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    Dom Deschamps, Le vrai système ou Le Mot de l’énigme métaphysique et morale

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Dom Deschamps, Le vrai système ou Le Mot de l’énigme métaphysique et morale Empty Dom Deschamps, Le vrai système ou Le Mot de l’énigme métaphysique et morale

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 22 Juil - 19:21

    "Les observations morales", deuxième partie :
    Entrée dans l’état de mœurs

    Une fois dans l’état de mœurs, nous serions, mais sans être asservis ni en guerre, à peu près ce que nous étions avant l’invention des arts libéraux, avant que les hommes eussent passé des arts purement utiles, des arts de première nécessité, à ceux qui n’existent que par les excès dans lesquels ils ont donné à tous égards. La vie du temps des patriarches est l’exemple le plus sensible, quoique très imparfait encore, de l’état de vie où nous serions alors.
    Il faudrait, pour y entrer, brûler non seulement nos livres, nos titres et papiers quelconques mais détruire tout ce que nous appelons les belles productions de l’art. Le sacrifice serait grand sans doute ; mais il faudrait le faire : car à quoi bon laisser subsister des monuments, qui ne seraient plus d’aucun usage et qui en prouvant notre intelligence à nos descendants, leur prouveraient notre folie, et nuiraient même à l’objet, utile pour eux, de les éloigner de toute idée de nos mœurs ?
    Je choque par là les idées de la patrie des hommes prétendue la plus excellente, de ce qu’on appelle les hommes cultivés, de cette petite partie qui, très distinguée du peuple qu’elle domine et dont elle tire sa subsistance, ses commodités et son luxe, se croit une raison bien supérieure à celle du peuple : mais elle ne peut pas me nier ce que j’établis, et le sacrifice dont il s’agit est conséquent de ce que j’établis.
    Plus on y réfléchira, et plus on verra que nos livres mêmes de physique et de métaphysique les plus estimés, n’existent, ainsi que tous nos autres livres, qu’au défaut de la vérité, que par notre ignorance foncière et ses tristes effets ; qu’on n’aurait aucun besoin d’eux dans l’état de mœurs, puisque la pratique des pères serait, comme chez nos artisans et nos laboureurs, un livre toujours ouvert pour les enfants, et qu’une façon de pratiquer qui se perfectionnerait, n’aurait pas besoin d’être écrite pour être transmise.
    Nos livres, pour le dire ici, demandent un livre qui prouvât qu’ils sont de trop et qu’il serait de trop lui-même, une fois les hommes éclairés par lui ; et ce livre ne pouvant exister que par eux, il s’ensuit que nous ne pouvions venir à avoir la connaissance qui nous manque, que par les connaissances absurdes et superflues qui l’ont précédéé. Aurais-je médité et fait ces réflexions, sans tout ce que j’ai vu, lu et entendu d’opposé à la droite raison, sans toutes les contrariétés que j’ai saisies dans nos façons de penser et d’agir ? Les hommes ne sont d’accord sur rien d’essentiel, pas même sur la valeur de leur intelligence et de leurs connaissances, dont ils sont si vains. Une chose cependant sur laquelle ils s’accordent généralement, c’est qu’ils sont foncièrement ignorants et extrêmement malheureux les uns par les autres ; et c’est en effet la seule chose sur laquelle ils puissent être d’accord dans l’état où ils sont.
    On a cru suppléer à l’ignorance où l’on est du fond des choses, par des expériences et des observations de toute nature, par la géométrie la plus sublime, par l’érudition la plus vaste, par la culture la plus opiniâtre des sciences et des arts ; et on s’est grossièrement trompé, puisqu’il est vrai que tout cela, qui nous donne une si grande et si fausse idée de nous, n’a eu lieu que par cette ignorance, et qu’il n’en serait plus question, si elle était une fois vaincue (o).
    (o) Est-il un homme, pour peu qu’il jette un coup d’œil sur l’excès de nos misères et qu’il voie la superficie de notre globe n’être qu’un amphithéâtre où le faible succombe presque toujours sous le fort et où le fort même n’est pas en sûreté, est-il un homme, dis-je, qui puisse, non pas me faire un crime de chercher à vaincre notre ignorance, mais n’y pas donner son applaudissement .
    III - Une existence physique heureuse
    A quoi se bornent les besoins raisonnables de l’homme, si ce n’est à faire une société sûre avec ses semblables, à habiter un séjour sain et gracieux, à être logé simplement et couché de même, à être modérément occupé de travaux utiles et jamais pressés, à avoir de quoi se nourrir, avec qui jouir et de quoi se vêtir ? Tout ce qui est au-delà de ces besoins, ainsi que tout le raffinement que nous mettons à les satisfaire, est un superflu qui nous tue. S’il est vrai que la vie des hommes a été aussi longue autrefois qu’on l’a écrit, la simplicité de leurs mœurs et de leurs façons de vivre a pu seule en être la cause, mais que cette simplicité était encore éloignée de celle des véritables mœurs !
    Une fois sous leur empire, où l’on ne connaîtrait ni commandement, ni obéissance, nous coulerions nos jours dans l’abondance du nécessaire, sans tien ni mien, laborieusement sans fatigue, commodément à peu de frais, frugalement sans dégoût, voluptueusement sans satiété, sainement sans médecins, longuement sans caducité, amicalement sans liaisons particulières, socialement sans nous craindre, sans éprouver ces perfides retours, si communs dans nos sociétés ; uniformément sans ennui, et tranquillement sans inquiétude ni peine d’esprit quelconque, sans appréhender de déboires de notre état, sans craindre d’être moins bien, sans désirer d’être mieux, sans envier, vu l’égalité qui régnerait, le sort de nos semblables.
    Nous n’étudierons la nature qu’autant qu’il nous serait indispensable de le faire, qu’autant que l’utile le demanderait de nous, et alors nous ne l’étudierions que dans les objets les moins éloignés, les plus faciles et les plus analogues à notre personnalité. Chacun de nous concourrait au besoin commun de la société, seul objet qu’auraient nos occupations, et tous les genres d’occupation iraient à peu près et également à chacun ; parce qu’ils seraient simples et nullement recherchés. Chaque homme serait à tout et passerait d’un travail à un autre, de façon que la folle et funeste division des hommes en différents état se trouverait entièrement anéantie, puisqu’elle le serait à l’égard même des états utiles.
    On ne jouirait pas des plaisirs et des avantages dont nous ne jouissons, dans notre état policé, que par la folie même de cet état ; on n’éprouverait pas de ces impressions de théâtre qui nous jettent dans l’état convulsif des ris et des pleurs, (p) de ces passions fortes qui nous énervent en nous faisant jouir avec excès ; on ne goûterait pas les sensations vives, mais toujours momentanées, d’un amant heureux, d’un héros vainqueur, d’un ambitieux parvenu, d’un artiste couronné, d’un avare qui contemple son trésor, d’un grand bouffi de ses titres et de son extraction ; on n’aurait pas de ces femmes adorables, de ces palais superbes, de ces ameublements magnifiques, de ces jardins enchantés, de ces parcs, de ses avenues immenses, de ces mets recherchés, de ces bijoux précieux, de ces chars transparents etc., choses qui font moins le bonheur de ceux qui les possèdent, que le malheur de ceux qui en sont privés. Mais tous ces avantages et jouissances factices qui sortent de la classe des vrais besoins de l’homme, et qui par là même entraînent tant de dégoûts et d’inconvénients après eux, seraient compensés par des jouissances et des avantages bien plus réels, bien plus durables et d’un tout autre prix. On ne souffrirait pas d’ailleurs de leur privation ; car on n’en n’aurait pas la plus légère idée.
    (p) On ne rirait ni ne pleurerait dans l’état de mœurs ; l’air serein y serait généralement répandu sur tous les visages, qui auraient tous à peu près les mêmes formes, comme je l’ai dit : Une femme y ressemblerait extrêmement à une autre femme aux yeux d’un homme, et un homme extrêmement à un autre homme aux yeux d’une femme ; et tant par cette raison que par toutes les raisons possibles qui concourreraient avec celle-là, rien n’y contrarierait la communauté des femmes pour les hommes, et des hommes pour les femmes. Si on niait cette vérité ou qu’on en doutât, on ne le ferait qu’autant qu’on porterait dans l’état de mœurs l’idée de l’état de lois, ou de l’état sauvage.

    IX - La langue

    On parlerait dans l’état de mœurs une langue facile à apprendre : car elle serait extrêmement moins abondante et bien plus simple que celles qui nous transmettent, en les apprenant, les absurdités et les travers de nos père. L’usage suffirait pour l’apprendre aux enfants, qui n’auraient besoin d’aucuns principes sur elles, et rien ne demanderait qu’on les assujettît à la lire et à l’écrire : car à quoi bon les assujettir à cette tâche très pénible pour eux, qui leur serait entièrement inutile ? Toutes nos écritures et tous nos livres n’ont d’existence que par la folie de nos mœurs (x).
    (x) On écrit et on travaille sans cesse pour parvenir à remédier aux inconvénients que les lois et ordonnances quelconques entraînent après elles ; et il y aura toujours matière à écrire et à travailler parce que ces inconvénients sont dans la nature des lois qu’on laisse subsister. Tout est en question dans nos mœurs ; on est encore à y déterminer les droits des rois et des peuples, ceux du trône et du sacerdoce ; et si l’on n’a rien que de vagues sur ces deux objets, c’est uniquement parce que le fond en est vicieux.
    Les langues s’épureraient d’elles-mêmes de tous les mots qui y sont de trop ; et combien n’y aurait-il pas de ces mots pour des hommes éclairés dans la vérité, qui n’auraient plus matière à raisonner, qui ne converseraient pas uniquement pour converser, comme nous le faisons, et qui ne connaîtraient ni nos passions factices, ni tout ce que nous avons mis de factice dans les objets de nos appétits, ni nos connaissances vaines, ni nos arts superflus ? Il serait à souhaiter qu’il y eût la même langue partout où existerait l’état de mœurs, et c’est ce qui serait facile, la langue étant alors aussi simple qu’elle le serait, et les hommes communiquant tous ensemble de proche en proche, sans être partagés en différentes nations. Il n’y aurait pas à craindre que cette langue changeât, qu’elle dégénérât en jargon, ou qu’elle fût susceptible, comme les nôtres, d’être toujours épurée et enrichie ; elle serait stable et ne varierait point.
    Les hommes dans l’état de mœurs s’entendraient aussi parfaitement que nous nous entendons mal ; ils auraient l’esprit conséquent sans avoir besoin de nos règles de logique, et par le pouvoir qu’a la vérité seule d’organiser les têtes comme il faut (y). Les leçons d’éloquence, de poésie, de musique, de peinture et autres arts libéraux, leur seraient aussi inutiles que celles de grammaire et de logique ; ils se borneraient à l’essentiel des connaissances, et leur enfance conséquemment ne serait pas tyrannisée comme la nôtre, ainsi que notre adolescence, et comme elle l’est au grand détriment de notre raison, de l’égalité de notre humeur, de notre tranquillité et de notre santé.
    (y) L’effet de la vérité ne peut être autre chose que de rendre nos têtes aussi harmoniques qu’elles sont dissonantes.
    Les arts agréables dont nous faisons généralement le plus de cas, comme l’éloquence et la poésie, n’existent qu’au défaut de la vérité et des mœurs qui sont conséquentes. On a toujours dit que la vérité était faite pour paraître toute nue : cela s’étend beaucoup plus loin qu’on ne l’a pensé, puisqu’il est vrai qu’elle rejette non seulement toute parure dans le discours, mais toute harmonie factice qui sort de l’utile. Nous n’avons des orateurs, des poètes, des chanteurs, des danseurs, des peintres, etc. que parce que nos sommes mille fois plus fous, relativement aux hommes, dans l’état de mœurs que les fous des petites maisons ne le sont relativement à nous. Cette vérité est dure ; mais ce n’est pas nous encore en fois qui péchons, c’est notre état social.
    Les arts agréables sont des ingrédients qui entrent nécessairement dans nos mœurs, et dont nous avons besoin pour nous délasser de nos fatigues d’esprit et de corps, pour nous arracher à l’ennui, pour mettre quelque consonance dans la dissonance des parties qui nous composent, et pour repaître notre imagination, soit des beautés de la nature dont elle ne jouit point dans le sein de nos villes, soit de tout autre objet capable de la réjouir. Mais dans des mœurs où nous serions tous occupés de travaux faciles, que nous ferions par goût et par intérêt, dans des mœurs qui nous rendraient heureux par elles-mêmes, et qui se refuseraient à tout ce qui pourrait être objet de rivalité, à quoi ces sortes d’arts pourraient-elles nous être utiles ?

    Conclusion

    L’état de mœurs ou l’état social sans lois, tel que je viens de le crayonner, est le véritable état de l’homme en société ; et si, après l’avoir lu et l’avoir vu établi sur notre ignorance vaincue, on venait encore à dire, ou qu’il ne peut pas être substitué à l’état de lois, ou qu’il est impossible dans la pratique, ou qu’il entraîne des inconvénients après lui, ou que l’état de lois divines et humaines lui est préférable, on ne mériterait pour toute réponse que d’être renvoyé à relire et à réfléchir (r).
    (r) Si les hommes par impossible acquéraient la faculté, d’aujurd’hui à demain, de se rendre invisibles, ou toute autre faculté qui les rendît les maîtres de la vie et de la fortune les uns des autres, ils ne pourraient plus vivre en société qu’en convenant de vivre dans l’égalité morale, seul moyen de n’avoir plus aucun motif d’user de leur faculté et de n’en plus user. C’est donc à cet état d’égalité que toute raison réelle ou imaginaire les amène.
    Les seuls lecteurs qui mériteraient d’autres réponses sont ceux qui, satisfaits d’ailleurs de ma spéculation métaphysique et morale, ne demanderaient que des éclaircissements. Je souhaite qu’il s’en trouve beaucoup de cette espèce : car c’est par des éclaircissements demandés et donnés que son développement aurait toute sa force, et que la persuasion gagnerait bientôt les esprits aussi généralement que la vérité l’exige pour avoir son effet.

    Dom Léger-Marie Deschamps Le vrai système ou Le Mot de l’énigme métaphysique et morale
    " Les observations morales ", deuxième partie : Entrée dans l’état de mœurs, p. 158/162 ; IX - La langue, p. 173/176 ; Conclusion, p.197/198.
    1re édition en 1762 Paris : Droz, 1939


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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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