https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Granel
http://www.gerardgranel.com/
"François Fédier : Heidegger - anatomie d'un scandale [...] fait justice du montage pseudo-historique inventé par un certain Victor Farlas." (p.69)
"Descartes justement souligna plus d'une fois la conscience qu'il avait de ne point parler de « ce qui est » mais seulement de « ce qui se peut représenter le plus aisément », substituant à l'élucidation de la nature des choses le récit méthodiquement élaboré et consciemment fictif d'une « fable du Monde ». Son latin lui-même (langue maternelle, comme on sait, de sa pensée) ne lui permettait pas en effet d'oublier que la détermination du « facile », c'est-à-dire du facile (du «faisable »), à partir d'une méthode dont le vrai nom est Ars, en même temps qu'elle inaugure le devenir ingénieur de l'ingenium (ce que seul Vico le Napolitain semble avoir compris), installe la pensée dans un univers d'artefacts et transforme la connaissance en une entreprise infinie de simulation théorique. De quel droit élever les objets de celle-ci au rang de l'être, c'est malgré tout encore pour Descartes une question, qui, bien qu'elle ne pèse plus beaucoup (elle est dite en effet « bien légère, et pour ainsi dire métaphysique »), demande néanmoins qu'il y soit répondu. La réponse de Descartes lui-même est d'une superbe désinvolture, où l'on ne sait s'il faut reconnaître plutôt la manière du gentilhomme (jetant les doutes à l'eau comme il avait menacé d'y jeter les marins qui murmuraient contre lui : à la pointe de l'épée) ou l'habitude baroque de considérer le monde comme un simple théâtre, où ne se jouent que des « pièces à machines ». A ceci près que, par une inversion du Deus ex machina dont la philosophie moderne est coutumière, ce sont les machines qui procèdent de Dieu. Mais l'enjeu n'en reste pas moins le même, qui consiste à produire un effet de réalité dans la représentation, lui même purement représenté. Car en appeler tout simplement à la "véracité divine", ou s'imaginer que « le monde est un songe », cela revient au même. Mais nous, nous aujourd'hui, sommes-nous véritablement capables d'accorder encore la même confiance à une figure du possible qui confirme un artifice par un rêve, et dont la seule « preuve » effective est la perpétuation énergique et muette de son activité ? Ou bien divers craquements dans notre histoire la plus récente n'ouvrent-ils pas plutôt de nouveau notre oreille à cette vérité grecque, qu'une limitation nous commande et que, sous peine de folie, d'errance interminable, de crime incoercible, notre existence n'est possible qu'en se rangeant à ce commandement, et d'abord en recherchant les conditions de son écoute et de sa formulation ?" (pp.73-74)
"Travailler consiste à désolidariser les matières de leurs formes." (p.78)
"Rien n'est plus difficile à la maîtrise que de se souvenir qu'elle partage elle aussi ce qui fait le lot commun de tous les gestes humains : la bienheureuse opacité de leur principe (je dis « bienheureuse » parce qu'elle a elle-même pour principe l'ombre fertile de la mortalité, où le divin nous plonge pour nous préserver de son atteinte). On concevra sans peine qu'une puissance qui se change en pouvoir pur et pour laquelle miroite l'imaginaire de la totalisation annonce, dans le système qu'elle domine, d'inévitables « craquements », je veux dire : prépare toutes les révoltes." (p.81)
"Il est vrai aussi, du moins si l'on accepte les leçons de Freud, de Lacan, de Castoriadis, que l'imaginaire fonctionne, tandis qu'une simple façade ne fait que cacher la manière dont d'autres forces sont à l'œuvre." (p.85)
-Gérard Granel, Études, Galilée, 1995, 169 pages.
http://www.gerardgranel.com/
"François Fédier : Heidegger - anatomie d'un scandale [...] fait justice du montage pseudo-historique inventé par un certain Victor Farlas." (p.69)
"Descartes justement souligna plus d'une fois la conscience qu'il avait de ne point parler de « ce qui est » mais seulement de « ce qui se peut représenter le plus aisément », substituant à l'élucidation de la nature des choses le récit méthodiquement élaboré et consciemment fictif d'une « fable du Monde ». Son latin lui-même (langue maternelle, comme on sait, de sa pensée) ne lui permettait pas en effet d'oublier que la détermination du « facile », c'est-à-dire du facile (du «faisable »), à partir d'une méthode dont le vrai nom est Ars, en même temps qu'elle inaugure le devenir ingénieur de l'ingenium (ce que seul Vico le Napolitain semble avoir compris), installe la pensée dans un univers d'artefacts et transforme la connaissance en une entreprise infinie de simulation théorique. De quel droit élever les objets de celle-ci au rang de l'être, c'est malgré tout encore pour Descartes une question, qui, bien qu'elle ne pèse plus beaucoup (elle est dite en effet « bien légère, et pour ainsi dire métaphysique »), demande néanmoins qu'il y soit répondu. La réponse de Descartes lui-même est d'une superbe désinvolture, où l'on ne sait s'il faut reconnaître plutôt la manière du gentilhomme (jetant les doutes à l'eau comme il avait menacé d'y jeter les marins qui murmuraient contre lui : à la pointe de l'épée) ou l'habitude baroque de considérer le monde comme un simple théâtre, où ne se jouent que des « pièces à machines ». A ceci près que, par une inversion du Deus ex machina dont la philosophie moderne est coutumière, ce sont les machines qui procèdent de Dieu. Mais l'enjeu n'en reste pas moins le même, qui consiste à produire un effet de réalité dans la représentation, lui même purement représenté. Car en appeler tout simplement à la "véracité divine", ou s'imaginer que « le monde est un songe », cela revient au même. Mais nous, nous aujourd'hui, sommes-nous véritablement capables d'accorder encore la même confiance à une figure du possible qui confirme un artifice par un rêve, et dont la seule « preuve » effective est la perpétuation énergique et muette de son activité ? Ou bien divers craquements dans notre histoire la plus récente n'ouvrent-ils pas plutôt de nouveau notre oreille à cette vérité grecque, qu'une limitation nous commande et que, sous peine de folie, d'errance interminable, de crime incoercible, notre existence n'est possible qu'en se rangeant à ce commandement, et d'abord en recherchant les conditions de son écoute et de sa formulation ?" (pp.73-74)
"Travailler consiste à désolidariser les matières de leurs formes." (p.78)
"Rien n'est plus difficile à la maîtrise que de se souvenir qu'elle partage elle aussi ce qui fait le lot commun de tous les gestes humains : la bienheureuse opacité de leur principe (je dis « bienheureuse » parce qu'elle a elle-même pour principe l'ombre fertile de la mortalité, où le divin nous plonge pour nous préserver de son atteinte). On concevra sans peine qu'une puissance qui se change en pouvoir pur et pour laquelle miroite l'imaginaire de la totalisation annonce, dans le système qu'elle domine, d'inévitables « craquements », je veux dire : prépare toutes les révoltes." (p.81)
"Il est vrai aussi, du moins si l'on accepte les leçons de Freud, de Lacan, de Castoriadis, que l'imaginaire fonctionne, tandis qu'une simple façade ne fait que cacher la manière dont d'autres forces sont à l'œuvre." (p.85)
-Gérard Granel, Études, Galilée, 1995, 169 pages.