"Selon celui-ci, la particularité des objets techniques est qu’ils trouvent leur finalité dans leur propre fonctionnement. Ils développent leur cohérence interne, intégrant de façon toujours plus interdépendante les éléments qui les composent. L’objet technique réduit ainsi l’individualité de ses divers éléments et les amène à resserrer leur complémentarité. Progressivement, chacun de ces éléments est lié aux autres par un système de relations de plus en plus riche et complexe. D’autre part, un peu à la façon d’un élément naturel qui établit des relations d’équilibre avec ceux qui l’entourent, l’objet technique tend à réunir les éléments extérieurs nécessaires à son fonctionnement, à les constituer en milieu et à établir un système équilibré de relations avec ce milieu, le milieu associé. Qu’il s’agisse de l’agencement de ses éléments internes ou de celui de son milieu associé, l’objet technique évolue donc vers la perfection de son fonctionnement, sans jamais y parvenir, cela va sans dire. Non seulement les éléments de l’objet conservent des spécificités irréductibles, mais surtout les éléments environnants résistent à leur soumission à la logique technique de l’objet. Cette résistance œuvre à travers les éléments de l’objet technique.
La proposition de Simondon souligne l’aspect technique des relations que l’usine entretient avec son environnement, à propos de la gestion de la main-d’œuvre, des aléas de la conjoncture économique, de l’équipement régional. Ces éléments environnants, obéissant à des logiques spécifiques et des exigences propres, interviennent à leur tour dans l’usine à travers les éléments internes qu’ils influencent. La tendance de l’usine à agencer son environnement social, économique, politique ou géographique est sans cesse remise en cause par des évolutions qui échappent à son contrôle. Plus important pour notre sujet, l’idée d’une trajectoire attribuée aux objets techniques éclaire les changements incessants que connaît l’usine dans son organisation interne et ses aménagements techniques, à travers l’introduction de matériels nouveaux, la transformation de ses installations et de ses méthodes. Elle permet de rendre compte de l’évolution de l’usine dans la durée sans se référer nécessairement à la perspective du progrès. La logique de l’objet technique, guidé par son propre fonctionnement, se distingue en effet de celle de l’outil déterminée par l’usage et qui tend vers son efficacité maximale."
"L’usine franchit ainsi une nouvelle étape vers la réalisation de cette machine d’un nouveau type – objet technique selon la définition de Simondon – que devient de plus en plus l’usine globale : un système intégré de circulation des composants dans le cours de la fabrication des automobiles."
-Nicolas Hatzfeld, "De l’usure des corps au grippage de l’usine. L’histoire des ateliers automobiles éclairée par Simondon (XXe siècle)", p. 137-149: https://books.openedition.org/pur/109320