« La « Révolution Conservatrice » qui fut en fait de l’idéologie dominante en Allemagne pendant la période weimarienne (1919-1933), est une « conception du monde » (Weltanschauung) à la fois une et multiforme, si bien qu’elle n’a trouvé son nom global qu’après la Seconde Guerre mondiale, après la publication de la thèse de doctorat soutenue sous ce titre par Armin Mohler, en 1949, à Bâle. […] Si ce puissant courant d’idées se présente lui-même comme « révolutionnaire », ce ne fut pas tellement pour brouiller les pistes…En fait, comme l’écrivit l’un de ses principaux initiateurs, Arthur van den Bruck, il s’agissait « d’arracher la révolution aux mains des révolutionnaires », non pas pour restaurer des institutions jugées désuètes, comme par exemple la monarchie, mais pour procéder à un « ressourcement » radical en utilisant certaines formes de la modernité. »
« La république de Weimar […] fut considérée par les droites et surtout par les multiples variantes de l’extrême droite comme le triomphe en Allemagne même des valeurs « non-allemandes » : occidentales ou, selon les völkisch, « juives ». »
« Une fraction considérable des ligues de droite commence alors [après 1926] –à l’inverse du parti d’Adolf Hitler –à s’orienter vers un « socialisme » certes fondamentalement « idéaliste », mais non dépourvu de points d’application concrets –ceci d’autant plus que certains auteurs proclament la « réalité des luttes de classes ». Surgissent alors des propositions de collectivisation ou surtout d’étatisation des secteurs clés. »
« C’est très précisément la volonté de présence au monde et le rejet de la notion de décadence qui nous semblent fonder la spécificité de la « Révolution Conservatrice » par rapport au « Kulturpessimismus ». » (p.19)
« Carl Schmitt, parlant en 1929 du fascisme italien, le loue de « chercher, comme tous les mouvements forts, à se libérer de l’abstraction idéologique pour parvenir à l’existenciel concret. ». »
« Caractéristique essentielle de la « Weltanschauung » néoconservatrice : l’accent mis sur la « Vie », cette Vie qui apparaît, surtout depuis Nietzsche, comme l’antagoniste droitier de la Raison « de gauche ». »
« Que les « Révolutionnaires conservateurs » purs et durs aient accepté et même approuvé la révolution industrielle, cela ressort déjà à l’évidence des liens qui unissaient des organisations comme le Club de Juin ou des personnalités comme Spengler aux milieux de l’industrie lourde. […] Au XXème siècle, la véritable base de la puissance est l’industrie. Ici « l’acier » prend le pas sur le « sang ». Les « révolutionnaires conservateurs » les plus lucides le savent fort bien, et ils ne se privent d’ailleurs pas de le dire. Moeller, pour qui l’Allemagne est le pays industriel par excellence, ne se gêne pas pour dire que la colonisation agraire […] « n’est pas une solution ». […] Or cette position réaliste […] s’oppose à l’un des thèmes favoris des « kulturpessimisten », repris et prolongé pendant la période weimarienne par certains groupes « völkisch » tels que les Artamannen, d’où sortiront, entre autres, Himmler, Darré et Höss… »
« La littérature néo-conservatrice est traversée par un débat sur la technique qui connaît une sorte d’apogée avec la publication du livre de Spengler sur l’Homme et la Technique (1932). […] G. Merlio a montré comment le pessimisme l’emporte quand Spengler évoque la lassitude des techniciens, la « révolte des mains » et surtout la « légèreté » avec laquelle l’Occident transmet la technique aux peuples de couleur. […] La neutralité [de la technique] se retrouve [à l’inverse] chez de multiples auteurs tels que Diesel, ou Gründel, ou encore W. Sombart. »
"Pour Niekisch, donc "l'homme russe maîtrisa la technique, la technique ne le maîtrisa pas"...En attendant de pouvoir faire comme les Russes, Niekisch s'ingénia, comme les Jünger, à arracher la technique au monde "bourgeois". Il alla jusqu'à préconiser la récupération de la psychanalyse -qu'il abhorrait- parce qu'il y voyait un instrument efficace de désagrégation du rationalisme occidental."
"[Pour Spengler] l'apparition de la grande ville est l'un des signes majeurs du Déclin."
"Les néo-nationalistes diront, de leur côté, avec Ernst Jünger, que "la ville est le Front", et ils assimileront les adeptes de la fuite à la campagne à des "déserteurs."."
"La majorité des "révolutionnaires conservateurs" constitue ce qu'on pourrait appeler le camp de l'idéalisme pur. "Pour nous, nationalistes allemands, dit Moeller, la lutte de classes appartient aux conceptions du siècle passé". Le travailleur, régénéré, est donc ici promis à "l'intégration" pure et simple avec les autres "couches" dans un "socialisme allemand" éthico-politique, précisément considéré comme "moderne" parce qu'il liquidera l'individualisme bourgeois et parce qu'il se situent aux antipodes du marxisme, considéré lui-même comme un pur produit du XIXème siècle (d'où l'appelation "libérale" dont il est couramment affublé !)."
"A État moderne, chef moderne, c'est-à-dire un chef qui, comme Mussolini ou Lénine (dont l'éloge parallèle est monnaie courante) sache parler aux masses et soit capable d'en finir avec la totalité de l'héritage "libéral". [...] La nouvelle aristocratie se regroupera dans des ligues ou dans des "Ordres", les néo-conservateurs n'apercevant jamais la contradiction entre l'exclusivisme de ces formations et le rêve de conquête des masses: sérieuse faille dans leur "modernisme"." (p.34)
"Malgré d'indéniables flirts avec certains de ses chefs, les théoriciens néo-conservateurs méprisent plus ou moins ouvertement le parti nazi."
"Pour [Ernst Jünger], ces fois de substitutions [socialisme et nationalisme] sont autrement mobilisatrices que la défense directe des thèmes conservateurs ; leur manipulation généralisée, combinée aux possibilités immenses de la technique moderne, permettra d'édifier à coup sûr le nouveau monde du Travailleur: mobilisation totale, guerres totales ; paix universelle dans l'Harmonie retrouvée."
"Il est patent que les idées "völkisch" ont contaminé plus ou moins gravement nombre d'auteurs de la Révolution Conservatrice. Rien d'étonnant à cela, si l'on considère la communauté d'esprit antirationaliste et certains ancêtres communs d'une part, et d'autre part l'adhésion des néo-conservateurs à la notion de "Volksgeist", laquelle débouche facilement sur le racisme, ainsi qu'il apparaît à l'évidence dans les jugements sur les Français "négrifiés" émis par Moeller, Spengler, Niekisch etc.
Et pourtant l'idée "völkisch" et plus précisément son aspect raciste ne nous semblent pas strictement constitutifs de la Révolution Conservatrice. D'abord parce qu'il est évident que l'idée conservatrice est antérieure au racisme ; d'autre part parce que certains "révolutionnaires conservateurs", au premier rang desquels Spengler et Jünger ont explicitement récusé le racisme biologique [...] ; troisièmement parce que le mysticisme "völkisch" déborde l'antirationalisme des intellectuels néo-conservateurs ; quatrièmement parce que -au moins jusqu'à l'alliance tardive avec Hitler- l'exemple du fascisme italien (si souvent invoqué par les "révolutionnaires conservateurs") a montré que la réaction moderne peut refuser l'antisémitisme. Enfin et surtout parce que le racisme prétend fournir une réponse biologique (et donc grossièrement matérialiste) à des problèmes initialement posés en termes idéalistes."
"Il faut surtout citer Hitler, dont on ne voit pas pourquoi on l'exclurait "a priori", si l'on accepte de compter les "Völkisch" dans la Révolution Conservatrice. Dans Mein Kampf, Hitler multiplie les considérations sur la "décadence" et "l'écroulement général de notre civilisation" ; il condamne "une industrialisation tout aussi démesurée que nuisible" [...] Mais il se fait le chantre du "progrès humain" ; il est fasciné par la "technique moderne", assimile son parti à "une grande entreprise industrielle" et va jusqu'à parler du "progrès général de l'Humanité" en le comparant à "une ascension sur une échelle sans fin" -ce qui l'éloigne indiscutablement de la philosophie de l'Histoire de la Révolution Conservatrice. Il semble donc osciller entre "Kulturpessimismus" et une sorte de progressisme perverti, réduit à la technique, à la "puissance" qu'elle dispense et aux "loisirs" qu'elle permettra d'augmenter."
"Il devait revenir au mouvement hitlérien [...] de fouler aux pieds l'éthique conservatrice traditionnelle et de faire régresser un grand "peuple de Culture" dans une barbarie qu'on veut bien croire fort différente de la "barbarie" esthétique si imprudemment chanté par Nietzsche, Spengler et les Jünger des années vingt."
-Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages.
"Il n'est peut-être pas besoin de développer longuement l'appartenance de Moeller au conservatisme. Il y a chez lui toutes les catégories fondamentales de la pensée conservatrice: une conception de l'être considéré comme immuable, du temps conçu comme durée, de l'espace enfin, entendu comme lieu de l'enracinement. Ainsi se trouvent affirmées la permanence et la stabilité ontologiques, avec lesquelles il convient de renouer, par-delà les vicissitudes de l'histoire. Plus concrètement, le conservatisme s'exprime sur le plan socio-politique par l'affirmation de valeurs comme la famille, la personnalité, l'autorité, la propriété, valeurs qui fondent une conception inégalitaire et hiérarchisée de la société, présentes tout au long de ses écrits, au nom desquelles il part en guerre contre toutes les révolutions, la française de 1789, la russe de 1917, tout comme l'allemande de 1918, et condamne inlassablement le libéralisme, la démocratie et le socialisme historiques."
"Nous empruntons au sociologue Jean Baudrillard sa définition de la notion de modernité, laquelle, selon lui, connote globalement toute une évolution historique et un changement de mentalité, repérable en Europe à partir de la Renaissance et ses bouleversements techniques, scientifiques, religieux et politiques, qui se développe au XVIIème et XVIIIème siècle, avec la pensée individualiste et rationaliste, avec l'Etat monarchique centralisé, avec, culturellement, la sécularisation des arts et des sciences, et qui prend tout sens à partir du XIXème siècle avec la révolution industrielle, la division rationnelle du travail industriel, la croissance démographique et l'urbanisation ainsi que le développement de gigantesque moyens de communication, d'information, pour culminer au XXème siècle."
"Les nouveaux grands-prêtres de cette civilisation technicienne occidentales sont pour Moeller les scientifiques, inventeurs ou découvreurs, les sociologues, les techniciens, les ingénieurs, les entrepreneurs, les directeurs d'usine, les experts, sans oublier les "designers". Ces "hommes de la technique" [...] se trouvent placés au sommet de la hiérarchie sociale."
"[Moeller Van Den Bruck] affirme de façon péremptoire que la modernité n'est pas décadente et récuse le type du décadent pessimiste qui se délecte de son décadentisme, tout comme il réfute nommément le "Kulturpessimismus" contemporain, en lui opposant les réalisations tangibles de la modernité, par rapport à laquelle l'époque de nos pères, dit-il, fait plutôt figure de "mauvais vieux temps". [...] Il réfute précisément le pessimisme spenglérien. Moeller [...] montre d'abord que Spengler se trompe en voulant prédire l'avenir de l'Occident: ce faisant il se comporte en rationaliste, fait remarquer notre auteur pour qui le futur est par définition imprévisible. D'ailleurs, dit-il, l'histoire a infirmé les prévisions de Spengler qui est parti de l'idée que l'impérialisme allemand allait vaincre et imposer sa domination à l'Occident, provoquant par ce fait même le déclin irréversible de celui-ci. Mais surtout, Moeller s'oppose aux prémices mêmes de Spengler. L'Allemagne, dit-il, est un pays jeune, disposant des hommes qui font désormais défaut à l'Occident. Elle connaîtra donc un destin forcément différent de celui de cet Occident dont Moeller, contrairement à Spengler, veut la dissocier.."
-Denis Goeldel, "Moeller Van Den Bruck: une stratégie de modernisation du conservatisme ou la modernité à droite", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"L'adjectif moderne n'est attesté par Littré qu'à partir du XVIème siècle, c'est-à-dire au moment où la Renaissance se conçoit comme rupture brutale avec le passé récent, fût-ce à la faveur d'un retour à la tradition antique."
"Le goût du passé ne s'accompagne jamais chez lui de la mythification d'une période précise, ni d'un "retour à...", comme on peut en trouver chez les écrivains strictement réactionnaires ; certaines valeurs anciennes lui paraissent menacées par les structures du monde moderne, mais, par ex., sa méfiance envers la Révolution française n'entraîne pas pour autant un éloge de l'Ancien Régime ; il s'interroge plutôt avec amusement sur ce que pourrait être une France contemporaine gouvernée par les Bourbons, et l'imagine en proie à une rococo subtilement décadent. Le Moyen-âge, place forte des idéologies antimodernistes, ne jouit pas non plus d'un traitement de faveur, malgré l'admiration que Jünger porte à l'esprit de chevalerie -ce dernier restant pour lui un phénomène possible à toutes les époques, en particulier lors de la Première Guerre mondiale" (p63)
"D'autre part, sa préférence pour les séjours campagnards, son amour de la nature avec ses cycles immuables ne revêt pas l'aspect d'un sectarisme doctrinaire, à la manière, par ex., d'un de ses auteurs favoris, Léon Bloy."
"Sa totale insuffisance d'élaboration politique n'enlève donc rien à l'actualité de la prise de conscience jüngerienne sur un élément essentiel de notre temps [la technique]."
"Le nazisme, pour Jünger, n'est qu'une illustration particulièrement frappante de la société nihiliste, telle que pouvaient l'annoncer l'analyse nietzschéenne de la crise des valeurs."
"En Céline, Jünger a perçu avec effroi le nihilisme désespéré et l'antisémite dément, sans reconnaître ce qui l'apparentait dans l'invective à Léon Bloy [...] Mais probablement ne l'a-t-il-pas lu. [...] Quand au plus grand, Proust [...] s'il note le 29 septembre 1943 avoir commencé Sodome et Gomorrhe -mauvaise manière s'il en fut d'aborder la Recherche par son quatrième tome, élu, sans doute, à cause de son titre -la disparition totale d'indications ultérieures suggère qu'il en a abandonné la lecture."
-Julien Hervier, "Ernst Jünger et la question de la modernité", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Cet État [planiste], les hommes de la technique l'imaginent un peu à la façon de Hegel, une sorte de noyau de la société civile, ou, pour reprendre l'une de leurs métaphores préférées, comme une machine bien huilée, un mécanisme d'une précision irréprochable."
-Georges Roche, "Ingénieurs et modernité sous la République de Weimar", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Lier la théologie à la politique sous le signe du nationalisme se rattache à toute une tradition, qui remonte à Herder."
"Le postulat de départ est que le peuple ne s'exprime pas dans l'opinion consciente des individus qui le composent : il parle seulement par la voix de la collectivité nationale, dans les rares moments historiques où celle-ci prend conscience que sa survie est en jeu, comme dans la Prusse de 1813. En soulignant le caractère exceptionnel et irrationnel d'un tel sursaut national, Lagarde met expressément en question l'existence même d'une "volonté générale" portant sur des problèmes politiques précis et la légitimité d'un contrôle exercé par les gouvernés sur les gouvernants, il nie la nécessité des consultations populaires et du système électif dans son ensemble."
"Par hostilité à la politique libérale d'émancipation, Lagarde fait cause commune avec les antisémites "Völkisch" de Berlin qui, dans une pétition adressée en 1880 au gouvernement prussien, exigent des mesures discriminatoires contre les juifs [...] Cet antisémitisme est étroitement lié à l'antilibéralisme. Posant que "seuls les antilibéraux sont les amis de l'Allemagne", et que "juifs et libéraux sont des alliés naturels", Lagarde fait de ces "alliés" de véritables "ennemis intérieurs", contre lesquels il s'efforce de dresser l'opinion publique au nom de la régénération nationale. [...]
L'intolérance et l'agressivité font ainsi, chez Lagarde, figure de vertus politiques. L'ordre social que vise à instaurer ce type de conservatisme est essentiellement rigide et oppressif: les rapports entre la collectivité et les individus y sont réglés de façon autoritaire, les groupes non-conformes à l'idéologie régnante sont publiquement diffamés, avant d'être mis au pas ou expulsés, la dictature et la guerre y apparaissent comme les formes décisives de l'action politique." (p.112)
"Lagarde ne pousse pas le désir de rénover le conservatisme jusqu'à approuver l'industrialisation et à faire de la technique une arme contre le progressisme émancipateur et un moyen de dominer, de dépolitiser et de manipuler les masses."
-Jean Favrat, "Conservatisme et modernité: le cas de Paul de Lagarde", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Le modernisme est absent de l'œuvre de Langbehn. L'auteur rejette en bloc le monde moderne qui l'entoure: industrialisation, concentration urbaine, aspirations démocratiques, primauté de la science, règne de la technique, matérialisme, naturalisme...rien de tout cela ne trouve grâce à ses yeux. La tradition romantique à laquelle il faut le rattacher et le climat idéologique dans lequel il baigne l'empêchent d'adhérer au monde de la technicité et du rationalisme, aux idéaux égalitaires et cosmopolites d'un humanisme progressiste."
"Par l'association de la nation à la nature le nationalisme d'option politique devient nécessité existentielle."
"Aux yeux de Langbehn, c'est le paysan, symbole mythique de l'homme naturel, qui sait le mieux "ce qui est l'esprit allemand et où il se trouve"." (p.123)
-Hildegard Chatellier, "Julius Langbehn: un réactionnaire à la mode en 1890", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Si la modernité a commencé avec la Renaissance, la Réforme et les Grandes Découvertes, alors une contribution sur Jakob Burckhardt n'est pas ici hors de propos. N'est-il pas l'auteur d'un ouvrage qui a fait époque, "Die Kultur der Renaissance in Italien" (1860) ? Et puis n'est-il pas l'un des principaux "Kulturpessimisten" de son siècle ?"
"Dans les "Weltgeschichtliche Betrachtungen", l'auteur déclare vouloir se libérer de toute philosophie de l'histoire, ce qui signifie surtout qu'il prend ses distances par rapport à l'hégélianisme. Plus de lois historiques, plus de téléologie, plus de Providence ou de Raison universelle guidant l'humanité. Par conséquent, et ceci est fondamental, Burckhardt révoque en doute tout ce qui est notion de perfectibilité, de progrès indéfini du genre humain.
Plus de "Weltgeist" absolu, mais un esprit s'objectivant dans les formes toujours mouvantes de la civilisation. Aux yeux de Burckhardt, le centre de l'histoire, c'est l'homme."
"Burckhardt affirme au contraire [de son maître Ranke] que la culture doit se garder de toute contamination du fait de l'État, qui est puissance (Macht) et de la religion, qui est dogmatique par nature."
"Burckhardt s'attaque à Rousseau, à son optimisme "plébéien", à l'idée rationaliste de progrès, à la révolution permanente qui, pour lui, caractérise l'ère moderne. Il tire à boulet rouge sur le libéralisme bourgeois et l'alliance de l'étatisme et du nationalisme. [...] L'inquiétude de Burckhardt a l'égard de l'Allemagne n'est pas la seule. Il craint de surcroît pour la diversité européenne si l'anglais devient la langue universelle, si l'équilibre mondial est rompu au profit du monde anglo-saxon. [...] Il prédit l'uniformisation absolue et le nivellement total de la société occidentale. Il prévoit que la démocratie court à un échec retentissant, que la liberté et les idéaux révolutionnaires se changeront en leur contraire.
Burckhardt voit l'individu, qui avait acquis une conscience autonome à partir de l'aube des temps modernes, aliéné, prisonnier du réseau des institutions et des moyens de propagande. Il fustige la presse qui intoxique l'opinion, qui pousse au bellicisme et entretient l'inquiétude perpétuelle."
-Jean Nurdin, "Jakob Burckhardt et le refus de la modernité", in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"L'aristocrate nietzschéen non seulement accepte comme allant de soi tous les privilèges afférant à son statut social, mais récuse toute activité qui aurait le caractère d'une fonction. Il accède par là à l'inutilité splendide du bourdon, ou des dieux. Inutilité insigne et pleine de périls, que seule une force d'âme extrême sera capable d'assumer." (p.140)
"Finalité de la société, il ignorera superbement toute instance supérieure tant dans la nature que dans la société: l'aristocrate non aliéné est instinctivement athée." (p.141)
"La victoire du libéralisme substitue "l'homme théorique", l'homme universel et abstrait, qu'il baptise citoyen, à la pluralité des individus concrets définis par leur appartenance à l'un des multiples corps sociaux de l'Ancien Régime. L'égalité devant la loi permet au plébéien émancipé, au bourgeois, d'instaurer un régime démocratique où le gouvernement des majorités numériques succèdera à celui des meilleurs ; enfin de subordonner le politique à l'économique. Dans un premier temps va se constituer une pseudo-aristocratie (une ploutocratie) dont le pouvoir est fondé sur une richesse abstraite, l'argent, et non sur un supplément d'être. Sur le plan de la politique extérieure le libéralisme oeuvre à la désagrégation des empires et prend parti pour les nationalités opprimées. Il s'affirme résolument nationiste sinon nationaliste, estimant que la disparition des complexes impériaux, homologue à l'échelle internationale de la société inégalitaire, est la seule cause des conflits armés. S'il se veut résolument pacifiste, c'est que la paix lui apparaît comme la condition nécessaire de la prospérité. Aussi, dans une phase ultérieure de son développement, va-t-il tendre à affaiblir le sentiment national lui-même. Davantage d'ailleurs du fait de la dynamique propre à l'expansion de la production et des échanges, qu'en fonction de préoccupations doctrinaires. Il va ainsi provoquer un métissage racial et social à l'échelle européenne, conséquence du déracinement de populations importantes. Un type humain nouveau se constituera sur le territoire du vieux continent: l'Européen normalisé, sachant s'adapter à des situations changeantes, à la fois intelligent et facilement manipulable, se satisfaisant d'un bien-être médiocre, dépourvu d'aspirations spirituelles. Pour Nietzsche, si le libéralisme devait être poussé au bout de sa logique, la société future reconstituerait un nouvel état de nature adapté à l'âge industriel ; l'humanité se présenterait alors sous la forme d'un conglomérat d'individus sans hiérarchies ni tensions, le monde du "dernier des hommes". Cette désagrégation des structures sociales s'étendrait à la famille et déboucherait sur l'égalité des sexes, jugée par Nietzsche aliénante tant pour la femme que pour l'homme." (p.147-148)
-Yves Guéneau, "Nietzsche et la modernité", chapitre in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages, pp.139-152.
"Au seuil du XXème siècle, Spengler participe à la destruction du mythe de la raison qui postulait l'adéquation parfaite de la connaissance rationnelle et de la réalité. L'efficacité de la technique n'est pas pour Spengler la preuve que la science, dont elle est en quelque sorte le bras séculier, atteint à la vérité objective. L'ingénieur est comparable au magicien qui agit sur le monde sans en percer véritablement le secret."
"Il n'est plus du tout question d'origine religieuse ou magique de la technique dans l'Homme et la technique. Cette "Contribution à une philosophie de la vie" présente un curieux mélange de pensée technique, de nietzschéisme vulgarisée et de darwinisme social. La réfutation de l'évolutionnisme et de la thèse darwinienne de la "lutte pour la vie", jugée trop plate et trop mécanique, au nom de la "lutte pour la puissance", d'inspiration nietzschéenne, donne lieu à une rhétorique idéaliste qui cache mal le matérialisme agonal sur lequel repose l'essentiel de l'ouvrage. Mais dans ce nouveau contexte, le problème de la technique se pose de la même façon qu'à l'intérieur de l'évolution cyclique des "hautes cultures": auxiliaire de la Vie à son origine, la technique finit par devenir tueuse de Vie.
D'emblée, Spengler récuse bien évidemment toute définition utilitaire, bourgeoise, de la technique comme moyen de progrès. La technique n'est fondamentalement rien d'autre à ses yeux qu'une "tactique de la vie", tout procédé ou tout outil une arme que la volonté de puissance se forge pour vaincre dans ce combat incessant qu'est la vie. Spengler confère une sorte de statut ontologique à cette conception héroïque de la technique qui apparaît chez Jünger et chez Niekisch liée à un tournant historique instaurant le règne du Travailleur. La technique est l'arme des puissants [...] le domaine par excellence où se vérifie l'existence d'une hiérarchie naturelle entre chefs et exécutants.
[...] Jusqu'ici rien que de très positif dans le jugement que Spengler porte sur la technique [...] Les accents négatifs apparaissent quand l'évolution technique est envisagée sous l'angle de la rationalisation croissante du monde et de la vie. Dès lors se pose, pour Spengler, le problème de la technique. En effet, par la technique, l'homme se rebelle contre la nature. Il est Prométhée, dont l'orgueil sera punie. Un Prométhée carnassier qui commet le péché de raison, et s'enferme dans le monde artificiel qu'il construit autour de lui. [...] L'évolution culturelle et technique est ressentie et décrite comme une vaste tragédie du déracinement et de l'hybris humaine qui entraînera l'homme à sa perte."
."
"Premier danger: les nations d'Occident doivent se garder de cette désaffection vis-à-vis des problèmes techniques que Spengler sent poindre parmi nos élites. La tendance a fuir le monde industriel et technique pour retrouver des formes de vie simples au sein de la nature lui paraît être un signe de lassitude inquiétant qui lui rappelle l'atmosphère régnant à Rome du temps d'Auguste.
Deuxième danger: ce que Spengler appelle, en ayant recours à une métonymie significative, "la révolte des mains", c'est-à-dire la révolte des exécutants, des ouvriers, du prolétariat. [...]
Troisième et dernier danger: "la trahison envers la technique" c'est-à-dire le fait que peu à peu les nations occidentales blanches trahissent leurs secrets technologiques aux "gens de couleur" (parmi lesquels Spengler range curieusement les Russes)."
-Gilbert Merlio, "Oswald Spengler et la technique", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Toute la problématique spenglérienne tourne autour de ces deux questions: comment peut-on être moderne ? Comment peut-on ne pas être moderne ? Spengler est quelqu'un qui, d'une part, est mal dans son temps, mais qui, d'autre part, ne voit aucune possibilité de s'y soustraire. Le sentiment qui a dicté toute son œuvre est celui du décadent qui arrive trop tard dans un monde trop vieux. Trop vieux pour qu'il puisse y réaliser l'œuvre à laquelle il se sent intimement appelé et qui est une œuvre artistique et littéraire. Écrivain manqué, Spengler rend responsable le siècle dans lequel il vit de sa propre stérilité. [...] Il est loin de vouloir être un écrivain décadent, c'est-à-dire un écrivain qui fait de la décadence son thème majeur, qui s'y complaît, qui tire de la conscience de son état de état de décadent une supériorité ou un profil esthétiques. Devant la modernité qu'il rend responsable de sa propre stérilité, Spengler a mauvaise conscience. Il en souffre mais elle le fascine. Et le vrai sujet qu'il entend traiter dans ses œuvres n'est pas décadence mais le passage de ce qu'il appelle la culture, qui se définit par la religion, la philosophie, la poésie et l'art, à ce qu'il appelle la civilisation, où l'emporte les aspects pratiques, techniques et organisationnels."
"Qu'est-ce que la civilisation selon Spengler ? C'est essentiellement l'empire de la raison, de l'intellect, de la causalité: bref, la surintellectualisation, la "dictature" ou la "tyrannie" de l'entendement (Verstand). Avant les représentants de l'École de Francfort, bien que d'une manière différente, Spengler a découvert dans l'évolution historique une dialectique de la raison. La culture naît de l'effort de l'esprit pour se donner une forme spécifique à l'élan vital. Elle correspond à une "spiritualisation" de la vie (Vergeistigung ou Durchgeistigung). L'apogée culturel est atteint lorsqu'est réalisé un point d'équilibre entre l'esprit et la vie, l'inspiration et la convention, le dionysiaque et l'apollinien (on reconnaît là la définition du classicisme chez Nietzsche). La culture, c'est de "l'instinct discipliné". Mais il arrive un moment ou la discipline l'emporte sur l'instinct, où la raison cherche par trop à dominer la vie. La "haute culture" entre alors dans sa phase rationaliste qui l'entraîne vers une mort lente mais inéluctable. Car non seulement l'esprit tue la vie (Spengler accentue les dichotomies vitalistes de Nietzsche), non seulement la raison discursive, éprise d'objectivité et d'universalité, opérant sur les mots du langage et les concepts de la pensée abstraite, entame l'égoïsme naïf des individus et des collectivités et porte ainsi atteinte à l'élan vital. Mais bientôt, l'esprit, l'entendement, poursuivant son travail de sape, s'en prend à ses propres constructions. Le doute qui avait permis à la raison de tuer le mythe religieux (Dieu) et la métaphysique, continue son travail. Si bien que la raison est prise au piège de son propre scepticisme. L'Aufklärung se dissout de lui-même. La raison finit par avoir raison de sa propre tyrannie. Voilà très exactement ce qui est en train de se passer dans notre XXème siècle: à l'âge rationaliste, qui a lui-même suivi l'âge religieux et métaphysique, est sur le point de succéder l'âge sceptique. A l'intérieur des cycles spengleriens se dessine un schéma de type comtien, mais avec inversion de signe."
"Spengler est-il un Kulturpessimist ou un Kulturkritiker ? Comme son nom ne l'indique pas, la Kulturkritik n'est pas une critique de la culture mais une critique de la civilisation (de la modernité) au nom de la culture. Cet aspect n'est pas absent chez Spengler chez qui l'on ne peut nier l'amour profond et la compréhension intime de grandes formes culturelles du passé. Mais en projetant en diachronie, sur la ligne cyclique suivie fatalement par l'évolution des "hautes cultures", l'opposition culture/civilisation, il supprime en vérité toute alternative: la culture est définitivement forclose ; seule la civilisation reste possible ; toute régénération culturelle est exclue. Spengler est le dernier Kulturkritiker, celui qui décrète la vanité de toute Kulturkritik. Car au fond, là où Nietzsche met encore en garde, il ne fait, lui, que constater [...] L'itinéraire qu'il présente à ses contemporains comme incontournable et donc souhaitable (voilà sa version de l'amor fati, du "scepticisme courageux" (tapfere Skepsis), du réalisme héroïque qui refuse l'illusion "romantique" que l'on pourrait revenir en arrière) est l'itinéraire qui va de Munich, la ville d'art du passé, à Berlin, la ville moderne en qiu Langbehn voyait le siège de l'américanisme dont les Allemands devraient à tout prix se libérer. "
"Comme Nietzsche, Spengler propose à ses contemporains une fuite en avant, une fuite vers une modernité encore plus moderne que celle qui aujourd'hui reste entachée de rationalisme et de libéralisme. Sa solution à la crise de la modernité, c'est aussi le recours au nouveau barbare, qui prend chez lui la figure du César. Le césarisme vers lequel s'achemine inexorablement notre civilisation est certes un phénomène de décadence puisqu'il résulte de la décomposition des structures politiques et sociales: Spengler reprend ici la thèse de Burckhardt, Nietzsche, Tocqueville...et Platon, selon laquelle la démocratie est une école de tyrans."
"Le problème de la valeur est dépassé pour Spengler. C'est ce qui le différencie fondamentalement de Nietzsche dont la critique de la décadence lui paraît irréfutable mais dont la théorie du surhomme lui semble être un phantasme, et à qui, plus généralement, il reproche, comme l'avait fait Moeller van den Bruck, son manque de sens pratique. Aveuglé par son romantisme, sa nostalgie de nouvelles valeurs, Nietzsche n'a pas eu le courage prosaïque de reconnaître le surhomme dans les grands capitaines d'industries, les grands ingénieurs, les grands organisateurs, bref ces "hommes des faits" ("Tatsachenmenschen"), qui, à l"époque sceptique où nous vivons, occupent le devant de la scène et préfigurent les grandes individualités césariennes de l'avenir. Selon Spengler, il faut traduire la volonté de puissance nietzschéenne en termes sociaux, économiques et politiques ainsi que l'exige notre temps. C'est au prix d'un tel réalisme dénué de toute illusion et de toute justification morale que non seulement pourra s'édifier l'Empire allemand, mais que l'Occident décadent pourra aussi assurer sa survie en résistant le plus longtemps possible au défi des peuples de couleur qui commencent à l'assaillir de toutes parts.
Il est temps de s'interroger sur la signification de ce qu'il faut bien appeler cette trahison du clerc, d'un clerc qui, après avoir chanté la grandeur de la culture passée, prône résolument la conversion au fait et à la force qui prévalent, selon lui, dans les tâches réalistes de la civilisation, c'est-à-dire de la modernité. Au niveau de la psychologie individuelle, cette attitude est aisée à interpréter. Spengler a vécu à l'évidence la drame de l'intellectuel coupé du réel qui rêve d'être homme d'action. Ses échecs littéraires ont nourri son pessimisme culturel et sa glorification du réalisme et de la force, peut s'expliquer en partie par un phénomène de compensation. Mais le cas personnel de Spengler ne s'inscrit-il pas dans une problématique sociologique ou idéologique plus générale ? Ne peut-on voir en effet dans la négation catégorique du rôle que les idées, les vérités et les valeurs morales peuvent dorénavant jouer dans l'histoire le reflet de la constatation amère faite par les couches moyennes cultivées de la bourgeoisie allemande que dans le monde moderne, où elles se sentent de plus en plus marginalisées par le développement technique, industriel, économique et politique, seuls ces "faits" comptent, et non plus les idéaux que le lycée humaniste continue à dispenser ? Le déchirement de Spengler, homme de culture décrétant l'impossibilité de la culture, homme d'esprit déniant tout rôle réel aux idées dans l'histoire, n'est-il pas celui de toute une couche sociale ?"
-Gilbert Merlio, "Spengler ou le dernier des Kulturkritiker", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Alfred Ploetz, l'inventeur de l'expression "hygiène raciale", se plaçait quand à lui du point de vue du peuple allemand et de la race aryenne. Ancien utopiste protocommuniste récemment revenu d'une communauté américaine dérivée de "L'Icarie" de Cabet avec la conviction qu'une nouvelle culture supposait une nouvelle race [...] Ploetz [...] fit très concrètement le lien entre les eugénistes et les "Völkisch"."
"Après une attaque en règle contre l'Aufklärung, l'humanisme et le marxisme, l'ancien leader socialiste [Ernst Niekisch] propose aux jeunes allemands une orientation vers ce qu'il appelle "l'Est et ses valeurs positives", c'est-à-dire, dans le détail: une "réduction drastique de l'appareil de production", l'obligation de fuir les grandes villes par "une politique économique et sociale qui ferait de la vie dans ces villes un enfer", "une colonisation agraire même dans les conditions les plus médiocres", "un entraînement aux privations et à toutes les valeurs viriles", "une volonté de pauvreté", un "mode de vie simple", "une vie dure dans la discipline et le devoir", la "proclamation du principe d'autorité", "l'acceptation de la plus grande barbarie elle-même, si c'est nécessaire à la prospérité nationale". "En adoptant un mode de vie pauvre, conclut Nietkisch, le peuple allemand devrait pouvoir remplir sa mission universelle" -ici, bien sûr, un "universalisme" assez particulier s'oppose à l'autre- : "devenir le ferment qui renouvelle une humanité sombrant dans la pourriture de la civilisation"."
-Louis Dupeux, "La version "Völkisch" de la première "Alternative" 1890-1933, in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Parler de "nouvelles valeurs" de "spiritualité globale" de "nouvelle totalité", condamner l'hédonisme de masse et prôner le sacrifice héroïque de l'individu à une époque où la crise économique place les gens devant les problèmes les plus concrètement vitaux n'est certainement pas propre à susciter une large audience. Le tribun Hitler saura pratiquer une démagogie sociale efficace. L'aristocratie de Jung, son manque de sensibilité sociale l'empêcheront d'abandonner son langage abstrait pour descendre au niveau du grand nombre. Il se privera ainsi de tout impact hors des milieux intellectuels néo-conservateurs." (p.225)
"Jung prône même le maintien de la distinction entre le privé et le public, entre l'Etat et la société. Le nationalisme totalitaire et raciste du régime nazi est diamétralement opposé à l'idée du Reich chrétien et fédéral tel qu'il le conçoit. Le totalitarisme nazi [...] correspond à un processus de collectivisation et de mécanisation de la vie qui en fait l'ultime forme dégénérée du libéralisme et le proche parent du bolchevisme dont il partage la croyance dans les valeurs profanes et matérialistes et les aspects social-révolutionnaires et ochlocratiques. Jung retrouve donc une interprétation typiquement conservatrice du nazisme, telle que Spengler l'avait déjà formulée dans Années décisives."
"Il n'est pas douteux que les conservateurs révolutionnaires [...] ont contribué à la "mise en acceptabilité" du nazisme, même s'ils n'étaient pas nazis et ne voulaient pas le nazisme."
-Gilbert Merlio, "Edgar Julius Jung ou l'illusion de la Révolution Conservatrice", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Wilhelm Stapel, directeur de la célèbre revue politico-culturelle hambourgeoise Deutsches Volkstum, de 1917 à 1938, fut, avec les théologiens Hirsch, Althaus et Gogarten, l'un des principaux représentants -sans doute même alors le plus connu- de cette "théologie politique" qui introduisit la notion de "peuple" (au sens ethnique) dans la problématique de base du protestantisme des années vingt, contribua entre 1930 et 1933 à "légitimer" le mouvement nazi en ignorant ou en sous-estimant sa dimension antichrétienne pourtant évidente, puis amena une minorité d'activites -dont Stapel- à soutenir les vains efforts du Troisième Reich pour créer un église protestante unifiée, soumise au "Führerprinzip" et admettant le "paragraphe aryen"...Stapel fut aussi, dès 1919, une figure de proue de l'antisémitisme [non-biologique]."
"Les idées de Stapel sur la "question juive" procèdent explicitement de Fichte, de certains romantiques et dans une certaine mesure de Paul de Lagarde."
"L'antisémitisme allemande n'est, selon Stapel, que la réponse à l'antigermanisme juif" (p.259)
"En 1933, Stapel déplore les débordements antisémites -mais en impute la responsabilité aux juifs eux-mêmes."
-Louis Dupeux, "L'antisémitisme culturel de Wilhelm Stapel", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"C'est seulement durant la Grande Guerre qu'en Allemagne Nietzsche est mis pour la première fois à contribution à des fins politiques: il fournira à la propagande belliciste quelques-uns de ses arguments. Mais c'est avec Moeller van den Bruck et surtout O. Spengler qu'il apparaîtra Outre-Rhin comme un penseur politique de premier plan qui, entre autres, aura également eu le mérite de déceler les connexions existant entre les domaines culturel et politique. Dès lors que Nietzsche va devenir la référence quasi-obligée, à la fois philosophique et idéologique, du mouvement qualifié de Révolution Conservatrice, et ce pour tous ses adeptes." (p.277)
"On ne risque guère de se tromper en affirmant que la "vision du monde" hitlérienne et la pensée de Nietzsche présentent seulement quelques analogies ponctuelles qui ne sont pas le produit d'une influence directe." (p.279)
"Disciples fervents de Nietzsche, tels Jünger, Spengler ou même Benn." (p.281)
"Jünger ; son dernier essai touchant au politique et intitulé: Uber den Schmezr [De la Souffrance], de toute évidence rédigé après mars 1933 et publié l'année suivante, n'est qu'un long développement des réflexions de Nietzsche sur la souffrance. Celle-ci, pour Jünger comme pour le Philosophe, n'a pas un caractère accidentel ou conjoncturel, mais ontologique. Elle est inhérente à l'être et partant indissociable de l'authentiticité, de la plénitude de l'existence humaine. Chercher à se mettre hors de portée de la souffrance ou à l'abolir au lieu de l'assumer est non seulement vain, du moins à terme, mais se traduit, pour les individus comme pour la collectivité, par une déperdition d'être. La société bourgeoise, fondée sur la foi en la raison et le progrès, est la meilleure illustration, selon Jünger, de cette vérité. C'est pourquoi il escompte que les bouleversements politiques en train de s'accomplir en Europe et dans le monde -la mise en place des différentes variantes du fascisme- entraîneront non seulement la transformation de l'individu en travailleur (au sens qu'il donne à ces termes), mais que cette mise au pas sera l'expression visible de nouvelles valeurs, d'une relation positive envers la souffrance, d'un retour au "sentiment tragique de la vie", bref, de l'adhésion de la Nouvelle Allemagne au "réalisme héroïque" à la Jünger. S'agit-il là, à partir d'un Nietzsche plus tragique qu'héroïque, sur lequel la N. B. n'insiste pas, d'une mise en question du millénarisme nazi analogue à celle que l'on trouve chez Spengler ? Toujours est-il est ces considérations fournissent à l'auteur l'occasion de formuler des remarques critiques, voire désobligeantes, à l'encontre du IIIe Reich. Il ne fait pas mystère de ce qu'il pense, dans une optique il est vrai métaphysique, du nouveau régime: le totalitarisme nazi, ses représentants et ses diverses manifestations ne sont pas, loin de là, l'expression des valeurs qui doivent occuper la place laissée vacante par celles de l'ordre ancien, humaniste et bourgeois. Cas particulier du nihilisme, contrairement à ce qu'affirment évidemment les commentateurs nazis de Nietzsche, il parachève seulement leur destruction. Les structures de l'avenir sont bien en place, mais on y chercherait vainement le souffle de l'esprit nouveau. Le nazisme n'est même pas "volonté de puissance" dans l'acception que les exégètes nazis donnent au concept nietzschéen, mais simple désir de puissance, dépourvu de finalité supérieure." (p.287)
-Yves Guéneau, "Les Idéologues et le philosophe", chapitre in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages, pp.277-294.
"Organisme et corporatisme sont deux aspects de l'idéologie réactionnaire de Heidegger -la réaction étant ici comprise comme volonté de retour en arrière- dont la description demeurerait incomplète si l'on n'y ajoutait le côté "agrarien" bien analysé par Robert Minder. Le texte Warum bleiben wir in der Provinz ? [...] montre à quel point Heidegger aimait la campagne, la forêt et les paysans, mais aussi à quel point il détestait la ville: le Cours d'éducation fustige la société urbanisée et propose "que l'on rende à la campagne ses habitants", tandis que Warum bleiben wir in der Provinz ordonne aux citadins de mettre "bas les mains" (sic) et ne plus toucher au monde paysan !
Pour Heidegger l'urbanisation est, tout comme l'humiliation de la nation, le signe d'une décadence, celle d'un peuple qui s'est "trop longtemps adonné au mode de vie bourgeois". Comment parvenir à la "guérison de ce corps qu'est le peuple allemand" [...] ? Par la volonté ferme et la résolution d'un peuple décidé à retrouver son univers spirituel, dans le cadre d'un Etat reconnu par tous comme celui de chacun. La volonté est quelque chose qui s'éduque, par les Camps de Travail, l'Université qui aurait trouvé son essence propre, le Service des Armes, la rénovation des Stände et des écoles professionnelles. C'est le Travail qui sera le fondement de l'Etat national-socialiste, le travail qui fait "la différence de l'homme et l'animal", le trvail qui unifie le peuple allemand au lieu de le diviser "en classes comme le voudrait le marxisme" [...]
Cependant, toutes les transformations, dont Heidegger croit qu'elles constituent le cœur du NS et qu'il évoque dans son Cours d'Éducation National-Socialiste, n'auraient selon lui aucun sens si elles n'étaient la traduction concrète d'une révolution spirituelle, elle aussi comprise comme projet de Hitler. Il s'agit, pour Heidegger, de transformer les consciences et d'y faire entrer la notion de Travail comme lien faisant du peuple une communauté -le mot société n'apparaît jamais !- dont la définition ou plutôt la traduction spirituelle ("geistig") devra constituer l'armature du nouveau savoir, de la nouvelle science qui s'intitulera donc völkisch. [...]
On voit que ces conceptions ne s'insèrent pas dans la Révolution Conservatrice: leur aspect rétrograde -conservatisme agraire, corporatisme, retour à la philosophie grecque -les éloignent de toutes les philosophies de l'avenir. Il n'y a pas non plus de Kulturpessimismus chez Heidegger, l'idée d'un choix décisif et toujours possible entre la décadence et la Révolution laissant la place à l'avenir." (p.300-301)
-Jacques Levrat, "Heidegger et le national-socialisme", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Spengler a été déçu par la "nouvelle réalité allemande" du national-socialisme. Hans Zehrer l'a été aussi, bien qu'il est été, comme [Giselher] Wirsing, dans l'attente du socialisme national."
-Jean Nurdin, "De la "Zwischeneuropa" à l'Europe hitlérienne: l'itinéraire de G. Wirsing.", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Fritsch a contribué à accréditer dans l'opinion le mythe de la "question juive", l'idée selon laquelle la présence d'une minorité juive constituait un "problème", dont la solution était la clé de tout redressement national." (p.348)
"Dans les Süddeutsche Monatschelfe de septembre 1930, Ernst Jünger renvoie dos à dos antisémites conservateurs et antisémites völkisch: les uns sont les défenseurs attardés du monde féodal, les autres sont de faux révolutionnaires ; mais Jünger dénie aussi aux juifs la capacité de jouer dans la vie nationale un "rôle créateur, en bien comme en mal"."
"Fritsch a habitué ses contemporains à penser et à vouloir l'inhumain."
-Jean Favrat, "Theodor Fritsch ou la conception "völkisch" de la propagande", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Strasser est un Vitaliste, ou plutôt un Organiciste primaire. En lecteur studieux de Spengler, il replace toute civilisation dans le cycle vital de la naissance, du développement et de la mort ; comme il n'existe pour lui par de sens héroïque de la vie à la Nietzsche, l'individu doit se sacrifier pour la communauté et trouver dans cet acte son accomplissement social et éthique. L'idée de sacrifice est ainsi omniprésent sous la plume de Strasser et sert à la fois à justifier la Première Guerre mondiale et les inévitables pertes du prochain conflit nécessaire à la libération de l'Allemagne des chaînes du Traité de Versailles. Persuadés de l'existence de cycles biologiques individuels ou historico-communautaires contraignants, Strasser se plaçait dans une position d'attente de la "Wir Revolution", réalisée au terme d'un mouvement pendulaire historique faisant basculer la civilisation occidentale, tous les 150 ans, soit du côté de l'individu, soit du collectif.
Contrairement aux positions de Jünger ou de Moeller, Strasser ne prenait pas en compte le présent, parce que celui-ci n'était qu'une transition au sein d'une histoire cyclique. Cette "logique du destin" l'amena, malgré sa collaboration avec la revue "Die Tat" et l'économiste Ferdinand Fried à ne pas s'intéresser à la société industrielle de son temps (à l'exception de la crise agraire) et à se contenter d'en dresser un constat de faillite -l'échec de Weimar et la crise économique mondiale étant interprétés comme le symptôme ultime de la faillite et de la dégénérescence naturelles des sociétés "libérales individualistes". L'avenir appartenait bien sûr aux nationaux-socialistes révolutionnaires, en fonction de cette inéluctabilité des valeurs communautaires -les "hommes aiguilleurs" -comme Cromwell, Lénine et Strasser étant là pour hâter l'inévitable. Son organicisme et son déterminisme historique ne débouche cependant pas sur un matérialisme biologique. Si les termes de "renforcements" et de "relève", comme les restes d'un vocabulaire Blut und Boden, existent bien chez Strasser, ils sont appliqués à des schémas géopolitiques et sociaux précis et limités. [...]
A l'intérieur d'une Allemagne dont l'espace vital n'était pas agrandi par une conquête/chevauchée contre les Nations situées à l'Est, mais plus par une colonisation/mise en valeur des terres historiquement allemandes (d'où inclusion de toutes les minorités allemandes dans le Reich), le remplacement vital s'effectuait aussi bien contre la bourgeoisie que contre le prolétariat. Strasser comme Jünger rêva d'un nouveau "Travailleur", mais d'un type particulier Paysan, qu'il soit ouvrier paysan, intellectuel paysan, soldat paysan -autant de facettes d'un bouleversement social réalisé par la dislocation de la société industrielle, le démantèlement des usines, la réduction des populations urbaines et les transferts forcés de citoyens vers le travail régénérateur de la terre. Pour prendre des illustrations contemporaines de la volonté de rupture sociale de la tendance Strasser, certains aspects de son projet évoquent aujourd'hui la Révolution Culturelle Chinoise ou l'action des Khmers Rouges au Cambodge."
"Strasser garantissait aux Juifs une protection légale, une liberté de culture, la nationalité allemande étant même reconnue à tous ceux qui avaient combattu en 1914/1918 sous l'uniforme allemand. Les communautés juives et leurs élites ne se voyaient attribuer aucun rôle spécifique dans la décadence de la société occidentale -la crise morale apparue au lendemain du premier conflit mondial étant simplement un autre signe avant-coureur de la fin de la période libérale." (p.388)
"Hitler était beaucoup trop conscient de la non réversibilité de la mutation industrielle intervenue au XIXème siècle en Allemagne pour ressentir quelque attirance que ce fût pour l'extrémisme agraire de Strasser. Le chef du NSDAP se voulait un gestionnaire autoritaire de la société industrielle, à laquelle il entendait imposer un certain type de choix stratégiques, alors que Strasser se croyait appelé à remodeler l'ordre social, économique et politique en sous-estimant d'ailleurs la stabilité et les capacités de résistance. Le réalisme hitlérien allait ainsi aisément triompher de l'idéalisme strassérien."
-Patrick Moreau, " "Socialisme" national contre Hitlérisme. Le cas Otto Strasser.", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Une évidence tout d'abord: l'existence d'un fond idéologico-politique commun à la "Révolution Conservatrice" (RC) et au national-socialisme (NS). Tous deux sont héritiers de la même tradition irrationaliste allemande, née d'une révolte contre la philosophie "occidentale". Dans ce courant irrationaliste s'opère, au début du XXème siècle, une convergence entre une philosophie de la vie d'inspiration néo-romantique et un néo-vitalisme porté par l'évolution de la biologie. RC et NS participent de la même hostilité à la République de Weimar et aux institutions de la démocratie libérale. Tous deux préconisent des gouvernements autoritaires, voire une dictature, au moins temporaire, dirigée par un chef charismatique qui s'appuie sur les masses mobilisées. C'est là un trait qui les distingue du conservatisme traditionnel. Tous deux se joignent encore dans le rejet de l'ordre institutionnel issu de Versailles et symbolisé par la SDN, l'ordre nouveau étant indissociable de la suprématie allemande en Europe et dans le monde. Autant d'éléments constitutifs de ce que certains historiens appellent deutscher Sonderweg. De ce fond commun, le nazisme se détache par un certain nombre de traits spécifiques: le racisme biologique, que seule une large faction du courant völkisch partage avec lui, et le comportement monomaniaque du Führer, qui sont à l'origine, d'une part, d'une politique extérieure suicidaire par sa radicalité, et d'autre part, d'un antisémitisme non moins radical -alors que toutes les tendances de la RC sont certes d'accord pour réduire la puissance des juifs, Hitler s'engage sur la voie qui conduira à la "solution finale".
L'analyse de l'attitude des différents protagonistes de la RC face au NS met en évidence une grande disparité: un certain nombre de "révolutionnaires-conservateurs" se rallient au NS, de façon définitive ou seulement temporaire ; d'autres s'opposent à lui. Mais ces attitudes divergentes semblent correspondre d'un même modèle sous-jacent: à quelque rares exceptions près, il n'y a ni adhésion globale et inconditionnelle à l'ensemble du système, ni refus global et inconditionnel du même système dans sa totalité, mais seulement convergence ou divergence partielles, avec occultation, ou du moins minimisation, du reste.
Les motivations sont aussi diverses que la RC elle-même. Ont joué en faveur du ralliement, ou du moins d'une certaine convergence, des motivations idéologico-politiques: volonté de rupture sociale avec l'ordre "bourgeois", antimodernisme (O. Strasser), idéal communautaire parfois porté au niveau international (G. Wirsing) ; motivations de caractère géopolitique (G. Wirsing) ; considérations politico-stratégiques visant à utiliser le NS en l'intégrant à une stratégie conservatrice (E. J. Jung dans le sillage de Moeller van den Bruck) ; considérations de caractère plutôt professionnel (réforme universitaire pour M. Heidegger, projet d'une pédagogie politique de A. Bäumler). Enfin, aux marges de la RC proprement dite, considérations de caractère épistémologique avec C. Schmitt, fasciné par le politique pur. Comme si chacun venait au NS avec sa préoccupation propre, sa "spécialité", la conjonction se faisant sur ce point.
Quant à ceux qui se sont opposés au NS, ou ont rompu avec lui, ou encore se sont retirés sur la pointe des pieds, les motivations sont également diverses: fidélité aux idéaux "socialistes" et refus de la "trahison" de Hitler (l'"intégriste" Strasser) ; orientation vers l'"Est", de caractère "géoculturel" si l'on peut dire (E. Niekisch, K. O. Paetel) ; rejet surtout du caractère "plébéien" du NSDAP (E. J. JUNG, E. Jünger, Niekisch, Paetel) ; motivation de caratère plutôt existentiel chez R. Pechel et M. Heidegger, "réveillés" par les atrocités du 30 juin 1934, le "mal" ayant alors frappé leurs amis. C'est donc le désaccord sur un point -ou sur quelques points- mais jamais sur l'ensemble. D'où l'absence d'une opposition qu'on pourrait appeler fondamentale, d'une opposition de principe, de la part des hommes de la RC face au NS -ce qui n'empêche pas leur opposition d'être radicale, d'être une lutte à mort, comme dans le cas de Niekisch."
-Denis Goeldel, "Conclusion du colloque "Révolution Conservatrice" et national-socialisme: la partie et le reste ou la crise des principes", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Une suprématie de l'Etat sur l'économie n'est réalisable qu'au moyen d'une organisation unie, du type d'un Ordre. [...] Le fascisme, tout comme le communisme, a besoin d'un tel appareil pour dominer l'économie."
-Carl Schmitt, en 1929. Cité par Louis Dupeux in La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Les idéaux d'humanité ont tenu plus longtemps et mené plus loin que les idéaux héroïques. Mais cela ne vient pas de ce qu'ils sont plus jeunes, plus modernes, plus progressistes, mais, au contraire, de ce qu'ils sont plus anciens, de ce qu'ils remontent à une réalité plus profonde."
-Ernst Jünger.
"En matière politique, les perspectives sont terriblement sombres. Nous vivons au siècle des occupations et le droit international n'est plus qu'une intéressante antiquité."
-Jakob Burckhardt (en 1856).
"Avons-nous vécu une révolution antimarxiste pour appliquer le programme du marxisme ?"
-Edgar Julius Jung.
"La révolution allemande ne peut déboucher que sur un socialisme national."
"La Seconde Guerre mondiale deviendra pour l'Europe la guerre d'unification, ou bien l'Europe ne sera plus." (p.323)
-Giselher Wirsing.
"Hitler est sans aucun doute la personnalité la plus éminente de tout le mouvement völkisch et l'artisan [...] de sa victoire."
-Theodor Fritsch (en 1931).
« La république de Weimar […] fut considérée par les droites et surtout par les multiples variantes de l’extrême droite comme le triomphe en Allemagne même des valeurs « non-allemandes » : occidentales ou, selon les völkisch, « juives ». »
« Une fraction considérable des ligues de droite commence alors [après 1926] –à l’inverse du parti d’Adolf Hitler –à s’orienter vers un « socialisme » certes fondamentalement « idéaliste », mais non dépourvu de points d’application concrets –ceci d’autant plus que certains auteurs proclament la « réalité des luttes de classes ». Surgissent alors des propositions de collectivisation ou surtout d’étatisation des secteurs clés. »
« C’est très précisément la volonté de présence au monde et le rejet de la notion de décadence qui nous semblent fonder la spécificité de la « Révolution Conservatrice » par rapport au « Kulturpessimismus ». » (p.19)
« Carl Schmitt, parlant en 1929 du fascisme italien, le loue de « chercher, comme tous les mouvements forts, à se libérer de l’abstraction idéologique pour parvenir à l’existenciel concret. ». »
« Caractéristique essentielle de la « Weltanschauung » néoconservatrice : l’accent mis sur la « Vie », cette Vie qui apparaît, surtout depuis Nietzsche, comme l’antagoniste droitier de la Raison « de gauche ». »
« Que les « Révolutionnaires conservateurs » purs et durs aient accepté et même approuvé la révolution industrielle, cela ressort déjà à l’évidence des liens qui unissaient des organisations comme le Club de Juin ou des personnalités comme Spengler aux milieux de l’industrie lourde. […] Au XXème siècle, la véritable base de la puissance est l’industrie. Ici « l’acier » prend le pas sur le « sang ». Les « révolutionnaires conservateurs » les plus lucides le savent fort bien, et ils ne se privent d’ailleurs pas de le dire. Moeller, pour qui l’Allemagne est le pays industriel par excellence, ne se gêne pas pour dire que la colonisation agraire […] « n’est pas une solution ». […] Or cette position réaliste […] s’oppose à l’un des thèmes favoris des « kulturpessimisten », repris et prolongé pendant la période weimarienne par certains groupes « völkisch » tels que les Artamannen, d’où sortiront, entre autres, Himmler, Darré et Höss… »
« La littérature néo-conservatrice est traversée par un débat sur la technique qui connaît une sorte d’apogée avec la publication du livre de Spengler sur l’Homme et la Technique (1932). […] G. Merlio a montré comment le pessimisme l’emporte quand Spengler évoque la lassitude des techniciens, la « révolte des mains » et surtout la « légèreté » avec laquelle l’Occident transmet la technique aux peuples de couleur. […] La neutralité [de la technique] se retrouve [à l’inverse] chez de multiples auteurs tels que Diesel, ou Gründel, ou encore W. Sombart. »
"Pour Niekisch, donc "l'homme russe maîtrisa la technique, la technique ne le maîtrisa pas"...En attendant de pouvoir faire comme les Russes, Niekisch s'ingénia, comme les Jünger, à arracher la technique au monde "bourgeois". Il alla jusqu'à préconiser la récupération de la psychanalyse -qu'il abhorrait- parce qu'il y voyait un instrument efficace de désagrégation du rationalisme occidental."
"[Pour Spengler] l'apparition de la grande ville est l'un des signes majeurs du Déclin."
"Les néo-nationalistes diront, de leur côté, avec Ernst Jünger, que "la ville est le Front", et ils assimileront les adeptes de la fuite à la campagne à des "déserteurs."."
"La majorité des "révolutionnaires conservateurs" constitue ce qu'on pourrait appeler le camp de l'idéalisme pur. "Pour nous, nationalistes allemands, dit Moeller, la lutte de classes appartient aux conceptions du siècle passé". Le travailleur, régénéré, est donc ici promis à "l'intégration" pure et simple avec les autres "couches" dans un "socialisme allemand" éthico-politique, précisément considéré comme "moderne" parce qu'il liquidera l'individualisme bourgeois et parce qu'il se situent aux antipodes du marxisme, considéré lui-même comme un pur produit du XIXème siècle (d'où l'appelation "libérale" dont il est couramment affublé !)."
"A État moderne, chef moderne, c'est-à-dire un chef qui, comme Mussolini ou Lénine (dont l'éloge parallèle est monnaie courante) sache parler aux masses et soit capable d'en finir avec la totalité de l'héritage "libéral". [...] La nouvelle aristocratie se regroupera dans des ligues ou dans des "Ordres", les néo-conservateurs n'apercevant jamais la contradiction entre l'exclusivisme de ces formations et le rêve de conquête des masses: sérieuse faille dans leur "modernisme"." (p.34)
"Malgré d'indéniables flirts avec certains de ses chefs, les théoriciens néo-conservateurs méprisent plus ou moins ouvertement le parti nazi."
"Pour [Ernst Jünger], ces fois de substitutions [socialisme et nationalisme] sont autrement mobilisatrices que la défense directe des thèmes conservateurs ; leur manipulation généralisée, combinée aux possibilités immenses de la technique moderne, permettra d'édifier à coup sûr le nouveau monde du Travailleur: mobilisation totale, guerres totales ; paix universelle dans l'Harmonie retrouvée."
"Il est patent que les idées "völkisch" ont contaminé plus ou moins gravement nombre d'auteurs de la Révolution Conservatrice. Rien d'étonnant à cela, si l'on considère la communauté d'esprit antirationaliste et certains ancêtres communs d'une part, et d'autre part l'adhésion des néo-conservateurs à la notion de "Volksgeist", laquelle débouche facilement sur le racisme, ainsi qu'il apparaît à l'évidence dans les jugements sur les Français "négrifiés" émis par Moeller, Spengler, Niekisch etc.
Et pourtant l'idée "völkisch" et plus précisément son aspect raciste ne nous semblent pas strictement constitutifs de la Révolution Conservatrice. D'abord parce qu'il est évident que l'idée conservatrice est antérieure au racisme ; d'autre part parce que certains "révolutionnaires conservateurs", au premier rang desquels Spengler et Jünger ont explicitement récusé le racisme biologique [...] ; troisièmement parce que le mysticisme "völkisch" déborde l'antirationalisme des intellectuels néo-conservateurs ; quatrièmement parce que -au moins jusqu'à l'alliance tardive avec Hitler- l'exemple du fascisme italien (si souvent invoqué par les "révolutionnaires conservateurs") a montré que la réaction moderne peut refuser l'antisémitisme. Enfin et surtout parce que le racisme prétend fournir une réponse biologique (et donc grossièrement matérialiste) à des problèmes initialement posés en termes idéalistes."
"Il faut surtout citer Hitler, dont on ne voit pas pourquoi on l'exclurait "a priori", si l'on accepte de compter les "Völkisch" dans la Révolution Conservatrice. Dans Mein Kampf, Hitler multiplie les considérations sur la "décadence" et "l'écroulement général de notre civilisation" ; il condamne "une industrialisation tout aussi démesurée que nuisible" [...] Mais il se fait le chantre du "progrès humain" ; il est fasciné par la "technique moderne", assimile son parti à "une grande entreprise industrielle" et va jusqu'à parler du "progrès général de l'Humanité" en le comparant à "une ascension sur une échelle sans fin" -ce qui l'éloigne indiscutablement de la philosophie de l'Histoire de la Révolution Conservatrice. Il semble donc osciller entre "Kulturpessimismus" et une sorte de progressisme perverti, réduit à la technique, à la "puissance" qu'elle dispense et aux "loisirs" qu'elle permettra d'augmenter."
"Il devait revenir au mouvement hitlérien [...] de fouler aux pieds l'éthique conservatrice traditionnelle et de faire régresser un grand "peuple de Culture" dans une barbarie qu'on veut bien croire fort différente de la "barbarie" esthétique si imprudemment chanté par Nietzsche, Spengler et les Jünger des années vingt."
-Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages.
"Il n'est peut-être pas besoin de développer longuement l'appartenance de Moeller au conservatisme. Il y a chez lui toutes les catégories fondamentales de la pensée conservatrice: une conception de l'être considéré comme immuable, du temps conçu comme durée, de l'espace enfin, entendu comme lieu de l'enracinement. Ainsi se trouvent affirmées la permanence et la stabilité ontologiques, avec lesquelles il convient de renouer, par-delà les vicissitudes de l'histoire. Plus concrètement, le conservatisme s'exprime sur le plan socio-politique par l'affirmation de valeurs comme la famille, la personnalité, l'autorité, la propriété, valeurs qui fondent une conception inégalitaire et hiérarchisée de la société, présentes tout au long de ses écrits, au nom desquelles il part en guerre contre toutes les révolutions, la française de 1789, la russe de 1917, tout comme l'allemande de 1918, et condamne inlassablement le libéralisme, la démocratie et le socialisme historiques."
"Nous empruntons au sociologue Jean Baudrillard sa définition de la notion de modernité, laquelle, selon lui, connote globalement toute une évolution historique et un changement de mentalité, repérable en Europe à partir de la Renaissance et ses bouleversements techniques, scientifiques, religieux et politiques, qui se développe au XVIIème et XVIIIème siècle, avec la pensée individualiste et rationaliste, avec l'Etat monarchique centralisé, avec, culturellement, la sécularisation des arts et des sciences, et qui prend tout sens à partir du XIXème siècle avec la révolution industrielle, la division rationnelle du travail industriel, la croissance démographique et l'urbanisation ainsi que le développement de gigantesque moyens de communication, d'information, pour culminer au XXème siècle."
"Les nouveaux grands-prêtres de cette civilisation technicienne occidentales sont pour Moeller les scientifiques, inventeurs ou découvreurs, les sociologues, les techniciens, les ingénieurs, les entrepreneurs, les directeurs d'usine, les experts, sans oublier les "designers". Ces "hommes de la technique" [...] se trouvent placés au sommet de la hiérarchie sociale."
"[Moeller Van Den Bruck] affirme de façon péremptoire que la modernité n'est pas décadente et récuse le type du décadent pessimiste qui se délecte de son décadentisme, tout comme il réfute nommément le "Kulturpessimismus" contemporain, en lui opposant les réalisations tangibles de la modernité, par rapport à laquelle l'époque de nos pères, dit-il, fait plutôt figure de "mauvais vieux temps". [...] Il réfute précisément le pessimisme spenglérien. Moeller [...] montre d'abord que Spengler se trompe en voulant prédire l'avenir de l'Occident: ce faisant il se comporte en rationaliste, fait remarquer notre auteur pour qui le futur est par définition imprévisible. D'ailleurs, dit-il, l'histoire a infirmé les prévisions de Spengler qui est parti de l'idée que l'impérialisme allemand allait vaincre et imposer sa domination à l'Occident, provoquant par ce fait même le déclin irréversible de celui-ci. Mais surtout, Moeller s'oppose aux prémices mêmes de Spengler. L'Allemagne, dit-il, est un pays jeune, disposant des hommes qui font désormais défaut à l'Occident. Elle connaîtra donc un destin forcément différent de celui de cet Occident dont Moeller, contrairement à Spengler, veut la dissocier.."
-Denis Goeldel, "Moeller Van Den Bruck: une stratégie de modernisation du conservatisme ou la modernité à droite", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"L'adjectif moderne n'est attesté par Littré qu'à partir du XVIème siècle, c'est-à-dire au moment où la Renaissance se conçoit comme rupture brutale avec le passé récent, fût-ce à la faveur d'un retour à la tradition antique."
"Le goût du passé ne s'accompagne jamais chez lui de la mythification d'une période précise, ni d'un "retour à...", comme on peut en trouver chez les écrivains strictement réactionnaires ; certaines valeurs anciennes lui paraissent menacées par les structures du monde moderne, mais, par ex., sa méfiance envers la Révolution française n'entraîne pas pour autant un éloge de l'Ancien Régime ; il s'interroge plutôt avec amusement sur ce que pourrait être une France contemporaine gouvernée par les Bourbons, et l'imagine en proie à une rococo subtilement décadent. Le Moyen-âge, place forte des idéologies antimodernistes, ne jouit pas non plus d'un traitement de faveur, malgré l'admiration que Jünger porte à l'esprit de chevalerie -ce dernier restant pour lui un phénomène possible à toutes les époques, en particulier lors de la Première Guerre mondiale" (p63)
"D'autre part, sa préférence pour les séjours campagnards, son amour de la nature avec ses cycles immuables ne revêt pas l'aspect d'un sectarisme doctrinaire, à la manière, par ex., d'un de ses auteurs favoris, Léon Bloy."
"Sa totale insuffisance d'élaboration politique n'enlève donc rien à l'actualité de la prise de conscience jüngerienne sur un élément essentiel de notre temps [la technique]."
"Le nazisme, pour Jünger, n'est qu'une illustration particulièrement frappante de la société nihiliste, telle que pouvaient l'annoncer l'analyse nietzschéenne de la crise des valeurs."
"En Céline, Jünger a perçu avec effroi le nihilisme désespéré et l'antisémite dément, sans reconnaître ce qui l'apparentait dans l'invective à Léon Bloy [...] Mais probablement ne l'a-t-il-pas lu. [...] Quand au plus grand, Proust [...] s'il note le 29 septembre 1943 avoir commencé Sodome et Gomorrhe -mauvaise manière s'il en fut d'aborder la Recherche par son quatrième tome, élu, sans doute, à cause de son titre -la disparition totale d'indications ultérieures suggère qu'il en a abandonné la lecture."
-Julien Hervier, "Ernst Jünger et la question de la modernité", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Cet État [planiste], les hommes de la technique l'imaginent un peu à la façon de Hegel, une sorte de noyau de la société civile, ou, pour reprendre l'une de leurs métaphores préférées, comme une machine bien huilée, un mécanisme d'une précision irréprochable."
-Georges Roche, "Ingénieurs et modernité sous la République de Weimar", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Lier la théologie à la politique sous le signe du nationalisme se rattache à toute une tradition, qui remonte à Herder."
"Le postulat de départ est que le peuple ne s'exprime pas dans l'opinion consciente des individus qui le composent : il parle seulement par la voix de la collectivité nationale, dans les rares moments historiques où celle-ci prend conscience que sa survie est en jeu, comme dans la Prusse de 1813. En soulignant le caractère exceptionnel et irrationnel d'un tel sursaut national, Lagarde met expressément en question l'existence même d'une "volonté générale" portant sur des problèmes politiques précis et la légitimité d'un contrôle exercé par les gouvernés sur les gouvernants, il nie la nécessité des consultations populaires et du système électif dans son ensemble."
"Par hostilité à la politique libérale d'émancipation, Lagarde fait cause commune avec les antisémites "Völkisch" de Berlin qui, dans une pétition adressée en 1880 au gouvernement prussien, exigent des mesures discriminatoires contre les juifs [...] Cet antisémitisme est étroitement lié à l'antilibéralisme. Posant que "seuls les antilibéraux sont les amis de l'Allemagne", et que "juifs et libéraux sont des alliés naturels", Lagarde fait de ces "alliés" de véritables "ennemis intérieurs", contre lesquels il s'efforce de dresser l'opinion publique au nom de la régénération nationale. [...]
L'intolérance et l'agressivité font ainsi, chez Lagarde, figure de vertus politiques. L'ordre social que vise à instaurer ce type de conservatisme est essentiellement rigide et oppressif: les rapports entre la collectivité et les individus y sont réglés de façon autoritaire, les groupes non-conformes à l'idéologie régnante sont publiquement diffamés, avant d'être mis au pas ou expulsés, la dictature et la guerre y apparaissent comme les formes décisives de l'action politique." (p.112)
"Lagarde ne pousse pas le désir de rénover le conservatisme jusqu'à approuver l'industrialisation et à faire de la technique une arme contre le progressisme émancipateur et un moyen de dominer, de dépolitiser et de manipuler les masses."
-Jean Favrat, "Conservatisme et modernité: le cas de Paul de Lagarde", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Le modernisme est absent de l'œuvre de Langbehn. L'auteur rejette en bloc le monde moderne qui l'entoure: industrialisation, concentration urbaine, aspirations démocratiques, primauté de la science, règne de la technique, matérialisme, naturalisme...rien de tout cela ne trouve grâce à ses yeux. La tradition romantique à laquelle il faut le rattacher et le climat idéologique dans lequel il baigne l'empêchent d'adhérer au monde de la technicité et du rationalisme, aux idéaux égalitaires et cosmopolites d'un humanisme progressiste."
"Par l'association de la nation à la nature le nationalisme d'option politique devient nécessité existentielle."
"Aux yeux de Langbehn, c'est le paysan, symbole mythique de l'homme naturel, qui sait le mieux "ce qui est l'esprit allemand et où il se trouve"." (p.123)
-Hildegard Chatellier, "Julius Langbehn: un réactionnaire à la mode en 1890", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Si la modernité a commencé avec la Renaissance, la Réforme et les Grandes Découvertes, alors une contribution sur Jakob Burckhardt n'est pas ici hors de propos. N'est-il pas l'auteur d'un ouvrage qui a fait époque, "Die Kultur der Renaissance in Italien" (1860) ? Et puis n'est-il pas l'un des principaux "Kulturpessimisten" de son siècle ?"
"Dans les "Weltgeschichtliche Betrachtungen", l'auteur déclare vouloir se libérer de toute philosophie de l'histoire, ce qui signifie surtout qu'il prend ses distances par rapport à l'hégélianisme. Plus de lois historiques, plus de téléologie, plus de Providence ou de Raison universelle guidant l'humanité. Par conséquent, et ceci est fondamental, Burckhardt révoque en doute tout ce qui est notion de perfectibilité, de progrès indéfini du genre humain.
Plus de "Weltgeist" absolu, mais un esprit s'objectivant dans les formes toujours mouvantes de la civilisation. Aux yeux de Burckhardt, le centre de l'histoire, c'est l'homme."
"Burckhardt affirme au contraire [de son maître Ranke] que la culture doit se garder de toute contamination du fait de l'État, qui est puissance (Macht) et de la religion, qui est dogmatique par nature."
"Burckhardt s'attaque à Rousseau, à son optimisme "plébéien", à l'idée rationaliste de progrès, à la révolution permanente qui, pour lui, caractérise l'ère moderne. Il tire à boulet rouge sur le libéralisme bourgeois et l'alliance de l'étatisme et du nationalisme. [...] L'inquiétude de Burckhardt a l'égard de l'Allemagne n'est pas la seule. Il craint de surcroît pour la diversité européenne si l'anglais devient la langue universelle, si l'équilibre mondial est rompu au profit du monde anglo-saxon. [...] Il prédit l'uniformisation absolue et le nivellement total de la société occidentale. Il prévoit que la démocratie court à un échec retentissant, que la liberté et les idéaux révolutionnaires se changeront en leur contraire.
Burckhardt voit l'individu, qui avait acquis une conscience autonome à partir de l'aube des temps modernes, aliéné, prisonnier du réseau des institutions et des moyens de propagande. Il fustige la presse qui intoxique l'opinion, qui pousse au bellicisme et entretient l'inquiétude perpétuelle."
-Jean Nurdin, "Jakob Burckhardt et le refus de la modernité", in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"L'aristocrate nietzschéen non seulement accepte comme allant de soi tous les privilèges afférant à son statut social, mais récuse toute activité qui aurait le caractère d'une fonction. Il accède par là à l'inutilité splendide du bourdon, ou des dieux. Inutilité insigne et pleine de périls, que seule une force d'âme extrême sera capable d'assumer." (p.140)
"Finalité de la société, il ignorera superbement toute instance supérieure tant dans la nature que dans la société: l'aristocrate non aliéné est instinctivement athée." (p.141)
"La victoire du libéralisme substitue "l'homme théorique", l'homme universel et abstrait, qu'il baptise citoyen, à la pluralité des individus concrets définis par leur appartenance à l'un des multiples corps sociaux de l'Ancien Régime. L'égalité devant la loi permet au plébéien émancipé, au bourgeois, d'instaurer un régime démocratique où le gouvernement des majorités numériques succèdera à celui des meilleurs ; enfin de subordonner le politique à l'économique. Dans un premier temps va se constituer une pseudo-aristocratie (une ploutocratie) dont le pouvoir est fondé sur une richesse abstraite, l'argent, et non sur un supplément d'être. Sur le plan de la politique extérieure le libéralisme oeuvre à la désagrégation des empires et prend parti pour les nationalités opprimées. Il s'affirme résolument nationiste sinon nationaliste, estimant que la disparition des complexes impériaux, homologue à l'échelle internationale de la société inégalitaire, est la seule cause des conflits armés. S'il se veut résolument pacifiste, c'est que la paix lui apparaît comme la condition nécessaire de la prospérité. Aussi, dans une phase ultérieure de son développement, va-t-il tendre à affaiblir le sentiment national lui-même. Davantage d'ailleurs du fait de la dynamique propre à l'expansion de la production et des échanges, qu'en fonction de préoccupations doctrinaires. Il va ainsi provoquer un métissage racial et social à l'échelle européenne, conséquence du déracinement de populations importantes. Un type humain nouveau se constituera sur le territoire du vieux continent: l'Européen normalisé, sachant s'adapter à des situations changeantes, à la fois intelligent et facilement manipulable, se satisfaisant d'un bien-être médiocre, dépourvu d'aspirations spirituelles. Pour Nietzsche, si le libéralisme devait être poussé au bout de sa logique, la société future reconstituerait un nouvel état de nature adapté à l'âge industriel ; l'humanité se présenterait alors sous la forme d'un conglomérat d'individus sans hiérarchies ni tensions, le monde du "dernier des hommes". Cette désagrégation des structures sociales s'étendrait à la famille et déboucherait sur l'égalité des sexes, jugée par Nietzsche aliénante tant pour la femme que pour l'homme." (p.147-148)
-Yves Guéneau, "Nietzsche et la modernité", chapitre in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages, pp.139-152.
"Au seuil du XXème siècle, Spengler participe à la destruction du mythe de la raison qui postulait l'adéquation parfaite de la connaissance rationnelle et de la réalité. L'efficacité de la technique n'est pas pour Spengler la preuve que la science, dont elle est en quelque sorte le bras séculier, atteint à la vérité objective. L'ingénieur est comparable au magicien qui agit sur le monde sans en percer véritablement le secret."
"Il n'est plus du tout question d'origine religieuse ou magique de la technique dans l'Homme et la technique. Cette "Contribution à une philosophie de la vie" présente un curieux mélange de pensée technique, de nietzschéisme vulgarisée et de darwinisme social. La réfutation de l'évolutionnisme et de la thèse darwinienne de la "lutte pour la vie", jugée trop plate et trop mécanique, au nom de la "lutte pour la puissance", d'inspiration nietzschéenne, donne lieu à une rhétorique idéaliste qui cache mal le matérialisme agonal sur lequel repose l'essentiel de l'ouvrage. Mais dans ce nouveau contexte, le problème de la technique se pose de la même façon qu'à l'intérieur de l'évolution cyclique des "hautes cultures": auxiliaire de la Vie à son origine, la technique finit par devenir tueuse de Vie.
D'emblée, Spengler récuse bien évidemment toute définition utilitaire, bourgeoise, de la technique comme moyen de progrès. La technique n'est fondamentalement rien d'autre à ses yeux qu'une "tactique de la vie", tout procédé ou tout outil une arme que la volonté de puissance se forge pour vaincre dans ce combat incessant qu'est la vie. Spengler confère une sorte de statut ontologique à cette conception héroïque de la technique qui apparaît chez Jünger et chez Niekisch liée à un tournant historique instaurant le règne du Travailleur. La technique est l'arme des puissants [...] le domaine par excellence où se vérifie l'existence d'une hiérarchie naturelle entre chefs et exécutants.
[...] Jusqu'ici rien que de très positif dans le jugement que Spengler porte sur la technique [...] Les accents négatifs apparaissent quand l'évolution technique est envisagée sous l'angle de la rationalisation croissante du monde et de la vie. Dès lors se pose, pour Spengler, le problème de la technique. En effet, par la technique, l'homme se rebelle contre la nature. Il est Prométhée, dont l'orgueil sera punie. Un Prométhée carnassier qui commet le péché de raison, et s'enferme dans le monde artificiel qu'il construit autour de lui. [...] L'évolution culturelle et technique est ressentie et décrite comme une vaste tragédie du déracinement et de l'hybris humaine qui entraînera l'homme à sa perte."
."
"Premier danger: les nations d'Occident doivent se garder de cette désaffection vis-à-vis des problèmes techniques que Spengler sent poindre parmi nos élites. La tendance a fuir le monde industriel et technique pour retrouver des formes de vie simples au sein de la nature lui paraît être un signe de lassitude inquiétant qui lui rappelle l'atmosphère régnant à Rome du temps d'Auguste.
Deuxième danger: ce que Spengler appelle, en ayant recours à une métonymie significative, "la révolte des mains", c'est-à-dire la révolte des exécutants, des ouvriers, du prolétariat. [...]
Troisième et dernier danger: "la trahison envers la technique" c'est-à-dire le fait que peu à peu les nations occidentales blanches trahissent leurs secrets technologiques aux "gens de couleur" (parmi lesquels Spengler range curieusement les Russes)."
-Gilbert Merlio, "Oswald Spengler et la technique", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Toute la problématique spenglérienne tourne autour de ces deux questions: comment peut-on être moderne ? Comment peut-on ne pas être moderne ? Spengler est quelqu'un qui, d'une part, est mal dans son temps, mais qui, d'autre part, ne voit aucune possibilité de s'y soustraire. Le sentiment qui a dicté toute son œuvre est celui du décadent qui arrive trop tard dans un monde trop vieux. Trop vieux pour qu'il puisse y réaliser l'œuvre à laquelle il se sent intimement appelé et qui est une œuvre artistique et littéraire. Écrivain manqué, Spengler rend responsable le siècle dans lequel il vit de sa propre stérilité. [...] Il est loin de vouloir être un écrivain décadent, c'est-à-dire un écrivain qui fait de la décadence son thème majeur, qui s'y complaît, qui tire de la conscience de son état de état de décadent une supériorité ou un profil esthétiques. Devant la modernité qu'il rend responsable de sa propre stérilité, Spengler a mauvaise conscience. Il en souffre mais elle le fascine. Et le vrai sujet qu'il entend traiter dans ses œuvres n'est pas décadence mais le passage de ce qu'il appelle la culture, qui se définit par la religion, la philosophie, la poésie et l'art, à ce qu'il appelle la civilisation, où l'emporte les aspects pratiques, techniques et organisationnels."
"Qu'est-ce que la civilisation selon Spengler ? C'est essentiellement l'empire de la raison, de l'intellect, de la causalité: bref, la surintellectualisation, la "dictature" ou la "tyrannie" de l'entendement (Verstand). Avant les représentants de l'École de Francfort, bien que d'une manière différente, Spengler a découvert dans l'évolution historique une dialectique de la raison. La culture naît de l'effort de l'esprit pour se donner une forme spécifique à l'élan vital. Elle correspond à une "spiritualisation" de la vie (Vergeistigung ou Durchgeistigung). L'apogée culturel est atteint lorsqu'est réalisé un point d'équilibre entre l'esprit et la vie, l'inspiration et la convention, le dionysiaque et l'apollinien (on reconnaît là la définition du classicisme chez Nietzsche). La culture, c'est de "l'instinct discipliné". Mais il arrive un moment ou la discipline l'emporte sur l'instinct, où la raison cherche par trop à dominer la vie. La "haute culture" entre alors dans sa phase rationaliste qui l'entraîne vers une mort lente mais inéluctable. Car non seulement l'esprit tue la vie (Spengler accentue les dichotomies vitalistes de Nietzsche), non seulement la raison discursive, éprise d'objectivité et d'universalité, opérant sur les mots du langage et les concepts de la pensée abstraite, entame l'égoïsme naïf des individus et des collectivités et porte ainsi atteinte à l'élan vital. Mais bientôt, l'esprit, l'entendement, poursuivant son travail de sape, s'en prend à ses propres constructions. Le doute qui avait permis à la raison de tuer le mythe religieux (Dieu) et la métaphysique, continue son travail. Si bien que la raison est prise au piège de son propre scepticisme. L'Aufklärung se dissout de lui-même. La raison finit par avoir raison de sa propre tyrannie. Voilà très exactement ce qui est en train de se passer dans notre XXème siècle: à l'âge rationaliste, qui a lui-même suivi l'âge religieux et métaphysique, est sur le point de succéder l'âge sceptique. A l'intérieur des cycles spengleriens se dessine un schéma de type comtien, mais avec inversion de signe."
"Spengler est-il un Kulturpessimist ou un Kulturkritiker ? Comme son nom ne l'indique pas, la Kulturkritik n'est pas une critique de la culture mais une critique de la civilisation (de la modernité) au nom de la culture. Cet aspect n'est pas absent chez Spengler chez qui l'on ne peut nier l'amour profond et la compréhension intime de grandes formes culturelles du passé. Mais en projetant en diachronie, sur la ligne cyclique suivie fatalement par l'évolution des "hautes cultures", l'opposition culture/civilisation, il supprime en vérité toute alternative: la culture est définitivement forclose ; seule la civilisation reste possible ; toute régénération culturelle est exclue. Spengler est le dernier Kulturkritiker, celui qui décrète la vanité de toute Kulturkritik. Car au fond, là où Nietzsche met encore en garde, il ne fait, lui, que constater [...] L'itinéraire qu'il présente à ses contemporains comme incontournable et donc souhaitable (voilà sa version de l'amor fati, du "scepticisme courageux" (tapfere Skepsis), du réalisme héroïque qui refuse l'illusion "romantique" que l'on pourrait revenir en arrière) est l'itinéraire qui va de Munich, la ville d'art du passé, à Berlin, la ville moderne en qiu Langbehn voyait le siège de l'américanisme dont les Allemands devraient à tout prix se libérer. "
"Comme Nietzsche, Spengler propose à ses contemporains une fuite en avant, une fuite vers une modernité encore plus moderne que celle qui aujourd'hui reste entachée de rationalisme et de libéralisme. Sa solution à la crise de la modernité, c'est aussi le recours au nouveau barbare, qui prend chez lui la figure du César. Le césarisme vers lequel s'achemine inexorablement notre civilisation est certes un phénomène de décadence puisqu'il résulte de la décomposition des structures politiques et sociales: Spengler reprend ici la thèse de Burckhardt, Nietzsche, Tocqueville...et Platon, selon laquelle la démocratie est une école de tyrans."
"Le problème de la valeur est dépassé pour Spengler. C'est ce qui le différencie fondamentalement de Nietzsche dont la critique de la décadence lui paraît irréfutable mais dont la théorie du surhomme lui semble être un phantasme, et à qui, plus généralement, il reproche, comme l'avait fait Moeller van den Bruck, son manque de sens pratique. Aveuglé par son romantisme, sa nostalgie de nouvelles valeurs, Nietzsche n'a pas eu le courage prosaïque de reconnaître le surhomme dans les grands capitaines d'industries, les grands ingénieurs, les grands organisateurs, bref ces "hommes des faits" ("Tatsachenmenschen"), qui, à l"époque sceptique où nous vivons, occupent le devant de la scène et préfigurent les grandes individualités césariennes de l'avenir. Selon Spengler, il faut traduire la volonté de puissance nietzschéenne en termes sociaux, économiques et politiques ainsi que l'exige notre temps. C'est au prix d'un tel réalisme dénué de toute illusion et de toute justification morale que non seulement pourra s'édifier l'Empire allemand, mais que l'Occident décadent pourra aussi assurer sa survie en résistant le plus longtemps possible au défi des peuples de couleur qui commencent à l'assaillir de toutes parts.
Il est temps de s'interroger sur la signification de ce qu'il faut bien appeler cette trahison du clerc, d'un clerc qui, après avoir chanté la grandeur de la culture passée, prône résolument la conversion au fait et à la force qui prévalent, selon lui, dans les tâches réalistes de la civilisation, c'est-à-dire de la modernité. Au niveau de la psychologie individuelle, cette attitude est aisée à interpréter. Spengler a vécu à l'évidence la drame de l'intellectuel coupé du réel qui rêve d'être homme d'action. Ses échecs littéraires ont nourri son pessimisme culturel et sa glorification du réalisme et de la force, peut s'expliquer en partie par un phénomène de compensation. Mais le cas personnel de Spengler ne s'inscrit-il pas dans une problématique sociologique ou idéologique plus générale ? Ne peut-on voir en effet dans la négation catégorique du rôle que les idées, les vérités et les valeurs morales peuvent dorénavant jouer dans l'histoire le reflet de la constatation amère faite par les couches moyennes cultivées de la bourgeoisie allemande que dans le monde moderne, où elles se sentent de plus en plus marginalisées par le développement technique, industriel, économique et politique, seuls ces "faits" comptent, et non plus les idéaux que le lycée humaniste continue à dispenser ? Le déchirement de Spengler, homme de culture décrétant l'impossibilité de la culture, homme d'esprit déniant tout rôle réel aux idées dans l'histoire, n'est-il pas celui de toute une couche sociale ?"
-Gilbert Merlio, "Spengler ou le dernier des Kulturkritiker", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Alfred Ploetz, l'inventeur de l'expression "hygiène raciale", se plaçait quand à lui du point de vue du peuple allemand et de la race aryenne. Ancien utopiste protocommuniste récemment revenu d'une communauté américaine dérivée de "L'Icarie" de Cabet avec la conviction qu'une nouvelle culture supposait une nouvelle race [...] Ploetz [...] fit très concrètement le lien entre les eugénistes et les "Völkisch"."
"Après une attaque en règle contre l'Aufklärung, l'humanisme et le marxisme, l'ancien leader socialiste [Ernst Niekisch] propose aux jeunes allemands une orientation vers ce qu'il appelle "l'Est et ses valeurs positives", c'est-à-dire, dans le détail: une "réduction drastique de l'appareil de production", l'obligation de fuir les grandes villes par "une politique économique et sociale qui ferait de la vie dans ces villes un enfer", "une colonisation agraire même dans les conditions les plus médiocres", "un entraînement aux privations et à toutes les valeurs viriles", "une volonté de pauvreté", un "mode de vie simple", "une vie dure dans la discipline et le devoir", la "proclamation du principe d'autorité", "l'acceptation de la plus grande barbarie elle-même, si c'est nécessaire à la prospérité nationale". "En adoptant un mode de vie pauvre, conclut Nietkisch, le peuple allemand devrait pouvoir remplir sa mission universelle" -ici, bien sûr, un "universalisme" assez particulier s'oppose à l'autre- : "devenir le ferment qui renouvelle une humanité sombrant dans la pourriture de la civilisation"."
-Louis Dupeux, "La version "Völkisch" de la première "Alternative" 1890-1933, in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Parler de "nouvelles valeurs" de "spiritualité globale" de "nouvelle totalité", condamner l'hédonisme de masse et prôner le sacrifice héroïque de l'individu à une époque où la crise économique place les gens devant les problèmes les plus concrètement vitaux n'est certainement pas propre à susciter une large audience. Le tribun Hitler saura pratiquer une démagogie sociale efficace. L'aristocratie de Jung, son manque de sensibilité sociale l'empêcheront d'abandonner son langage abstrait pour descendre au niveau du grand nombre. Il se privera ainsi de tout impact hors des milieux intellectuels néo-conservateurs." (p.225)
"Jung prône même le maintien de la distinction entre le privé et le public, entre l'Etat et la société. Le nationalisme totalitaire et raciste du régime nazi est diamétralement opposé à l'idée du Reich chrétien et fédéral tel qu'il le conçoit. Le totalitarisme nazi [...] correspond à un processus de collectivisation et de mécanisation de la vie qui en fait l'ultime forme dégénérée du libéralisme et le proche parent du bolchevisme dont il partage la croyance dans les valeurs profanes et matérialistes et les aspects social-révolutionnaires et ochlocratiques. Jung retrouve donc une interprétation typiquement conservatrice du nazisme, telle que Spengler l'avait déjà formulée dans Années décisives."
"Il n'est pas douteux que les conservateurs révolutionnaires [...] ont contribué à la "mise en acceptabilité" du nazisme, même s'ils n'étaient pas nazis et ne voulaient pas le nazisme."
-Gilbert Merlio, "Edgar Julius Jung ou l'illusion de la Révolution Conservatrice", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Wilhelm Stapel, directeur de la célèbre revue politico-culturelle hambourgeoise Deutsches Volkstum, de 1917 à 1938, fut, avec les théologiens Hirsch, Althaus et Gogarten, l'un des principaux représentants -sans doute même alors le plus connu- de cette "théologie politique" qui introduisit la notion de "peuple" (au sens ethnique) dans la problématique de base du protestantisme des années vingt, contribua entre 1930 et 1933 à "légitimer" le mouvement nazi en ignorant ou en sous-estimant sa dimension antichrétienne pourtant évidente, puis amena une minorité d'activites -dont Stapel- à soutenir les vains efforts du Troisième Reich pour créer un église protestante unifiée, soumise au "Führerprinzip" et admettant le "paragraphe aryen"...Stapel fut aussi, dès 1919, une figure de proue de l'antisémitisme [non-biologique]."
"Les idées de Stapel sur la "question juive" procèdent explicitement de Fichte, de certains romantiques et dans une certaine mesure de Paul de Lagarde."
"L'antisémitisme allemande n'est, selon Stapel, que la réponse à l'antigermanisme juif" (p.259)
"En 1933, Stapel déplore les débordements antisémites -mais en impute la responsabilité aux juifs eux-mêmes."
-Louis Dupeux, "L'antisémitisme culturel de Wilhelm Stapel", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"C'est seulement durant la Grande Guerre qu'en Allemagne Nietzsche est mis pour la première fois à contribution à des fins politiques: il fournira à la propagande belliciste quelques-uns de ses arguments. Mais c'est avec Moeller van den Bruck et surtout O. Spengler qu'il apparaîtra Outre-Rhin comme un penseur politique de premier plan qui, entre autres, aura également eu le mérite de déceler les connexions existant entre les domaines culturel et politique. Dès lors que Nietzsche va devenir la référence quasi-obligée, à la fois philosophique et idéologique, du mouvement qualifié de Révolution Conservatrice, et ce pour tous ses adeptes." (p.277)
"On ne risque guère de se tromper en affirmant que la "vision du monde" hitlérienne et la pensée de Nietzsche présentent seulement quelques analogies ponctuelles qui ne sont pas le produit d'une influence directe." (p.279)
"Disciples fervents de Nietzsche, tels Jünger, Spengler ou même Benn." (p.281)
"Jünger ; son dernier essai touchant au politique et intitulé: Uber den Schmezr [De la Souffrance], de toute évidence rédigé après mars 1933 et publié l'année suivante, n'est qu'un long développement des réflexions de Nietzsche sur la souffrance. Celle-ci, pour Jünger comme pour le Philosophe, n'a pas un caractère accidentel ou conjoncturel, mais ontologique. Elle est inhérente à l'être et partant indissociable de l'authentiticité, de la plénitude de l'existence humaine. Chercher à se mettre hors de portée de la souffrance ou à l'abolir au lieu de l'assumer est non seulement vain, du moins à terme, mais se traduit, pour les individus comme pour la collectivité, par une déperdition d'être. La société bourgeoise, fondée sur la foi en la raison et le progrès, est la meilleure illustration, selon Jünger, de cette vérité. C'est pourquoi il escompte que les bouleversements politiques en train de s'accomplir en Europe et dans le monde -la mise en place des différentes variantes du fascisme- entraîneront non seulement la transformation de l'individu en travailleur (au sens qu'il donne à ces termes), mais que cette mise au pas sera l'expression visible de nouvelles valeurs, d'une relation positive envers la souffrance, d'un retour au "sentiment tragique de la vie", bref, de l'adhésion de la Nouvelle Allemagne au "réalisme héroïque" à la Jünger. S'agit-il là, à partir d'un Nietzsche plus tragique qu'héroïque, sur lequel la N. B. n'insiste pas, d'une mise en question du millénarisme nazi analogue à celle que l'on trouve chez Spengler ? Toujours est-il est ces considérations fournissent à l'auteur l'occasion de formuler des remarques critiques, voire désobligeantes, à l'encontre du IIIe Reich. Il ne fait pas mystère de ce qu'il pense, dans une optique il est vrai métaphysique, du nouveau régime: le totalitarisme nazi, ses représentants et ses diverses manifestations ne sont pas, loin de là, l'expression des valeurs qui doivent occuper la place laissée vacante par celles de l'ordre ancien, humaniste et bourgeois. Cas particulier du nihilisme, contrairement à ce qu'affirment évidemment les commentateurs nazis de Nietzsche, il parachève seulement leur destruction. Les structures de l'avenir sont bien en place, mais on y chercherait vainement le souffle de l'esprit nouveau. Le nazisme n'est même pas "volonté de puissance" dans l'acception que les exégètes nazis donnent au concept nietzschéen, mais simple désir de puissance, dépourvu de finalité supérieure." (p.287)
-Yves Guéneau, "Les Idéologues et le philosophe", chapitre in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages, pp.277-294.
"Organisme et corporatisme sont deux aspects de l'idéologie réactionnaire de Heidegger -la réaction étant ici comprise comme volonté de retour en arrière- dont la description demeurerait incomplète si l'on n'y ajoutait le côté "agrarien" bien analysé par Robert Minder. Le texte Warum bleiben wir in der Provinz ? [...] montre à quel point Heidegger aimait la campagne, la forêt et les paysans, mais aussi à quel point il détestait la ville: le Cours d'éducation fustige la société urbanisée et propose "que l'on rende à la campagne ses habitants", tandis que Warum bleiben wir in der Provinz ordonne aux citadins de mettre "bas les mains" (sic) et ne plus toucher au monde paysan !
Pour Heidegger l'urbanisation est, tout comme l'humiliation de la nation, le signe d'une décadence, celle d'un peuple qui s'est "trop longtemps adonné au mode de vie bourgeois". Comment parvenir à la "guérison de ce corps qu'est le peuple allemand" [...] ? Par la volonté ferme et la résolution d'un peuple décidé à retrouver son univers spirituel, dans le cadre d'un Etat reconnu par tous comme celui de chacun. La volonté est quelque chose qui s'éduque, par les Camps de Travail, l'Université qui aurait trouvé son essence propre, le Service des Armes, la rénovation des Stände et des écoles professionnelles. C'est le Travail qui sera le fondement de l'Etat national-socialiste, le travail qui fait "la différence de l'homme et l'animal", le trvail qui unifie le peuple allemand au lieu de le diviser "en classes comme le voudrait le marxisme" [...]
Cependant, toutes les transformations, dont Heidegger croit qu'elles constituent le cœur du NS et qu'il évoque dans son Cours d'Éducation National-Socialiste, n'auraient selon lui aucun sens si elles n'étaient la traduction concrète d'une révolution spirituelle, elle aussi comprise comme projet de Hitler. Il s'agit, pour Heidegger, de transformer les consciences et d'y faire entrer la notion de Travail comme lien faisant du peuple une communauté -le mot société n'apparaît jamais !- dont la définition ou plutôt la traduction spirituelle ("geistig") devra constituer l'armature du nouveau savoir, de la nouvelle science qui s'intitulera donc völkisch. [...]
On voit que ces conceptions ne s'insèrent pas dans la Révolution Conservatrice: leur aspect rétrograde -conservatisme agraire, corporatisme, retour à la philosophie grecque -les éloignent de toutes les philosophies de l'avenir. Il n'y a pas non plus de Kulturpessimismus chez Heidegger, l'idée d'un choix décisif et toujours possible entre la décadence et la Révolution laissant la place à l'avenir." (p.300-301)
-Jacques Levrat, "Heidegger et le national-socialisme", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Spengler a été déçu par la "nouvelle réalité allemande" du national-socialisme. Hans Zehrer l'a été aussi, bien qu'il est été, comme [Giselher] Wirsing, dans l'attente du socialisme national."
-Jean Nurdin, "De la "Zwischeneuropa" à l'Europe hitlérienne: l'itinéraire de G. Wirsing.", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Fritsch a contribué à accréditer dans l'opinion le mythe de la "question juive", l'idée selon laquelle la présence d'une minorité juive constituait un "problème", dont la solution était la clé de tout redressement national." (p.348)
"Dans les Süddeutsche Monatschelfe de septembre 1930, Ernst Jünger renvoie dos à dos antisémites conservateurs et antisémites völkisch: les uns sont les défenseurs attardés du monde féodal, les autres sont de faux révolutionnaires ; mais Jünger dénie aussi aux juifs la capacité de jouer dans la vie nationale un "rôle créateur, en bien comme en mal"."
"Fritsch a habitué ses contemporains à penser et à vouloir l'inhumain."
-Jean Favrat, "Theodor Fritsch ou la conception "völkisch" de la propagande", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Strasser est un Vitaliste, ou plutôt un Organiciste primaire. En lecteur studieux de Spengler, il replace toute civilisation dans le cycle vital de la naissance, du développement et de la mort ; comme il n'existe pour lui par de sens héroïque de la vie à la Nietzsche, l'individu doit se sacrifier pour la communauté et trouver dans cet acte son accomplissement social et éthique. L'idée de sacrifice est ainsi omniprésent sous la plume de Strasser et sert à la fois à justifier la Première Guerre mondiale et les inévitables pertes du prochain conflit nécessaire à la libération de l'Allemagne des chaînes du Traité de Versailles. Persuadés de l'existence de cycles biologiques individuels ou historico-communautaires contraignants, Strasser se plaçait dans une position d'attente de la "Wir Revolution", réalisée au terme d'un mouvement pendulaire historique faisant basculer la civilisation occidentale, tous les 150 ans, soit du côté de l'individu, soit du collectif.
Contrairement aux positions de Jünger ou de Moeller, Strasser ne prenait pas en compte le présent, parce que celui-ci n'était qu'une transition au sein d'une histoire cyclique. Cette "logique du destin" l'amena, malgré sa collaboration avec la revue "Die Tat" et l'économiste Ferdinand Fried à ne pas s'intéresser à la société industrielle de son temps (à l'exception de la crise agraire) et à se contenter d'en dresser un constat de faillite -l'échec de Weimar et la crise économique mondiale étant interprétés comme le symptôme ultime de la faillite et de la dégénérescence naturelles des sociétés "libérales individualistes". L'avenir appartenait bien sûr aux nationaux-socialistes révolutionnaires, en fonction de cette inéluctabilité des valeurs communautaires -les "hommes aiguilleurs" -comme Cromwell, Lénine et Strasser étant là pour hâter l'inévitable. Son organicisme et son déterminisme historique ne débouche cependant pas sur un matérialisme biologique. Si les termes de "renforcements" et de "relève", comme les restes d'un vocabulaire Blut und Boden, existent bien chez Strasser, ils sont appliqués à des schémas géopolitiques et sociaux précis et limités. [...]
A l'intérieur d'une Allemagne dont l'espace vital n'était pas agrandi par une conquête/chevauchée contre les Nations situées à l'Est, mais plus par une colonisation/mise en valeur des terres historiquement allemandes (d'où inclusion de toutes les minorités allemandes dans le Reich), le remplacement vital s'effectuait aussi bien contre la bourgeoisie que contre le prolétariat. Strasser comme Jünger rêva d'un nouveau "Travailleur", mais d'un type particulier Paysan, qu'il soit ouvrier paysan, intellectuel paysan, soldat paysan -autant de facettes d'un bouleversement social réalisé par la dislocation de la société industrielle, le démantèlement des usines, la réduction des populations urbaines et les transferts forcés de citoyens vers le travail régénérateur de la terre. Pour prendre des illustrations contemporaines de la volonté de rupture sociale de la tendance Strasser, certains aspects de son projet évoquent aujourd'hui la Révolution Culturelle Chinoise ou l'action des Khmers Rouges au Cambodge."
"Strasser garantissait aux Juifs une protection légale, une liberté de culture, la nationalité allemande étant même reconnue à tous ceux qui avaient combattu en 1914/1918 sous l'uniforme allemand. Les communautés juives et leurs élites ne se voyaient attribuer aucun rôle spécifique dans la décadence de la société occidentale -la crise morale apparue au lendemain du premier conflit mondial étant simplement un autre signe avant-coureur de la fin de la période libérale." (p.388)
"Hitler était beaucoup trop conscient de la non réversibilité de la mutation industrielle intervenue au XIXème siècle en Allemagne pour ressentir quelque attirance que ce fût pour l'extrémisme agraire de Strasser. Le chef du NSDAP se voulait un gestionnaire autoritaire de la société industrielle, à laquelle il entendait imposer un certain type de choix stratégiques, alors que Strasser se croyait appelé à remodeler l'ordre social, économique et politique en sous-estimant d'ailleurs la stabilité et les capacités de résistance. Le réalisme hitlérien allait ainsi aisément triompher de l'idéalisme strassérien."
-Patrick Moreau, " "Socialisme" national contre Hitlérisme. Le cas Otto Strasser.", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Une évidence tout d'abord: l'existence d'un fond idéologico-politique commun à la "Révolution Conservatrice" (RC) et au national-socialisme (NS). Tous deux sont héritiers de la même tradition irrationaliste allemande, née d'une révolte contre la philosophie "occidentale". Dans ce courant irrationaliste s'opère, au début du XXème siècle, une convergence entre une philosophie de la vie d'inspiration néo-romantique et un néo-vitalisme porté par l'évolution de la biologie. RC et NS participent de la même hostilité à la République de Weimar et aux institutions de la démocratie libérale. Tous deux préconisent des gouvernements autoritaires, voire une dictature, au moins temporaire, dirigée par un chef charismatique qui s'appuie sur les masses mobilisées. C'est là un trait qui les distingue du conservatisme traditionnel. Tous deux se joignent encore dans le rejet de l'ordre institutionnel issu de Versailles et symbolisé par la SDN, l'ordre nouveau étant indissociable de la suprématie allemande en Europe et dans le monde. Autant d'éléments constitutifs de ce que certains historiens appellent deutscher Sonderweg. De ce fond commun, le nazisme se détache par un certain nombre de traits spécifiques: le racisme biologique, que seule une large faction du courant völkisch partage avec lui, et le comportement monomaniaque du Führer, qui sont à l'origine, d'une part, d'une politique extérieure suicidaire par sa radicalité, et d'autre part, d'un antisémitisme non moins radical -alors que toutes les tendances de la RC sont certes d'accord pour réduire la puissance des juifs, Hitler s'engage sur la voie qui conduira à la "solution finale".
L'analyse de l'attitude des différents protagonistes de la RC face au NS met en évidence une grande disparité: un certain nombre de "révolutionnaires-conservateurs" se rallient au NS, de façon définitive ou seulement temporaire ; d'autres s'opposent à lui. Mais ces attitudes divergentes semblent correspondre d'un même modèle sous-jacent: à quelque rares exceptions près, il n'y a ni adhésion globale et inconditionnelle à l'ensemble du système, ni refus global et inconditionnel du même système dans sa totalité, mais seulement convergence ou divergence partielles, avec occultation, ou du moins minimisation, du reste.
Les motivations sont aussi diverses que la RC elle-même. Ont joué en faveur du ralliement, ou du moins d'une certaine convergence, des motivations idéologico-politiques: volonté de rupture sociale avec l'ordre "bourgeois", antimodernisme (O. Strasser), idéal communautaire parfois porté au niveau international (G. Wirsing) ; motivations de caractère géopolitique (G. Wirsing) ; considérations politico-stratégiques visant à utiliser le NS en l'intégrant à une stratégie conservatrice (E. J. Jung dans le sillage de Moeller van den Bruck) ; considérations de caractère plutôt professionnel (réforme universitaire pour M. Heidegger, projet d'une pédagogie politique de A. Bäumler). Enfin, aux marges de la RC proprement dite, considérations de caractère épistémologique avec C. Schmitt, fasciné par le politique pur. Comme si chacun venait au NS avec sa préoccupation propre, sa "spécialité", la conjonction se faisant sur ce point.
Quant à ceux qui se sont opposés au NS, ou ont rompu avec lui, ou encore se sont retirés sur la pointe des pieds, les motivations sont également diverses: fidélité aux idéaux "socialistes" et refus de la "trahison" de Hitler (l'"intégriste" Strasser) ; orientation vers l'"Est", de caractère "géoculturel" si l'on peut dire (E. Niekisch, K. O. Paetel) ; rejet surtout du caractère "plébéien" du NSDAP (E. J. JUNG, E. Jünger, Niekisch, Paetel) ; motivation de caratère plutôt existentiel chez R. Pechel et M. Heidegger, "réveillés" par les atrocités du 30 juin 1934, le "mal" ayant alors frappé leurs amis. C'est donc le désaccord sur un point -ou sur quelques points- mais jamais sur l'ensemble. D'où l'absence d'une opposition qu'on pourrait appeler fondamentale, d'une opposition de principe, de la part des hommes de la RC face au NS -ce qui n'empêche pas leur opposition d'être radicale, d'être une lutte à mort, comme dans le cas de Niekisch."
-Denis Goeldel, "Conclusion du colloque "Révolution Conservatrice" et national-socialisme: la partie et le reste ou la crise des principes", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Une suprématie de l'Etat sur l'économie n'est réalisable qu'au moyen d'une organisation unie, du type d'un Ordre. [...] Le fascisme, tout comme le communisme, a besoin d'un tel appareil pour dominer l'économie."
-Carl Schmitt, en 1929. Cité par Louis Dupeux in La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.
"Les idéaux d'humanité ont tenu plus longtemps et mené plus loin que les idéaux héroïques. Mais cela ne vient pas de ce qu'ils sont plus jeunes, plus modernes, plus progressistes, mais, au contraire, de ce qu'ils sont plus anciens, de ce qu'ils remontent à une réalité plus profonde."
-Ernst Jünger.
"En matière politique, les perspectives sont terriblement sombres. Nous vivons au siècle des occupations et le droit international n'est plus qu'une intéressante antiquité."
-Jakob Burckhardt (en 1856).
"Avons-nous vécu une révolution antimarxiste pour appliquer le programme du marxisme ?"
-Edgar Julius Jung.
"La révolution allemande ne peut déboucher que sur un socialisme national."
"La Seconde Guerre mondiale deviendra pour l'Europe la guerre d'unification, ou bien l'Europe ne sera plus." (p.323)
-Giselher Wirsing.
"Hitler est sans aucun doute la personnalité la plus éminente de tout le mouvement völkisch et l'artisan [...] de sa victoire."
-Theodor Fritsch (en 1931).