comme L’Écran français, Arts de France ou La Nouvelle Critique.

    C’est en mars 1946 que Pierre Brisson, directeur du Figaro, lance le premier numéro du Figaro littéraire. Cet hebdomadaire politique et littéraire conserve son indépendance (il est vendu séparément du quotidien) pendant un quart de siècle. Né en réaction à l’engagement des intellectuels à la Libération, Le Figaro littéraire ouvre ses tribunes aux écrivains de droite. Au cœur de la guerre froide, ceux-ci inventent une posture intellectuelle, le « contre-engagement ».

    Le lien entre politique et littérature est au cœur du projet d’hebdomadaire de Pierre Brisson. Fils du critique théâtral du Temps Adolphe Brisson, et de l’animatrice de l’université des Annales, Madeleine Sarcey, Pierre Brisson est devenu directeur du Figaro en 1936. Pendant l’Occupation, il a géré, depuis Lyon, Le Figaro replié, puis a organisé son sabordage en novembre 1942. Mais il n’a pu alors se résoudre à faire disparaître les pages littéraires du quotidien et deux numéros d’un Figaro littéraire autonome ont paru, le journal espérant échapper à la censure par son orientation littéraire. Dépositaire de l’autorisation de publication délivrée à la Libération, Pierre Brisson peut lancer en 1946 un hebdomadaire autonome, Le Littéraire, qui retrouve un an plus tard son titre de Figaro littéraire."

    "Directeur de l’hebdomadaire, Pierre Brisson en confie la rédaction en chef à Maurice Noël. Ancien étudiant en médecine, devenu grand reporter au Figaro, passionné de littérature, ce dernier dirigeait déjà les pages littéraires du quotidien à la veille de la guerre, et demeure à la tête du journal jusqu’à sa retraite en 1961. Surtout, Pierre Brisson sait qu’il peut compter sur les « grandes plumes » recrutées pour Le Figaro, et veut faire de François Mauriac la « pierre angulaire » de son projet. Celui-ci bénéficie en effet d’un double statut d’écrivain-journaliste. Dès le mois de juin 1944, Pierre Brisson évoque un projet de Figaro littéraire avec lui [...]
    Mauriac a donc personnellement pour Le Figaro littéraire un véritable projet, il s’agit d’utiliser la littérature à des fins politiques de réconciliation nationale."

    "C’est autour de la rédaction des Lettres françaises que se retrouvent à la Libération les écrivains issus de la Résistance ; c’est pour montrer qu’elle n’est pas l’apanage des communistes que Pierre Brisson crée avec Le Figaro littéraire un concurrent direct à cet hebdomadaire. Arrêté en 1941, Jacques Decour ne voit pas l’aboutissement du projet de journal littéraire qu’il avait formé avec Jean Paulhan. C’est en novembre 1942 que Claude Morgan publie en son nom un texte manifeste dans le premier numéro des Lettres françaises. Un an plus tard, et grâce à l’efficacité d’Édith Thomas, le titre s’est imposé comme lieu d’accueil des auteurs résistants.

    À la Libération, Les Lettres françaises publient le manifeste du Comité national des écrivains appelant à demeurer « unis dans la victoire » et à châtier les « traîtres » ; le journal tire à cent quatre-vingt-dix mille exemplaires. C’est sans doute aussi parce qu’il ne veut pas que cette publication soit le seul témoin du dynamisme des lettres en France que Pierre Brisson lance en 1946 Le Figaro littéraire. Au gré de leurs prises de distance avec le Comité national des écrivains, il convainc de prestigieuses signatures de le rejoindre (Mauriac, Duhamel, Paulhan, puis Martin-Chauffier) et recrute même Georges Adam qui en était rédacteur en chef. Un peu plus d’un an après le lancement du Figaro littéraire, en septembre 1947, les deux hebdomadaires ont un tirage semblable de quatre-vingt mille exemplaires ; dès mars 1948, celui du journal de Pierre Brisson passe en tête (quatre-vingt-sept mille contre soixante-dix mille pour Les Lettres françaises). Hors leurs proximités de périodicité et de forme, c’est dans le contenu des deux publications que l’opposition apparaît : textes de fiction, chroniques et critiques se répondent. L’entrée dans la guerre froide et la prise de contrôle financier des Lettres françaises par le parti communiste radicalisent ensuite la rivalité entre les deux hebdomadaires."

    "Dans plusieurs articles programmatiques, Le Figaro littéraire explique pourquoi il estime que la littérature ne doit pas prendre position dans les débats du siècle. Pourtant, l’hebdomadaire participe au mouvement d’engagement des intellectuels en accueillant des textes de protestation. Le Littéraire publie ainsi, en mars 1947, une déclaration de soutien à la mémoire de Paul Nizan. Il rappelle que Nizan est mort, en mai 1940, sur la route de Dunkerque, qu’il avait adhéré au parti communiste, mais l’avait quitté au moment de la signature du pacte germano-soviétique. Une campagne contre lui avait déjà été déclenchée de son vivant, mais les calomnies se multiplient après sa mort, en particulier après la Libération. Lorsque Louis Aragon écarte les livres de Paul Nizan d’une vente du Comité national des écrivains, la veuve de Nizan contacte Jean-Paul Sartre. Celui-ci compose lui-même le texte de la pétition intitulé « Le cas Nizan ». Le mouvement veut « sauvegarder la mémoire d’un écrivain mort pour la France », dont le souvenir est sali par les communistes qui l’accusent d’avoir été un espion. Le texte publié est signé R. Aron, G. Adam, A. Breton, S. de Beauvoir, A. Billy, P. Brisson, J. Benda, R. Caillois, A. Camus, J. Guéhenno, M. Leiris, M. Merleau-Ponty, F. Mauriac, B. Parain, J. Paulhan, J.-P. Sartre, J. Schlumberger et Ph. Soupault. Si elle se fonde sur les « grandes plumes de la maison » (Adam, Billy, Mauriac et Schlumberger avant tout), la mobilisation en dépasse donc largement les limites. Le texte est relayé par Combat qui le publie à son tour, le 4 avril, et Les Lettres françaises font paraître dans leur numéro du 11 avril 1947 une réponse aux signataires du « manifeste prétendant défendre la mémoire de Paul Nizan […] inégalement qualifiés pour s’insurger au nom de la morale ». Cet article entraîne lui-même une réponse cinglante des Temps modernes, et la publication, en juin, d’un nouvel article en première page du Figaro littéraire [...]
    Jean-Paul Sartre, quant à lui, rédige un texte personnel que Le Figaro littéraire publie en deuxième page."

    "Un an plus tard, c’est la vie quotidienne en URSS qui fournit le sujet d’un autre reportage. Publié dans la rubrique « Document », l’article veut montrer que certains espaces de liberté ont disparu en URSS, comme le droit de grève."

    "En plus des voyages de ses reporters, Le Figaro littéraire se veut particulièrement attentif à l’actualité des arts dans la presse soviétique. Le journal publie, par exemple, la condamnation, relayée dans la Gazette littéraire de Moscou, de la musique « formaliste » :

    « C’est à Moscou que l’événement est survenu – une fois de plus. Le Comité central du parti communiste a publié un manifeste énergique et sévère à l’occasion des représentations de La Grande Amitié, opéra caucasien de Mouradeli. Sous la tendance dite “formaliste” il faut comprendre tout simplement l’art de composer de la musique qui soit d’abord de la musique et non l’auxiliaire des mots d’ordre politiques ou “culturels” en cours. Voici un fragment de la condamnation telle que nous la lisons dans la Gazette littéraire de Moscou : “Cette tendance a trouvé son expression la plus complète dans les œuvres de compositeurs tels que Chostakovitch, Prokofiev, Miaskovski, etc., dont les productions révèlent d’une façon particulièrement sensibles les perversités formalistes, les tendances antidémocratiques en matière musicale, étrangère au peuple soviétique et au goût artistique.” »

    Le Figaro littéraire poursuit la publication du communiqué, qu’il fait suivre d’une lettre de Prokofiev. Le compositeur espère que le public l’aidera à « corriger ses mauvaises tendances »."

    "Jean Rostand est plus offensif. Il répond à un numéro spécial de la revue Europe d’octobre 1948 consacré aux les discussions sur l’hérédité qui viennent d’avoir lieu en URSS. Le sous-titre explique : « La thèse de l’intransmissibilité des caractères acquis serait “réactionnaire”, “bourgeoise”, “idéaliste”, “métaphysique”… Mais est-ce vraiment la faute de l’idéalisme réactionnaire si toutes les expériences tentées pour sauver la croyance à l’hérédité de l’acquis ont fourni des résultats négatifs » La dernière référence à Lyssenko prend place dans la rubrique « Histoire, Sciences, Médecine » en 1950. Rédigé par Julian Huxley, l’article est un plaidoyer pour l’indépendance de la science et des scientifiques."

    "Les interventions d’intellectuels dans Le Figaro littéraire se jouent autour de la condamnation du système soviétique. C’est ce que fait par exemple Arthur Koestler. Né à Budapest et inscrit au parti communiste allemand dès 1931, il a participé à la guerre d’Espagne comme journaliste avant de rompre avec le communisme en 1938. Son roman Darkness at Noon a tout d’abord été publié à Londres en 1940, avant d’être traduit en français, en 1945, sous le titre Le Zéro et l’Infini. Le livre est un des bestsellers de la France de la Libération : l’auteur en vend près de deux cent mille exemplaires en quelques mois. Le Zéro et l’Infini stigmatise la répression stalinienne, en décrivant par le menu les mécanismes des grands procès de Moscou . Koestler reproche son silence à la gauche française :

    « En 1946, la gauche est muette sur les persécutions inouïes, sur les quelque vingt millions d’hommes dans les camps de travail forcé en Russie, tandis que l’opposition de l’Occident au stalinisme se cantonne sur le plan de la politique de puissance. Pour moi, on est anti-stalinien non pas à cause de Trieste ou du pétrole perse, ou du contrôle des Dardanelles, de même qu’on a été anti-hitlériens non pas parce que Hitler voulait l’Anschluss de l’Autriche et de la Sarre : nous étions anti-hitlériens et nous sommes anti-staliniens uniquement pour des raisons éthiques. La politique de puissance ne nous intéresse pas, ce qui nous passionne c’est l’insurrection de l’esprit contre le néomachiavélisme totalitaire. »."

    "la querelle a un versant judiciaire, puisque [David] Rousset assigne en justice Pierre Daix et Claude Morgan, directeur des Lettres Françaises, pour diffamation. Lancée le 11 février 1950, l’assignation débouche sur un procès devant la 7e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine, à partir du 25 novembre suivant. Pour témoigner, les communistes mobilisent les mêmes personnalités que contre Kravchenko, et une nouvelle bataille s’engage sur la réalité des camps soviétiques. Certes, comme Kravchenko avant lui, Rousset gagne son procès le 12 janvier 1951. Mais, même si le parti communiste perd au tribunal, l’isolement de Rousset représente une nouvelle victoire symbolique."

    "De la pétition à l’interview en passant par la tribune libre, plusieurs registres journalistiques sont exploités. C’est par les articles de prise de position que Le Figaro littéraire forge son identité et invente le contre-engagement. Les choix littéraires du journal, même dans la mise à l’écart d’Aragon, ne sont pas lisibles en termes strictement politiques. Ils défendent, certes, une littérature classique et une certaine idée du bon goût français, mais c’est surtout la mise en avant du roman qui est caractéristique."
    -Claire Blandin, « Les interventions des intellectuels de droite dans Le Figaro littéraire. L'invention du contre-engagement », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2007/4 (n° 96), p. 179-194.



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Sam 27 Juil - 8:50