https://blogs.mediapart.fr/alain-policar/blog/081012/un-liberalisme-pour-les-opprimes
"Dans une perspective libérale, la liberté, valeur fondamentale, est efficacement défendue au moyen de l’égalité. Dès lors, les politiques publiques doivent chercher à satisfaire les besoins, ces derniers étant définis comme ce qui est nécessaire pour mener une vie digne d’être vécue. Il est donc primordial de prévoir des mécanismes de compensation pour ceux qui subissent les effets de la pure malchance. On considérera donc l’égalité des ressources ou des contextes comme une exigence fondamentale. C’est elle qui justifie l’intervention de l’État pour promouvoir les conditions permettant à chacun de vivre la meilleure vie selon sa propre conception du bien. La réussite des citoyens exige donc une éthique de la redistribution : l’égalisation des ressources est justifiée par la liberté et cette dernière est renforcée par l’attention accordée au sort matériel de chacun. Est ainsi posée la possibilité d’une association entre égale liberté en droit et égale liberté matérielle qui dessine une figure de la justice comme sollicitude.
La solidarité est, par conséquent, la valeur cardinale d’un libéralisme progressiste. Elle accorde, par nature, un souci premier à la figure de la victime et attire l’attention sur l’impact des injustices politiques résultant de l’inaction publique. Le renouvellement du libéralisme, sa vocation à protéger la liberté des plus faibles, passe par un examen attentif de la question de la dépendance. Comment le faire efficacement sans insister sur le fait que la citoyenneté, loin de se réduire à l’exercice des libertés publiques, doit porter un regard attentif à la sphère du travail ? La garantie d’un travail décent apparaît comme une nécessité politique pour acquérir reconnaissance sociale et respect de soi. C’est pourquoi l’aide publique n’est pas accessoire mais, au contraire, indispensable si l’on souhaite limiter les rapports de domination et permettre l’autonomie individuelle.
Cette solidarité à l’égard des démunis et des exploités peut-elle se limiter aux frontières nationales ? Non, bien entendu. Les inégalités entre nations riches et nations pauvres sont tout aussi indignes. Nous avons un devoir moral de porter assistance à tous ceux qui souffrent et ce devoir est parfaitement conforme à la dimension universaliste du libéralisme, dans la perspective esquissée par Kant dans Vers la paix perpétuelle. Les hasards de la géographie n’étant pas plus pertinents que ceux de la classe sociale d’origine, quelles raisons pourraient, en effet, s’opposer à ce que la justice s’étende à l’humanité tout entière ? Le monde connaît, depuis la fin des années 1970, une très forte augmentation des inégalités : les 500 personnes les plus riches gagnent à peu près autant que les 500 millions les plus pauvres ! Les effets de l’extrême pauvreté sont connus : les chiffres de 2006 (PNUD) évaluaient à 830 millions le nombre de personnes souffrant régulièrement de malnutrition, à 1,1 milliard le nombre de ceux qui n’ont pas accès à l’eau potable, à 2,6 milliards celui de ceux qui n’ont pas accès à des soins élémentaires. Or si une partie de la responsabilité incombe aux élites économiques et politiques des pays dits en voie de développement, une autre peut être attribuée à celle des gouvernements et des citoyens des pays riches. Dans la mesure où la pauvreté est largement produite par la gouvernance des pays riches, on peut la considérer comme une violation collective des droits de l’homme. Ce point de vue se fonde sur la Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 28 affirme que « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».
Considérer les droits de l’homme comme une exigence morale face aux institutions sociales permet de réduire considérablement la portée des objections adressées, d’un point de vue relativiste, aux partisans de l’universalité des droits. Nous devons militer pour une réforme institutionnelle mondiale. Les règles qui régissent les transactions économiques sont, en effet, comme l’a montré Thomas Pogge, les facteurs déterminants, au niveau national, de l’impact de l’extrême pauvreté et du déficit de droits de l’homme. Il en est de même au niveau international. Cette réforme aurait, bénéfice politico-moral inestimable, l’effet vertueux d’éliminer la plus grande part du déficit en droits que subissent principalement les plus pauvres d’entre nous. On peut ajouter que le sentiment de contribuer à améliorer la justice globale augmente le niveau d’intégration à une communauté politique.
La place accordée à la solidarité est nodale dans le libéralisme progressiste. Elle constitue un idéal régulateur et ne présuppose aucunement l’absence naturelle d’hostilité entre les hommes. Sans doute est-ce la réalité même des passions conflictuelles qui rend si vive la nécessité de penser l’étranger comme un autre soi-même."
-Alain Policar, Un libéralisme pour les opprimés, blogs.mediapart.fr, 8 oct. 2012.
"Dans une perspective libérale, la liberté, valeur fondamentale, est efficacement défendue au moyen de l’égalité. Dès lors, les politiques publiques doivent chercher à satisfaire les besoins, ces derniers étant définis comme ce qui est nécessaire pour mener une vie digne d’être vécue. Il est donc primordial de prévoir des mécanismes de compensation pour ceux qui subissent les effets de la pure malchance. On considérera donc l’égalité des ressources ou des contextes comme une exigence fondamentale. C’est elle qui justifie l’intervention de l’État pour promouvoir les conditions permettant à chacun de vivre la meilleure vie selon sa propre conception du bien. La réussite des citoyens exige donc une éthique de la redistribution : l’égalisation des ressources est justifiée par la liberté et cette dernière est renforcée par l’attention accordée au sort matériel de chacun. Est ainsi posée la possibilité d’une association entre égale liberté en droit et égale liberté matérielle qui dessine une figure de la justice comme sollicitude.
La solidarité est, par conséquent, la valeur cardinale d’un libéralisme progressiste. Elle accorde, par nature, un souci premier à la figure de la victime et attire l’attention sur l’impact des injustices politiques résultant de l’inaction publique. Le renouvellement du libéralisme, sa vocation à protéger la liberté des plus faibles, passe par un examen attentif de la question de la dépendance. Comment le faire efficacement sans insister sur le fait que la citoyenneté, loin de se réduire à l’exercice des libertés publiques, doit porter un regard attentif à la sphère du travail ? La garantie d’un travail décent apparaît comme une nécessité politique pour acquérir reconnaissance sociale et respect de soi. C’est pourquoi l’aide publique n’est pas accessoire mais, au contraire, indispensable si l’on souhaite limiter les rapports de domination et permettre l’autonomie individuelle.
Cette solidarité à l’égard des démunis et des exploités peut-elle se limiter aux frontières nationales ? Non, bien entendu. Les inégalités entre nations riches et nations pauvres sont tout aussi indignes. Nous avons un devoir moral de porter assistance à tous ceux qui souffrent et ce devoir est parfaitement conforme à la dimension universaliste du libéralisme, dans la perspective esquissée par Kant dans Vers la paix perpétuelle. Les hasards de la géographie n’étant pas plus pertinents que ceux de la classe sociale d’origine, quelles raisons pourraient, en effet, s’opposer à ce que la justice s’étende à l’humanité tout entière ? Le monde connaît, depuis la fin des années 1970, une très forte augmentation des inégalités : les 500 personnes les plus riches gagnent à peu près autant que les 500 millions les plus pauvres ! Les effets de l’extrême pauvreté sont connus : les chiffres de 2006 (PNUD) évaluaient à 830 millions le nombre de personnes souffrant régulièrement de malnutrition, à 1,1 milliard le nombre de ceux qui n’ont pas accès à l’eau potable, à 2,6 milliards celui de ceux qui n’ont pas accès à des soins élémentaires. Or si une partie de la responsabilité incombe aux élites économiques et politiques des pays dits en voie de développement, une autre peut être attribuée à celle des gouvernements et des citoyens des pays riches. Dans la mesure où la pauvreté est largement produite par la gouvernance des pays riches, on peut la considérer comme une violation collective des droits de l’homme. Ce point de vue se fonde sur la Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 28 affirme que « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».
Considérer les droits de l’homme comme une exigence morale face aux institutions sociales permet de réduire considérablement la portée des objections adressées, d’un point de vue relativiste, aux partisans de l’universalité des droits. Nous devons militer pour une réforme institutionnelle mondiale. Les règles qui régissent les transactions économiques sont, en effet, comme l’a montré Thomas Pogge, les facteurs déterminants, au niveau national, de l’impact de l’extrême pauvreté et du déficit de droits de l’homme. Il en est de même au niveau international. Cette réforme aurait, bénéfice politico-moral inestimable, l’effet vertueux d’éliminer la plus grande part du déficit en droits que subissent principalement les plus pauvres d’entre nous. On peut ajouter que le sentiment de contribuer à améliorer la justice globale augmente le niveau d’intégration à une communauté politique.
La place accordée à la solidarité est nodale dans le libéralisme progressiste. Elle constitue un idéal régulateur et ne présuppose aucunement l’absence naturelle d’hostilité entre les hommes. Sans doute est-ce la réalité même des passions conflictuelles qui rend si vive la nécessité de penser l’étranger comme un autre soi-même."
-Alain Policar, Un libéralisme pour les opprimés, blogs.mediapart.fr, 8 oct. 2012.