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    Jacques Ellul, Histoire des institutions. Le Moyen-âge

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jacques Ellul, Histoire des institutions. Le Moyen-âge Empty Jacques Ellul, Histoire des institutions. Le Moyen-âge

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 26 Jan - 16:16

    "L'Etat intervient de plus en plus pour réglementer la vie économique: établissement de maxima des prix, relèvement artificiel du niveau de vie par des décisions politiques, réquisitions des marchandises pour alimenter les grands centres, création d'un vaste système corporatif établissant des normes de production, fixant les individus héréditairement dans leurs fonctions, contrôle rigoureux de l'Etat sur la circulation des denrées, et sur tous les moyens de transport. L'Etat, se trouvant en présence de difficultés économiques réelles, a pensé depuis la fin du IIIe siècle et pendant le IVe et le Ve pouvoir les résoudre en réglementant, en étatisant, en contrôlant. En réalité, on se rend compte que chaque décision de l'Etat entraînait des troubles nouveaux et accroissait les difficultés économiques. Les individus essaient d'échapper aux contraintes, il se crée un marché parallèle, et la production agricole tend à diminuer par la disparition de la main-d’œuvre. Un autre aspect essentiel de la crise est un aspect social. Traditionnellement le travail à caractère de production économique était un travail servile. Or, à partir du IVe siècle, en tout cas, le nombre des esclaves diminue assez rapidement. Depuis longtemps déjà la condition juridique et sociale des esclaves s'était considérablement améliorée, mais l'esclavage était resté comme une institution admise, alors que, pour des raisons diverses, et en particulier par suite du développement du christianisme, l'esclavage tend à disparaître. Mais cela supposait le remplacement de la main-d’œuvre servile par une main-d’œuvre d'hommes libres. Cela n'était pas aisé. Il fallut une véritable mobilisation des hommes libres, l'établissement du travail forcé, un système de réquisitions de main-d’œuvre pour fournir (à la campagne surtout) les agriculteurs. Or devant cette contrainte, les hommes fuyaient, abandonnaient les terres, se réfugiaient soit dans les régions désertiques et y formaient des bandes de brigands, soit même hors de l'Empire. D'autres échappaient à la contrainte du travail en entrant dans le clergé, ou dans l'administration.
    L'aspect politique de la décadence est, lui aussi, complexe. D'une part, l'Etat souffre de gigantisme. Il devient autoritaire, centralisé, totalitaire. Autoritaire: tout doit être réglé par voie d'autorité, pour chaque question une loi, un décret, un mandat impérial décide de façon souveraine. Centralisé: les administrations locales et provinciales perdent de leur importance, tout doit être décidé dans la capitale, par l'Empereur et ses bureaux. Totalitaire: l'Etat cherche à s'occuper de toute la vie de l'Empire, à réglementer la vie économique, sociale, spirituelle ; il assume la totalité des activités. Il essaie à la fois d'ordonner et de promouvoir toute la vie collective. Il est très difficile de savoir si l'Etat prend cette attitude parce que la situation économique, politique, sociale est mauvaise et qu'il essaie d'y porter remède, ou si, en face d'une crise passagère, qui se serait normalisée d'elle-même, l'Etat a obéi à sa tendance spontanée de croissance indéfinie, et a provoqué la crise par ses décisions exorbitantes. Il semble en réalité que dans cette situation très complexe, chaque intervention est à la fois la conséquence d'une difficulté existante et la cause de difficultés nouvelles. Toujours-il que cette croissance du pouvoir et des attributions de l'Etat entraîne d'abord un gigantisme administratif. Il faut toujours davantage d'administrations et de fonctionnaires au fur et à mesure que les domaines d'intervention s'accroissent. Or, d'une part, le recrutement de ces fonctionnaires enlève à la vie économique une part toujours grandissante de main-d’œuvre productive, d'autre part, cette administration coûte de plus en plus cher. L'accroissement administratif s'effectue par une double voie: tantôt ce sont de vrais services administratifs qui se développent (p.ex. la police, les chancelleries, etc.), tantôt ce sont des secteurs d'activité privée qui deviennent des administrations (p.ex. les transports). Or, le coût excessif de ces administrations devient une charge écrasante pour l'Etat. Les impôts ne cessent de croître alors que l'activité économique est en difficulté. La lourdeur de la fiscalité est une des causes les plus importantes de la désagrégation de l'Empire. D'une part, pour arriver à faire rentrer les impôts, il faut augmenter indéfiniment les administrations financières. D'autre part, pour éviter de payer, beaucoup préfèrent abandonner leur terre ou leur métier. Et malgré le poids des impôts, l'Etat n'arrive pas à couvrir ses dépenses et se trouve sans cesse au bord de la faillite. Enfin la croissance administrative entraîne une extrême lourdeur de l'appareil et un grand désordre. Il y a tant d'administrations qu'il devient impossible d'agir rapidement au point de vue politique et qu'il est également difficile d'ordonner, de répartir, d'équilibrer les pouvoirs.
    Mais en même temps que l'administration, croissait également l'armée. Les menaces sur les frontières de l'Empire et les troubles intérieurs nécessitaient une armée plus nombreuse que celle des périodes de grandes conquêtes. Or le recrutement de cette armée devenait de plus en plus difficile, les habitants de l'Empire ne voulant pas servir. Il fallait fixer les soldats dans leur profession de façon héréditaire, et également faire appel aux étrangers, aux "Barbares". Mais ici encore, il faut tenir compte du fait que cette armée devenait de plus en plus coûteuse.
    Enfin, parmi les causes intérieures, on doit citer des éléments d'ordre spirituel et intellectuel. La croissance du christianisme dans l'Empire n'a pas été favorable à l'ordre politique. D'une part, les conflits entre païens et chrétiens qui s'aggravent aux IIIe et IVe siècles, d'autre part, l'opposition des chrétiens à l'Etat ont compliqué la situation. Cette opposition fut parfois directe et explicite (p.ex. le refus du service militaire en guerre), mais plus souvent indirecte: alors que dans l'Empire l'intérêt des hommes était orienté vers le politique et le juridique, le christianisme les en détourne pour fixer l'intérêt de l'homme sur le spirituel. De moins en moins, par exemple, les intellectuels s'intéressent au droit pour se passionner de théologie. De moins en moins on cherche à entrer au service de l'Etat, on préfère entrer au service de l'Eglise, etc. Ces diverses causes se sont mêlées pour affaiblir l'Empire sous l'apparence d'un renforcement de l'Etat.
    "(p.11-14)

    "On hésitait entre trois conceptions. La conception traditionnelle féodale où le Roi est le sommet de la hiérarchie féodale, les hommes sont liés à lui par serment, il est entouré de barons, et le pouvoir repose sur la coutume: persistance de la famille royale, la durée garantit la légitimité. Et de ce fait le Roi est obligé de respecter les coutumes. La seconde conception était religieuse: le roi est le modèle humain de la royauté divine, son pouvoir est de qualité différente de tous les autres pouvoirs. Il est fondé non sur la coutume, mais sur la volonté de Dieu explicitée par l'Église. Mais ceci implique dans une certaine mesure une dépendance envers l’Église, la reconnaissance de son autorité. Or, ces deux conceptions et fondements sont contestés dès le début du XIVe siècle. Il faut trouver autre chose. On s'oriente vers une monarchie "autocéphale". Mais il était difficile de trouver un fondement légitime: l'adhésion du peuple ? Ceci fut utilisé par Philippe de Bel, Charles V (lors de la lutte contre Charles le Mauvais), Louis XI (la Ligue du Bien public). La seule force ? (le roi ne tient son royaume que de son épée et de lui). La richesse ? (ce fut une idée de Louis XI). Mais ceci ne donnait qu'un fondement de pur fait. On vit alors apparaître progressivement l'idée que le vrai fondement du pouvoir royal était le droit. On invente l'idée de pouvoir "légitime", fondé sur la Loi. C'est le droit qui va indiquer les conditions de la légitimité, les conditions d'exercice du pouvoir, le contenu de la souveraineté. Le droit qui fonde le pouvoir est évidemment objectif, donc indépendant du Roi. On aboutit après un siècle et demi d'analyses, de conquêtes, d'efforts (conduits par les légistes) à l'idée d'une monarchie juridique. La Souveraineté n'étant pas arbitraire, et la Monarchie n'étant pas une simple puissance, mais une "puissance réglée". Ceci fut principalement l’œuvre des légistes.

    Les véritables créateurs d'une doctrine de la Royauté au XIVe siècle sont les légistes. Ils existaient déjà sous Louis IX mais leur rôle ne cesse de grandir à partir de Philippe le Bel. Recrutés dans la petite noblesse ou la bourgeoisie (mais ils deviennent de toute façon chevaliers parce qu'étant au service du Roi), ce sont en même temps des théoriciens et des praticiens. Ils sont en général d'origine méridionale. Ils sont totalement dévoués au Roi qui a fait leur fortune, et à l'institution monarchique par conviction. Ce sont tous des romanistes: et c'est dans le droit romain qu'ils puisent leurs doctrines, qu'ils trouvent l'image d'un Etat centralisé et d'un Prince tout-puissant. C'est la méthode de penser du droit romain qui leur fournit leur méthode d'action politique, et ce sont les textes du droit romain interprétés qui leur donnent des arguments. Leurs théories ne sont jamais en effet des conceptions abstraites, intellectuelles: elles ont toujours un but d'action pratique.
    Les légistes utilisèrent aussi la doctrine d'Aristote: l'autorité voulue par l'ordre naturel n'y apparaît limitée que par l'intérêt commun. Ils assimilent l'auctoritas à la souveraineté: c'est l'autorité suprême et le refus de reconnaître un supérieur. Ils ne confondent pas souveraineté et puissance publique. Celle-ci, la potestas, est qualifiée d' "exécution immédiate", désignant ainsi son rôle. Ce ne sera que plus tard, à partir du XVe siècle, que l'on confondra la souveraineté avec l'exercice de la puissance publique.
    Les légistes ne cherchent pas dans le droit romain un modèle théorique qui s'imposerait à la société. Ils y trouvent des arguments qu'ils utilisent aussi bien que les principes féodaux, en suivant le courant des événements et des besoins communs tendant à une souveraineté et une centralisation. Sans ces tendances spontanées, l'action des légistes n'aurait eu aucun effet.
    Ils cherchent principalement à fonder en doctrine la politique royale, à lui fournir des arguments juridiques et des justifications politiques et morales. Alors que la plupart des juristes admettent encore au XIVe siècle l'universalité du pouvoir impérial (le roi étant indépendant en fait mais non en droit), les légistes affirment l'indépendance en droit du Roi de France à l'égard de l'Empereur, et lui attribuent les droits mêmes de l'Empereur dans son royaume. Ils sont également habiles en droit canon pour l'utiliser à l'encontre de l’Église elle-même. Ils luttent aussi bien contre l'Église, en effet, que contre l'Empereur ou la féodalité. Leur doctrine de la Monarchie n'apparaît donc pas comme une contradiction ordonnée et complète, mais faite de pièces créées selon les circonstances et plus ou moins rassemblées. Ils sont enfin de véritables propagandistes: ils cherchent à faire pénétrer dans le peuple des idées simples et précises, et ils résument souvent leurs doctrines en phrases brèves, faciles à répandre et à retenir. L'on peut reprendre quelques-unes des doctrines des légistes.
    1. Le Roi de France est souverain. - Mais cette idée de souveraineté n'est pas abstraite: il y a seulement des organismes et des pouvoirs qui existent auxquels il faut reconnaître un pouvoir total pour qu'ils fonctionnent bien. C'est le problème du Gouvernement national. Le droit du souverain est "public". La souveraineté est par essence inaliénable et imprescriptible. C'est au nom de cette idée qu'ils diront: "Le Roi est Empereur en son Royaume". Cette formule qui paraît sans doute en 1303 implique d'une part que le Roi est indépendant de l'Empereur, mais on l'interprète aussi dans un sens positif: le Roi peut se prévaloir des textes du droit romain qui donnent à l'Empereur des pouvoirs illimités, le pouvoir législatif et les regalia (monnaies, monopoles, etc.). Il est donc placé à l'égal de l'Empereur. Il est la base même de la "République". Il peut faire les lois, abroger les lois impériales, imposer de nouvelles constitutions. Il a le jus plenum, jus potestasis. Il a une souveraine liberté, n'étant soumis à personne. Lorsqu'il concède un privilège, il peut toujours le révoquer.
    Parmi les droits régaliens, l'un des principaux est le droit de justice: les légistes font alors admettre que le Roi est source de toute justice, et que les seigneurs sont ses délégués: ceci était historiquement inexact, mais ils réussirent à répandre l'idée que "toute justice émane du Roi". Or, avec la justice, tous les droits de puissance publique sont compris: en toute chose dès lors, le seigneur devra être considéré comme un délégué du Roi. En outre, le Roi seul a le pouvoir d'imposer: en vertu du droit romain, le Roi peut exiger l'impôt de sa seule autorité et de même il a le seul droit de battre monnaie.
    2. De la formule des légistes "Toute justice émane du Roi" sortira une théorie très importante, la théorie de la justice déléguée et de la justice retenue: le Roi est maître de la justice. Parfois il ne peut la rendre lui-même: il la délègue donc à ses représentants. Mais ceux-ci ne deviennent pas titulaires du pouvoir judiciaire: ils rendent la justice à la place du Roi, celui-ci étant personnellement responsable. Il peut alors toujours juger lui-même n'importe quelle affaire, en la reprenant au juge qu'il avait délégué. Il peut aussi retenir la justice par-devers lui. Ce faisant, ce n'est pas un abus mais l'exercice de son pouvoir le plus strict. Pour exercer sa justice retenue, le Roi peut agir lui-même, directement, dans des audiences ouvertes à tous. Plus souvent, le Roi juge sur requête écrite qui lui est adressée. Il juge alors ces requêtes avec des conseillers particuliers, en son hôtel. Ces conseillers sont très fréquemment des légistes. Ils peuvent juger les requêtes "à la porte de la chambre) (plaids de la porte) ou bien les soumettre au Roi après examen. On appelle ces légistes jugeants les maîtres des requêtes de l'hôtel. Par sa justice retenue d'autre part le Roi peut prendre le jugement de procès criminels graves, ou de procès politiques et créer pour cela des tribunaux d'exception. Car il n'y a pas de "pouvoir judiciaire" autonome ; tout est dans la main du Roi. Et c'est pourquoi les légistes diront également: Princeps legibus solutus est: un autre aspect de la toute puissance royale est que le Roi est supérieur à la loi: il n'est pas tenu de l'observer, il peut la modifier à sa volonté. Il n'y a pas de coutume si longue soit-elle qui puisse être opposée au Roi: la loi est la seule source du droit que reconnaissent les légistes et la volonté du Roi est identique à la loi: "Que veut le Roi, si veut la loi". Mais cette formule des légistes rencontrera de vives oppositions et ne deviendra pas officielle.
    3. Ce pouvoir d'après les légistes n'a pas une origine divine, mais purement humaine et naturelle. Ils déforment alors la parole attribuée à saint Louis et déclarent "le Roi ne tient son Royaume de nului que de son épée et de lui". Ils ne cherchent pas à donner un fondement théorique au pouvoir: ce qui fait le Roi, c'est sa force. Ils ne s'appuient pas non plus sur l'hérédité, que le droit romain ne leur enseignait pas. Quant au sacre royal, ils en viennent à dire qu'il n'est pas nécessaire pour la transmission du pouvoir. Le sacre n'est qu'un symbole pieux auquel il ne faut pas attribuer de portée essentielle.
    4. Enfin l'on peut préciser leurs théories dans le domaine religieux. Ils tiennent pour une séparation totale des deux pouvoirs. Le Roi est totalement indépendant du Pape au temporel. Tous les membres du Royaume, clercs ou laïcs doivent se soumettre à l'autorité temporelle pour les affaires temporelles. Les juridictions sont distinctes également: il s'agit alors de refouler la juridiction ecclésiastique hors du domaine temporel. Le Pape ne peut en rien intervenir dans les affaires du Royaume, et les problèmes mixtes, moitié spirituels moitié temporels doivent appartenir à la seule compétence du Roi et de sa juridiction. Enfin ni le Roi ni ses officiers ne peuvent être excommuniés dans l'exercice de leurs fonctions.
    Ces diverses théories des légistes ne formaient pas un système politique. C'est seulement à la fin du XVe siècle, et au début du XVIe siècle, que ces idées vont s'unir en un corps de doctrine tout en conservant leur caractère pragmatique. Des auteurs comme Claude Seyssel (La Grande Monarchie) et Charles de Grassaille (Regalium Francia), maîtres des requêtes représentent bien les successeurs des légistes. Pour eux le Roi représente Dieu et n'a aucun supérieur. Il ne peut subir ni contrôle (venant du Pape), ni opposition (venant des pays et des privilégiés). Il ne doit de compte qu'à Dieu. C'est un pouvoir à tendance absolue, et les habitants du royaume sont seulement des sujets. Mais le Roi rencontre cependant des obstacles. Certains de ces obstacles s'imposent à lui, il ne peut les plier: ce sont par exemple les lois fondamentales de la Monarchie. D'autres obstacles ne sont là que pour freiner la toute-puissance, et faire réfléchir le Roi, mais il ne peut plier ces obstacles: ce sont les administrations (chaque magistrat représente le Roi, il est une émanation du pouvoir royal ; il doit adapter la volonté du Roi aux circonstances, et par là peut modifier cette volonté), les cours de justice (le Parlement contrôle la saine application du droit et peut présenter des remontrances), et l'Église (qui doit conseiller le Roi, lui apprendre à se modérer, lui rappeler la formule: "Vous ne devez et ne pouvez vouloir tout ce que vous pouvez"). Mais le Roi peut passer outre, car il est tout-puissant, et toute la vie de l'Etat repose sur la volonté du Roi. Tel est l'aboutissement de la pensée des légistes. La Monarchie est sans limites externes, mais elle ne doit pas être arbitraires, le monarque doit se limiter lui-même.
    " (p.349-354)

    "Au XVe siècle, les lieutenants généraux paraissent en plus grand nombre et avec des pouvoirs de plus longue durée (Guyenne, Lyonnais, Champagne, Normandie, Picardie): il s'agit surtout de provinces frontières. Ces gouvernements se stabilisent. Les lieutenants gouvernent dans un groupe de bailliages que l'on appellera province (ce terme désigne une circonscription administrative vers la fin du XVe siècle). Leurs pouvoirs sont moins étendus qu'au XIVe siècle: ils ne peuvent se mêler de finances ni de justice. Ils n'ont plus le droit de faire des ordonnances. Leurs pouvoirs sont surtout militaires: ils commandent les troupes du Roi et organisent la défense de leur gouvernement. Ils sont toujours recrutés dans la haute noblesse." (p.370)

    "Au XVe siècle, presque tous les "pays" en France ont leurs Etats locaux, les cadres de réunion de ces Etats sont très divers: cadre féodal (Bourgogne, Lorraine, Normandie) cadre administratif (Languedoc), cadre religieux (Etats du diocèse de Bourges ou de Caen), cadre urbain (Etats de Lille, de Douai, de Caen). Parfois, c'est un cadre très étroit, très mobile. A partir de 1450 il y a une réaction royale contre ces assemblées. Le Roi est gêné par leurs indépendance, les populations n'y sont pas toutes également attachées. Certains de ces états firent confirmer leurs privilèges (Normandie, Languedoc). D'autres s'en remettent à la bonne volonté du Roi ; alors en Guyenne, Marche, Anjou, Limousin, le Roi cesse de les convoquer. Ils tombent en désuétude." (p.371)

    "Une ordonnance de Montils-lez-Tours, en 1454, ordonne aux baillis de rédiger les coutumes de leur bailliage avec l'aide de représentants des Etats. Le projet de coutume de chaque baillage devait être expédié au Roi. Celui-ci consultait le Parlement sur la valeur du texte proposé ; puis il le promulguait. Le Parlement fut surchargé de contestations sur le contenu des coutumes. L'on n'arriva que très lentement à quelques rédactions imparfaites. La procédure fut modifiée en 1481. Puis l'on arriva à une procédure utile et efficace en 1497. La rédaction des coutumes est alors effectué en fait au XVIe siècle [...] Le Roi s'affirmait maintenant seule source du droit, et les coutumes avaient besoin pour être appliqués d'être promulguées par le souverain." (p.375)

    "La taille était un impôt de répartition: le Roi exige d'une collectivité imposable une somme déterminée qui est ensuite répartie entre les contribuables de la collectivité. Normalement, les roturiers qui seuls peuvent exercer des professions lucratives sont appelés à payer. Et la répartition se fait sur le plan local par les intéressés eux-mêmes, tenus collectivement envers le Roi. Louis XI essaiera plusieurs transformations: il tente de soumettre les privilégiés aux impôts, il fait établir un cadastre pour la taille réelle. Il essaie d'obtenir des revenus fixes à la place des impôts: il remplace les aides dans les campagnes par un abonnement équivalent, il exempte les villes de la taille contre l'octroi d'un emprunt forcé. Mais il augmente lourdement les impôts: la taille triple sous son règne. Enfin il organise la gabelle du sel: c'est un impôt sur le sel diversement levé: au sud d'une ligne allant de la Bretagne au Dauphiné, la gabelle est perçue aux lieux de production du sel: le Roi transforme la vente du sel est un monopole au profit d'une compagnie qui lui paie une somme globale. Au Nord, le sel est entreposé dans des greniers du Roi qui sont seuls habilités à faire le commerce du sel." (p.380-381)

    "Les mercenaires (Allemands, Aragonais, Écossais) sont groupés en "routes". Ce sont des spécialistes de la guerre, qui, démobilisés, se transforment souvent en brigands. Charles VII devait alors créer une véritable armée, une armée royale ; de 1439 à 1445, il constitue quinze compagnies de gens d'armes, recrutées dans la noblesse, comprenant chacune six cents lances, commandées par un capitaine. Le recrutement était volontaire, mais les nobles qui y servaient étaient payés par le Roi qui fournissait aussi l'équipement. Quant à l'entretien, chaque compagnie était cantonnée dans une ville importante qui devait assurer son entretien. Le Roi avait donc ainsi une armée permanente, spécialisée, répartie dans tout le Royaume. En 1448, il crée une armée "nationale", une infanterie roturière: chaque paroisse devait fournir au Roi un archer. Le paroisse l'équipait ; l'archer était exempt d'impôt (franc archer)." (p.383)
    -Jacques Ellul, Histoire des institutions. Le Moyen-âge, PUF, coll. Quadrige, 2013 (1993 pour la première édition), 396 pages.


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