"Laclau et Mouffe citent Merleau-Ponty pour les avoir influencés pendant l’élaboration de leur théorie de l’hégémonie développée dans Hégémonie et stratégie socialiste (1985). Ils proposent d’établir un lien entre leur propre projet, celui de définir le discours comme concept qui contient à la fois le mental et le matériel, le subjectif et l’objectif, et le projet merleau-pontien de « mettre en question » la « dichotomie très classique entre un champ constitué en dehors de toute intervention discursive, et un discours consistant en la pure expression de la pensée ». Avec son concept de perception comme « un moment fondateur plus premier que le Cogito », Merleau-Ponty propose un dépassement de « l’essentialisme inhérent à toute forme de dualisme ».
L’idée que la pratique précède l’objectivité, que l’identification des objets nécessite l’avènement antérieur d’un monde de sens ou d’un monde symbolique, monde où tout objet trouve son sens à travers les investissements de ceux pour qui cet objet fait partie de ce monde, constitue – comme l’admettent Laclau et Mouffe – une idée centrale de la philosophie de Merleau-Ponty. Mais est-ce que les conclusions politiques d’une phénoménologie merleaupontienne seront identiques à celles que tirent Laclau et Mouffe de leurs notions de discours et d’hégémonie ? Pour ces derniers, ces concepts motivent des conclusions politiques touchant à la fois la question des sujets politiques et celle des domaines sociaux de lutte. Si, comme le soulignent Laclau et Mouffe, un sujet politique est construit ou articulé par le travail stratégique d’hégémonie, s’il n’y a nulle « positivité du social », et si le social est construit par des articulations symboliques, cela signifie que toute idée d’un sujet privilégié de la politique ou de la révolution nécessitée par son objectivité sociale – son rapport aux moyens de production – se trouve refusée, y compris évidemment la conception du prolétariat dans le marxisme."
"L’idée que proposent Laclau et Mouffe, à savoir que le social est articulé discursivement, implique que le champ des luttes politiques soit pensé d’une manière radicalement positive : le travail politique n’est pas de faire reconnaître une condition objective que l’on subit déjà, mais de construire des sujets. Il n’y a pas de processus immanent qui conduise d’une expérience à une réaction, par exemple de l’exploitation à la révolte. L’antagonisme social n’est pas le résultat d’une confrontation entre deux êtres objectifs, deux groupes sociaux déjà constitués, mais celui d’une nouvelle articulation du monde social déterminant le fait que cet antagonisme est le site de lutte du moment. Le discours, dans le sens de l’articulation du monde et des sujets politiques, reçoit un nouveau rôle dans cette conception de la politique, et cela implique le langage par lequel les individus s’expriment : ce langage ne dévoile pas un être qui le pré-existe, mais préside à la formation de cet être."
"Le grand intérêt du texte de Lefort, « L’expérience prolétarienne », vient du fait qu’il exprime une perspective philosophique qu’on pourrait nommer merleau-pontienne, où la politique ne se fonde pas sur des bases objectives mais sur la symbolisation où s’exprime notre relation à une histoire qui ne livre pas son sens comme un fait externe, et sur la formation – ou articulation – positive d’un sujet, mais, où cette perspective est pourtant élaborée pour défendre la priorité d’une politique prolétarienne. La question qui se pose d’abord est celle de savoir si c’est le fait objectif d’être ouvrier qui donne au prolétariat ses capacités d’expression de soi, si cette expression est donc secondaire à l’égard d’une objectivité fondatrice – ou si le prolétariat est compris comme un sujet qui se constitue d’une manière symbolique ou discursive."
"Le rôle de la bureaucratie stalinienne en dirigeant la production était strictement lié à l’idée de sa connaissance des lois de l’histoire, comme si ces lois existaient hors de l’existence de ceux qui les subissent. En lieu et place d’une telle conception de l’histoire comme force externe à l’existence des individus, dont les lois sont connues par les dirigeants de la société, l’auto-organisation des ouvriers en construisant le socialisme débouche sur une conception immanente de l’histoire, où son sens n’est jamais dégageable de l’existence de ceux qui la vivent. Une conséquence politique de cette compréhension de l’histoire comme processus effectué sans cesse par l’activité humaine, c’est que le processus qui conduit du capitalisme au socialisme ne se fait pas dans l’avenir, au moment où les moyens de production sont donnés au prolétariat, mais qu’il est déjà à chaque moment en train de se faire, et que le socialisme n’est pas la simple négation du capitalisme, mais que son contenu positif doit être construit, et est déjà en train de se construire dans la pratique des ouvriers. Même si les ouvriers subissent l’exploitation capitaliste qui essaie de les réduire à un état d’objet, le capitalisme lui-même ne pourrait pas fonctionner en tant que mode de production si cette réduction totale arrivait un jour : la créativité des ouvriers est une donnée nécessaire à la production capitaliste, et c’est pour cette raison, nous rappelle Castoriadis, que « le système moderne de l’exploitation […] est incapable de se stabiliser »."
"Pour la bourgeoisie, le monde objectif apparaît comme confirmation de son identité de classe, et elle se trouve concernée simplement par l’amélioration de sa situation actuelle. Mais le prolétariat, qui, à travers son histoire, développe une capacité à diriger en même temps qu’il est empêché d’utiliser cette capacité, vit un conflit profond entre son être objectif dans la société capitaliste et son « sens de classe », une expression de soi qui prendrait avantage de cette capacité à diriger. Donc, « l’intérêt profond » des ouvriers « est de ne pas être ouvriers ». C’est dans le contexte de cette non-coïncidence entre le « sens de classe » et l’objectivité sociale du prolétariat qu’il faut comprendre le rôle conféré par Lefort aux témoignages : cette non-coïncidence implique que l’expression de soi des ouvriers n’est pas la confirmation d’un être qui existe déjà objectivement, mais l’expression d’un désaccord entre « catégorie sociale » et « sens de classe », qui donne au langage prolétarien un contenu positif et non pas un être secondaire.
En outre, c’est cette réalité contradictoire du prolétariat qui donne à la théorie révolutionnaire une raison de s’intéresser à l’expérience concrète du travail, parce que c’est au travail que cette « capacité à diriger » se développe en même temps qu’elle se trouve interrompue par les rapports de direction actuels. Lefort souligne le rôle positif dans le progrès technique joué par les ouvriers, dont l’action « n’a pas seulement la forme d’une résistance, mais aussi celle d’une assimilation continue du progrès et davantage encore d’une collaboration active à celui-ci ». C’est parce que le travail capitaliste n’est pas un domaine de pure négation, auquel la seule réponse serait la résistance et le refus, mais est, en revanche, un domaine où l’empêchement de l’autonomie coexiste avec le développement des pouvoirs techniques des ouvriers qui leur donnent une plus forte capacité à l’autonomie, que l’expérience concrète du travail devient un vrai domaine de recherche militante : c’est dans ce domaine que le sujet révolutionnaire se produit, positivement, et que l’apprentissage même des techniques de production capitaliste fait partie de son développement révolutionnaire."
"On n’est pas en contact avec le monde en tant qu’une conscience abstraite face à un objet qui nous pré-existe et dont on n’a que des impressions plus ou moins justes ; et notre comportement n’est pas le simple effet des idées conscientes qu’on a, ni des conditions objectives auxquelles on est confronté : il y a dans ce comportement toutes les habitudes apprises dans nos rencontres avec un monde de perception, rencontres au cours desquelles nos capacités se développent en relation pratique avec ce qui nous est extérieur. La notion merleau-pontienne d’« arc intentionnel » décrit ce rapport entre notre corps et le monde que nous percevons, arc qui soutient « la vie de la conscience », et qui correspond à la manière selon laquelle on se développe dans la préhension d’un monde extérieur. Lefort veut accéder à ce niveau de l’expérience prolétarienne, parce que c’est à ce niveau que la créativité des ouvriers, ce qu’il appelle leur capacité à diriger, se trouve.
La théorie révolutionnaire doit se mettre à l’écoute de toutes les formes d’expression de ce sujet, sans lui imposer un être défini, parce que, comme nous l’avons déjà souligné, la particularité de ce sujet tient à sa non-coïncidence avec son objectivité sociale actuelle. L’idée des témoignages ouvriers comme « récits de vie ou d’expérience individuelle » est ainsi proposée, et la dernière moitié du texte de Lefort essaie de déterminer la fonction potentielle de ces témoignages, à la suite des premiers exemples déjà publiés par Socialisme ou Barbarie, notamment le texte « L’ouvrier américain » de Paul Romano. La distinction que Lefort hérite de Merleau-Ponty, entre la conscience explicite et les attitudes et comportements implicites, il la réutilise pour défendre la capacité de témoignages individuels à éclairer la généralité de l’expérience prolétarienne. Même si les cas individuels ne montraient des détails et des opinions qui ne sont que personnels, la « situation prolétarienne » partagée, selon Lefort, par tous les ouvriers, pourrait être accessible parmi une pluralité de témoignages divers, et le travail théorique sera « de chercher sur des exemples particuliers des traits qui ont une signification générale. ». Comme le remarque Stephen Hastings-King, le rôle ainsi donné à la théorie en comparant et analysant des témoignages ouvriers pour en dégager une « signification générale » trouve son inspiration dans la notion husserlienne de l’epoché ou « réduction » : en comparant une pluralité de cas, on réduit l’expérience phénoménale à son aspect universel."
"Si pour Lefort, contrairement à Laclau et Mouffe, la « catégorie sociale » que représente le prolétariat lui donne un rôle nécessairement central dans les luttes politiques, ce n’est pas du fait d’un être stable, mais d’une capacité à se dépasser, une capacité dont on ne connaît pas les fins. Dans ce sens, pour Lefort, le prolétariat fonctionne comme le sujet concret du processus de symbolisation que Laclau et Mouffe trouvent déjà accompli : c’est la démocratisation de la direction productive et sociale qui peut donner à l’humanité la capacité de se symboliser au-delà de son être objectif. Ce sujet prolétarien ne se produit pas automatiquement, mais doit être produit par un travail hégémonique accompli par les ouvriers eux-mêmes, dont un instrument central sera leurs moyens d’exprimer un rapport au monde qu’ils continuent à développer en développant leurs capacités créatives."
"Ce texte de Lefort fait écho du texte de Georg Lukács, « Le changement de fonction du matérialisme historique », où l’on trouve l’idée que l’avènement du socialisme (un état sous la dictature du prolétariat) accomplira une mutation dans le marxisme lui-même, en passant d’une société de détermination économique à une société où l’économie est déterminée par la direction consciente collective."
-Conall Cash, « Politique symbolique et expression. « L’expérience prolétarienne » entre Merleau-Ponty et le post-marxisme », Rue Descartes, 2019/2 (N° 96), p. 117-126.
L’idée que la pratique précède l’objectivité, que l’identification des objets nécessite l’avènement antérieur d’un monde de sens ou d’un monde symbolique, monde où tout objet trouve son sens à travers les investissements de ceux pour qui cet objet fait partie de ce monde, constitue – comme l’admettent Laclau et Mouffe – une idée centrale de la philosophie de Merleau-Ponty. Mais est-ce que les conclusions politiques d’une phénoménologie merleaupontienne seront identiques à celles que tirent Laclau et Mouffe de leurs notions de discours et d’hégémonie ? Pour ces derniers, ces concepts motivent des conclusions politiques touchant à la fois la question des sujets politiques et celle des domaines sociaux de lutte. Si, comme le soulignent Laclau et Mouffe, un sujet politique est construit ou articulé par le travail stratégique d’hégémonie, s’il n’y a nulle « positivité du social », et si le social est construit par des articulations symboliques, cela signifie que toute idée d’un sujet privilégié de la politique ou de la révolution nécessitée par son objectivité sociale – son rapport aux moyens de production – se trouve refusée, y compris évidemment la conception du prolétariat dans le marxisme."
"L’idée que proposent Laclau et Mouffe, à savoir que le social est articulé discursivement, implique que le champ des luttes politiques soit pensé d’une manière radicalement positive : le travail politique n’est pas de faire reconnaître une condition objective que l’on subit déjà, mais de construire des sujets. Il n’y a pas de processus immanent qui conduise d’une expérience à une réaction, par exemple de l’exploitation à la révolte. L’antagonisme social n’est pas le résultat d’une confrontation entre deux êtres objectifs, deux groupes sociaux déjà constitués, mais celui d’une nouvelle articulation du monde social déterminant le fait que cet antagonisme est le site de lutte du moment. Le discours, dans le sens de l’articulation du monde et des sujets politiques, reçoit un nouveau rôle dans cette conception de la politique, et cela implique le langage par lequel les individus s’expriment : ce langage ne dévoile pas un être qui le pré-existe, mais préside à la formation de cet être."
"Le grand intérêt du texte de Lefort, « L’expérience prolétarienne », vient du fait qu’il exprime une perspective philosophique qu’on pourrait nommer merleau-pontienne, où la politique ne se fonde pas sur des bases objectives mais sur la symbolisation où s’exprime notre relation à une histoire qui ne livre pas son sens comme un fait externe, et sur la formation – ou articulation – positive d’un sujet, mais, où cette perspective est pourtant élaborée pour défendre la priorité d’une politique prolétarienne. La question qui se pose d’abord est celle de savoir si c’est le fait objectif d’être ouvrier qui donne au prolétariat ses capacités d’expression de soi, si cette expression est donc secondaire à l’égard d’une objectivité fondatrice – ou si le prolétariat est compris comme un sujet qui se constitue d’une manière symbolique ou discursive."
"Le rôle de la bureaucratie stalinienne en dirigeant la production était strictement lié à l’idée de sa connaissance des lois de l’histoire, comme si ces lois existaient hors de l’existence de ceux qui les subissent. En lieu et place d’une telle conception de l’histoire comme force externe à l’existence des individus, dont les lois sont connues par les dirigeants de la société, l’auto-organisation des ouvriers en construisant le socialisme débouche sur une conception immanente de l’histoire, où son sens n’est jamais dégageable de l’existence de ceux qui la vivent. Une conséquence politique de cette compréhension de l’histoire comme processus effectué sans cesse par l’activité humaine, c’est que le processus qui conduit du capitalisme au socialisme ne se fait pas dans l’avenir, au moment où les moyens de production sont donnés au prolétariat, mais qu’il est déjà à chaque moment en train de se faire, et que le socialisme n’est pas la simple négation du capitalisme, mais que son contenu positif doit être construit, et est déjà en train de se construire dans la pratique des ouvriers. Même si les ouvriers subissent l’exploitation capitaliste qui essaie de les réduire à un état d’objet, le capitalisme lui-même ne pourrait pas fonctionner en tant que mode de production si cette réduction totale arrivait un jour : la créativité des ouvriers est une donnée nécessaire à la production capitaliste, et c’est pour cette raison, nous rappelle Castoriadis, que « le système moderne de l’exploitation […] est incapable de se stabiliser »."
"Pour la bourgeoisie, le monde objectif apparaît comme confirmation de son identité de classe, et elle se trouve concernée simplement par l’amélioration de sa situation actuelle. Mais le prolétariat, qui, à travers son histoire, développe une capacité à diriger en même temps qu’il est empêché d’utiliser cette capacité, vit un conflit profond entre son être objectif dans la société capitaliste et son « sens de classe », une expression de soi qui prendrait avantage de cette capacité à diriger. Donc, « l’intérêt profond » des ouvriers « est de ne pas être ouvriers ». C’est dans le contexte de cette non-coïncidence entre le « sens de classe » et l’objectivité sociale du prolétariat qu’il faut comprendre le rôle conféré par Lefort aux témoignages : cette non-coïncidence implique que l’expression de soi des ouvriers n’est pas la confirmation d’un être qui existe déjà objectivement, mais l’expression d’un désaccord entre « catégorie sociale » et « sens de classe », qui donne au langage prolétarien un contenu positif et non pas un être secondaire.
En outre, c’est cette réalité contradictoire du prolétariat qui donne à la théorie révolutionnaire une raison de s’intéresser à l’expérience concrète du travail, parce que c’est au travail que cette « capacité à diriger » se développe en même temps qu’elle se trouve interrompue par les rapports de direction actuels. Lefort souligne le rôle positif dans le progrès technique joué par les ouvriers, dont l’action « n’a pas seulement la forme d’une résistance, mais aussi celle d’une assimilation continue du progrès et davantage encore d’une collaboration active à celui-ci ». C’est parce que le travail capitaliste n’est pas un domaine de pure négation, auquel la seule réponse serait la résistance et le refus, mais est, en revanche, un domaine où l’empêchement de l’autonomie coexiste avec le développement des pouvoirs techniques des ouvriers qui leur donnent une plus forte capacité à l’autonomie, que l’expérience concrète du travail devient un vrai domaine de recherche militante : c’est dans ce domaine que le sujet révolutionnaire se produit, positivement, et que l’apprentissage même des techniques de production capitaliste fait partie de son développement révolutionnaire."
"On n’est pas en contact avec le monde en tant qu’une conscience abstraite face à un objet qui nous pré-existe et dont on n’a que des impressions plus ou moins justes ; et notre comportement n’est pas le simple effet des idées conscientes qu’on a, ni des conditions objectives auxquelles on est confronté : il y a dans ce comportement toutes les habitudes apprises dans nos rencontres avec un monde de perception, rencontres au cours desquelles nos capacités se développent en relation pratique avec ce qui nous est extérieur. La notion merleau-pontienne d’« arc intentionnel » décrit ce rapport entre notre corps et le monde que nous percevons, arc qui soutient « la vie de la conscience », et qui correspond à la manière selon laquelle on se développe dans la préhension d’un monde extérieur. Lefort veut accéder à ce niveau de l’expérience prolétarienne, parce que c’est à ce niveau que la créativité des ouvriers, ce qu’il appelle leur capacité à diriger, se trouve.
La théorie révolutionnaire doit se mettre à l’écoute de toutes les formes d’expression de ce sujet, sans lui imposer un être défini, parce que, comme nous l’avons déjà souligné, la particularité de ce sujet tient à sa non-coïncidence avec son objectivité sociale actuelle. L’idée des témoignages ouvriers comme « récits de vie ou d’expérience individuelle » est ainsi proposée, et la dernière moitié du texte de Lefort essaie de déterminer la fonction potentielle de ces témoignages, à la suite des premiers exemples déjà publiés par Socialisme ou Barbarie, notamment le texte « L’ouvrier américain » de Paul Romano. La distinction que Lefort hérite de Merleau-Ponty, entre la conscience explicite et les attitudes et comportements implicites, il la réutilise pour défendre la capacité de témoignages individuels à éclairer la généralité de l’expérience prolétarienne. Même si les cas individuels ne montraient des détails et des opinions qui ne sont que personnels, la « situation prolétarienne » partagée, selon Lefort, par tous les ouvriers, pourrait être accessible parmi une pluralité de témoignages divers, et le travail théorique sera « de chercher sur des exemples particuliers des traits qui ont une signification générale. ». Comme le remarque Stephen Hastings-King, le rôle ainsi donné à la théorie en comparant et analysant des témoignages ouvriers pour en dégager une « signification générale » trouve son inspiration dans la notion husserlienne de l’epoché ou « réduction » : en comparant une pluralité de cas, on réduit l’expérience phénoménale à son aspect universel."
"Si pour Lefort, contrairement à Laclau et Mouffe, la « catégorie sociale » que représente le prolétariat lui donne un rôle nécessairement central dans les luttes politiques, ce n’est pas du fait d’un être stable, mais d’une capacité à se dépasser, une capacité dont on ne connaît pas les fins. Dans ce sens, pour Lefort, le prolétariat fonctionne comme le sujet concret du processus de symbolisation que Laclau et Mouffe trouvent déjà accompli : c’est la démocratisation de la direction productive et sociale qui peut donner à l’humanité la capacité de se symboliser au-delà de son être objectif. Ce sujet prolétarien ne se produit pas automatiquement, mais doit être produit par un travail hégémonique accompli par les ouvriers eux-mêmes, dont un instrument central sera leurs moyens d’exprimer un rapport au monde qu’ils continuent à développer en développant leurs capacités créatives."
"Ce texte de Lefort fait écho du texte de Georg Lukács, « Le changement de fonction du matérialisme historique », où l’on trouve l’idée que l’avènement du socialisme (un état sous la dictature du prolétariat) accomplira une mutation dans le marxisme lui-même, en passant d’une société de détermination économique à une société où l’économie est déterminée par la direction consciente collective."
-Conall Cash, « Politique symbolique et expression. « L’expérience prolétarienne » entre Merleau-Ponty et le post-marxisme », Rue Descartes, 2019/2 (N° 96), p. 117-126.