https://doc.rero.ch/record/9613/files/BoyerA.pdf
"Depuis le milieu du XIXe siècle s’est développé une forme de libéralisme qui prend en compte les limites du capitalisme et qui tend à dépasser le libéralisme classique de John Locke et Adam Smith pour défendre une forme de libéralisme social, de libéralisme égalitariste, voire même de socialisme libéral. C’est précisément à cette famille de théories libérales, que je dénomme globalement libéralisme moderne, que me je me consacre. Deux figures clefs de la philosophie morale et politique en incarnent les traits les plus saillants. Au XIXe siècle, il s’agit en particulier de John Stuart Mill qui, tout en s’inscrivant dans la tradition du libéralisme classique, ouvre la réflexion libérale à une forme de socialisme, de même qu’à un libéralisme des mœurs cultivant une tolérance étendue. Au XXe siècle, l’œuvre monumentale de John Rawls s’inscrit dans la même veine. Cependant, Rawls substitue aux fondements utilitaristes et à l’empirisme de Mill une approche contractualiste d’inspiration kantienne. Mais, à l’image de Mill et peut-être même davantage que lui, Rawls reste tout à fait ouvert à la possibilité d’un régime socialiste, au sens fort du mot." (p.9-10)
"La plupart des libéraux ne partagent pas l’une des prémisses fondamentales des positions libertariennes qui consiste à reconnaître aux individus des « droits absolus ». Pour Berlin, les individus n’ont pas un droit absolu à la liberté, et la volonté de promouvoir la liberté des uns peut impliquer de restreindre celle des autres. Mais surtout, la liberté n’est pas la seule fin que les hommes peuvent vouloir poursuivre, et des « compromis » doivent donc être trouvés avec leurs autres fins. Chez bon nombre de libéraux contemporains, des préoccupations relevant de la justice sociale ou de l’égalité viennent, par exemple, s’adjoindre à leur engagement en faveur de la liberté. Pour le dire à la manière de Berlin, elles les amènent à prendre en compte non seulement la liberté en son sens le plus propre, c’est-à-dire négatif, mais également les « conditions » qui permettent aux individus d’exercer effectivement leur liberté.
Admettons, à titre d’exemple, que Revel soit sans domicile fixe. Citoyen d’une démocratie libérale, il peut tout à fait jouir de libertés négatives telles que la liberté d’expression ou la liberté d’association sans pour autant être en mesure d’exercer réellement ces libertés. Si rien n’entrave directement sa liberté d’exprimer, par exemple, ses réflexions sur sa condition par une lettre de lecteur dans la presse, il reste que Revel peut avoir perdu, ou même ne jamais avoir véritablement possédé, les capacités nécessaires pour tirer profit d’une telle possibilité. Aux yeux de libéraux de droite qui font peu de cas de valeurs telles que l’égalité ou la justice sociale, l’engagement en faveur de la liberté se limite pour l’essentiel à défendre la liberté négative des individus sans prendre véritablement en compte ses conditions d’exercice. Par contre, les libéraux de gauche et les socialistes libéraux considèrent que chaque individu devrait non seulement bénéficier d’une sphère de liberté inviolable mais aussi disposer de conditions minimales pour exercer cette liberté et réaliser les fins qu’il se choisit. Bien loin de défendre une conception strictement négative de la liberté indépendamment de toute préoccupation d’égalité et de justice sociale, Berlin (1969, section II) défendait d’ailleurs une position de cette nature." (p.34)
"Une autre distinction, bien connue en théorie politique et dont l’usage semble remonter au philosophe italien Benedetto Croce (1927), oppose pour sa part le libéralisme économique au libéralisme politique (ou encore philosophique). La langue italienne dispose d’ailleurs de termes différents pour marquer cette différence. On parle, d’une part, de liberismo pour signifier le libéralisme économique et, d’autre part, de liberalismo pour désigner le libéralisme politique." (p.43)
-Alain Boyer, Quels fondements éthiques pour quel libéralisme ? Critique et justification (malgré tout) du libéralisme moderne, Thèse de doctorat présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse) Genève, août 2007.
"La morale humaniste pourrait avoir été inventée pour des raisons qu'elle-même ne saurait reconnaître pour siennes et cependant se présenter à nous comme une solution possible aux problèmes de la vie en commun. Juger de la valeur d'une production quelconque en posant la question "qui l'a voulue ?" ou plutôt "quel type de volonté l'a produite ?", c'est méconnaître la transcendance de toute oeuvre par rapport à son ouvrier. Non que l'enquête sur l'origine soit à rejeter, en tant qu'approche causale, historique ; mais il est très nécessaire de distinguer soigneusement les questions d'origine des questions de valeur, en particulier des questions de vérité."
-Alain Boyer, "Hiérarchie et vérité", in Luc Ferry, André Comte-Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset, 1991, 305 pages, pp.11-35, p.16.
"Depuis le milieu du XIXe siècle s’est développé une forme de libéralisme qui prend en compte les limites du capitalisme et qui tend à dépasser le libéralisme classique de John Locke et Adam Smith pour défendre une forme de libéralisme social, de libéralisme égalitariste, voire même de socialisme libéral. C’est précisément à cette famille de théories libérales, que je dénomme globalement libéralisme moderne, que me je me consacre. Deux figures clefs de la philosophie morale et politique en incarnent les traits les plus saillants. Au XIXe siècle, il s’agit en particulier de John Stuart Mill qui, tout en s’inscrivant dans la tradition du libéralisme classique, ouvre la réflexion libérale à une forme de socialisme, de même qu’à un libéralisme des mœurs cultivant une tolérance étendue. Au XXe siècle, l’œuvre monumentale de John Rawls s’inscrit dans la même veine. Cependant, Rawls substitue aux fondements utilitaristes et à l’empirisme de Mill une approche contractualiste d’inspiration kantienne. Mais, à l’image de Mill et peut-être même davantage que lui, Rawls reste tout à fait ouvert à la possibilité d’un régime socialiste, au sens fort du mot." (p.9-10)
"La plupart des libéraux ne partagent pas l’une des prémisses fondamentales des positions libertariennes qui consiste à reconnaître aux individus des « droits absolus ». Pour Berlin, les individus n’ont pas un droit absolu à la liberté, et la volonté de promouvoir la liberté des uns peut impliquer de restreindre celle des autres. Mais surtout, la liberté n’est pas la seule fin que les hommes peuvent vouloir poursuivre, et des « compromis » doivent donc être trouvés avec leurs autres fins. Chez bon nombre de libéraux contemporains, des préoccupations relevant de la justice sociale ou de l’égalité viennent, par exemple, s’adjoindre à leur engagement en faveur de la liberté. Pour le dire à la manière de Berlin, elles les amènent à prendre en compte non seulement la liberté en son sens le plus propre, c’est-à-dire négatif, mais également les « conditions » qui permettent aux individus d’exercer effectivement leur liberté.
Admettons, à titre d’exemple, que Revel soit sans domicile fixe. Citoyen d’une démocratie libérale, il peut tout à fait jouir de libertés négatives telles que la liberté d’expression ou la liberté d’association sans pour autant être en mesure d’exercer réellement ces libertés. Si rien n’entrave directement sa liberté d’exprimer, par exemple, ses réflexions sur sa condition par une lettre de lecteur dans la presse, il reste que Revel peut avoir perdu, ou même ne jamais avoir véritablement possédé, les capacités nécessaires pour tirer profit d’une telle possibilité. Aux yeux de libéraux de droite qui font peu de cas de valeurs telles que l’égalité ou la justice sociale, l’engagement en faveur de la liberté se limite pour l’essentiel à défendre la liberté négative des individus sans prendre véritablement en compte ses conditions d’exercice. Par contre, les libéraux de gauche et les socialistes libéraux considèrent que chaque individu devrait non seulement bénéficier d’une sphère de liberté inviolable mais aussi disposer de conditions minimales pour exercer cette liberté et réaliser les fins qu’il se choisit. Bien loin de défendre une conception strictement négative de la liberté indépendamment de toute préoccupation d’égalité et de justice sociale, Berlin (1969, section II) défendait d’ailleurs une position de cette nature." (p.34)
"Une autre distinction, bien connue en théorie politique et dont l’usage semble remonter au philosophe italien Benedetto Croce (1927), oppose pour sa part le libéralisme économique au libéralisme politique (ou encore philosophique). La langue italienne dispose d’ailleurs de termes différents pour marquer cette différence. On parle, d’une part, de liberismo pour signifier le libéralisme économique et, d’autre part, de liberalismo pour désigner le libéralisme politique." (p.43)
-Alain Boyer, Quels fondements éthiques pour quel libéralisme ? Critique et justification (malgré tout) du libéralisme moderne, Thèse de doctorat présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse) Genève, août 2007.
"La morale humaniste pourrait avoir été inventée pour des raisons qu'elle-même ne saurait reconnaître pour siennes et cependant se présenter à nous comme une solution possible aux problèmes de la vie en commun. Juger de la valeur d'une production quelconque en posant la question "qui l'a voulue ?" ou plutôt "quel type de volonté l'a produite ?", c'est méconnaître la transcendance de toute oeuvre par rapport à son ouvrier. Non que l'enquête sur l'origine soit à rejeter, en tant qu'approche causale, historique ; mais il est très nécessaire de distinguer soigneusement les questions d'origine des questions de valeur, en particulier des questions de vérité."
-Alain Boyer, "Hiérarchie et vérité", in Luc Ferry, André Comte-Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset, 1991, 305 pages, pp.11-35, p.16.