https://vimeo.com/128666476
https://www.youtube.com/watch?v=5HL22xsVK4c
"La politique, c'est pas dans la conception grecque uniquement -pas du tout même- les intrigues sur un pouvoir qui existe ; ça, ça a existé toujours, les chinois, chez les indiens, ou n'importe qui, chez les Aztèques, y a un roi, et puis des prêtres et puis ils intriguent et c'est une question de "comment gérer le pouvoir ?". Et la politique chez les grecs c'est: "comment faut-il instituer la société ?". C'est-à-dire, quelle est la bonne société, quelle est la juste société et par quels institutions cette juste société peut s'incarner. Et la réponse démocratique c'est: ce n'est que le peuple qui doit vivre sous ses lois qui peut décider de quelles sont les meilleurs lois. Donc ça c'est la liaison avec la politique qui conduit tout de suite à une liaison avec la philosophie."
"Aristote était un grand philosophe mais qui a vécu après, pratiquement, la grande période démocratique. Mais c'était un philosophe très...comment dire...terriblement travailleur, terriblement précis ; il a créé une école et il a réuni a peu près 160 [...] constitutions de cités grecques et même de certaines cités étrangères."
"C'est le peuple lui-même qui est ce que nous appelons État, c'est-à-dire qui est le pouvoir politique. Alors que dans l'imaginaire politique moderne, nous ne sommes jamais sortis finalement de la conception qui a été créé par la monarchie absolue: c'est-à-dire, qu'il y a là le pouvoir, quelque part, un monstre, le Léviathan comme a dit Hobbes ; ce monstre, de temps en temps, sort, n'est-ce pas, comme ça, de sa grotte, et demande dix milles jeunes gens et quarante milles jeunes filles pour les manger et cent milles personnes pour les tuer, etc, demande l'argent et tout le reste. Nous ne pouvons rien à l'égard de ce monstre, ce que nous pouvons faire c'est placer autour de sa grotte des barricades en papier, qui s'appellent les constitutions, qui limitent les prérogatives de l'Etat. Et on peut le voir avec quelque chose, sur un point qui est très amusant, c'est le problème de la délation. Nous avons une conception de la délation, n'est-ce pas. Dénoncer quelqu'un, en principe, ça ne se fait pas, c'est même infâme. Déjà ça commence à l'école: "c'est un donneur", etc. Actuellement je ne sais pas quelle est la mentalité mais enfin je pense que même un meurtrier, on le dénoncerait pas. Et, y a passage de Platon -Platon aussi est dans la décadence, c'est après la démocratie, il hait la démocratie, il la décrit de façon tout à fait calomniatrice mais c'est pas le problème. Il discute dans un livre qui s'appelle "Les Lois", et il veut régler la question de la délation en disant qu'est-ce que le délateur peut faire, doit faire. Il veut réglementer, d'une certaine façon, la délation. Et les philologues et les philosophes modernes sont ahuris devant ce phénomène, et les plus indulgents parmi eux disent: "évidemment, comme à Athènes, y avait pas de tribunaux professionnels, qu'il n'y avait pas de procureur, que les policiers étaient des esclaves...les policiers de la ville était des esclaves -qui était sous les ordres d'un magistrat qui lui-même était un citoyen-, évidemment que les athéniens étaient obligés de recourir au fait que chaque citoyen pouvait dénoncer quelqu'un d'autre. Mais si on réfléchis on peut voir toute la différence de la conception. Ou bien les lois sont mes lois, je les ai votés, même si j'étais minoritaire -j'étais contre cette loi- mais j'accepte la règle démocratique. C'est-à-dire, une loi qui a été votée, c'est notre loi. A la limite, si je n'en veux pas, je peux quitter la ville, sans demander l'autorisation de personne. Si les lois sont mes lois, et que quelqu'un d'autre les transgresse, ça appartient aussi à moi, et pas à un corps professionnel spécialisé de faire observer la loi. D'où le fait que n'importe quel citoyen peut accuser n'importe qui d'autre d'avoir commis tel ou tel délit. [...] Chez nous, qu'est-ce qui se passe ? Nous avons encore la conception que la loi c'est pas notre loi. Que la loi, c'est la loi du Roi. [...] Donc ces toujours leur loi. Nous sommes toujours les serfs, qui essayons de nous tirer de la règlementation imposée par le seigneur, ou par le Roi. Donc nous ne nous dénonçons pas entre nous, puisque de toute façon la loi c'est la loi des autres."
"L'activité politique dans les sociétés modernes ne peut se réaliser que sous cette forme paroxystique de crises."
"Nous modernes, nous avons encore -et ça, ça se voit dans mille et un domaines- l'illusion d'un savoir absolu dans la politique. Et ça vient de loin ça ; ça vient de Hegel, ça vient de Marx, ça vient de Platon aussi, d'ailleurs. [...] […] Dans la politique nous avons uniquement de la doxa, c’est-à-dire de l’opinion."
"L'activité politique c'est comme la nage."
"Vivre avec quelqu'un c'est pas seulement des moments d'extase."
"La philosophie telle que les Grecs -pas seulement Platon, mais déjà avant Platon, c'est les pré-socratiques- l'ont créés, c'est précisément que je suis libre de penser et que je suis libre de m'interroger. Je ne suis pas arrêté par le fait que dans le Pentateuque, la vérité est déjà dite. [...] Y a pas cette vérité dernière, incarnée par le Parti ou par le Secrétaire Général. La question que se pose les Grecs, et c'est ça l'origine de la philosophie -l'origine de la philosophie c'est pas "qu'Est-ce que l'être ?"-parce que qu'est que l'être, c'est une question à laquelle les Bantous ont une réponse...Tous le monde, les chinois, les indiens, y a des trucs énormes. La question c'est: qu'est-ce que je dois penser ? Et ça commence par la critique des représentations de la tribu. Les gens croyaient que, et puis viennent les philosophes présocratiques qui disent: mais tout ça c'est des histoires, c'est des fables. [...] Philosopher, c'est se demander qu'est-ce que je dois penser ? Et ça que je peux penser ne peut pas s'éteindre. Une fois que la question a surgi, je suis toujours saisi par cette question. [...] Si les Grecs ont créés quelque chose, c'est la liberté. C'est la liberté de penser et la liberté d'agir. [...] Personne ne peut confondre un vers d'Hésiode avec un vers d'Homère. L'individu créateur apparaît. C'est ça la liberté."
"Il n'y a aucune justification de l'esclavage en Grèce. [...] Les enfants grecs sont élevés en apprenant Homère. Ils l'apprennent par cœur. [...] Dans Homère, les personnages les plus émouvants et les plus humains, ce sont pas les Grecs, ce sont les Troyens. La vraie figure tragique et héroïque de l'Iliade c'est pas Achille, c'est Hector qui va être tué. [...] Achilles ne bat pas Hector parce qu'il est le plus fort. Il le bat parce que la déesse Athéna est à ses côtés pendant la bataille ; elle triche [...] Y a Andromaque, qui est une figure extraordinaire ; qu'est-ce qu'elle dit Andromaque dans les fameux adieux à Hector ? [...] Elle dit: tu vas encore à la guerre, tu vas être tué, et ta femme va être esclave [...] Les Grecs savent qu'un Roi peut devenir esclave. Donc il ne peut pas y avoir de justification de l'esclavage. Y a des gens qui ont perdus à la guerre et qu'on a réduit en esclavage, c'est tout, ils ont pas des âmes inférieures. Le premier qui donne une justification, il faut attendre la fin du IVème siècle, c'est Aristote. Il donne une justification très étrange, en disant que les esclaves sont ceux qui ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes. [...] Mais le même Aristote dit, ce qui prouve qu'il était ambigû sur cette question, que "il faut que ayons des esclaves pour faire les travaux banausiques, les travaux bas, indignes des citoyens ; mais si nous avions des machines à tisser, nous n'aurions pas besoin d'esclaves."
"Quand on lit les poèmes homériques, on est tout à fait frappé que les Troyens, à aucun moment, ne sont posés comme inférieurs par rapport aux Grecs."
"Hubris, mot grec irremplaçable. Orgueil c'est trop faible pour le dire. [...] Qu'est-ce que c'est que l'hubris ? Les Grecs sont libres, créent la liberté, et savent en même temps qu'il y a des limites. Mais ces limites ne sont pas fixées. Y a pas une Table des Lois. Bien sûr y a des règles de morale, etc. Mais par ailleurs, personne ne peut savoir d'avance s'il ne va pas trop loin, et pourtant il doit le savoir. Et quand on va trop loin, c'est l'hubris. C'est la démesure, et cet hubris est puni par une sorte d'ordre impersonnel du monde qui ramène toujours, ce qui est excès, qui a dépassé l'ordre. Il le ramène, en prenant le contrepied, en l'abîmant, en le jetant dans l'abîme, en le détruisant. La catastrophe fait tout aussi partie du monde grec que la création."
"Les autres vous en veulent non pas pour ce qu'ils disent mais parce que vous avez cette puissance. Donc on ne peut pas éviter la guerre."
"La Guerre entre les Athéniens et les Spartiates, la Guerre du Péloponnèse, était en même temps une guerre civile. Les démocrates dans toutes les cités soutenaient les Athéniens et les aristocrates soutenaient les Spartiates."
"Pour un Grec, les dieux n'ont rien dit. Ils s'occupent de leurs propres affaires."
"Il n'y a pas de tragédie grecque. Il n'y a de la tragédie qu'à Athènes. Et il y a de la tragédie à Athènes parce qu'Athènes est une cité démocratique. Et la tragédie est une institution qui fonctionne et joue un rôle tout à fait fondamental dans la démocratie, parce que la tragédie rappelle constamment l'hubris. C'est ça la leçon essentielle de la tragédie. Donc parler de la "tragédie grecque", c'est ne rien comprendre. Parce que du théâtre il y a eu partout. Y a un merveilleux théâtre japonais, un merveilleux théâtre chinois, le théâtre indien est fantastique. A Bali, il y a des représentations fantastiques. C'est pas les grecs qui ont inventé le théâtre, c'est un mensonge. Mais les Grecs ont inventés la tragédie, qui est tout à fait autre chose."
"L'image des Grecs est qu'il y a un fond indicible du monde, chaotique, sur lequel règne une seule loi, c'est ce qu'ils appellent l'anankê, la nécessité. [...] Y aussi un cosmos, c'est à dire un ordre. Mais cet ordre repose sur un désordre. [...] Et c'est parce qu'ils ont cette vue du monde qu'ils peuvent créer la philosophie et la démocratie. La philosophie présuppose que le monde n'est pas chaos, n'est pas néant total -autrement on a, tout au plus, le bouddhisme-, mais qu'il y a un certain ordre ; mais que cet ordre n'épuise pas tout. C'est pourquoi nous pouvons penser dessus, corriger notre pensée, etc."
"Les dieux sont immortels mais pas éternels, ils sont nés à un certain moment, et leur pouvoir est passager."
"Si c'est Zeus le chef suprême, c'est pas par des vertus intrinsèques de Zeus. Y a eu un coup de dès au départ."
-Cornelius Castoriadis, interview avec Chris Marker, 1989.
https://www.youtube.com/watch?v=eqD8y5wuA2E
"Le scepticisme est irréfutable, le véritable sophiste est irréfutable. [...] A partir du moment où l'autre accepte de se contredire, y a pas de réfutation possible."
"J'insiste sur le terme création ex nihilo, pourquoi ? Pour montrer que lorsque quelque chose est crée, ce qui est crée, on ne peut pas le dériver ou le produire à partir de ce qui était déjà là."
-Cornelius Castoriadis, Entretien avec Philippe Nemo, France Culture, L'autre scène, 1983.05.30.
https://www.youtube.com/watch?v=7S1IKBG5wYg
"La politique a toujours été un métier bizarre. Car elle présuppose deux capacités qui n'ont aucun rapport intrinsèque: la première capacité, c'est d'accéder au pouvoir [...] ça, ça implique un art de l'accession au pouvoir [...] la deuxième c'est une fois accéder au pouvoir, d'en faire quelque chose, c'est-à-dire de gouverner."
-Cornelius Castoriadis, Post-Scriptum sur l'Insignifiance, Émission Là-bas si j'y suis, France Inter, 25 novembre 1996.
https://www.youtube.com/watch?v=sI5xlrQDC9g
"J'écris, j'essaye d'écrire, comme quelqu'un qui veut être compris de tout le monde. [...] Si j'ai un modèle d'écriture dans la tête c'est Aristote."
"Il y a Max Weber, qui pour moi a été une très grande influence."
"Je ne pense pas qu'on peut déduire une politique d'une philosophie ou d'un savoir."
-Cornelius Castoriadis, Entretien avec Katharina von Bulow, "BON PLAISIR", France Culture, 1996.04.20.
https://www.youtube.com/watch?v=5HL22xsVK4c
"La politique, c'est pas dans la conception grecque uniquement -pas du tout même- les intrigues sur un pouvoir qui existe ; ça, ça a existé toujours, les chinois, chez les indiens, ou n'importe qui, chez les Aztèques, y a un roi, et puis des prêtres et puis ils intriguent et c'est une question de "comment gérer le pouvoir ?". Et la politique chez les grecs c'est: "comment faut-il instituer la société ?". C'est-à-dire, quelle est la bonne société, quelle est la juste société et par quels institutions cette juste société peut s'incarner. Et la réponse démocratique c'est: ce n'est que le peuple qui doit vivre sous ses lois qui peut décider de quelles sont les meilleurs lois. Donc ça c'est la liaison avec la politique qui conduit tout de suite à une liaison avec la philosophie."
"Aristote était un grand philosophe mais qui a vécu après, pratiquement, la grande période démocratique. Mais c'était un philosophe très...comment dire...terriblement travailleur, terriblement précis ; il a créé une école et il a réuni a peu près 160 [...] constitutions de cités grecques et même de certaines cités étrangères."
"C'est le peuple lui-même qui est ce que nous appelons État, c'est-à-dire qui est le pouvoir politique. Alors que dans l'imaginaire politique moderne, nous ne sommes jamais sortis finalement de la conception qui a été créé par la monarchie absolue: c'est-à-dire, qu'il y a là le pouvoir, quelque part, un monstre, le Léviathan comme a dit Hobbes ; ce monstre, de temps en temps, sort, n'est-ce pas, comme ça, de sa grotte, et demande dix milles jeunes gens et quarante milles jeunes filles pour les manger et cent milles personnes pour les tuer, etc, demande l'argent et tout le reste. Nous ne pouvons rien à l'égard de ce monstre, ce que nous pouvons faire c'est placer autour de sa grotte des barricades en papier, qui s'appellent les constitutions, qui limitent les prérogatives de l'Etat. Et on peut le voir avec quelque chose, sur un point qui est très amusant, c'est le problème de la délation. Nous avons une conception de la délation, n'est-ce pas. Dénoncer quelqu'un, en principe, ça ne se fait pas, c'est même infâme. Déjà ça commence à l'école: "c'est un donneur", etc. Actuellement je ne sais pas quelle est la mentalité mais enfin je pense que même un meurtrier, on le dénoncerait pas. Et, y a passage de Platon -Platon aussi est dans la décadence, c'est après la démocratie, il hait la démocratie, il la décrit de façon tout à fait calomniatrice mais c'est pas le problème. Il discute dans un livre qui s'appelle "Les Lois", et il veut régler la question de la délation en disant qu'est-ce que le délateur peut faire, doit faire. Il veut réglementer, d'une certaine façon, la délation. Et les philologues et les philosophes modernes sont ahuris devant ce phénomène, et les plus indulgents parmi eux disent: "évidemment, comme à Athènes, y avait pas de tribunaux professionnels, qu'il n'y avait pas de procureur, que les policiers étaient des esclaves...les policiers de la ville était des esclaves -qui était sous les ordres d'un magistrat qui lui-même était un citoyen-, évidemment que les athéniens étaient obligés de recourir au fait que chaque citoyen pouvait dénoncer quelqu'un d'autre. Mais si on réfléchis on peut voir toute la différence de la conception. Ou bien les lois sont mes lois, je les ai votés, même si j'étais minoritaire -j'étais contre cette loi- mais j'accepte la règle démocratique. C'est-à-dire, une loi qui a été votée, c'est notre loi. A la limite, si je n'en veux pas, je peux quitter la ville, sans demander l'autorisation de personne. Si les lois sont mes lois, et que quelqu'un d'autre les transgresse, ça appartient aussi à moi, et pas à un corps professionnel spécialisé de faire observer la loi. D'où le fait que n'importe quel citoyen peut accuser n'importe qui d'autre d'avoir commis tel ou tel délit. [...] Chez nous, qu'est-ce qui se passe ? Nous avons encore la conception que la loi c'est pas notre loi. Que la loi, c'est la loi du Roi. [...] Donc ces toujours leur loi. Nous sommes toujours les serfs, qui essayons de nous tirer de la règlementation imposée par le seigneur, ou par le Roi. Donc nous ne nous dénonçons pas entre nous, puisque de toute façon la loi c'est la loi des autres."
"L'activité politique dans les sociétés modernes ne peut se réaliser que sous cette forme paroxystique de crises."
"Nous modernes, nous avons encore -et ça, ça se voit dans mille et un domaines- l'illusion d'un savoir absolu dans la politique. Et ça vient de loin ça ; ça vient de Hegel, ça vient de Marx, ça vient de Platon aussi, d'ailleurs. [...] […] Dans la politique nous avons uniquement de la doxa, c’est-à-dire de l’opinion."
"L'activité politique c'est comme la nage."
"Vivre avec quelqu'un c'est pas seulement des moments d'extase."
"La philosophie telle que les Grecs -pas seulement Platon, mais déjà avant Platon, c'est les pré-socratiques- l'ont créés, c'est précisément que je suis libre de penser et que je suis libre de m'interroger. Je ne suis pas arrêté par le fait que dans le Pentateuque, la vérité est déjà dite. [...] Y a pas cette vérité dernière, incarnée par le Parti ou par le Secrétaire Général. La question que se pose les Grecs, et c'est ça l'origine de la philosophie -l'origine de la philosophie c'est pas "qu'Est-ce que l'être ?"-parce que qu'est que l'être, c'est une question à laquelle les Bantous ont une réponse...Tous le monde, les chinois, les indiens, y a des trucs énormes. La question c'est: qu'est-ce que je dois penser ? Et ça commence par la critique des représentations de la tribu. Les gens croyaient que, et puis viennent les philosophes présocratiques qui disent: mais tout ça c'est des histoires, c'est des fables. [...] Philosopher, c'est se demander qu'est-ce que je dois penser ? Et ça que je peux penser ne peut pas s'éteindre. Une fois que la question a surgi, je suis toujours saisi par cette question. [...] Si les Grecs ont créés quelque chose, c'est la liberté. C'est la liberté de penser et la liberté d'agir. [...] Personne ne peut confondre un vers d'Hésiode avec un vers d'Homère. L'individu créateur apparaît. C'est ça la liberté."
"Il n'y a aucune justification de l'esclavage en Grèce. [...] Les enfants grecs sont élevés en apprenant Homère. Ils l'apprennent par cœur. [...] Dans Homère, les personnages les plus émouvants et les plus humains, ce sont pas les Grecs, ce sont les Troyens. La vraie figure tragique et héroïque de l'Iliade c'est pas Achille, c'est Hector qui va être tué. [...] Achilles ne bat pas Hector parce qu'il est le plus fort. Il le bat parce que la déesse Athéna est à ses côtés pendant la bataille ; elle triche [...] Y a Andromaque, qui est une figure extraordinaire ; qu'est-ce qu'elle dit Andromaque dans les fameux adieux à Hector ? [...] Elle dit: tu vas encore à la guerre, tu vas être tué, et ta femme va être esclave [...] Les Grecs savent qu'un Roi peut devenir esclave. Donc il ne peut pas y avoir de justification de l'esclavage. Y a des gens qui ont perdus à la guerre et qu'on a réduit en esclavage, c'est tout, ils ont pas des âmes inférieures. Le premier qui donne une justification, il faut attendre la fin du IVème siècle, c'est Aristote. Il donne une justification très étrange, en disant que les esclaves sont ceux qui ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes. [...] Mais le même Aristote dit, ce qui prouve qu'il était ambigû sur cette question, que "il faut que ayons des esclaves pour faire les travaux banausiques, les travaux bas, indignes des citoyens ; mais si nous avions des machines à tisser, nous n'aurions pas besoin d'esclaves."
"Quand on lit les poèmes homériques, on est tout à fait frappé que les Troyens, à aucun moment, ne sont posés comme inférieurs par rapport aux Grecs."
"Hubris, mot grec irremplaçable. Orgueil c'est trop faible pour le dire. [...] Qu'est-ce que c'est que l'hubris ? Les Grecs sont libres, créent la liberté, et savent en même temps qu'il y a des limites. Mais ces limites ne sont pas fixées. Y a pas une Table des Lois. Bien sûr y a des règles de morale, etc. Mais par ailleurs, personne ne peut savoir d'avance s'il ne va pas trop loin, et pourtant il doit le savoir. Et quand on va trop loin, c'est l'hubris. C'est la démesure, et cet hubris est puni par une sorte d'ordre impersonnel du monde qui ramène toujours, ce qui est excès, qui a dépassé l'ordre. Il le ramène, en prenant le contrepied, en l'abîmant, en le jetant dans l'abîme, en le détruisant. La catastrophe fait tout aussi partie du monde grec que la création."
"Les autres vous en veulent non pas pour ce qu'ils disent mais parce que vous avez cette puissance. Donc on ne peut pas éviter la guerre."
"La Guerre entre les Athéniens et les Spartiates, la Guerre du Péloponnèse, était en même temps une guerre civile. Les démocrates dans toutes les cités soutenaient les Athéniens et les aristocrates soutenaient les Spartiates."
"Pour un Grec, les dieux n'ont rien dit. Ils s'occupent de leurs propres affaires."
"Il n'y a pas de tragédie grecque. Il n'y a de la tragédie qu'à Athènes. Et il y a de la tragédie à Athènes parce qu'Athènes est une cité démocratique. Et la tragédie est une institution qui fonctionne et joue un rôle tout à fait fondamental dans la démocratie, parce que la tragédie rappelle constamment l'hubris. C'est ça la leçon essentielle de la tragédie. Donc parler de la "tragédie grecque", c'est ne rien comprendre. Parce que du théâtre il y a eu partout. Y a un merveilleux théâtre japonais, un merveilleux théâtre chinois, le théâtre indien est fantastique. A Bali, il y a des représentations fantastiques. C'est pas les grecs qui ont inventé le théâtre, c'est un mensonge. Mais les Grecs ont inventés la tragédie, qui est tout à fait autre chose."
"L'image des Grecs est qu'il y a un fond indicible du monde, chaotique, sur lequel règne une seule loi, c'est ce qu'ils appellent l'anankê, la nécessité. [...] Y aussi un cosmos, c'est à dire un ordre. Mais cet ordre repose sur un désordre. [...] Et c'est parce qu'ils ont cette vue du monde qu'ils peuvent créer la philosophie et la démocratie. La philosophie présuppose que le monde n'est pas chaos, n'est pas néant total -autrement on a, tout au plus, le bouddhisme-, mais qu'il y a un certain ordre ; mais que cet ordre n'épuise pas tout. C'est pourquoi nous pouvons penser dessus, corriger notre pensée, etc."
"Les dieux sont immortels mais pas éternels, ils sont nés à un certain moment, et leur pouvoir est passager."
"Si c'est Zeus le chef suprême, c'est pas par des vertus intrinsèques de Zeus. Y a eu un coup de dès au départ."
-Cornelius Castoriadis, interview avec Chris Marker, 1989.
https://www.youtube.com/watch?v=eqD8y5wuA2E
"Le scepticisme est irréfutable, le véritable sophiste est irréfutable. [...] A partir du moment où l'autre accepte de se contredire, y a pas de réfutation possible."
"J'insiste sur le terme création ex nihilo, pourquoi ? Pour montrer que lorsque quelque chose est crée, ce qui est crée, on ne peut pas le dériver ou le produire à partir de ce qui était déjà là."
-Cornelius Castoriadis, Entretien avec Philippe Nemo, France Culture, L'autre scène, 1983.05.30.
https://www.youtube.com/watch?v=7S1IKBG5wYg
"La politique a toujours été un métier bizarre. Car elle présuppose deux capacités qui n'ont aucun rapport intrinsèque: la première capacité, c'est d'accéder au pouvoir [...] ça, ça implique un art de l'accession au pouvoir [...] la deuxième c'est une fois accéder au pouvoir, d'en faire quelque chose, c'est-à-dire de gouverner."
-Cornelius Castoriadis, Post-Scriptum sur l'Insignifiance, Émission Là-bas si j'y suis, France Inter, 25 novembre 1996.
https://www.youtube.com/watch?v=sI5xlrQDC9g
"J'écris, j'essaye d'écrire, comme quelqu'un qui veut être compris de tout le monde. [...] Si j'ai un modèle d'écriture dans la tête c'est Aristote."
"Il y a Max Weber, qui pour moi a été une très grande influence."
"Je ne pense pas qu'on peut déduire une politique d'une philosophie ou d'un savoir."
-Cornelius Castoriadis, Entretien avec Katharina von Bulow, "BON PLAISIR", France Culture, 1996.04.20.