"On ne peut acquérir en philosophie de méthodes de travail que si l'on comprend déjà que la méthode est inhérente à la philosophie elle-même." (VII-VIII)
"L'explication et le commentaire de textes peuvent aussi servir d'instruments d'évaluation et constituer des épreuves d'examen ou de concours, à l'écrit comme à l'oral. On sait d'ailleurs qu'elles occupent une position stratégique au CAPES et à l'Agrégation de philosophie." (p.4)
"La seule attitude qui soit vraiment philosophique [...] consiste à reprendre pour son propre compte les pensées déjà pensées par d'autres." (p.7)
"L'acquisition d'une bibliothèque personnelle représente un budget. Mais c'est un investissement nécessaire." (p.10)
"Si le contenu du discours résiste à l'opération, et apparaît conditionné par des données "positives", c'est-à-dire obtenues par un travail sur des données issues de l'expérience, donc non déductibles en droit, irréductibles à des concepts, c'est que l'on a affaire à des "sciences humaines" -histoire, psychologie, sociologie, etc. [...] La philosophie n'estpas une "science humaine."." (p.12)
"Un texte techniquement difficile s'éclaire sitôt qu'on en détient techniquement les clefs, justement, ce qui se fait par repérage des problématiques et des concepts, qui jouent systématiquement.
En revanche, un texte de forme très littéraire, accessible d'emblée, offre généralement des difficultés considérables. Aucun concept n'accroche immédiatement le regard ; aucune thèse ne paraît remarquable. On ne constate que des évidences, voire des banalités. Si l'on doit prendre des notes, faire une explication, on a le plus grand mal à éviter la paraphrase." (p.15)
"La lecture attentive des textes philosophiques est lente, désespérément lente." (p.17)
"Le temps passé sur les textes, mais qui ne se concrétise pas en fiches, est quasiment du temps perdu.
Les fiches sont donc absolument indispensables. C'est à partir d'elles que l'on peut se faire une idée précise, à la fois globale et détaillée, des textes philosophiques et de leurs auteurs. Ce sont elles qu'il faut réviser au premier chef avant une épreuve. Ce qu'il y a d' "utile" dans une culture philosophique universitaire dépend directement de la qualité des fiches rédigées.
Comme ce travail ne peut se faire dans la hâte d'une urgence, par exemple en période d'examens, il doit s'étaler sur toute l'année de travail, en accompagnant systématiquement chaque lecture." (p.21)
"Du point de vue méthodologique, il faut savoir que l'on rencontre trois grands genres de termes:
-le premier comprend des termes qui ne sont pas proprement philosophiques, mais qui peuvent prendre un sens philosophique. Par exemple: "bon sens", "sens commun", "intuition", "liberté", "monde", "nature" ;
-le second comprend des termes philosophiques universellement usités (par exemple: "essence", "substance", "idée", "raison"), mais qui acquièrent des significations différentes selon l'époque, le contexte doctrinal ou l'auteur ;
-le troisième comprend des termes absolument spécifiques, qu'il est impossible de sortir de leur contexte sans risquer de contresens (par exemple: le "transcendantal" chez Kant)." (p.23)
"Un terme philosophique n'est pas un point de départ donné d'avance, qui impose son sens sans discussion, mais le résultat d'un procès rationnel avec ses présupposés, ses tenants et aboutissants. Bref, tout terme remplit une "fonction" dans un mouvement de pensée cohérent. Son sens découle de cette situation, et non l'inverse. On ne part donc jamais d'un sens, on y arrive. Le sens est un résultat." (p.24)
"Il y a [...] un abîme entre la dissertation et l'explication: la première travaille sur un sujet, la seconde sur un texte." (p.28)
"L'explication de texte cherche à savoir ce qu'un auteur a vraiment dit, dans un passage donné, tandis que le commentaire est une interrogation armée (de références, notamment) sur ce qu'il a dit de vrai. [...] En tout état de cause, ce qui compte et fait foi, c'est le morceau qui a été découpé, et quoi doit être méthologiquement considéré comme un tout suffisant." (p.28)
"L'analyse consiste à partir de la totalité douée de sens pour la décomposer en ses éléments." (p.30)
"Dans son principe, l'explication de texte est l'opération la plus simple qui soit. Elle consiste, comme son nom l'indique, à énoncer ce qu'il y a dans un texte donné, ni plus ni moins. Expliquer, c'est déplier, déployer ce qui est exposé, présupposé, impliqué, sous-entendu ou passé sous silence par un auteur précis, dans un lieu bien circonscrit.
On mesure aussitôt les différences avec la paraphrase: l'explication ne se contente pas de broder sur ce qui apparaît, elle dégage ce qui est enveloppé, met en relief les expressions les plus chargées de sens, fait ressortir tout ce qui est présent en creux, classe les éléments selon leur importance pour le mouvement de la pensée et non selon la place qu'ils occupent physiquement, détaille les articulations généralement implicites, ou rapidement signalées par des termes de liaison, afin de produire une argumentation rationnelle." (p.30-31)
"L'explication doit donc:
-dégager le thème (ce dont traite le texte) et la thèse (ce que soutient l'auteur), afin d'élaborer une problématique dont on signale les enjeux ;
-identifier le mouvement général du texte, ses moments particuliers et ses articulations, afin de reconstruire son argumentation ;
-tout en progressant, déceler, analyser et faire fonctionner les notions philosophiques indiquées par les mots, ou sous-entendues, ou encore impliquées ;
-statuer le discours tenu afin d'en apprécier la nature et la portée." (p.31)
"Pour lire vraiment un texte, en effet, il faut se placer naïvement devant lui, sans préjugés d'aucune sorte, sans attentes, sans savoirs préalables -ou souvenirs de savoir." (p.31)
"On doit partir du principe que le texte a un sens. Si ce dernier n'apparaît pas (qu'il s'agisse de l'ensemble ou de certaines parties), il existe bien néanmoins. Les difficultés du texte ont donc leur solution dans le texte." (p.33)
"Tout, absolument tout doit être examiné, y compris (voire surtout) les éléments que l'on est tenté de juger spontanément négligeables, comme les exemples, les tournures, les personnages mis en scène (dans un dialogue), les termes articulatoires et les signes typographiques (points d'interrogation, guillemets, etc.)." (p.35)
"Première dans l'ordre de présentation, l'introduction viendra donc en dernier dans l'ordre de fabrication." (p.37)
"L'introduction doit donc avant tout briller par sa sobriété et sa brièveté. A l'écrit, il est conseillé de ne pas dépasser la demi-page ; à l'oral, deux ou trois minutes." (p.38)
"Il faut et il suffit que le thème corresponde effectivement à la totalité du texte, et non l'une ou l'autre de ses parties. [...] Pour énoncer le thème, il faut se contenter d'une phrase très brève." (p.38)
"La thèse est la position philosophique adoptée par l'auteur au sujet du problème général énoncé dans le thème ; son énonciation doit permettre d'identifier clairement la spécificité, voire l'originalité, de la thèse soutenue. Il faut donc, là encore, se contenter d'une formule lapidaire, à laquelle on donnera de préférence une forme interrogative, afin d'attiser l'intérêt et de jouer vraiment le jeu du questionnement." (p.39)
"Les enjeux peuvent être variables selon le texte, mais ils doivent toujours permettre d'évaluer la thèse philosophique quand à sa portée et à ses conséquences pour le thème général. Il importe avant tout de faire comprendre le prix à payer pour la solution théorique, ce qu'elle exclut, ce qu'elle renforce, en souligne au passage l'intérêt de la voie adoptée par l'auteur.
Cet exposé doit être bref, voire lapidaire: ceci étant énoncé, qu'en résulte-t-il pour cela ? Quels sont les risques, les gains, les pertes, dans tel domaine, à cause de tel énoncé ou de telle position." (p.39)
"Il faut toujours aiguiser le désir du lecteur ou de l'auditeur, sans hésiter à l'inquiéter par des problèmes qui apparaissent redoutables." (p.40)
"Relever les termes importants et en tirer les notions philosophiques, que l'on doit analyser avec soin, compte tenu du contexte.
Quand il y a des notions sous-jacentes, auxquelles aucun mot ne correspond, il faut les faire surgir par déduction et les analyser de la même manière." (p.41)
"Relever les problèmes et questions que l'on rencontre, ou qui se déduisent par implication, dans un style toujours interrogatif, afin de faire progresser la recherche." (p.41)
"Dégager les articulations et les développer, ce que l'auteur ne fait généralement pas, ou de manière très rapide et allusive. Les termes articulatoires (si, alors, donc, etc.) doivent être considérés avec le plus grand soin." (p.41)
"Expliciter, pour introduire chaque nouveau moment, la question sous-jacente aux idées qui vont être développés et qui doivent être appréhendées comme une réponse à une question généralement non formulée par le texte." (p.41)
"Expliquer les exemples quand il y en a, parce qu'ils sont toujours des morceaux de choix, que l'auteur a jugés éminemment significatifs." (p.41)
"Pour conclure, il faut:
1: Reprendre succinctement les questions essentielles et y répondre, s'il y a une réponse dans le texte.
2: Statuer le débat, si la chose est possible, en sachant que c'est là que le danger de dérapage est le plus grand. En effet, il faut veiller à rester dans le cadre de son texte, quitte à déborder un peu s'il joue un rôle significatif et évident au sein de l'œuvre, ou dans le débat général des idées." (p.42)
"[Pour le commentaire de texte] Faire correspondre à chaque élément d'explication du texte des éléments de commentaire historique (l'œuvre, la doctrine, les notions capitales, les références à l'auteur ou à d'autres philosophes) et des éléments plus personnels (réflexion, discussion)." (p.49)
"Pour bien penser, il faut d'abord maîtriser la langue." (p.154)
"[Dans le sujet de dissertation] Attention également aux pluriels et aux singuliers, aux articles, aux adverbes ; [...] Voir ce que l'énoncé comporte de provoquant, d'ironique, de paradoxal, saisir ce qu'il sous-entend, passer de l'explicite à l'implicite." (p.160-161)
"Il y a une "épiphanie", un "lever de soleil", une aurore du sujet, qu'il faut laisser venir dans notre esprit: le sujet consiste une sollicitation, une provocation pour la pensée." (p.161)
"S'il y a un point d'interrogation, c'est qu'une question est posée, et qu'il faudra impérativement et explicitement, à l'issue d'un travail argumenté, y répondre en conclusion." (p.164)
"Il n'y a de définition valide d'une notion qu'à l'intérieur du contexte de l'énoncé ou du discours lié à la problématique, énoncé et discours dont les autres termes circonscrivent et limitent le sens." (p.167)
"La fécondité d'une analyse de notion tient, en effet, au degré de "solidarité notionnelle" (la formule est de Bachelard, dans le premier chapitre de La philosophie du non), réinventée ou retrouvée lors de cet exercice: une notion n'est jamais seule ou isolée, elle "existe" dans un milieu notionnel particulier, fait de relations. [...]
Réfléchir sur une notion, c'est donc la faire entrer dans un espace de relations, c'est exiger qu'elle refasse le chemin des liens cachés et secrets qui l'attachent à ces notions intermédiaires sans lesquelles celle-ci n'aurait guère de sens. Ainsi, pour penser la notion de violence, il faut faire venir, pour les ordonner ensuite, celle de nature, de contre-nature, de force, de destruction, de douceur, de puissance, de justice et d'injustice, de contrainte, d'obéissance, de dialogue, d'Etat, de violence symbolique, légale, légitime, etc." (p.169)
"L'unité du mot nous fait croire à l'unité de son sens, mais ne la garantit pas à coup sûr." (p.171)
"Nous voilà dans un essaim de sens séparés. Qu'en faire ? Les présenter les uns à la suite des autres, sans les articuler entre eux, et sans les rapporter au problème posé ?
Certes non. Il faut les faire fonctionner, en montrer le caractère opératoire selon les moments de la dissertation, en fonction des besoins et des nécessités de la démonstration." (p.173)
"L'exemple est nécessaire pour donner du "corps", "du sensible" à la notion, car la philosophie ne saurait se contenter du seul maniement des abstractions. [...] Tout exemple n'est pas nécessairement bon, parce qu'il s'agit de renvoyer davantage à l'expérience possible qu'à l'expérience réelle (de fait). On évitera à cet égard en particulier le vécu personnel, parfois si ridicule, pour privilégier les exemples universels qu'une bonne culture classique permet de mobiliser." (p.174)
"S'interroger, ici, ce n'est rien d'autre qu'avoir le sens de la nécessité: quelle question poser pour aller là si je suis ici ? Par où (c'est-à-dire par quelles questions) faut-il passer pour découvrir ou isoler un ou des problèmes ?" (p.177)
"Aux endroits cruciaux (fin de l'introduction, fin de chaque partie notamment), deux ou trois questions bien posées, judicieuses, amenant précisément le problème philosophiques, sont largement suffisantes." (p.179)
"Montrer d'où vient la question posée (son origine, son lieu naturel), pourquoi on la pose maintenant (à ce stade-là du raisonnement), et pas plus tard, et pas avant, pourquoi on la formule ainsi et pas autrement.
Il faut chercher à exposer et à expliquer la nécessité de la question. On peut ainsi justifier le rapport entre la question, le problème et l'argument, établir la liaison avec ce qui précède (une question ne tombe pas des nues) ; de plus, cela oblige à faire l'effort de rédiger cette liaison qui sert de justification. La question doit venir naturellement et surtout nécessairement de ce qui la précède, "par voie de conséquence", comme on dit." (p.180)
"Il n'y a pas de dissertation sans l'exposition claire, nette et décisive d'un problème philosophique ; la raison d'être de l'intitulé du sujet de la dissertation est de permettre à l'auteur et au lecteur de pénétrer au cœur de ce problème." (p.181)
"On peut intentionnellement, en prenant soin d'éviter toute équivoque, produire un faux problème pour les besoins de sa recherche, voire de sa rédaction. C'est ce qu'on appelle la méthode aporétique (l' "aporie", c'est l'impasse, le cul-de-sac): on explore des hypothèses de travail (opinion, préjugé, obstacle idéologique) dont on sait pertinemment qu'elles sont invalides, on montre qu'elles le sont, et on avance ainsi vers le vrai problème en expulsant peu à peu certains faux problèmes." (p.183)
"Comprendre un problème philosophique, c'est déjà être un train de se demander: en quoi est-il légitime de supposer cela ? Avons-nous raison de poser la question ainsi ? En quoi, pourquoi ce problème est-il un vrai problème ? En quels sens des termes du sujet le problème se pose-t-il vraiment ? A quelles urgences et nécessité théoriques le sujet répond-il ?" (p.186)
"L'activité philosophique suppose la mise en évidence d'un conflit entre les idées, qu'il s'agit d'expliciter et de chercher à résoudre. C'est pourquoi le plan d'une dissertation doit, à la manière d'une tragédie, passer par des moments critiques, pour mener une action (celle de la pensée) à son terme. Elle doit donc former un tout, disposant d'une certaine étendue, avec un commencement, un milieu et une fin." (p.203)
"L'introduction du sujet proprement dite, qui implique qu'on désigne le champ précis d'interrogation dans lequel le sujet s'inscrit. On peut mettre en valeur ce moment, soit par la présentation soignée d'une situation, ou d'un très bon exemple, voire par une remarque paradoxale ou incisive. [...]
La mise en crise du sujet: nous entendons par "mise en crise" la problématisation du sujet, sous une forme dramatisée. Il s'agit alors d'en montrer la tension qui l'habite, sa dimension interrogative, voire son paradoxe interne ou sa contradiction apparente. Il faut montrer qu'il ne va pas de soi, qu'il n'est en rien évident et qu'il exige quelque explication. Donc qu'il pose problème, qu'il comporte des enjeux, et qu'il engage des conséquences, pour la pensée, la conduite, l'existence, l'humanité, etc. On formulera alors rapidement, mais explicitement, le problème philosophique central du sujet.
-La formulation de l'interrogation: elle "achève" (aux sens de "terminer" et "parfaire") la mise ne crise par l'énoncé des questions majeures qu'il est nécessaire de poser pour présenter les conditions, les données et les enjeux (la destination) du problème philosophique. Les questions sont là pour décomposer le problème.
Deux ou trois questions suffissent, ce qui interdit les annonces d'un programme disproportionné. Il faut garder à l'esprit que des réponses claires et décisives, et ce même si elles renvoient à une situation d'aporie, devront être apportées à ces questions, en particulier dans la conclusion." (p.206-207)
"Montrer la nécessité de telle et telle mobilisation des auteurs, des références et des points précis de telle et telle doctrine, la légitimité de toute intervention." (p.211)
"[En conclusion], on livrera une récapitulation, un bilan (et un résumé) de l'itinéraire parcouru, le rappel des "savoirs" conquis par la recherche: qu'a-t-on appris depuis le début de l'instruction quand au problème philosophique ?
-Ensuite, on fournira une réponse explicite aux questions posées en introduction (en particulier si le sujet ne pose pas de question, comme dans le sujet-notion) ou à celle posée par le sujet lui-même." (p.213)
-Dominique Folscheid, Jean-Jacques Wunenburger & Philippe Choulet, Méthodologie philosophique, Paris, PUF, coll. "Quadrige", 2013 (1992 pour la première édition), 366 pages.
"L'explication et le commentaire de textes peuvent aussi servir d'instruments d'évaluation et constituer des épreuves d'examen ou de concours, à l'écrit comme à l'oral. On sait d'ailleurs qu'elles occupent une position stratégique au CAPES et à l'Agrégation de philosophie." (p.4)
"La seule attitude qui soit vraiment philosophique [...] consiste à reprendre pour son propre compte les pensées déjà pensées par d'autres." (p.7)
"L'acquisition d'une bibliothèque personnelle représente un budget. Mais c'est un investissement nécessaire." (p.10)
"Si le contenu du discours résiste à l'opération, et apparaît conditionné par des données "positives", c'est-à-dire obtenues par un travail sur des données issues de l'expérience, donc non déductibles en droit, irréductibles à des concepts, c'est que l'on a affaire à des "sciences humaines" -histoire, psychologie, sociologie, etc. [...] La philosophie n'estpas une "science humaine."." (p.12)
"Un texte techniquement difficile s'éclaire sitôt qu'on en détient techniquement les clefs, justement, ce qui se fait par repérage des problématiques et des concepts, qui jouent systématiquement.
En revanche, un texte de forme très littéraire, accessible d'emblée, offre généralement des difficultés considérables. Aucun concept n'accroche immédiatement le regard ; aucune thèse ne paraît remarquable. On ne constate que des évidences, voire des banalités. Si l'on doit prendre des notes, faire une explication, on a le plus grand mal à éviter la paraphrase." (p.15)
"La lecture attentive des textes philosophiques est lente, désespérément lente." (p.17)
"Le temps passé sur les textes, mais qui ne se concrétise pas en fiches, est quasiment du temps perdu.
Les fiches sont donc absolument indispensables. C'est à partir d'elles que l'on peut se faire une idée précise, à la fois globale et détaillée, des textes philosophiques et de leurs auteurs. Ce sont elles qu'il faut réviser au premier chef avant une épreuve. Ce qu'il y a d' "utile" dans une culture philosophique universitaire dépend directement de la qualité des fiches rédigées.
Comme ce travail ne peut se faire dans la hâte d'une urgence, par exemple en période d'examens, il doit s'étaler sur toute l'année de travail, en accompagnant systématiquement chaque lecture." (p.21)
"Du point de vue méthodologique, il faut savoir que l'on rencontre trois grands genres de termes:
-le premier comprend des termes qui ne sont pas proprement philosophiques, mais qui peuvent prendre un sens philosophique. Par exemple: "bon sens", "sens commun", "intuition", "liberté", "monde", "nature" ;
-le second comprend des termes philosophiques universellement usités (par exemple: "essence", "substance", "idée", "raison"), mais qui acquièrent des significations différentes selon l'époque, le contexte doctrinal ou l'auteur ;
-le troisième comprend des termes absolument spécifiques, qu'il est impossible de sortir de leur contexte sans risquer de contresens (par exemple: le "transcendantal" chez Kant)." (p.23)
"Un terme philosophique n'est pas un point de départ donné d'avance, qui impose son sens sans discussion, mais le résultat d'un procès rationnel avec ses présupposés, ses tenants et aboutissants. Bref, tout terme remplit une "fonction" dans un mouvement de pensée cohérent. Son sens découle de cette situation, et non l'inverse. On ne part donc jamais d'un sens, on y arrive. Le sens est un résultat." (p.24)
"Il y a [...] un abîme entre la dissertation et l'explication: la première travaille sur un sujet, la seconde sur un texte." (p.28)
"L'explication de texte cherche à savoir ce qu'un auteur a vraiment dit, dans un passage donné, tandis que le commentaire est une interrogation armée (de références, notamment) sur ce qu'il a dit de vrai. [...] En tout état de cause, ce qui compte et fait foi, c'est le morceau qui a été découpé, et quoi doit être méthologiquement considéré comme un tout suffisant." (p.28)
"L'analyse consiste à partir de la totalité douée de sens pour la décomposer en ses éléments." (p.30)
"Dans son principe, l'explication de texte est l'opération la plus simple qui soit. Elle consiste, comme son nom l'indique, à énoncer ce qu'il y a dans un texte donné, ni plus ni moins. Expliquer, c'est déplier, déployer ce qui est exposé, présupposé, impliqué, sous-entendu ou passé sous silence par un auteur précis, dans un lieu bien circonscrit.
On mesure aussitôt les différences avec la paraphrase: l'explication ne se contente pas de broder sur ce qui apparaît, elle dégage ce qui est enveloppé, met en relief les expressions les plus chargées de sens, fait ressortir tout ce qui est présent en creux, classe les éléments selon leur importance pour le mouvement de la pensée et non selon la place qu'ils occupent physiquement, détaille les articulations généralement implicites, ou rapidement signalées par des termes de liaison, afin de produire une argumentation rationnelle." (p.30-31)
"L'explication doit donc:
-dégager le thème (ce dont traite le texte) et la thèse (ce que soutient l'auteur), afin d'élaborer une problématique dont on signale les enjeux ;
-identifier le mouvement général du texte, ses moments particuliers et ses articulations, afin de reconstruire son argumentation ;
-tout en progressant, déceler, analyser et faire fonctionner les notions philosophiques indiquées par les mots, ou sous-entendues, ou encore impliquées ;
-statuer le discours tenu afin d'en apprécier la nature et la portée." (p.31)
"Pour lire vraiment un texte, en effet, il faut se placer naïvement devant lui, sans préjugés d'aucune sorte, sans attentes, sans savoirs préalables -ou souvenirs de savoir." (p.31)
"On doit partir du principe que le texte a un sens. Si ce dernier n'apparaît pas (qu'il s'agisse de l'ensemble ou de certaines parties), il existe bien néanmoins. Les difficultés du texte ont donc leur solution dans le texte." (p.33)
"Tout, absolument tout doit être examiné, y compris (voire surtout) les éléments que l'on est tenté de juger spontanément négligeables, comme les exemples, les tournures, les personnages mis en scène (dans un dialogue), les termes articulatoires et les signes typographiques (points d'interrogation, guillemets, etc.)." (p.35)
"Première dans l'ordre de présentation, l'introduction viendra donc en dernier dans l'ordre de fabrication." (p.37)
"L'introduction doit donc avant tout briller par sa sobriété et sa brièveté. A l'écrit, il est conseillé de ne pas dépasser la demi-page ; à l'oral, deux ou trois minutes." (p.38)
"Il faut et il suffit que le thème corresponde effectivement à la totalité du texte, et non l'une ou l'autre de ses parties. [...] Pour énoncer le thème, il faut se contenter d'une phrase très brève." (p.38)
"La thèse est la position philosophique adoptée par l'auteur au sujet du problème général énoncé dans le thème ; son énonciation doit permettre d'identifier clairement la spécificité, voire l'originalité, de la thèse soutenue. Il faut donc, là encore, se contenter d'une formule lapidaire, à laquelle on donnera de préférence une forme interrogative, afin d'attiser l'intérêt et de jouer vraiment le jeu du questionnement." (p.39)
"Les enjeux peuvent être variables selon le texte, mais ils doivent toujours permettre d'évaluer la thèse philosophique quand à sa portée et à ses conséquences pour le thème général. Il importe avant tout de faire comprendre le prix à payer pour la solution théorique, ce qu'elle exclut, ce qu'elle renforce, en souligne au passage l'intérêt de la voie adoptée par l'auteur.
Cet exposé doit être bref, voire lapidaire: ceci étant énoncé, qu'en résulte-t-il pour cela ? Quels sont les risques, les gains, les pertes, dans tel domaine, à cause de tel énoncé ou de telle position." (p.39)
"Il faut toujours aiguiser le désir du lecteur ou de l'auditeur, sans hésiter à l'inquiéter par des problèmes qui apparaissent redoutables." (p.40)
"Relever les termes importants et en tirer les notions philosophiques, que l'on doit analyser avec soin, compte tenu du contexte.
Quand il y a des notions sous-jacentes, auxquelles aucun mot ne correspond, il faut les faire surgir par déduction et les analyser de la même manière." (p.41)
"Relever les problèmes et questions que l'on rencontre, ou qui se déduisent par implication, dans un style toujours interrogatif, afin de faire progresser la recherche." (p.41)
"Dégager les articulations et les développer, ce que l'auteur ne fait généralement pas, ou de manière très rapide et allusive. Les termes articulatoires (si, alors, donc, etc.) doivent être considérés avec le plus grand soin." (p.41)
"Expliciter, pour introduire chaque nouveau moment, la question sous-jacente aux idées qui vont être développés et qui doivent être appréhendées comme une réponse à une question généralement non formulée par le texte." (p.41)
"Expliquer les exemples quand il y en a, parce qu'ils sont toujours des morceaux de choix, que l'auteur a jugés éminemment significatifs." (p.41)
"Pour conclure, il faut:
1: Reprendre succinctement les questions essentielles et y répondre, s'il y a une réponse dans le texte.
2: Statuer le débat, si la chose est possible, en sachant que c'est là que le danger de dérapage est le plus grand. En effet, il faut veiller à rester dans le cadre de son texte, quitte à déborder un peu s'il joue un rôle significatif et évident au sein de l'œuvre, ou dans le débat général des idées." (p.42)
"[Pour le commentaire de texte] Faire correspondre à chaque élément d'explication du texte des éléments de commentaire historique (l'œuvre, la doctrine, les notions capitales, les références à l'auteur ou à d'autres philosophes) et des éléments plus personnels (réflexion, discussion)." (p.49)
"Pour bien penser, il faut d'abord maîtriser la langue." (p.154)
"[Dans le sujet de dissertation] Attention également aux pluriels et aux singuliers, aux articles, aux adverbes ; [...] Voir ce que l'énoncé comporte de provoquant, d'ironique, de paradoxal, saisir ce qu'il sous-entend, passer de l'explicite à l'implicite." (p.160-161)
"Il y a une "épiphanie", un "lever de soleil", une aurore du sujet, qu'il faut laisser venir dans notre esprit: le sujet consiste une sollicitation, une provocation pour la pensée." (p.161)
"S'il y a un point d'interrogation, c'est qu'une question est posée, et qu'il faudra impérativement et explicitement, à l'issue d'un travail argumenté, y répondre en conclusion." (p.164)
"Il n'y a de définition valide d'une notion qu'à l'intérieur du contexte de l'énoncé ou du discours lié à la problématique, énoncé et discours dont les autres termes circonscrivent et limitent le sens." (p.167)
"La fécondité d'une analyse de notion tient, en effet, au degré de "solidarité notionnelle" (la formule est de Bachelard, dans le premier chapitre de La philosophie du non), réinventée ou retrouvée lors de cet exercice: une notion n'est jamais seule ou isolée, elle "existe" dans un milieu notionnel particulier, fait de relations. [...]
Réfléchir sur une notion, c'est donc la faire entrer dans un espace de relations, c'est exiger qu'elle refasse le chemin des liens cachés et secrets qui l'attachent à ces notions intermédiaires sans lesquelles celle-ci n'aurait guère de sens. Ainsi, pour penser la notion de violence, il faut faire venir, pour les ordonner ensuite, celle de nature, de contre-nature, de force, de destruction, de douceur, de puissance, de justice et d'injustice, de contrainte, d'obéissance, de dialogue, d'Etat, de violence symbolique, légale, légitime, etc." (p.169)
"L'unité du mot nous fait croire à l'unité de son sens, mais ne la garantit pas à coup sûr." (p.171)
"Nous voilà dans un essaim de sens séparés. Qu'en faire ? Les présenter les uns à la suite des autres, sans les articuler entre eux, et sans les rapporter au problème posé ?
Certes non. Il faut les faire fonctionner, en montrer le caractère opératoire selon les moments de la dissertation, en fonction des besoins et des nécessités de la démonstration." (p.173)
"L'exemple est nécessaire pour donner du "corps", "du sensible" à la notion, car la philosophie ne saurait se contenter du seul maniement des abstractions. [...] Tout exemple n'est pas nécessairement bon, parce qu'il s'agit de renvoyer davantage à l'expérience possible qu'à l'expérience réelle (de fait). On évitera à cet égard en particulier le vécu personnel, parfois si ridicule, pour privilégier les exemples universels qu'une bonne culture classique permet de mobiliser." (p.174)
"S'interroger, ici, ce n'est rien d'autre qu'avoir le sens de la nécessité: quelle question poser pour aller là si je suis ici ? Par où (c'est-à-dire par quelles questions) faut-il passer pour découvrir ou isoler un ou des problèmes ?" (p.177)
"Aux endroits cruciaux (fin de l'introduction, fin de chaque partie notamment), deux ou trois questions bien posées, judicieuses, amenant précisément le problème philosophiques, sont largement suffisantes." (p.179)
"Montrer d'où vient la question posée (son origine, son lieu naturel), pourquoi on la pose maintenant (à ce stade-là du raisonnement), et pas plus tard, et pas avant, pourquoi on la formule ainsi et pas autrement.
Il faut chercher à exposer et à expliquer la nécessité de la question. On peut ainsi justifier le rapport entre la question, le problème et l'argument, établir la liaison avec ce qui précède (une question ne tombe pas des nues) ; de plus, cela oblige à faire l'effort de rédiger cette liaison qui sert de justification. La question doit venir naturellement et surtout nécessairement de ce qui la précède, "par voie de conséquence", comme on dit." (p.180)
"Il n'y a pas de dissertation sans l'exposition claire, nette et décisive d'un problème philosophique ; la raison d'être de l'intitulé du sujet de la dissertation est de permettre à l'auteur et au lecteur de pénétrer au cœur de ce problème." (p.181)
"On peut intentionnellement, en prenant soin d'éviter toute équivoque, produire un faux problème pour les besoins de sa recherche, voire de sa rédaction. C'est ce qu'on appelle la méthode aporétique (l' "aporie", c'est l'impasse, le cul-de-sac): on explore des hypothèses de travail (opinion, préjugé, obstacle idéologique) dont on sait pertinemment qu'elles sont invalides, on montre qu'elles le sont, et on avance ainsi vers le vrai problème en expulsant peu à peu certains faux problèmes." (p.183)
"Comprendre un problème philosophique, c'est déjà être un train de se demander: en quoi est-il légitime de supposer cela ? Avons-nous raison de poser la question ainsi ? En quoi, pourquoi ce problème est-il un vrai problème ? En quels sens des termes du sujet le problème se pose-t-il vraiment ? A quelles urgences et nécessité théoriques le sujet répond-il ?" (p.186)
"L'activité philosophique suppose la mise en évidence d'un conflit entre les idées, qu'il s'agit d'expliciter et de chercher à résoudre. C'est pourquoi le plan d'une dissertation doit, à la manière d'une tragédie, passer par des moments critiques, pour mener une action (celle de la pensée) à son terme. Elle doit donc former un tout, disposant d'une certaine étendue, avec un commencement, un milieu et une fin." (p.203)
"L'introduction du sujet proprement dite, qui implique qu'on désigne le champ précis d'interrogation dans lequel le sujet s'inscrit. On peut mettre en valeur ce moment, soit par la présentation soignée d'une situation, ou d'un très bon exemple, voire par une remarque paradoxale ou incisive. [...]
La mise en crise du sujet: nous entendons par "mise en crise" la problématisation du sujet, sous une forme dramatisée. Il s'agit alors d'en montrer la tension qui l'habite, sa dimension interrogative, voire son paradoxe interne ou sa contradiction apparente. Il faut montrer qu'il ne va pas de soi, qu'il n'est en rien évident et qu'il exige quelque explication. Donc qu'il pose problème, qu'il comporte des enjeux, et qu'il engage des conséquences, pour la pensée, la conduite, l'existence, l'humanité, etc. On formulera alors rapidement, mais explicitement, le problème philosophique central du sujet.
-La formulation de l'interrogation: elle "achève" (aux sens de "terminer" et "parfaire") la mise ne crise par l'énoncé des questions majeures qu'il est nécessaire de poser pour présenter les conditions, les données et les enjeux (la destination) du problème philosophique. Les questions sont là pour décomposer le problème.
Deux ou trois questions suffissent, ce qui interdit les annonces d'un programme disproportionné. Il faut garder à l'esprit que des réponses claires et décisives, et ce même si elles renvoient à une situation d'aporie, devront être apportées à ces questions, en particulier dans la conclusion." (p.206-207)
"Montrer la nécessité de telle et telle mobilisation des auteurs, des références et des points précis de telle et telle doctrine, la légitimité de toute intervention." (p.211)
"[En conclusion], on livrera une récapitulation, un bilan (et un résumé) de l'itinéraire parcouru, le rappel des "savoirs" conquis par la recherche: qu'a-t-on appris depuis le début de l'instruction quand au problème philosophique ?
-Ensuite, on fournira une réponse explicite aux questions posées en introduction (en particulier si le sujet ne pose pas de question, comme dans le sujet-notion) ou à celle posée par le sujet lui-même." (p.213)
-Dominique Folscheid, Jean-Jacques Wunenburger & Philippe Choulet, Méthodologie philosophique, Paris, PUF, coll. "Quadrige", 2013 (1992 pour la première édition), 366 pages.