https://www.persee.fr/doc/ihtp_0769-4504_1987_num_6_1_2000
"Au printemps 1924, Pierre Morhange, Norbert Guterman, Georges Politzer, tous étudiants en philosophie à la Sorbonne, lancent la revue Philosophies, avec l'aide de leur aîné Jean Grenier [...]
L'aventure, commencée sous la houlette de Max Jacob, va les conduire en 1925 à se rapprocher de Clarté et des Surréalistes, puis, pour plusieurs d'entre eux, à adhérer en 1928 au Parti communiste. [...] Cet itinéraire s'insère dans le mouvement plus général de politisation, en direction du Parti communiste, des avant-gardes culturelles. [...] Proclamant, dans un premier temps, qu'elles représentent la "révolution" spirituelle, les avant-gardes acceptent, à partir de 1925, de soumettre les objectifs de la "révolte de l'esprit" aux perspectives plus larges de la révolution politique et sociale. Cette tentative d'accord avec le Parti communiste échouera la plupart du temps avant 1929." (p.29)
"De 1924 à 1933 paraissent quatre revues [...] Philosophies en 1924-1925 (5 numéros), L'Esprit en 1926-1927 (2 "cahiers"), puis, après l'adhésion d'une partie du "groupe" au Parti communiste, La Revue marxiste en 1929 (7 numéros), qui s'achève par une "affaire" rocambolesque, et enfin Avant-Poste en 1933 (3 numéros). Seuls Pierre Morhange, qui les dirigera toutes les quatre, Norbert Guterman et Henri Lefebvre participent à l'ensemble de ces revues. En premier [...] Jean Grenier se retire dès 1925, ; Georges Friedmann, qui avait rejoint le groupe en 1925,, Paul Nizan, qui l'avait rejoint à son retour d'Aden en 1927, Georges Politzer, rompent en 1929 [...] le premier pour s'éloigner du Parti communiste, les deux autres pour devenir des intellectuels "au service" du Parti." (pp.29-30)
"C'est à ces revues qu'on doit les premières traductions de manuscrits de jeunesse de Marx, les recherches sur Hegel et sur le concept d'aliénation, contemporaines de celles de Lukacs, Heidegger ou Kojève. [...] Par là, le groupe "Philosophies" s'inscrit dans un courant critique qu'il faut rattacher à ce "marxisme occidental" que Merleau-Ponty [en 1955] limitait à la descendance du jeune Lukács et à Sartre." (p.30)
"Lefebvre est [...] en train de perdre la foi, mais [...] ancien élève de Maurice Blondel, arrive farci de Saint Augustin, Jansénius, Pascal, avec en poche un "Essai d'une philosophie de la conscience", dont les extraits serviront bientôt de manifeste philosophique "pré-existentialiste" au groupe. [...]
Bergson est loin d'être le plus visé [...] La cible principale, c'est le rationalisme dominant, qu'il s'agisse de l'idéalisme kantien que, plus qu'Alain, incarne Léon Brunschvicg qui règne sur la Sorbonne, ou du "rationalisme" néo-thomiste qui renaît avec vigueur après guerre [...] Contre le "Parti de l'Intelligence" que tentent de former sur la droite intellectuelle des hommes comme Massis, Maritain, Maurras, les attaques de la gauche "clartéiste" ou dadaïste [...] sont assez bien connues [...] Ce qu'on ignore trop, ce sont celles qui proviennent d'un spiritualisme d'inspiration chrétienne et même "démocrate-chrétienne": ainsi, c'est Blondel qui polémique le plus vivement avec le néo-thomisme de Maritain, le débat culminant en 1923 lors du tricentenaire de la naissance de Pascal." (p.32)
"La coïncidence entre la rupture du groupe avec Max et son rapprochement avec les Surréalistes au cours de l'hiver 1924-1925 est rien moins qu'anecdotique. Il s'agissait de choisir entre deux conceptions de l'avant-garde, de préférer, avec les Surréalistes, un courant radical qui "cherchait plutôt le style dans la vie que l'œuvre" [...] Les jeunes philosophes participent assez banalement de l' "air du temps", se rangent assez facilement dans cette génération du "nouveau mal du siècle" évoquée dans l'article célèbre de Marcel Arland. Leur critique des valeurs traditionnelles, qui prend au départ la forme d'un "appel de l'Orient" contre le "déclin de l'Occident", n'est pas tout à fait originale. Ils la puisent dans le lot commun -Spengler, Keyserling, Guénon, de la plupart des jeunes avant-gardes intellectuelles de l'après-guerre. [...]
Pour Henri Lefebvre et ses amis, le constat est net: "La génération qui précède a fait faillite, radicalement." (pp.34-35)
-Michel Trebitsch, "Le groupe "Philosophies", de Max Jacob aux Surréalistes (1924-1925)", Bulletins de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, Année 1987, 6, pp. 29-38.
"Au printemps 1924, Pierre Morhange, Norbert Guterman, Georges Politzer, tous étudiants en philosophie à la Sorbonne, lancent la revue Philosophies, avec l'aide de leur aîné Jean Grenier [...]
L'aventure, commencée sous la houlette de Max Jacob, va les conduire en 1925 à se rapprocher de Clarté et des Surréalistes, puis, pour plusieurs d'entre eux, à adhérer en 1928 au Parti communiste. [...] Cet itinéraire s'insère dans le mouvement plus général de politisation, en direction du Parti communiste, des avant-gardes culturelles. [...] Proclamant, dans un premier temps, qu'elles représentent la "révolution" spirituelle, les avant-gardes acceptent, à partir de 1925, de soumettre les objectifs de la "révolte de l'esprit" aux perspectives plus larges de la révolution politique et sociale. Cette tentative d'accord avec le Parti communiste échouera la plupart du temps avant 1929." (p.29)
"De 1924 à 1933 paraissent quatre revues [...] Philosophies en 1924-1925 (5 numéros), L'Esprit en 1926-1927 (2 "cahiers"), puis, après l'adhésion d'une partie du "groupe" au Parti communiste, La Revue marxiste en 1929 (7 numéros), qui s'achève par une "affaire" rocambolesque, et enfin Avant-Poste en 1933 (3 numéros). Seuls Pierre Morhange, qui les dirigera toutes les quatre, Norbert Guterman et Henri Lefebvre participent à l'ensemble de ces revues. En premier [...] Jean Grenier se retire dès 1925, ; Georges Friedmann, qui avait rejoint le groupe en 1925,, Paul Nizan, qui l'avait rejoint à son retour d'Aden en 1927, Georges Politzer, rompent en 1929 [...] le premier pour s'éloigner du Parti communiste, les deux autres pour devenir des intellectuels "au service" du Parti." (pp.29-30)
"C'est à ces revues qu'on doit les premières traductions de manuscrits de jeunesse de Marx, les recherches sur Hegel et sur le concept d'aliénation, contemporaines de celles de Lukacs, Heidegger ou Kojève. [...] Par là, le groupe "Philosophies" s'inscrit dans un courant critique qu'il faut rattacher à ce "marxisme occidental" que Merleau-Ponty [en 1955] limitait à la descendance du jeune Lukács et à Sartre." (p.30)
"Lefebvre est [...] en train de perdre la foi, mais [...] ancien élève de Maurice Blondel, arrive farci de Saint Augustin, Jansénius, Pascal, avec en poche un "Essai d'une philosophie de la conscience", dont les extraits serviront bientôt de manifeste philosophique "pré-existentialiste" au groupe. [...]
Bergson est loin d'être le plus visé [...] La cible principale, c'est le rationalisme dominant, qu'il s'agisse de l'idéalisme kantien que, plus qu'Alain, incarne Léon Brunschvicg qui règne sur la Sorbonne, ou du "rationalisme" néo-thomiste qui renaît avec vigueur après guerre [...] Contre le "Parti de l'Intelligence" que tentent de former sur la droite intellectuelle des hommes comme Massis, Maritain, Maurras, les attaques de la gauche "clartéiste" ou dadaïste [...] sont assez bien connues [...] Ce qu'on ignore trop, ce sont celles qui proviennent d'un spiritualisme d'inspiration chrétienne et même "démocrate-chrétienne": ainsi, c'est Blondel qui polémique le plus vivement avec le néo-thomisme de Maritain, le débat culminant en 1923 lors du tricentenaire de la naissance de Pascal." (p.32)
"La coïncidence entre la rupture du groupe avec Max et son rapprochement avec les Surréalistes au cours de l'hiver 1924-1925 est rien moins qu'anecdotique. Il s'agissait de choisir entre deux conceptions de l'avant-garde, de préférer, avec les Surréalistes, un courant radical qui "cherchait plutôt le style dans la vie que l'œuvre" [...] Les jeunes philosophes participent assez banalement de l' "air du temps", se rangent assez facilement dans cette génération du "nouveau mal du siècle" évoquée dans l'article célèbre de Marcel Arland. Leur critique des valeurs traditionnelles, qui prend au départ la forme d'un "appel de l'Orient" contre le "déclin de l'Occident", n'est pas tout à fait originale. Ils la puisent dans le lot commun -Spengler, Keyserling, Guénon, de la plupart des jeunes avant-gardes intellectuelles de l'après-guerre. [...]
Pour Henri Lefebvre et ses amis, le constat est net: "La génération qui précède a fait faillite, radicalement." (pp.34-35)
-Michel Trebitsch, "Le groupe "Philosophies", de Max Jacob aux Surréalistes (1924-1925)", Bulletins de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, Année 1987, 6, pp. 29-38.