"Résultat d'un compromis institutionnel en 1875, mise à l'épreuve pendant plus de deux décennies, la République fait face à une opposition de droite et aux critiques du mouvement ouvrier. Elle surmonte le scandale de Panama et la crise de l'affaire Dreyfus, résiste à la poussée nationaliste, aux attentats anarchistes et à la remise en cause d'une gauche qui, majoritairement attachée à la république démocratique, n'en combat pas moins ses insuffisances sur le plan social." (p.7)
"[La Grande Guerre] inaugure véritablement le XXe siècle comme la Révolution française avait commencé le XIXe." (p.
"1893 marquait déjà une césure: cette année-là, alors que la poussée de la gauche est sensible aux élections législatives, meurent Victor Schoelcher, qui fit abolir l'esclavage en 1848, et Jules Ferry, une des figures majeures des débuts de la IIIe République. Puis, avec l'affaire Dreyfus, s'achève la domination des républicains modérés, qui cèdent la place à une nouvelle majorité politique: le temps des radicaux commence. C'est le "Triomphe de la République" célébré lors de l'inauguration, le 19 novembre 1899, de la statue éponyme de Dalou sur la place de la Nation à Paris." (p.
"L'Exposition universelle de 1900 constitue le symbole le plus évident d'une période qui, rétrospectivement, apparaîtra comme un "âge d'or"." (p.9)
"En 1914, la France compte 39 605 000 habitants. Contrairement aux autres pays européens industrialisés, elle connaît un déclin démographique, particulièrement important à la fin du siècle. De 1890 à 1892, on fabrique plus de cercueils que de berceaux et le mouvement naturel est encore déficitaire en 1895, 1900, 1907 et 1911. Alors qu'en 1789 le pays a 28.5 millions d'habitants et occupe en Europe la première place avec la Russie, il se retrouve avant guerre au cinquième rang, derrière la Russie, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et le Royaume-Uni, ne regroupant plus que 9.2% de la population européenne." (p.11)
"Cette baisse de la natalité, précoce et quasiment continue, est due à une limitation volontaire des naissances qui tient à un faisceau de causes: la pratique religieuse décroît, former un couple devient une affaire privée, l'enfant tient une place plus grande au sein de la famille, le nombre des avortements est élevé (60 000 en 1914 ?). Si ces explications sont recevables, aucun corrélation avec des phénomènes strictement économiques ne peut cependant être établie." (p.12)
"Les préoccupations démographiques accroissent l'importance accordée aux politiques de prévention: la "santé nationale" est au cœur des débats, l'urgence d'une "régénération" -l'expression est sous toutes les plumes- est affirmée. L'intervention des pouvoirs publics grandit: en 1893, une loi sur l'assistance médicale gratuite confie à chaque hôpital un secteur géographique de soin. Des dispensaires sont ouverts, la loi dite "pour la protection de la santé nationale" rend obligatoire en 1902 la vaccination antivariolique, la loi Strauss de 1913 prévoit des aides à l'allaitement de l'enfant pendant deux ans et permet aux femmes qui accouchent un congé rémunéré de huit semaines." (p.12-13)
"La France est au premier rang européen pour la consommation d'alcool. [...] L'Union française antialcoolique a 40 000 membres actifs en 1900 ; en 1895 se tient à Paris le Congrès international contre l'alcoolisme ; en 1905 les associations se regroupent au sein de la Ligue nationale contre l'alcoolisme. La lutte antialcoolique commence à l'école: "L'alcool, voilà l'ennemi", "l'alcool empoisonne lentement" proclament les affiches sur les murs de la classe." (p.13)
"La population active est de 20.9 millions en 1911 et représente 53.4% de la population totale du pays ; la proportion de la main-d’œuvre féminine est de 37%. La structure socioprofessionnelle, relativement stable, se répartit ainsi en 1906, par secteurs: primaire 43.8%, secondaire 31.6%, tertiaire 24.6%." (p.14)
"A la veille de la guerre, 55.4% de la population vit à la campagne, alors qu'en Angleterre la population urbaine dépasse la population rurale depuis 1850. L'exode rural est néanmoins important -62 départements ont un bilan migratoire déficitaire sur la période 1901-1911- et touche prioritairement la Bretagne ou les zones de montagne ; la Lozère, de 1891 à 1911, perd 1/5 de ses habitants. Les causes en sont multiples: [...] le travail agricole se mécanise, l'industrie réclame des travailleurs et leur offre des salaires plus élevés." (p.14)
"Dans la France de la Belle Epoque, huit millions de femmes au moins travaillent dans des conditions extrêmement diverses. Elles constituent 34% de la main-d’œuvre industrielle et 39% de la main-d’œuvre tertiaire et un nombre difficilement quantifiable dans le monde rural. Nombreuses dans le commerce, l'artisanat, le travail à domicile, l'administration, les professions de la santé et de l'enseignement, elles occupent souvent des emplois subalternes ; près d'un million sont domestiques. Dans les milieux aisés, elles ne travaillent pas." (p.16)
"Alors que le péril vénérien paraît obsessionnel, la période est florissante pour une prostitution que surveille la police des moeurs et que les abolitionnistes ne parviennent pas à supprimer." (p.16-17)
"Les femmes sont privées des droits civils et politiques. Le Code civil, dont on célèbre le centenaire en 1904, fait de la femme une mineure dans la dépendance de son père, puis de son mari. Plus libres sont les veuves ou les divorcées. En 1900, Jeanne Chauvin devient la première avocate. Les femmes accèdent lentement aux diplômes de l'enseignement supérieur ; en 1913, elles peuvent disposer librement de leur salaire." (p.17)
"Les républicains -en particulier les radicaux anticléricaux- considèrent souvent qu' "un bulletin de vote donnée aux femmes est un bulletin donné aux prêtres". La droite, malgré l'action du suffragisme conservateur de Marie Maugeret, est hostile au vote des femmes, condamné par le pape en 1906. Les ouvrières demeurent victimes de discriminations salariales: à la fin du XIXe siècle, une différence de un à deux n'est pas rare. La syndicalisation des femmes est difficile et la CGT n'abolit pas la hiérarchie au sein du couple (l'homme "doit nourrir la femme", Congrès de Rennes, 1898). Alors même qu'augmentent le travail féminin et la syndicalisation, notamment dans l'administration des PTT ou dans l'enseignement public, la misogynie perdure dans un mouvement ouvrier qui voit chez les femmes de dangereuses concurrentes." (p.18-19)
"La décadence démographique est en partie compensée à partir du milieu du siècle par l'augmentation rapide de l'immigration qui se stabilise, voire diminue entre 1891 et 1906. Cette stabilisation de la population étrangère en France est masquée par la loi de naturalisation du 26 juin 1889 qui impose le droit du sol au détriment du droit du sang: la loi confère automatiquement la nationalité française aux étrangères ayant épousé un Français, prévoit que les enfants d'étrangers nés en France et domiciliés sur le territoire à leur majorité sont français, autorise la naturalisation de tout étranger ayant vécu en France pendant au moins dix ans continus. Le recensement de 1911 comptabilise 1 160 000 étrangers, qui représentent 2.93% de la population française ; à la veille de la guerre de 1914, deux millions environ de personnes recensées sont étrangères ou d'origine étrangère (naturalisées ou francisées par le mariage ou la naissance en France)." (p.20)
"Chaque année 100 000 travailleurs saisonniers passent la frontière." (p.22)
"Les arguments nationalistes et les préoccupations économiques se mêlent à gauche et à droite: Guesde dénonce "l'invasion des sarrasins", celle des étrangers qui, travaillant à bas prix, font outrageusement baisser les salaires". Certains appellent à la priorité de l'emploi pour les nationaux: ainsi Barrès, pour qui les "treize cent milles étrangers installés en France [...] jouissent de notre pays sans en supporter les charges", propose des mesures contre eux et affirme dans Le Figaro en 1893 que "le nationalisme implique la protection des ouvriers français"." (p.23)
"Il n'y a pas de politique familiale à la Belle Epoque car l'Etat répugne à intervenir dans le domaine privé de la famille." (p.25)
"Le fait établi est que la France gagne annuellement 90 000 personnes dans les quarante années qui précèdent la Première Guerre mondiale alors que l'Empire Allemand s'accroît, lui, de 600 000 sujets." (p.27)
"La France sort d'une longue dépression après que la baisse séculaire des prix eut atteint son point le plus bas en 1896 (-22% pour l'agriculture, -17% pour l'industrie de 1880 à 1896). A la croissance ralentie du dernier tiers du XIXe siècle succède une phase d'expansion rapide, une phase A dans un cycle long de type Kondratieff, avec des crises périodiques, en France comme en Angleterre et en Allemagne (1899-1901, 1907-1909, 1912-1913). La reprise suscite une hausse des prix: 40% pour les produits agricoles et 36% pour les produits industriels entre 1896 et 1913.
Le pays est un des plus riches du monde et il paraît prospère aux contemporains: la fortune nationale a triplé depuis le Second Empire, le stock d'or est considérable, le franc n'a pas varié de valeur depuis 1803, les banques sont actives, la production nationale augmente." (p.28)
"Le PIB passe de 22 à 38.8 milliards de francs entre 1890 et 1913, son taux de croissance annuel moyen est de 1.3% entre 1896 et 1911. [...] La fortune nationale est estimée au total à 310 milliards en 1913." (p.29)
"Si de grands écarts sociaux perdurent, la richesse française globale est donc bien une réalité à la Belle Epoque." (p.31)
"La contraction relative du commerce extérieur nuance toutefois ce bilan de prospérité. En 1913, la France n'est plus que la quatrième des puissances exportatrices (7.6% du commerce mondial), derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Etats-Unis." (p.34)
"La loi [Méline] votée en janvier 1892 établit un nouveau tarif douanier: les productions agricoles sont protégées par des droits de douane de 5 à 20% selon les produits et le pays d'origine ; ces mesures sont complétées en 1898 par la "loi du cadenas" qui autorise le gouvernement à modifier les droits sur les céréales, le vin et la viande. En 1910, les produits agricoles importés sont taxés à 11%. Les importations diminuent en valeur, ainsi que les exportations, mais ces mouvements ne peuvent être attribués à la seule politique tarifaire." (p.40)
"Au XIXème siècle, le charbon était le moteur de la croissance économique ; en 1913, avec 42 millions de tonnes de houille extraite, la France est le quatrième producteur mondial ; 135 000 salariés extraient les deux tiers de la production française dans le Nord-Pas-de-Calais. [...] La France, dont les besoins sont alors de 64 millions de tonnes, doit importer du charbon de Grande-Bretagne, d'Allemagne, de Belgique." (p.42)
"L'automobile est, parmi les nouveaux produits, le mieux développé par l'industrie ; la France l'emporte sur l'Allemagne après 1890 et demeure le premier constructeur mondial jusqu'en 1904, date à laquelle elle est dépassée par les Etats-Unis ; la production passe de 4100 à 45 000 véhicules par an de 1900 à 1913. Panhard et Peugeot sont fondés en 1890, Renault en 1898." (p.45)
"En 1816, pour aller de Paris à Lyon, il fallait plus de quatre jours, seulement huit heures en 1914." (p.49)
"La fragile industrie du téléphone est replacée depuis 1889 sous le monopole de l'Etat. La Société Générale des téléphones fabrique un matériel vendu à l'administration et prend en 1898 le nom de Société industrielle des téléphones." (p.51)
"Le seul poste "défense nationale" représente 27% des dépenses en 1905-1909 et la dette publique représente environ 20% de la dépense publique globale en 1914. Les dépenses économiques et sociales interviennent pour 23.8% du total en 1910-1913. La croissance de l'Etat implique celle des effectifs (500 000 agents et personnels civils de l'Etat en 1906) ; en 1914, 71 000 fonctionnaires dépendent des Finances, 14 000 de la Justice, 160 000 de l'Instruction publique. A partir de la fin du siècle augmentent certaines dépenses: celles de transport sont de 9.4% en 1912, celles d'éducation de 9.3% ; celles d'action sociale passent de 0.9% en 1903 à 4.3% en 1912 et annoncent les évolutions du XXème siècle. Dans la période, l'Etat connaît un rôle limité mais accru." (p.52-53)
"Après 1890, la République est bien au village: l'activité politique se développe dans les communes, les cultivateurs aisés remplacent les notables dans les mairies ; mais la politique nationale ne présente d'intérêt pour les électeurs ruraux que dans la mesure où le débat a une dimension locale ; l'affaire Dreyfus paraît les laisser indifférents. En revanche, la rivalité est vive entre l'école publique et l'école confessionnelle, entre les instituteurs formés par les écoles normales et les congréganistes. La mairie du village s'est dessinée en regard de l'église et du presbytère ; la maîtrise de la sonnerie des cloches suscite bien des disputes." (p.57)
"La condition ouvrière se définit d'abord par le salaire. De 1871 à 1905, celui-ci croît ; de 1905 à 1913, le salaire réel baisse ; la crise de "la vie chère" des années 1910 ramène ce dernier à son niveau de la fin du siècle." (p.59)
"Les accidents du travail sont fréquents (259 000, dont 1470 mortels en 1905). L'insécurité majeure reste celle de l'emploi: le chômage est consubstantiel à la condition ouvrière, lié aux mutations industrielles ; le chômage structurel est important entre 1900 et 1914 (500 000 chômeurs ?). Les vieux, les jeunes, les non-qualifiés, les étrangers, les "fortes têtes" sont les premiers frappés. De grandes vagues de chômage sont liées aux crises cycliques: 1896, 1900, 1907-1908, 1913. Selon des estimations syndicales, le chômage varie de 7.4% en décembre 1907 à 11.4% en décembre 1908." (p.60-61)
"La société de la fin du XIXe siècle voit un début de législation sociale qui fait triompher l'idée d'assurance sur celle d'assistance et l'obligation sur l'adhésion volontaire. [...] En 1898, les caisses de secours et de retraite ne couvrent que moins de 4% des travailleurs de l'industrie privée. [...]
A partir de la loi Waldeck-Rousseau de 1884, autorisant la constitution des syndicats, s'ouvre une période de reconnaissance de "droits sociaux de la première génération" (François Ewald) qui doivent permettre de s'affranchir de l'insécurité matérielle, de la surexploitation du travail, de la hantise de la maladie, de l'accident, de la vieillesse." (p.71)
"Les libéraux refusent toute obligation légale de l'Etat en matière d'assistance et d'assurance. Pour le comte de Lanjuinais, en 1903, "dans un pays véritablement libre, le rôle de l'Etat devrait se borner, à très peu de choses près, aux fonctions pour lesquelles il a été créé, c'est-à-dire assurer la paix extérieure et intérieure. Le reste n'est pas de son domaine." Dans un article de 1901 intitulé "Le prochain gouffre: le projet de loi sur les retraites", Paul Leroy-Beaulieu dénonce le caractère obligation de l'assurance ; l'économiste libéral considère que le projet de loi sur les retraites est "détestable, propre à transformer en perpétuels enfants, en êtres engourdis et somnolents les membres des nations civilisées." [...]
Pour les anarcho-syndicalistes de la CGT et une partie des socialistes, combattus par Jaurès, l'obligation de la cotisation-retraite est une nouvelle forme d'exploitation du travail ouvrier, un prélèvement immédiat et certain pour un but lointain car de nombreux ouvriers n'atteignent pas l'âge de la retraite: Guesde voit ainsi dans les projets un "vol impudent des deniers prélevés sur le salaire des ouvriers", Lafargue dénonce "les retraites pour les morts". Vaillant, Jaurès et les réformistes sont, eux, pour l'instauration d'une législation d'assurance-vieillesse ; pour les socialistes réformistes, les droits sociaux deviennent le complément logique et nécessaire des droits civiques. [...]
Dans le même temps, à la lumière de Kant, des philosophes comme Séailles et Secrétan cherchent à ouvrir la voie à une philosophie sociale et à rompre avec le vieil individualisme comme avec sa tentative de dépassement socialiste. Durkheim constate, dans De la division du travail social, en 1893 que l'absence de règles régissant les rapports entre les individus créé un état d' "anomie" et voit la solution dans une plus forte intégration des individus ; Bouglé publie en 1913 Le Solidarisme." (p.72-73)
"Les "lois ouvrières" ont d'abord trait à la législation et à l'organisation du travail. La journée de travail est limitée à 10 heures pour les enfants de moins de 16 ans, 11 heures pour ceux de 16 à 18 ans, ainsi que pour les femmes (loi du 2 novembre 1892) ; de même leur est interdit le travail de nuit. La "loi Millerand" du 30 mars 1900 limite la durée de travail à 10 heures dans les établissements industriels employant une main-d’œuvre mixte, c'est-à-dire composée d'enfants, de femmes, d'hommes adultes, par exemple dans les mines. La loi du 13 juillet 1906 qui octroie le repos hebdomadaire de 24 heures consécutives le dimanche sanctionne une pratique souvent déjà acquise. La loi du 7 décembre 1909 prescrit le versement des salaires à intervalles réguliers et en espèces. Ce n'est qu'en 1919 que le principe de la durée légale de la journée de travail de 8 heures est accordé, satisfaisant ainsi la revendication formulée dès 1864 par l'Association Internationale des Travailleurs.
Des mesures sont prises en matière de sécurité et d'hygiène sur les lieux de travail: la loi du 8 juillet 1890 établit des délégués à la sécurité des ouvriers mineurs. La loi du 2 novembre 1892 généralise la fonction d'inspecteur du travail, celle du 12 juin 1893 édicte une réglementation de prévention générale pour le secteur industriel. Des mesures de protection spécifique sont prises pour atténuer la pénibilité de certains travaux (par exemple, la loi dite "des sièges" du 29 décembre 1900 prescrit dans les magasins de vente un nombre de sièges égal au nombre de femmes employées).
La France est en retard par rapport à la législation sociale allemande -sans exemple en Europe- que Bismarck a fait adopter entre 1883 et 1889 (loi créant l'assurance-maladie obligatoire, loi sur les accidents du travail, loi sur l'invalidité et la vieillesse).
La loi sur les accidents du travail, votée le 9 avril 1898, est une des grandes lois sociales modernes en France ; il aura fallu 18 ans pour que la proposition de Martin Nadaud se concrétise ! Désormais la conclusion du contrat de travail entraîne une présomption de la responsabilité de l'employeur en cas d'accident, et l'obligation pour lui de réparer le dommage subi par le travailleur exposé au risque professionnel. L'incapacité permanente donne droit à une rente des 2/3, la mort à une rente de 20% du salaire, versée au conjoint. Mais la loi française est de moindre portée qu'en Allemagne. [...]
La loi du 14 juillet 1905 sur l'assistance aux vieillards indigents et aux invalides s'inscrit dans la continuité du principe de l'assistance médicale gratuite (15 juillet 1893) et a pour but, selon Jaurès, "de substituer à l'arbitraire de l'aumône la certitude d'un droit". Le service de l'Assistance à l'enfance est réorganisé (lois des 27-28 juin 1904). Les lois sur le repos obligatoire des femmes en couches sont votées en 1913-1914.
La loi du 29 juin 1894 fait de la retraite un droit pour les mineurs. Financée à parité par les cotisations ouvrières et patronales, elle a le caractère d'une obligation légale à laquelle employeurs et employés sont également soumis. En 1898, 98% des mineurs et les deux tiers des employés des chemins de fer sont affiliés à des caisses patronales. Les mines et les chemins de fer vivent pratiquement sous le régime de l'assurance retraite obligatoire. [...]
Les acquis sociaux de la Belle Epoque, s'ils sont sans précédent, apparaissent somme toute limités. Certes, l'Etat conçoit une législation uniforme mais multiplie les dérogations qui vident la loi de son contenu. C'est d'abord la petite propriété démocratisée qui constitue l'horizon privilégié de la République. Toutefois, en apportant son financement et sa garantie, l'Etat introduit une mutation dans l'ordre juridique: à la propriété privée est juxtaposée une propriété sociale. La société assurantielle commence à poindre." (p.74-77)
-Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Paris, Librarie Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages.
"[La Grande Guerre] inaugure véritablement le XXe siècle comme la Révolution française avait commencé le XIXe." (p.
"1893 marquait déjà une césure: cette année-là, alors que la poussée de la gauche est sensible aux élections législatives, meurent Victor Schoelcher, qui fit abolir l'esclavage en 1848, et Jules Ferry, une des figures majeures des débuts de la IIIe République. Puis, avec l'affaire Dreyfus, s'achève la domination des républicains modérés, qui cèdent la place à une nouvelle majorité politique: le temps des radicaux commence. C'est le "Triomphe de la République" célébré lors de l'inauguration, le 19 novembre 1899, de la statue éponyme de Dalou sur la place de la Nation à Paris." (p.
"L'Exposition universelle de 1900 constitue le symbole le plus évident d'une période qui, rétrospectivement, apparaîtra comme un "âge d'or"." (p.9)
"En 1914, la France compte 39 605 000 habitants. Contrairement aux autres pays européens industrialisés, elle connaît un déclin démographique, particulièrement important à la fin du siècle. De 1890 à 1892, on fabrique plus de cercueils que de berceaux et le mouvement naturel est encore déficitaire en 1895, 1900, 1907 et 1911. Alors qu'en 1789 le pays a 28.5 millions d'habitants et occupe en Europe la première place avec la Russie, il se retrouve avant guerre au cinquième rang, derrière la Russie, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et le Royaume-Uni, ne regroupant plus que 9.2% de la population européenne." (p.11)
"Cette baisse de la natalité, précoce et quasiment continue, est due à une limitation volontaire des naissances qui tient à un faisceau de causes: la pratique religieuse décroît, former un couple devient une affaire privée, l'enfant tient une place plus grande au sein de la famille, le nombre des avortements est élevé (60 000 en 1914 ?). Si ces explications sont recevables, aucun corrélation avec des phénomènes strictement économiques ne peut cependant être établie." (p.12)
"Les préoccupations démographiques accroissent l'importance accordée aux politiques de prévention: la "santé nationale" est au cœur des débats, l'urgence d'une "régénération" -l'expression est sous toutes les plumes- est affirmée. L'intervention des pouvoirs publics grandit: en 1893, une loi sur l'assistance médicale gratuite confie à chaque hôpital un secteur géographique de soin. Des dispensaires sont ouverts, la loi dite "pour la protection de la santé nationale" rend obligatoire en 1902 la vaccination antivariolique, la loi Strauss de 1913 prévoit des aides à l'allaitement de l'enfant pendant deux ans et permet aux femmes qui accouchent un congé rémunéré de huit semaines." (p.12-13)
"La France est au premier rang européen pour la consommation d'alcool. [...] L'Union française antialcoolique a 40 000 membres actifs en 1900 ; en 1895 se tient à Paris le Congrès international contre l'alcoolisme ; en 1905 les associations se regroupent au sein de la Ligue nationale contre l'alcoolisme. La lutte antialcoolique commence à l'école: "L'alcool, voilà l'ennemi", "l'alcool empoisonne lentement" proclament les affiches sur les murs de la classe." (p.13)
"La population active est de 20.9 millions en 1911 et représente 53.4% de la population totale du pays ; la proportion de la main-d’œuvre féminine est de 37%. La structure socioprofessionnelle, relativement stable, se répartit ainsi en 1906, par secteurs: primaire 43.8%, secondaire 31.6%, tertiaire 24.6%." (p.14)
"A la veille de la guerre, 55.4% de la population vit à la campagne, alors qu'en Angleterre la population urbaine dépasse la population rurale depuis 1850. L'exode rural est néanmoins important -62 départements ont un bilan migratoire déficitaire sur la période 1901-1911- et touche prioritairement la Bretagne ou les zones de montagne ; la Lozère, de 1891 à 1911, perd 1/5 de ses habitants. Les causes en sont multiples: [...] le travail agricole se mécanise, l'industrie réclame des travailleurs et leur offre des salaires plus élevés." (p.14)
"Dans la France de la Belle Epoque, huit millions de femmes au moins travaillent dans des conditions extrêmement diverses. Elles constituent 34% de la main-d’œuvre industrielle et 39% de la main-d’œuvre tertiaire et un nombre difficilement quantifiable dans le monde rural. Nombreuses dans le commerce, l'artisanat, le travail à domicile, l'administration, les professions de la santé et de l'enseignement, elles occupent souvent des emplois subalternes ; près d'un million sont domestiques. Dans les milieux aisés, elles ne travaillent pas." (p.16)
"Alors que le péril vénérien paraît obsessionnel, la période est florissante pour une prostitution que surveille la police des moeurs et que les abolitionnistes ne parviennent pas à supprimer." (p.16-17)
"Les femmes sont privées des droits civils et politiques. Le Code civil, dont on célèbre le centenaire en 1904, fait de la femme une mineure dans la dépendance de son père, puis de son mari. Plus libres sont les veuves ou les divorcées. En 1900, Jeanne Chauvin devient la première avocate. Les femmes accèdent lentement aux diplômes de l'enseignement supérieur ; en 1913, elles peuvent disposer librement de leur salaire." (p.17)
"Les républicains -en particulier les radicaux anticléricaux- considèrent souvent qu' "un bulletin de vote donnée aux femmes est un bulletin donné aux prêtres". La droite, malgré l'action du suffragisme conservateur de Marie Maugeret, est hostile au vote des femmes, condamné par le pape en 1906. Les ouvrières demeurent victimes de discriminations salariales: à la fin du XIXe siècle, une différence de un à deux n'est pas rare. La syndicalisation des femmes est difficile et la CGT n'abolit pas la hiérarchie au sein du couple (l'homme "doit nourrir la femme", Congrès de Rennes, 1898). Alors même qu'augmentent le travail féminin et la syndicalisation, notamment dans l'administration des PTT ou dans l'enseignement public, la misogynie perdure dans un mouvement ouvrier qui voit chez les femmes de dangereuses concurrentes." (p.18-19)
"La décadence démographique est en partie compensée à partir du milieu du siècle par l'augmentation rapide de l'immigration qui se stabilise, voire diminue entre 1891 et 1906. Cette stabilisation de la population étrangère en France est masquée par la loi de naturalisation du 26 juin 1889 qui impose le droit du sol au détriment du droit du sang: la loi confère automatiquement la nationalité française aux étrangères ayant épousé un Français, prévoit que les enfants d'étrangers nés en France et domiciliés sur le territoire à leur majorité sont français, autorise la naturalisation de tout étranger ayant vécu en France pendant au moins dix ans continus. Le recensement de 1911 comptabilise 1 160 000 étrangers, qui représentent 2.93% de la population française ; à la veille de la guerre de 1914, deux millions environ de personnes recensées sont étrangères ou d'origine étrangère (naturalisées ou francisées par le mariage ou la naissance en France)." (p.20)
"Chaque année 100 000 travailleurs saisonniers passent la frontière." (p.22)
"Les arguments nationalistes et les préoccupations économiques se mêlent à gauche et à droite: Guesde dénonce "l'invasion des sarrasins", celle des étrangers qui, travaillant à bas prix, font outrageusement baisser les salaires". Certains appellent à la priorité de l'emploi pour les nationaux: ainsi Barrès, pour qui les "treize cent milles étrangers installés en France [...] jouissent de notre pays sans en supporter les charges", propose des mesures contre eux et affirme dans Le Figaro en 1893 que "le nationalisme implique la protection des ouvriers français"." (p.23)
"Il n'y a pas de politique familiale à la Belle Epoque car l'Etat répugne à intervenir dans le domaine privé de la famille." (p.25)
"Le fait établi est que la France gagne annuellement 90 000 personnes dans les quarante années qui précèdent la Première Guerre mondiale alors que l'Empire Allemand s'accroît, lui, de 600 000 sujets." (p.27)
"La France sort d'une longue dépression après que la baisse séculaire des prix eut atteint son point le plus bas en 1896 (-22% pour l'agriculture, -17% pour l'industrie de 1880 à 1896). A la croissance ralentie du dernier tiers du XIXe siècle succède une phase d'expansion rapide, une phase A dans un cycle long de type Kondratieff, avec des crises périodiques, en France comme en Angleterre et en Allemagne (1899-1901, 1907-1909, 1912-1913). La reprise suscite une hausse des prix: 40% pour les produits agricoles et 36% pour les produits industriels entre 1896 et 1913.
Le pays est un des plus riches du monde et il paraît prospère aux contemporains: la fortune nationale a triplé depuis le Second Empire, le stock d'or est considérable, le franc n'a pas varié de valeur depuis 1803, les banques sont actives, la production nationale augmente." (p.28)
"Le PIB passe de 22 à 38.8 milliards de francs entre 1890 et 1913, son taux de croissance annuel moyen est de 1.3% entre 1896 et 1911. [...] La fortune nationale est estimée au total à 310 milliards en 1913." (p.29)
"Si de grands écarts sociaux perdurent, la richesse française globale est donc bien une réalité à la Belle Epoque." (p.31)
"La contraction relative du commerce extérieur nuance toutefois ce bilan de prospérité. En 1913, la France n'est plus que la quatrième des puissances exportatrices (7.6% du commerce mondial), derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Etats-Unis." (p.34)
"La loi [Méline] votée en janvier 1892 établit un nouveau tarif douanier: les productions agricoles sont protégées par des droits de douane de 5 à 20% selon les produits et le pays d'origine ; ces mesures sont complétées en 1898 par la "loi du cadenas" qui autorise le gouvernement à modifier les droits sur les céréales, le vin et la viande. En 1910, les produits agricoles importés sont taxés à 11%. Les importations diminuent en valeur, ainsi que les exportations, mais ces mouvements ne peuvent être attribués à la seule politique tarifaire." (p.40)
"Au XIXème siècle, le charbon était le moteur de la croissance économique ; en 1913, avec 42 millions de tonnes de houille extraite, la France est le quatrième producteur mondial ; 135 000 salariés extraient les deux tiers de la production française dans le Nord-Pas-de-Calais. [...] La France, dont les besoins sont alors de 64 millions de tonnes, doit importer du charbon de Grande-Bretagne, d'Allemagne, de Belgique." (p.42)
"L'automobile est, parmi les nouveaux produits, le mieux développé par l'industrie ; la France l'emporte sur l'Allemagne après 1890 et demeure le premier constructeur mondial jusqu'en 1904, date à laquelle elle est dépassée par les Etats-Unis ; la production passe de 4100 à 45 000 véhicules par an de 1900 à 1913. Panhard et Peugeot sont fondés en 1890, Renault en 1898." (p.45)
"En 1816, pour aller de Paris à Lyon, il fallait plus de quatre jours, seulement huit heures en 1914." (p.49)
"La fragile industrie du téléphone est replacée depuis 1889 sous le monopole de l'Etat. La Société Générale des téléphones fabrique un matériel vendu à l'administration et prend en 1898 le nom de Société industrielle des téléphones." (p.51)
"Le seul poste "défense nationale" représente 27% des dépenses en 1905-1909 et la dette publique représente environ 20% de la dépense publique globale en 1914. Les dépenses économiques et sociales interviennent pour 23.8% du total en 1910-1913. La croissance de l'Etat implique celle des effectifs (500 000 agents et personnels civils de l'Etat en 1906) ; en 1914, 71 000 fonctionnaires dépendent des Finances, 14 000 de la Justice, 160 000 de l'Instruction publique. A partir de la fin du siècle augmentent certaines dépenses: celles de transport sont de 9.4% en 1912, celles d'éducation de 9.3% ; celles d'action sociale passent de 0.9% en 1903 à 4.3% en 1912 et annoncent les évolutions du XXème siècle. Dans la période, l'Etat connaît un rôle limité mais accru." (p.52-53)
"Après 1890, la République est bien au village: l'activité politique se développe dans les communes, les cultivateurs aisés remplacent les notables dans les mairies ; mais la politique nationale ne présente d'intérêt pour les électeurs ruraux que dans la mesure où le débat a une dimension locale ; l'affaire Dreyfus paraît les laisser indifférents. En revanche, la rivalité est vive entre l'école publique et l'école confessionnelle, entre les instituteurs formés par les écoles normales et les congréganistes. La mairie du village s'est dessinée en regard de l'église et du presbytère ; la maîtrise de la sonnerie des cloches suscite bien des disputes." (p.57)
"La condition ouvrière se définit d'abord par le salaire. De 1871 à 1905, celui-ci croît ; de 1905 à 1913, le salaire réel baisse ; la crise de "la vie chère" des années 1910 ramène ce dernier à son niveau de la fin du siècle." (p.59)
"Les accidents du travail sont fréquents (259 000, dont 1470 mortels en 1905). L'insécurité majeure reste celle de l'emploi: le chômage est consubstantiel à la condition ouvrière, lié aux mutations industrielles ; le chômage structurel est important entre 1900 et 1914 (500 000 chômeurs ?). Les vieux, les jeunes, les non-qualifiés, les étrangers, les "fortes têtes" sont les premiers frappés. De grandes vagues de chômage sont liées aux crises cycliques: 1896, 1900, 1907-1908, 1913. Selon des estimations syndicales, le chômage varie de 7.4% en décembre 1907 à 11.4% en décembre 1908." (p.60-61)
"La société de la fin du XIXe siècle voit un début de législation sociale qui fait triompher l'idée d'assurance sur celle d'assistance et l'obligation sur l'adhésion volontaire. [...] En 1898, les caisses de secours et de retraite ne couvrent que moins de 4% des travailleurs de l'industrie privée. [...]
A partir de la loi Waldeck-Rousseau de 1884, autorisant la constitution des syndicats, s'ouvre une période de reconnaissance de "droits sociaux de la première génération" (François Ewald) qui doivent permettre de s'affranchir de l'insécurité matérielle, de la surexploitation du travail, de la hantise de la maladie, de l'accident, de la vieillesse." (p.71)
"Les libéraux refusent toute obligation légale de l'Etat en matière d'assistance et d'assurance. Pour le comte de Lanjuinais, en 1903, "dans un pays véritablement libre, le rôle de l'Etat devrait se borner, à très peu de choses près, aux fonctions pour lesquelles il a été créé, c'est-à-dire assurer la paix extérieure et intérieure. Le reste n'est pas de son domaine." Dans un article de 1901 intitulé "Le prochain gouffre: le projet de loi sur les retraites", Paul Leroy-Beaulieu dénonce le caractère obligation de l'assurance ; l'économiste libéral considère que le projet de loi sur les retraites est "détestable, propre à transformer en perpétuels enfants, en êtres engourdis et somnolents les membres des nations civilisées." [...]
Pour les anarcho-syndicalistes de la CGT et une partie des socialistes, combattus par Jaurès, l'obligation de la cotisation-retraite est une nouvelle forme d'exploitation du travail ouvrier, un prélèvement immédiat et certain pour un but lointain car de nombreux ouvriers n'atteignent pas l'âge de la retraite: Guesde voit ainsi dans les projets un "vol impudent des deniers prélevés sur le salaire des ouvriers", Lafargue dénonce "les retraites pour les morts". Vaillant, Jaurès et les réformistes sont, eux, pour l'instauration d'une législation d'assurance-vieillesse ; pour les socialistes réformistes, les droits sociaux deviennent le complément logique et nécessaire des droits civiques. [...]
Dans le même temps, à la lumière de Kant, des philosophes comme Séailles et Secrétan cherchent à ouvrir la voie à une philosophie sociale et à rompre avec le vieil individualisme comme avec sa tentative de dépassement socialiste. Durkheim constate, dans De la division du travail social, en 1893 que l'absence de règles régissant les rapports entre les individus créé un état d' "anomie" et voit la solution dans une plus forte intégration des individus ; Bouglé publie en 1913 Le Solidarisme." (p.72-73)
"Les "lois ouvrières" ont d'abord trait à la législation et à l'organisation du travail. La journée de travail est limitée à 10 heures pour les enfants de moins de 16 ans, 11 heures pour ceux de 16 à 18 ans, ainsi que pour les femmes (loi du 2 novembre 1892) ; de même leur est interdit le travail de nuit. La "loi Millerand" du 30 mars 1900 limite la durée de travail à 10 heures dans les établissements industriels employant une main-d’œuvre mixte, c'est-à-dire composée d'enfants, de femmes, d'hommes adultes, par exemple dans les mines. La loi du 13 juillet 1906 qui octroie le repos hebdomadaire de 24 heures consécutives le dimanche sanctionne une pratique souvent déjà acquise. La loi du 7 décembre 1909 prescrit le versement des salaires à intervalles réguliers et en espèces. Ce n'est qu'en 1919 que le principe de la durée légale de la journée de travail de 8 heures est accordé, satisfaisant ainsi la revendication formulée dès 1864 par l'Association Internationale des Travailleurs.
Des mesures sont prises en matière de sécurité et d'hygiène sur les lieux de travail: la loi du 8 juillet 1890 établit des délégués à la sécurité des ouvriers mineurs. La loi du 2 novembre 1892 généralise la fonction d'inspecteur du travail, celle du 12 juin 1893 édicte une réglementation de prévention générale pour le secteur industriel. Des mesures de protection spécifique sont prises pour atténuer la pénibilité de certains travaux (par exemple, la loi dite "des sièges" du 29 décembre 1900 prescrit dans les magasins de vente un nombre de sièges égal au nombre de femmes employées).
La France est en retard par rapport à la législation sociale allemande -sans exemple en Europe- que Bismarck a fait adopter entre 1883 et 1889 (loi créant l'assurance-maladie obligatoire, loi sur les accidents du travail, loi sur l'invalidité et la vieillesse).
La loi sur les accidents du travail, votée le 9 avril 1898, est une des grandes lois sociales modernes en France ; il aura fallu 18 ans pour que la proposition de Martin Nadaud se concrétise ! Désormais la conclusion du contrat de travail entraîne une présomption de la responsabilité de l'employeur en cas d'accident, et l'obligation pour lui de réparer le dommage subi par le travailleur exposé au risque professionnel. L'incapacité permanente donne droit à une rente des 2/3, la mort à une rente de 20% du salaire, versée au conjoint. Mais la loi française est de moindre portée qu'en Allemagne. [...]
La loi du 14 juillet 1905 sur l'assistance aux vieillards indigents et aux invalides s'inscrit dans la continuité du principe de l'assistance médicale gratuite (15 juillet 1893) et a pour but, selon Jaurès, "de substituer à l'arbitraire de l'aumône la certitude d'un droit". Le service de l'Assistance à l'enfance est réorganisé (lois des 27-28 juin 1904). Les lois sur le repos obligatoire des femmes en couches sont votées en 1913-1914.
La loi du 29 juin 1894 fait de la retraite un droit pour les mineurs. Financée à parité par les cotisations ouvrières et patronales, elle a le caractère d'une obligation légale à laquelle employeurs et employés sont également soumis. En 1898, 98% des mineurs et les deux tiers des employés des chemins de fer sont affiliés à des caisses patronales. Les mines et les chemins de fer vivent pratiquement sous le régime de l'assurance retraite obligatoire. [...]
Les acquis sociaux de la Belle Epoque, s'ils sont sans précédent, apparaissent somme toute limités. Certes, l'Etat conçoit une législation uniforme mais multiplie les dérogations qui vident la loi de son contenu. C'est d'abord la petite propriété démocratisée qui constitue l'horizon privilégié de la République. Toutefois, en apportant son financement et sa garantie, l'Etat introduit une mutation dans l'ordre juridique: à la propriété privée est juxtaposée une propriété sociale. La société assurantielle commence à poindre." (p.74-77)
-Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Paris, Librarie Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages.
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