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    Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. 1893-1918, Le triomphe de la République

    Johnathan R. Razorback
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    Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. 1893-1918, Le triomphe de la République Empty Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. 1893-1918, Le triomphe de la République

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 5 Aoû - 15:17

    "Résultat d'un compromis institutionnel en 1875, mise à l'épreuve pendant plus de deux décennies, la République fait face à une opposition de droite et aux critiques du mouvement ouvrier. Elle surmonte le scandale de Panama et la crise de l'affaire Dreyfus, résiste à la poussée nationaliste, aux attentats anarchistes et à la remise en cause d'une gauche qui, majoritairement attachée à la république démocratique, n'en combat pas moins ses insuffisances sur le plan social." (p.7)

    "[La Grande Guerre] inaugure véritablement le XXe siècle comme la Révolution française avait commencé le XIXe." (p.Cool

    "1893 marquait déjà une césure: cette année-là, alors que la poussée de la gauche est sensible aux élections législatives, meurent Victor Schoelcher, qui fit abolir l'esclavage en 1848, et Jules Ferry, une des figures majeures des débuts de la IIIe République. Puis, avec l'affaire Dreyfus, s'achève la domination des républicains modérés, qui cèdent la place à une nouvelle majorité politique: le temps des radicaux commence. C'est le "Triomphe de la République" célébré lors de l'inauguration, le 19 novembre 1899, de la statue éponyme de Dalou sur la place de la Nation à Paris." (p.Cool

    "L'Exposition universelle de 1900 constitue le symbole le plus évident d'une période qui, rétrospectivement, apparaîtra comme un "âge d'or"." (p.9)

    "En 1914, la France compte 39 605 000 habitants. Contrairement aux autres pays européens industrialisés, elle connaît un déclin démographique, particulièrement important à la fin du siècle. De 1890 à 1892, on fabrique plus de cercueils que de berceaux et le mouvement naturel est encore déficitaire en 1895, 1900, 1907 et 1911. Alors qu'en 1789 le pays a 28.5 millions d'habitants et occupe en Europe la première place avec la Russie, il se retrouve avant guerre au cinquième rang, derrière la Russie, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et le Royaume-Uni, ne regroupant plus que 9.2% de la population européenne." (p.11)

    "Cette baisse de la natalité, précoce et quasiment continue, est due à une limitation volontaire des naissances qui tient à un faisceau de causes: la pratique religieuse décroît, former un couple devient une affaire privée, l'enfant tient une place plus grande au sein de la famille, le nombre des avortements est élevé (60 000 en 1914 ?). Si ces explications sont recevables, aucun corrélation avec des phénomènes strictement économiques ne peut cependant être établie." (p.12)

    "Les préoccupations démographiques accroissent l'importance accordée aux politiques de prévention: la "santé nationale" est au cœur des débats, l'urgence d'une "régénération" -l'expression est sous toutes les plumes- est affirmée. L'intervention des pouvoirs publics grandit: en 1893, une loi sur l'assistance médicale gratuite confie à chaque hôpital un secteur géographique de soin. Des dispensaires sont ouverts, la loi dite "pour la protection de la santé nationale" rend obligatoire en 1902 la vaccination antivariolique, la loi Strauss de 1913 prévoit des aides à l'allaitement de l'enfant pendant deux ans et permet aux femmes qui accouchent un congé rémunéré de huit semaines." (p.12-13)

    "La France est au premier rang européen pour la consommation d'alcool. [...] L'Union française antialcoolique a 40 000 membres actifs en 1900 ; en 1895 se tient à Paris le Congrès international contre l'alcoolisme ; en 1905 les associations se regroupent au sein de la Ligue nationale contre l'alcoolisme. La lutte antialcoolique commence à l'école: "L'alcool, voilà l'ennemi", "l'alcool empoisonne lentement" proclament les affiches sur les murs de la classe." (p.13)

    "La population active est de 20.9 millions en 1911 et représente 53.4% de la population totale du pays ; la proportion de la main-d’œuvre féminine est de 37%. La structure socioprofessionnelle, relativement stable, se répartit ainsi en 1906, par secteurs: primaire 43.8%, secondaire 31.6%, tertiaire 24.6%." (p.14)

    "A la veille de la guerre, 55.4% de la population vit à la campagne, alors qu'en Angleterre la population urbaine dépasse la population rurale depuis 1850. L'exode rural est néanmoins important -62 départements ont un bilan migratoire déficitaire sur la période 1901-1911- et touche prioritairement la Bretagne ou les zones de montagne ; la Lozère, de 1891 à 1911, perd 1/5 de ses habitants. Les causes en sont multiples: [...] le travail agricole se mécanise, l'industrie réclame des travailleurs et leur offre des salaires plus élevés." (p.14)

    "Dans la France de la Belle Epoque, huit millions de femmes au moins travaillent dans des conditions extrêmement diverses. Elles constituent 34% de la main-d’œuvre industrielle et 39% de la main-d’œuvre tertiaire et un nombre difficilement quantifiable dans le monde rural. Nombreuses dans le commerce, l'artisanat, le travail à domicile, l'administration, les professions de la santé et de l'enseignement, elles occupent souvent des emplois subalternes ; près d'un million sont domestiques. Dans les milieux aisés, elles ne travaillent pas." (p.16)

    "Alors que le péril vénérien paraît obsessionnel, la période est florissante pour une prostitution que surveille la police des moeurs et que les abolitionnistes ne parviennent pas à supprimer." (p.16-17)

    "Les femmes sont privées des droits civils et politiques. Le Code civil, dont on célèbre le centenaire en 1904, fait de la femme une mineure dans la dépendance de son père, puis de son mari. Plus libres sont les veuves ou les divorcées. En 1900, Jeanne Chauvin devient la première avocate. Les femmes accèdent lentement aux diplômes de l'enseignement supérieur ; en 1913, elles peuvent disposer librement de leur salaire." (p.17)

    "Les républicains -en particulier les radicaux anticléricaux- considèrent souvent qu' "un bulletin de vote donnée aux femmes est un bulletin donné aux prêtres". La droite, malgré l'action du suffragisme conservateur de Marie Maugeret, est hostile au vote des femmes, condamné par le pape en 1906. Les ouvrières demeurent victimes de discriminations salariales: à la fin du XIXe siècle, une différence de un à deux n'est pas rare. La syndicalisation des femmes est difficile et la CGT n'abolit pas la hiérarchie au sein du couple (l'homme "doit nourrir la femme", Congrès de Rennes, 1898). Alors même qu'augmentent le travail féminin et la syndicalisation, notamment dans l'administration des PTT ou dans l'enseignement public, la misogynie perdure dans un mouvement ouvrier qui voit chez les femmes de dangereuses concurrentes." (p.18-19)

    "La décadence démographique est en partie compensée à partir du milieu du siècle par l'augmentation rapide de l'immigration qui se stabilise, voire diminue entre 1891 et 1906. Cette stabilisation de la population étrangère en France est masquée par la loi de naturalisation du 26 juin 1889 qui impose le droit du sol au détriment du droit du sang: la loi confère automatiquement la nationalité française aux étrangères ayant épousé un Français, prévoit que les enfants d'étrangers nés en France et domiciliés sur le territoire à leur majorité sont français, autorise la naturalisation de tout étranger ayant vécu en France pendant au moins dix ans continus. Le recensement de 1911 comptabilise 1 160 000 étrangers, qui représentent 2.93% de la population française ; à la veille de la guerre de 1914, deux millions environ de personnes recensées sont étrangères ou d'origine étrangère (naturalisées ou francisées par le mariage ou la naissance en France)." (p.20)

    "Chaque année 100 000 travailleurs saisonniers passent la frontière." (p.22)

    "Les arguments nationalistes et les préoccupations économiques se mêlent à gauche et à droite: Guesde dénonce "l'invasion des sarrasins", celle des étrangers qui, travaillant à bas prix, font outrageusement baisser les salaires". Certains appellent à la priorité de l'emploi pour les nationaux: ainsi Barrès, pour qui les "treize cent milles étrangers installés en France [...] jouissent de notre pays sans en supporter les charges", propose des mesures contre eux et affirme dans Le Figaro en 1893 que "le nationalisme implique la protection des ouvriers français"." (p.23)

    "Il n'y a pas de politique familiale à la Belle Epoque car l'Etat répugne à intervenir dans le domaine privé de la famille." (p.25)

    "Le fait établi est que la France gagne annuellement 90 000 personnes dans les quarante années qui précèdent la Première Guerre mondiale alors que l'Empire Allemand s'accroît, lui, de 600 000 sujets." (p.27)

    "La France sort d'une longue dépression après que la baisse séculaire des prix eut atteint son point le plus bas en 1896 (-22% pour l'agriculture, -17% pour l'industrie de 1880 à 1896). A la croissance ralentie du dernier tiers du XIXe siècle succède une phase d'expansion rapide, une phase A dans un cycle long de type Kondratieff, avec des crises périodiques, en France comme en Angleterre et en Allemagne (1899-1901, 1907-1909, 1912-1913). La reprise suscite une hausse des prix: 40% pour les produits agricoles et 36% pour les produits industriels entre 1896 et 1913.
    Le pays est un des plus riches du monde et il paraît prospère aux contemporains: la fortune nationale a triplé depuis le Second Empire, le stock d'or est considérable, le franc n'a pas varié de valeur depuis 1803, les banques sont actives, la production nationale augmente
    ." (p.28)

    "Le PIB passe de 22 à 38.8 milliards de francs entre 1890 et 1913, son taux de croissance annuel moyen est de 1.3% entre 1896 et 1911. [...] La fortune nationale est estimée au total à 310 milliards en 1913." (p.29)

    "Si de grands écarts sociaux perdurent, la richesse française globale est donc bien une réalité à la Belle Epoque." (p.31)

    "La contraction relative du commerce extérieur nuance toutefois ce bilan de prospérité. En 1913, la France n'est plus que la quatrième des puissances exportatrices (7.6% du commerce mondial), derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Etats-Unis." (p.34)

    "La loi [Méline] votée en janvier 1892 établit un nouveau tarif douanier: les productions agricoles sont protégées par des droits de douane de 5 à 20% selon les produits et le pays d'origine ; ces mesures sont complétées en 1898 par la "loi du cadenas" qui autorise le gouvernement à modifier les droits sur les céréales, le vin et la viande. En 1910, les produits agricoles importés sont taxés à 11%. Les importations diminuent en valeur, ainsi que les exportations, mais ces mouvements ne peuvent être attribués à la seule politique tarifaire." (p.40)

    "Au XIXème siècle, le charbon était le moteur de la croissance économique ; en 1913, avec 42 millions de tonnes de houille extraite, la France est le quatrième producteur mondial ; 135 000 salariés extraient les deux tiers de la production française dans le Nord-Pas-de-Calais. [...] La France, dont les besoins sont alors de 64 millions de tonnes, doit importer du charbon de Grande-Bretagne, d'Allemagne, de Belgique." (p.42)

    "L'automobile est, parmi les nouveaux produits, le mieux développé par l'industrie ; la France l'emporte sur l'Allemagne après 1890 et demeure le premier constructeur mondial jusqu'en 1904, date à laquelle elle est dépassée par les Etats-Unis ; la production passe de 4100 à 45 000 véhicules par an de 1900 à 1913. Panhard et Peugeot sont fondés en 1890, Renault en 1898." (p.45)

    "En 1816, pour aller de Paris à Lyon, il fallait plus de quatre jours, seulement huit heures en 1914." (p.49)

    "La fragile industrie du téléphone est replacée depuis 1889 sous le monopole de l'Etat. La Société Générale des téléphones fabrique un matériel vendu à l'administration et prend en 1898 le nom de Société industrielle des téléphones." (p.51)

    "Le seul poste "défense nationale" représente 27% des dépenses en 1905-1909 et la dette publique représente environ 20% de la dépense publique globale en 1914. Les dépenses économiques et sociales interviennent pour 23.8% du total en 1910-1913. La croissance de l'Etat implique celle des effectifs (500 000 agents et personnels civils de l'Etat en 1906) ; en 1914, 71 000 fonctionnaires dépendent des Finances, 14 000 de la Justice, 160 000 de l'Instruction publique. A partir de la fin du siècle augmentent certaines dépenses: celles de transport sont de 9.4% en 1912, celles d'éducation de 9.3% ; celles d'action sociale passent de 0.9% en 1903 à 4.3% en 1912 et annoncent les évolutions du XXème siècle. Dans la période, l'Etat connaît un rôle limité mais accru." (p.52-53)

    "Après 1890, la République est bien au village: l'activité politique se développe dans les communes, les cultivateurs aisés remplacent les notables dans les mairies ; mais la politique nationale ne présente d'intérêt pour les électeurs ruraux que dans la mesure où le débat a une dimension locale ; l'affaire Dreyfus paraît les laisser indifférents. En revanche, la rivalité est vive entre l'école publique et l'école confessionnelle, entre les instituteurs formés par les écoles normales et les congréganistes. La mairie du village s'est dessinée en regard de l'église et du presbytère ; la maîtrise de la sonnerie des cloches suscite bien des disputes." (p.57)

    "La condition ouvrière se définit d'abord par le salaire. De 1871 à 1905, celui-ci croît ; de 1905 à 1913, le salaire réel baisse ; la crise de "la vie chère" des années 1910 ramène ce dernier à son niveau de la fin du siècle." (p.59)

    "Les accidents du travail sont fréquents (259 000, dont 1470 mortels en 1905). L'insécurité majeure reste celle de l'emploi: le chômage est consubstantiel à la condition ouvrière, lié aux mutations industrielles ; le chômage structurel est important entre 1900 et 1914 (500 000 chômeurs ?). Les vieux, les jeunes, les non-qualifiés, les étrangers, les "fortes têtes" sont les premiers frappés. De grandes vagues de chômage sont liées aux crises cycliques: 1896, 1900, 1907-1908, 1913. Selon des estimations syndicales, le chômage varie de 7.4% en décembre 1907 à 11.4% en décembre 1908." (p.60-61)

    "La société de la fin du XIXe siècle voit un début de législation sociale qui fait triompher l'idée d'assurance sur celle d'assistance et l'obligation sur l'adhésion volontaire. [...] En 1898, les caisses de secours et de retraite ne couvrent que moins de 4% des travailleurs de l'industrie privée. [...]
    A partir de la loi Waldeck-Rousseau de 1884, autorisant la constitution des syndicats, s'ouvre une période de reconnaissance de "droits sociaux de la première génération" (François Ewald) qui doivent permettre de s'affranchir de l'insécurité matérielle, de la surexploitation du travail, de la hantise de la maladie, de l'accident, de la vieillesse
    ." (p.71)

    "Les libéraux refusent toute obligation légale de l'Etat en matière d'assistance et d'assurance. Pour le comte de Lanjuinais, en 1903, "dans un pays véritablement libre, le rôle de l'Etat devrait se borner, à très peu de choses près, aux fonctions pour lesquelles il a été créé, c'est-à-dire assurer la paix extérieure et intérieure. Le reste n'est pas de son domaine." Dans un article de 1901 intitulé "Le prochain gouffre: le projet de loi sur les retraites", Paul Leroy-Beaulieu dénonce le caractère obligation de l'assurance ; l'économiste libéral considère que le projet de loi sur les retraites est "détestable, propre à transformer en perpétuels enfants, en êtres engourdis et somnolents les membres des nations civilisées." [...]
    Pour les anarcho-syndicalistes de la CGT et une partie des socialistes, combattus par Jaurès, l'obligation de la cotisation-retraite est une nouvelle forme d'exploitation du travail ouvrier, un prélèvement immédiat et certain pour un but lointain car de nombreux ouvriers n'atteignent pas l'âge de la retraite: Guesde voit ainsi dans les projets un "vol impudent des deniers prélevés sur le salaire des ouvriers", Lafargue dénonce "les retraites pour les morts". Vaillant, Jaurès et les réformistes sont, eux, pour l'instauration d'une législation d'assurance-vieillesse ; pour les socialistes réformistes, les droits sociaux deviennent le complément logique et nécessaire des droits civiques. [...]
    Dans le même temps, à la lumière de Kant, des philosophes comme Séailles et Secrétan cherchent à ouvrir la voie à une philosophie sociale et à rompre avec le vieil individualisme comme avec sa tentative de dépassement socialiste. Durkheim constate, dans
    De la division du travail social, en 1893 que l'absence de règles régissant les rapports entre les individus créé un état d' "anomie" et voit la solution dans une plus forte intégration des individus ; Bouglé publie en 1913 Le Solidarisme." (p.72-73)

    "Les "lois ouvrières" ont d'abord trait à la législation et à l'organisation du travail. La journée de travail est limitée à 10 heures pour les enfants de moins de 16 ans, 11 heures pour ceux de 16 à 18 ans, ainsi que pour les femmes (loi du 2 novembre 1892) ; de même leur est interdit le travail de nuit. La "loi Millerand" du 30 mars 1900 limite la durée de travail à 10 heures dans les établissements industriels employant une main-d’œuvre mixte, c'est-à-dire composée d'enfants, de femmes, d'hommes adultes, par exemple dans les mines. La loi du 13 juillet 1906 qui octroie le repos hebdomadaire de 24 heures consécutives le dimanche sanctionne une pratique souvent déjà acquise. La loi du 7 décembre 1909 prescrit le versement des salaires à intervalles réguliers et en espèces. Ce n'est qu'en 1919 que le principe de la durée légale de la journée de travail de 8 heures est accordé, satisfaisant ainsi la revendication formulée dès 1864 par l'Association Internationale des Travailleurs.
    Des mesures sont prises en matière de sécurité et d'hygiène sur les lieux de travail: la loi du 8 juillet 1890 établit des délégués à la sécurité des ouvriers mineurs. La loi du 2 novembre 1892 généralise la fonction d'inspecteur du travail, celle du 12 juin 1893 édicte une réglementation de prévention générale pour le secteur industriel. Des mesures de protection spécifique sont prises pour atténuer la pénibilité de certains travaux (par exemple, la loi dite "des sièges" du 29 décembre 1900 prescrit dans les magasins de vente un nombre de sièges égal au nombre de femmes employées).
    La France est en retard par rapport à la législation sociale allemande -sans exemple en Europe- que Bismarck a fait adopter entre 1883 et 1889 (loi créant l'assurance-maladie obligatoire, loi sur les accidents du travail, loi sur l'invalidité et la vieillesse).
    La loi sur les accidents du travail, votée le 9 avril 1898, est une des grandes lois sociales modernes en France ; il aura fallu 18 ans pour que la proposition de Martin Nadaud se concrétise ! Désormais la conclusion du contrat de travail entraîne une présomption de la responsabilité de l'employeur en cas d'accident, et l'obligation pour lui de réparer le dommage subi par le travailleur exposé au risque professionnel. L'incapacité permanente donne droit à une rente des 2/3, la mort à une rente de 20% du salaire, versée au conjoint. Mais la loi française est de moindre portée qu'en Allemagne. [...]
    La loi du 14 juillet 1905 sur l'assistance aux vieillards indigents et aux invalides s'inscrit dans la continuité du principe de l'assistance médicale gratuite (15 juillet 1893) et a pour but, selon Jaurès, "de substituer à l'arbitraire de l'aumône la certitude d'un droit". Le service de l'Assistance à l'enfance est réorganisé (lois des 27-28 juin 1904). Les lois sur le repos obligatoire des femmes en couches sont votées en 1913-1914.
    La loi du 29 juin 1894 fait de la retraite un droit pour les mineurs. Financée à parité par les cotisations ouvrières et patronales, elle a le caractère d'une obligation légale à laquelle employeurs et employés sont également soumis. En 1898, 98% des mineurs et les deux tiers des employés des chemins de fer sont affiliés à des caisses patronales. Les mines et les chemins de fer vivent pratiquement sous le régime de l'assurance retraite obligatoire. [...]
    Les acquis sociaux de la Belle Epoque, s'ils sont sans précédent, apparaissent somme toute limités. Certes, l'Etat conçoit une législation uniforme mais multiplie les dérogations qui vident la loi de son contenu. C'est d'abord la petite propriété démocratisée qui constitue l'horizon privilégié de la République. Toutefois, en apportant son financement et sa garantie, l'Etat introduit une mutation dans l'ordre juridique: à la propriété privée est juxtaposée une propriété sociale. La société assurantielle commence à poindre.
    " (p.74-77)
    -Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Paris, Librarie Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages.



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Ven 24 Aoû - 12:27, édité 1 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 23 Aoû - 14:01

    « Les députés sont élus pour quatre ans au suffrage universel direct, les sénateurs au suffrage indirect tous les neuf ans ; les Républicains, qui en contestaient l’existence, ont découvert les vertus d’un « Sénat républicain » au temps de la crise boulangiste. Le véritable chef de l’exécutif est le président du Conseil, choisi dans la majorité de la Chambre. Le suffrage universel –masculin- est désormais entré dans les mœurs et la « révolution des mairies » sonne comme la victoire des républicains. Le scrutin d’arrondissement, rétabli après l’épisode boulangiste, élimine les extrêmes et joue en faveur des républicains de gouvernement modérés et radicaux.
    L’échec du boulangisme a marqué la fin des espérances de restauration monarchique. La République triomphe après les élections législatives de 1893. Méline, issu du « parti républicain », apparaît comme la figure emblématique d’une France des « opportunistes » gouvernée au centre, qui consolide sa base paysanne et rassure par l’adoption de mesures protectionnistes. La démocratie chrétienne se développe, les socialistes progressent, la CGT est fondée en 1895. Le scandale politico-financer de Panama, qui couvait depuis plusieurs années et que le gouvernement avait tenté d’étouffer, éclate à l’automne de 1892. » (p.89-90)
    « Les élections législatives d’août et septembre 1893, marquées par une forte abstention (28.8% de l’électorat) et l’effondrement de la droite, sont fatales aux sortants compromis dans le scandale de Panama (Rouvier, Floquet, Loubet, Clemenceau). Des hommes nouveaux apparaissent (Leygues, Delcassé, Hanotaux, Barthou, Jonnart, Deschanel, Poincaré) qui seront parfois présents jusque dans les années 1930. Le scrutin ne remet pas en cause la domination des partisans d’une politique « progressiste », comme les nommera Deschanel pour remplacer l’appellation discréditée d’ « opportuniste ». Au deuxième tour, les républicains de gouvernement ont plus de 250 sièges, les radicaux 140, les socialistes ont 49 élus, dont 16 appartiennent aux formations d’extrême gauche et 20 sont des « socialistes indépendants » : Jaurès, Millerand, Viviani. Le Sénat, après les élections de 1896, compte 222 républicains modérés, 45 radicaux et environ 30 conservateurs. La composition sociale de la Chambre, toujours favorable aux classes dirigeantes, se démocratise lentement ; aux élections de 1893, 23% des députés sont issus de la noblesse, 32% de la haute bourgeoisie, 30% de la bourgeoisie moyenne, 10% de la petite bourgeoisie, 5% de la classe ouvrière. » (p.92)
    « Les radicaux reculent dans la classe ouvrière, perdent Paris et les grandes villes mais s’implantent dans la France rurale du Centre et du Sud-Ouest, en Bourgogne. Ils luttent contre les socialistes et aussi contre les opportunistes, qu’ils accusent d’être conservateurs, de négliger la « question sociale » et de pactiser avec l’Église en acceptant le Ralliement. Les radicaux sont divisés entre une aile modérée et une aile qui se proclame « radicale-socialiste ». Seul le gouvernement de Léon Bourgeois est, dans la période, un gouvernement radical homogène, avec Combes à l’Instruction publique et aux Cultes, Doumer aux Finances. Son programme de réforme de l’impôt sur le revenu et de réformes sociales effraie la droite et ne satisfait pas les socialistes ; constitué le 1er novembre 1895, il ne dure que jusqu’au 23 avril 1896. » (p.92-93)
    « Le solidarisme de Bourgeois (Solidarité, 1896) prétend fonder une morale laïque pour maintenir la cohésion sociale. Cette recherche d’un « juste milieu » entre libéralisme et socialsme, qui assimile la société à un organisme (tout être humain a une dette envers ses semblables et Bourgeois parle de « quasi-contrat »), justifie l’intervention de l’Etat pour corriger les inégalités. Cette doctrine politique, développée par Bouglé, théorisation des idées fondatrices du radicalisme, imprègne fortement l’idéologie républicaine. L’anticléricalisme est pour les radicaux une orientation philosophique et stratégique majeure. Le Comité d’action pour les réformes républicaines, crée en novembre 1895, commence à regrouper les forces qui constitueront en 1901 le parti radical. » (p.93)
    « Le 29 avril 1896 est constitué le ministère Méline –un des plus longs de la IIIe République-, qui marque l’apogée des modérés au pouvoir et dure jusqu’au 15 juin 1898. Méline, né en 1838, spécialiste des questions agricoles, prend le portefeuille de l’Agriculture en même temps que la présidence du Conseil. En janvier 1892, demandant « justice pour les agriculteurs » tout en s’occupant des intérêts du textile des Vosges dont il est lélu, il avait fait voter le double tarif douanier qui porte son nom : les productions agricoles sont protégées par des droits de douane de 5 à 20% selon les produits et le pays d’origine ; ces mesures sont complétées en 1898 par la « loi du cadenas » qui autorise le gouvernement à modifier les droits si nécessaire. Au-delà des mesures de protection douanière, qui sont la manifestation d’un « anticapitalisme culturel profondément ancré dans la société française » (Pierre Rosanvallon), Méline, chef de file des progressistes, poursuit l’œuvre des républicains qui voulaient arracher la paysannerie aux forces conservatrices.
    Méline a le soutien du Sénat et une majorité stable, l’appui des milieux d’affaires et de la petite bourgeoisie, celui des ralliés et la droite conservatrice. » (p.95-96)
    « Devant les échecs électoraux répétés des droites, le pape Léon XIII veut rompre la solidarité entre les catholiques et la monarchie et sauvegarder le concordat. En février 1892, il publie l’encyclique Au milieu des sollicitudes qui divise les catholiques (« le pouvoir constitué » qu’est la République « n’est pas seulement permis, mais réclamé, voire même imposé par la nécessité du bien social ») : Albert de Mun s’incline et esquisse en décembre 1892 le programme d’un parti « catholique et social » qui, en se plaçant sur le strict terrain constitutionnel, continue à demander « la révision de la loi scolaire et de la loi militaire ». Jacques Piou, au début de 1893, nomme Droite républicaine son groupe de la Droite constitutionnelle qui accepte les institutions mais refuse les lois laïques. En revanche, une partie des catholiques, menée par d’Haussonville, représentant du comte de Paris, refuse l’intervention du pape dans le domaine temporel.
    Les élections de 1893 sont désatreuses pour les Ralliés, qui obtiennent moins de 5% des voix et 32 sièges. Piou, de Mun, Lamy sont battus. Des électeurs de droite votent pour les républicains conservateurs qui désirent une pacification intérieure. Un centrisme –qui n’en prend pas le nom- rassemble potentiellement, outre ces modérés, des démocrates-chrétiens et des royalistes. Eugène Spuller, ministre de l’Instruction publique et des Cultes, juge que « la grande guerre est finie avec l’Église » et Casimir-Perier soutient la politique d’apaisement. […]
    Mais la « question religieuse » continue à diviser ; « l’esprit nouveau » est mis en échec lors de l’affaire Dreyfus : les liens du catholicisme avec la droite la plus extrême renforcent alors les clivages entre cléricaux et anticléricaux. » (p.97-98)
    « L’affaire Dreyfus, qui se déroule de 1894 à 1900 dans un climat d’antisémitisme et d’ « espionnite » est complexe. » (p.98)
    « Deux événements récents exacerbent l’antisémitisme dans l’opinion publique : d’une part le krach de l’Union générale dont le responsable, un financier catholique, attribu la déconfiture aux manœuvres des Rothschild et, d’autre part, le scandale de Panama, où les corrupteurs sont issus de familles juives (Jacques de Reinach, Cornélius Herz). La présence des Juifs attachés à l’idéal libéral de la Révolution française avec le camp républicain, leurs liens avec la maçonnerie contribuent à nourrir la conviction qu’existerait un « complot juif », inspirateur de la politique anticléricale. » (p.99)
    « La publication en 1886 de La France juive de Drumont constitue un tournant. […] Grand succès de l’édition -100 000 exemplaires en 1914 […] Drumont rend les juifs responsables du déclin national, réactive le thème du complot (« la conquête juive ») et ajoute aux formes d’antisémitisme déjà notées un antisémitisme racial. Hostile à la République laïque, il affirme que « le seul auquel la Révolution ait profité est le Juif ». » (p.99)
    « La Croix des Assomptionnistes se proclame « le journal le plus antijuif de France ». Avec La Libre Parole, fondé par Drumont en avril 1892, elle banalise le thème du juif corrupteur d’une France affaiblie et contribue à la propagation de l’antisémitisme. » (p.100)
    « Les dreyfusards de la première heure rassemblent leurs forces ; Lucien Herr, le bibliothécaire de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, mobilise ses amis (Félicien Challaye, Albert Mathiez, Charles Péguy, Paul Langevin, Léon Blum, Jean Jaurès, Charles Andler…). L’Aurore, créée le 19 octobre 1897, devient dreyfusarde sous l’impulsion de son rédacteur en chef Clemenceau ; le journal féministe et dreyfusard La Fronde est créé. Le 15 novembre, Mathieu Dreyfus dénonce Esterhazy. Le 7 décembre, le président du Conseil Méline déclare à la Chambre : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus ». L’Etat-Major est contraint d’organiser un procès devant un conseil de guerre ; le 11 janvier 1898, Esterhazy est acquitté.
    Le romancier Emile Zola, alors au sommet de sa carrière, publie le 13 janvier 1898 dans L’Aurore –diffusé à 200 000 exemplaires- son fameux article J’accuse, dont Clemenceau a choisi le titre. Convaincu de l’innocence du prisonnier de l’île du Diable, Zola s’est déjà servi à plusieurs reprises de la presse dont l’importance est primordiale. » (p.104)
    « Zola est condamné et contraint à l’exil. Les mois qui suivent J’Accuse sont marqués de protestations publiques, de publications, de manifestations de rue et de réunions organisées par les deux camps. A la mobilisation du « Syndicat », comme l’appellent ses ennemis, à l’activité de l’avant-garde intellectuelle du Quartier Latin qui ne dispose que de quelques organes, répond celle de la presse antidreyfusarde, majoritaire (Le Petit Journal, L’Intransigeant, La Croix…) ; la Réponse de tous les Français à Zola atteint ainsi les 400 000 exemplaires. Des manifestations antisémites sont organisées en province et en Algérie, sous la direction de Max Régis. En janvier 1898 Jaurès s’était engagé dans la campagne révisionniste alors que Guesde et Lafargue restaient sur leurs positions antérieures : « Prolétaires, ne vous enrôlez dans aucun des clands de cette guerre civile bourgeoise ! ». » (p.104)
    « L’Affaire suscite à droite une véritable floraison de ligues dont beaucoup sont antisémites. Les ligues, contrairement aux partis politiques, ne participent pas directement à la lutte électorale ; leurs objectifs et leurs méthodes diffèrent : antiparlementaires, elles privilégient les formes d’action directe et recourent éventuellement à la violence, en faisant souvent appel à un homme providentiel.
    La plus ancienne, la Ligue des patriotes, devient le fer de lance de l’agitation antidreyfusarde et le ciment du parti national. Unanimiste et républicaine lors de sa création en 1882, elle est ouvertement boulangiste en 1888 et dissoute en mars 1889 ; son président, Déroulède, patriote autoritaire qui oppose au parlementarisme une République plébiscitaire, démissionne de la Chambre des Députés en 1893. Relancée en septembre 1898, la Ligue des patriotes est une organisation structurée qui comptera 90 000 adhérents. Déroulède n’est pas antisémite et croit Dreyfus innocent ; l’Affaire lui permet de rentrer en scène et de se faire élire député d’Angoulême en 1898.
    La Ligue de la Patrie française naît en décembre 1898 d’une protestation lancée par Dausset, Syveton et Vaugeois, à qui Barrès, Coppée, Lemaître apportent leur soutien. Symétriquement à la Ligue des Droits de l’Homme, elle veut regrouper les antidreyfusards, se déclare républicaine et, à ses débuts, répudie l’antisémitisme ; elle connaît un grand succès, créant à partir de 1900 des comités dans toute la France, animant la coalition victorieuse aux élections municipales de Paris en mai 1900, dirigeant le mouvement nationaliste et l’opposition de droite. A ses débuts, La Revue des Deux Mondes, L’Echo de Paris lui servent d’organes. Alors que la Ligue des Patriotes est un instrument de propagande et de lutte, la Ligue de la Patrie française fournit les élus. En recul après l’échec des droites aux élections de 1902, ce « rassemblement hétéroclite de la France bourgeoise » glisse « vers un conservatisme banal de défense sociale et religieuse au temps du combisme » (Jean-Pierre Rioux) ; elle s’effondre après le scandale de l’affaire Syveton, et disparaît en 1910.
    Jules Guérin refonde au printemps 1897 la Ligue antisémitique, créée autour de Drumont en 1889, et s’appuie sur les bouchers de la Villette, gardes du corps de Morès mort en 1896 aux confins algériens. Guérin, qui réunit une dizaine de milliers d’adhérents, rompt avec Drumont en 1898, se vend aux royalistes et mène une agitation de rue en 1898-1899. Les actions violentes de la Ligue antisémitique provoquent des morts d’hommes en Algérie. Menacé d’arrestation, Guérin s’enferme pendant quarante jours avec ses militants dans un immeuble de la rue de Chabrol à Paris. Le siège tragi-comique du Fort-Chabrol (août-septembre 1899) cesse quand l’assaut est imminent. La condamnation de Guérin en janvier 1900 provoque l’effondrement de la Ligue antisémitique.
    La Jeunesse antisémitique, créée en 1894, prend son essor quand Dubuc en devient le chef en 1896 ; elle connaît son apogée en 1901, puis se transforme en Parti national antijuif. Le Comité national antijuif, fondé en 1901 par Drumont, Devos et Méry, devient en 1903 la Fédération nationale antijuive et draine les subsides électoraux de la droite en 1902. Les Volontaires de la liberté (Jeunesse d’action antijuive), liguée fondée en 1903 et présidée par Méry, regroupe des militants catholiques et royalistes. » (p.105-107)
    « L’initiative individuelle de Zola est suivie d’un texte collectif : le 14 janvier 1898, L’Aurore publie un court texte intitulé « Une protestation », suivi d’une liste de signataires qui « contre la violation des formes juridiques au procès de 1894 et contre les mystères qui ont entouré l’affaire Esterhazy, persistent à demander la révision » ; en tête des signataires, Emile Zola, Anatole France, membre de l’académie française, Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur ; derrière eux, le jour même et les jours suivants, une liste de noms : Gregh, Halévy –Daniel et Elie-, Quillard, Fénéon, secrétaire de La Revue blanche, Proust, Herr, Andler, Durkheim… Une deuxième pétition, plus légaliste, demande « de maintenir les garanties légales des citoyens contre tout arbitraire », avec notamment Sorel, Séailles, Desjardins… ; les deux pétitions se confondent rapidement et vont grouper environ 2000 noms en une quarantaine de listes. Derrière les professeurs (Gabriel Monod, Charles Seignobos…) se liguent des noms peu connus de ceux que l’on va bientôt appeler les « intellectuels », écrivains et artistes d’avant-garde, jeunesse des écoles. Le 23 janvier, Clemenceau baptise les signataires d’un substantif – « intellectuel »- qui préexiste à l’Affaire mais va désormais connaître une grande fortune en France. Dans Le Journal du 1er février, Barrès, en critiquant « la protestation des intellectuels », popularise le terme. » (p.107-108)
    « L’affaire Dreyfus fait émerger avec « l’intellectuel dreyfusard » un nouveau pouvoir spirituel, qui se pose en rival de celui de l’élite politique et sociale. Dans le même temps apparaît un anti-intellectualisme qui est souvent le fait d’autres intellectuels. Révélateur d’une société, l’Affaire est aussi un « mythe fondateur » (Michel Winock), qui, important dans la culture politique française, va connaître une postérité certaine. » (p.108-109)
    « Félix Faure meurt soudainement le 16 février 1899. A Méline le Congrès préfère Loubet, qui avait refusé la création d’une commission d’enquête sur l’affaire de Panama ; celui-ci est chahuté par les nationalistes aux cris de « Panama Premier ». Le jour des obsèques de Faure, le 23 février 1899, Déroulède improvise un coup d’Etat et tente de faire marcher sur l’Elysée le général Roget, qui refuse de « sauver la France et la République » ; Déroulède est lâché par les troupes nationalistes et le complot échoue lamentablement. » (p.111)
    « La République paraît menacée : Déroulède est acquitté par la Cour d’assises en mai 1899, le baron Christiani frappe le président de la République à Auteuil le 4 juin- la gauche répliquant, une semaine plus tard à Longchamp, par une contre-manifestation-, Marchand, applaudi par les nationalistes, fait un retour triomphal après le recul de Fachoda. Cette atmosphère de coup d’Etat va provoquer un réflexe de défense républicaine. A partir de 1899, deux blocs s’opposent : socialistes, radicaux, et centre « waldéckiste » d’une part ; de l’autre, centre « méliniste », nationalistes et monarchistes. » (p.112)
    « La politique militante de Combes est caractérisée par un anticléricalisme virulent. Par le décret du 27 juin 1902, il fait fermer les 125 écoles religieuses ouvertes depuis le vote de la loi du 1er juillet 1901 ; puis les 3000 écoles ouvertes sans autorisation avant le vote de la loi reçoivent l’ordre de fermer dans les dix jours. Les protestations sont vives. De mars à juillet 1903, le Parlement rejette en bloc toutes les autorisations déposées par les congrégations : 2500 écoles religieuses sont fermées. Environ 1500 congrégations, prédicantes, enseignantes et commerçantes (Chartreux), sont dissoutes. Les congréganistes sont interdits de prédication. Les résistances entraînent le gouvernement et la majorité au-delà des limites de la loi de 1901. Des juges se démettent, des officiers démissionnent. Le 27 juin, Waldeck-Rousseau proteste : une « loi de contrôle » est transformée en « loi d’exclusion ». Le 18 décembre, Combes présente un projet de loi qui interdit l’enseignement « de tout ordre et de toute nature » à tout membre d’une congrégation. Des radicaux modérés, tel Doumer, dénoncent les « procédés bonapartistes » de Combes. Millerand critique l’insuffisante politique sociale de Trouillot. » (p.116-117)
    « L’affaire des fiches hâte l’éclatement du Bloc des gauches, mais ne profite pas politiquement à l’opposition de droite. A Combes succède le 24 janvier 1905 Maurice Rouvier, un banquier lié au monde des affaires, éclaboussé naguère par le scandale de Panama, ministre des Finances dans le gouvernement du Bloc des Gauches. Rouvier, qui est président du Conseil jusqu’au 7 mars 1906, va faire face à la crise au Maroc et régler la question de la Séparation. » (p.119)
    « La Croix publie le 28 février l’encyclique Vehementer nos qui condamne la Séparation « comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu qu’elle renie officiellement ». » (p.122)
    « Le catholicisme français, qui a soutenu l’Empire autoritaire, l’Ordre moral et les tentatives de restauration monarchique, tente de trouver place dans le système politique républicain. Dans les années 1890 se développe le mouvement du catholicisme social qui s’inscrit dans la tradition intransigeante et contre-révolutionnaire illustrée par Albert de Mun et La Tour du Pin. Au confluent du catholicisme libéral et du catholicisme social se constitue à partir de 1893 une « seconde démocratie chrétienne » (la première se situant vers les années 1848) qui connaît son apogée en 1897. Mais elle ne s’impose pas et s’effondre en 1898 sans connaître de débouché politique ; un grand parti d’inspiration chrétienne à l’image du Zentrum allemand ne se réalise pas en France. Dès 1901, l’encyclique Graves de Communi rappelle à l’ordre les démocrates-chrétiens et restreint la démocratie chrétienne au sens de « bienfaisante action sociale pour le peuple ».
    A partir de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII (mai 1891) sur la « question sociale » et du Ralliement à la République prescrit par le pape aux catholiques en 1892, les catholiques sociaux édifient un projet politique qui ne se limite pas à la doctrine de l’Eglise sur l’amélioration du sort des classes populaires, mais « porte en lui un projet global de société » (Jean-Marie Mayeur). Henri Lorin, Léon Harmel, l’abbé Lemire, Georges Goyau, entendent rester fidèles à l’esprit du Syllabus et fonder une « société chrétienne » sur la base de la cellule familiale. Ces catholiques opèrent un renversement : la démocratie n’est pas seulement « pour » le peuple mais aussi « par » le peuple ; s’ils condamnent la société moderne issue de la Réforme et la Révolution qui laisse l’individu isolé face à l’Etat, ils en viennent à accepter les fondements politiques de celle-ci. » (p.125-126)
    « Le syndicalisme chrétien compte 100 000 adhérents en 1914, plus que la CGT. » (p.127)
    « A la fin de l’année 1893, Paul Renaudin et Marc Sangnier, né en 1873, fondent un mouvement qui prend pour nom Le Sillon en 1899. » (p.129)
    « Depuis le milieu du siècle, le judaïsme français est majoritairement urbain : en 1900 environ 50 000 des 80 000 juifs de France vivent à Paris. La capitale, qui regroupe 5% de la population française, retient donc plus de la moitié des juifs, exerçant aux 2/3 dans le tertiaire, surtout dans le commerce et dans les professions libérales et supérieures. Les sépharades, souvent descendants de juifs espagnols ou portugais, sont intégrés dans le Sud-Est et le Sud-Ouest. L’immigration du XIXe siècle renforce la communauté ashkénaze constituée par les juifs d’Europe orientale : des immigrants misérables, fuyant à partir des années 1880 les pogroms russes, recréent leurs structures communautaires et renforcent le courant orthodoxe. Des juifs religieux désireux d’accomoder leur religion aux exigences de la vie moderne constituent l’Union libérale israélite et inaugurent leur synagogue en 1907, rue Copernic à Paris. La pratique religieuse diminue et un débat se déroule entre traditionalistes et modernisateurs. Le sionisme politique de Herzl rencontre alors peu d’écho.
    L’affaire Dreyfus fait prendre conscience d’une altérité, imposée de l’extérieur, à des juifs souvent agnostiques ou athées, soucieux d’assimilation et acquis au régime républicain, comme en témoigne le grand nombre de « Juifs d’Etat » étudiés par Pierre Birnbaum. L’antisémitisme remet en cause le rêve d’une intégration harmonieuse prophétisée par Anatole Leroy-Beaulieu en 1893 dans Israël chez les nations. » (p.131)
    « Dans les années 1899-1905, se constituent des partis politiques organisés qui, à l’exception du PCF, vont régir la vie politique française jusqu’en 1939 : à gauche, le Parti républicain radical et radical-socialiste (1901) et la SFIO (1905) ; au centre et à droite […] l’Alliance Républicaine Démocratique (1901), l’Action libérale (1902), la Fédération républicaine (1903). […]
    L’Alliance républicaine démocratique (ARD) naît de la scission de ceux des progressistes qi, en désaccord avec Méline sur l’affaire Dreyfus, votent la confiance à Waldeck-Rousseau le 22 juin 1899. A partie de 1907, l’ARD bascule du centre-gauche vers le centre-droit et s’éloigne de ses alliés du Bloc.
    L’ARD, qui reprend la formule « ni réaction ni révolution », est fondée le 23 octobre 1901 pour « ne pas laisser aux radicaux le monopole de la défense républicaine et leur disputer l’axe de « grand parti républicain » (Rosemonde Sanson). Cet « état-major sans troupe » (Barthou, Deschanel, Fallières, Poincaré…), qui a pour président désigné à vie Adolphe Carnot, compte 39 députés et 39 sénateurs en 1902, 30 000 adhérents en 1910. L’ARD, qui veut « une République ordonné et libérale […] anticollectiviste […] antinationaliste mais jalouse gardienne de la patrie, anticléricale mais non antireligieuse […] sagement et profondément réformatrice », fait partie du Bloc des Gauches de 1901 à 1907. Elle compte en son sein de « vieux routiers de la politique » (Jean-Marie Mayeur), qui entretiennent souvent des liens étroits avec le monde des affaires : Etienne, défenseur des intérêts coloniaux, ou Rouvier, qui crée en 1901 la Banque française pour le Commerce et l’Industrie. Elle bénéficie de l’appui de plusieurs titres de province et de grands journaux parisiens : Le Petit Parisien de Jean Dupuy, ministre de l’Agriculture dans le cabinet Waldeck-Rousseau, Le Matin, favorable à Waldeck-Rousseau puis à Poincaré, Le Temps d’Adrien Hébard, « gouvernemental par inclination, modéré de tendance » (Pierre Albert).
    Libéraux et réformistes, les dirigeants de l’ARD veulent réconcilier le capital et le capital et le travail et n’appuient pas le projet d’impôt sur le revenu présenté par Caillaux, un des leurs jusqu’en 1912. Fidèles à la République parlementaire, ils sont attachés à la laïcité et refusent de se commettre avec les cléricaux ; la ligne de clivage, fondamentale dans la vie politique française, entre l’ARD laïque et la Fédération républicaine ou l’ALP est explicitement définie par Poincaré quand il déclare en 1912 à Charles Benoist être séparé de lui par « toute l’étendue de la question religieuse ». Lord de son congrès de décembre 1911, l’Alliance se transforme en Parti républicain et, à la veille des élections de 1914, d’anciens socialistes comme Millerand ou Briand s’en rapprochent et forment avec Barthou et Dupuy la Fédération des Gauches. » (p.132-133)
    « Fondée au sein de la Ligue de la Patrie française, l’école d’Action française n’a a l’origine aucune attache avec le royalisme. Henri Vaugeois et Maurice Pujo, deux républicains membres de la dreyfusarde Union pour l’Action morale de Paul Desjardins, créent le 8 avril 1898 le Comité d’Action française avec une première équipe bigarrée ; leur but est de rassembler des intellectuels antidreyfusards opposés au régime parlementaire. En janvier 1899, Charles Maurras, né en 1868, les rejoint et s’impose comme le maître de cette école […]
    Le premier numéro de la revue L’Action française paraît le 10 juillet 1899 et Vaugeois donne un article-manifeste le 1er août 1899 : « Réaction d’abord ». Mais c’est Maurras qui donne corps à sa doctrine en 1900 dans l’Enquête sur la Monarchie –qui doit être « traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée », que complètent notamment L’Avenir de l’intelligence (1905) et Kiel et Tanger (1910), où il juge la République incapable de mener une politique étrangère. Maurras effectue une synthèse entre le monarchisme, qui semble caduc, et le nationalisme autoritaire des ligues. A la tradition ultraciste contre-révolutionnaire il associe le populisme. Son nationalisme qui prétend lutter contre la décadence est un nationalisme d’exclusion. Sa philosophie doit beaucoup au positivisme d’Auguste Comte (« la soumission est la base du perfectionnement ») et se veut un « empirisme organisateur » ; elle rejette toute forme d’individualisme, exalte la tradition, donne la priorité absolue à la collectivité. Le classicisme est le fonds du système politique de Maurras. « Maurras a deux obsession, écrit Barrès en 1905. C’est de combattre le romantisme et la révolution. Il y voit un arrêt de nos traditions ». Antisémite, antimaçonnique et anticapitaliste, l’Action française est tout autant hostile à la démocratie et aux Lumières qu’au libéralisme et au parlementarisme. […]
    Bénéficiant d’une conjoncture favorable, celle de la lutte de la République radicale contre le catholicisme, [Maurras] recueille des sympathies chez des fidèles, dans le clergé, chez des théologiens et quelques évêques.
    L’AF se flatte d’être le parti de l’intelligence et enrôle nombre d’intellectuels : Bourget, Massis, Bernanos, Gaxotte. […]
    La ligue est créée en 1905 et un Institut –sorte de contre-Sorbonne- en 1906 ; le service d’ordre des Camelots du Roi est fondé à l’automne 1908. Le 21 mars 1908 paraît le premier numéro du quotidien L’Action française et le contrôle du viel appareil royaliste s’affectue à partir de l’automne 1911. L’AF connaît alors son premier apogée, profitant de l’appui des milieux catholiques et de la conjoncture internationale […] Avant la guerre se manifestent des oppositions catholiques au maurrassisme ; Pie X fait ouvrir une enquête sur l’AF en 1913 et, en 1914, la revue d’Action française et des œuvres de Maurras sont mises à l’Index, mais cette première condamnation romaine demeure secrète. 1918 marque « l’apogée de la première partie du mouvement », note Pierre Nora. Il faut attendre 1926 pour voir condamnés Maurras. » (p.136-138)
    « Le Parti radical est le premier parti moderne constitué en France ; il est l’héritier d’un courant idéologique apparu sous la monarchie de Juillet, le radicalisme, qui a pour but d’instaurer la démocratie politique et sociale. Après la mise en place de la République, il s’affirme comme une force indépendante face aux modérés républicains de gouvernement devenus conservateurs ; les radicaux des années 1880 (Brisson, Bourgeois, Clemenceau, Pelletan) sont encore proches du programme de Belleville de 1869 : attachés aux principes de la Révolution, anticléricaux, ils sont pour la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, pour la suppression du Sénat, pour l’impôt sur le revenu. Pris dans le « roulis boulangiste » et le « tangage de Panama » (Jacques Kayser), les radicaux, affaiblis par l’affaire Dreyfus, participent au cabinet du modéré Waldeck-Rousseau.
    Le congrès de fondation du Parti républicain, radical et radical-socialiste a lieu le 20 juin 1901 ; il rassemble 78 sénateurs, 201 députés, 476 comités, 155 loges maçonniques, 489 maires, conseillers généraux et conseillers d’arrondissement, 215 journaux. » (p.139)
    « A Nancy en 1907, les radicaux se donnent un programme centriste et gouvernemental, éloigné de celui des débuts de la IIIe République, qui repose sur trois piliers : l’attachement aux « institutions républicaines », assimilées à la République elle-même (l’existence du Sénat n’est plus remise en cause) ; un réformisme social qui, s’appuyant sur le solidarisme, rejette la lutte des classes, refuse le libéralisme et préconise les nationalisations et l’intervention de l’Etat ; un refus de l’antipatriotisme, du nationalisme et de la caste militaire et, en politique étrangère, le désir d’instituer un droit international par la création d’une « Société des Nations ». L’athéisme est une composante essentielle du radicalisme. » (p.140)
    « Au début des années 1890, le socialisme français est partagé en cinq grands courants : le Parti ouvrier français de Guesde, le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire d’Allemane, la Fédération des travailleurs socialistes de Brousse ; les héritiers de Blanqui, regroupés dans le Comité central révolutionnaire, avec pour leader Edouard Vaillant ; enfin, les socialistes « indépendants » (Malon, Millerand, Viviani, Briand, Jaurès). » (p.141-142)
    « Le nombre d’adhérents de la SFIO augmente : 43 500 en 1906, 90 000 en 1914, alors que le SPD compte plus d’un million d’adhérents. Aux législatives, elle passe de 10% des voix et 52 élus en 1906 à 16.8% et 103 élus en 1914. » (p.144)
    « Clemenceau fait voter le rachat des chemins de fer de l’Ouest par l’Etat en 1908. » (p.154)
    « Le nombre de grèves croît de 1896 à 1906 avant de se stabiliser. 1906 bat les records : 9 400 000 journées perdues, 438 500 grévistes. » (p.154-155)
    « La loi sur les retraites, adoptée en 1910, se heurte à l’hostilité de la CGT et du patronat. » (p.159)
    « La loi de 1913 institue l’isoloir. » (p.161)
    « Poincaré, président du Conseil (janvier 1912-janvier 1913) puis président de la République, est la figure dominante de l’immédiate avant-guerre. » (p.164)
    « Les guesdistes, pour qui l’internationalisme n’est « ni l’abaissement ni le sacrifice de la patrie », rejettent l’idée de grève générale car ils croient, comme les sociaux-démocrates, que la résistance entraînerait la défaite du pays où le socialisme est le plus fort. » (p.165)
    « Les convergences de ces deux hommes de lettres paraissent indéniables : également élitistes, traditionalistes, décentralisateurs, antisémites, antidreyfusards, ils partagent le sentiment que la France est en décadence. […] Barrès et Maurras croient en la nécessité d’une réaction nationale mais divergent sur la question du régime : Barrès, dans ses Cahiers, dit aimer « la République, mais armée, glorieuse et organisée. ». » (p.168)
    « Chaque année, plusieurs milliers de jeunes Alsaciens-Lorrains (16 000 en 1914) passent la frontière pour ne pas faire leur service militaire en Allemagne. La presse française se fait l’écho de manifestations francophiles qui secouent les provinces annexées, où quelques protestataires (l’abbé Weterlé, le dessinateur Hansi) sont emprisonnés. L’école française de musique (Saint-Saëns, César Franck, Vincent d’Indy, Debussy, Fauré) est jugée supérieure à l’art agnérien en vogue avant 1900. » (p.170)
    « En janvier 1914 meurt Deroulède, chantre du nationalisme revanchard ; Barrès lui succède à la tête de la Ligue des Patriotes. » (p.171)
    « Emile Faguet, en 1913, dans sa préface au livre de Gaston Riou, voit « la France des grands B » (Brunetière, Bourget, Bazin, Barrès, Bordeaux) aux écoutes de la France qui vient. La question nationale et la conscience des périls extérieurs reviennent au premier plan. » (p.172)
    « Pas moins de 210 projets de réforme fiscale sont élaborés entre 1870 et 1914. Le parti radical en fait un de ses chevaux de bataille, voulant substituer une fiscalité directe à une fiscalité indirecte qui pèse sur les revenus modestes et qui représente plus de 80% des rentrées fiscales en 1900. Le projet, qui établit un taux d’imposition proportionnel au revenu global et une obligation de déclaration, déclenche une levée de boucliers : adopté par la Chambre en 1909, il échoue devant le Sénat. Repris en 1913, il reste en suspens après la démission de Caillaux. Finalement, c’est après la victoire de la gauche que le cabinet Viviani fait voter l’impôt sur le revenu le 15 juillet 1914. » (p.175)
    « A la fin du XIXe siècle, grâce surtout à l’école et à la presse, la culture écrite connaît un apogée. L’imprimé, avec des formes et des genres nouveaux, conquiert toute la société. A une culture orale succède une culture écrite de masse ; la lecture se généralise ; en 1914, l’analphabétisme, combattu par les progrès de la scolarisation, touche moins de 4% de la classe d’âge qui arrive à vingt ans. » (p.179)
    « Entre 1877 et 1914, le budget de l’Instruction publique sextuple ; il représente 6% du budget de la nation à la veille de la guerre. » (p.179)
    « L’instituteur est un personnage clé de la IIIe République. De 1896 à 1914, il y a environ 150 000 maîtres primaires, tant publics que privés. […]
    En 1912-1913, l’école primaire publique est fréquentée par 4 601 000 élèves ; les élèves des écoles primaires privées sont 1 068 000. […]
    Le maître d’école, payé directement par l’Etat depuis 1889, vit dans des conditions matérielles et morales difficiles. Sa situation matérielle –parfois proche de la misère, comme en témoigne Jean Coste de l’instituteur Lavergne, que publie Péguy- s’améliore au début du siècle : en 1905, l’échelle des traitements va de 1100 à 1200 francs, alors que l’ouvrier mineur gagne 1300 francs. » (p.180)
    « Républicains, ils dispensent non seulement un savoir mais aussi une « foi laïque », selon l’expression de Buisson, directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896. Ils promeuvent une morale rationaliste, la foi dans le progrès, la passion de la science. Péguy vante « le civisme même et le dévouement sans mesure à l’intérêt commun » de ces jeunes maîtres « beaux comme des hussards noirs ». La cohésion sociale extrêmement forte des Français, sensible pendant la guerre de 1914, est « pour une large part l’œuvre de ces instituteurs qui se situent dans la tradition de Michelet et de Jules Ferry » (Georges Duveau). » (p.181)
    « La scolarité dure de l’âge de 6 ans jusqu’au certificat d’études qu’on passe entre 11 et 13 ans (25% de la classe d’âge l’obtient en 1902). » (p.181)
    « Barrès dans Les Déracinés, après Bourget dans Le Disciple, dénonçait le professeur de philosophie comme un manipulateur de consciences, un corrupteur de la jeunesse. » (p.186)
    « La Belle Epoque est aussi l’âge d’or de la presse : le journal, instrument d’une nouvelle culture, est le principal des médias dans la France d’avant 1914. La diffusion de la presse quotidienne progresse fortement grâce à l’alphabétisation généralisée, à la soif de lecture et aux progrès techniques réalisés. Les journaux, qui satisfont les goûts et les curiosités d’un vaste public, font une large place au fait divers et au roman-feuilleton.
    Le prix de vente baisse : le journal est le plus souvent « à un sou » (5 centimes) en 1900. Le format des journaux s’accroît et passe à huit pages. Le développement de la presse s’accompagne d’une augmentation du nombre de journalistes, qui constituent un nouveau milieu professionnel distinct de celui des gens de lettres : en 1910 plus de 6000 pour toute la France, dont une bonne moitié à Paris. […]
    La puissance du quotidien s’affirme au moment de l’affaire Dreyfus qui « tient tout de la presse et lui a tout donné » (Pierre Nora). Les journaux qui se caractérisent par leur violence polémique transforment l’Affaire en bataille politique nationale. La presse est majoritairement antidreyfusarde par milantisme ou par conformisme social.
    La censure a été abolie par la loi du 29 juillet 1881 mais, par le délit d’outrage aux bonnes mœurs, les écrits peuvent être réprimés. La presse libertaire (Le Père peinard de Pouget, La Révolte de Grave), les antimilataristes (Tailhade, Hervé, Yvetot) subissent les coups de la justice. » (p.186-187)
    « En 1914, le tirage des 80 journaux parisiens est de 5 500 000 millions d’exemplaires, celui des 252 titres provinciaux de 4 millions. En tête des quatre grands quotidiens, entreprises indépendantes qui, financièrement très solides, exercent une influence nationale, vient Le Petit Parisien avec un million et demi de numéros vendus chaque jour, suivi par Le Matin, Le Journal et Le Petit Journal atteint un million d’exemplaires en 1898 mais son directeur, Ernest Judet, choisit le camp antidreyfusard et son titre se fait doubler par Le Petit Parisien. Le directeur Jean Dupuy, toujours proche du gouvernement en place et plusieurs fois ministre, défend la République laïque et socialement modérée ; il reprend la formule de son concurrent (éditoriaux, faits divers, articles de vulgarisation, feuilletons, sport, concours) et peut justement proclamer que Le Petit Parisien est « le plus fort tirage des journaux du monde entier ». Le Matin de Maurice Brunau-Varilla –où écrivent Octave Mirbeau, Colette…- dépasse le million d’exemplaires en 1914 ; compromis dans le scandale de Panama, c’est un des titres qui sont intéressés à la vente des emprunts russes. Le Journal de Fernand Xau vise le même public des classes moyennes que Le Matin, organise de grands concours et s’attache de grandes signatures (Barrès, Gyp, parfois Zola, Allais, Courteline…).
    Les grands titres de la presse politique parisienne sont Le Journal des Débats (26 000 exemplaires en 1910) et Le Temps (35 000 exemplaires en 1904, 45 000 en 1912) qui se vendent encore dix centimes. Le Temps, lié aux milieux d’affaires sous la direction d’Adrien Hébard, est le « quotidien des élites républicaines, économiques, politiques, intellectuelles, politiquement modérées » (Marc Martin) ; de 1905 à 1914, Tardieu rédige le « Bulletin de l’Etranger », inspiré par la politique officielle. La bonne société lit aussi le monarchiste Gaulois d’Arthur Meyer (20 à 30 000 exemplaires) ou le républicain conservateur Figaro qui passe de 75 000 à 20 000 exemplaires à cause de l’engagement dreyfusard de son directeur, Fernand de Rodays. Dans L’Echo de Paris (135 000 exemplaires en 1912), catholique et conservateur, que dirige Henry Simond, écrit « la France des grands B » (Bourget, Bazin, Barrès, Bordeaux).
    A côté des journaux de combat : L’Intransigeant de Rochefort (70 000 exemplaires en 1910), La Libre Parole de Drumont (47 000 exemplaires), L’Autorité de Cassagnac (24 000), une nouvelle presse catholique est apparue en 1883 avec La Croix, antisémite et antidreyfusarde, relayée par de nombreuses Croix départementales (300 000 exemplaires en 1912). L’Action française, quotidienne en 1908, tire à 22 000 exemplaires en 1912.
    Parmi les nombreux journaux militants figurent La Justice de Clemenceau (1894), L’Aurore, lancée en octobre 1897 par Ernest Vaughan, qui publie le « J’Accuse » de Zola, La Fronde (1897) de Marguerite Durand, L’Homme libre (1913) de Clemenceau avec Georges Mandel. Sous la direction de Jaurès qui succède à Millerand, La Petite République atteint les 100 000 exemplaires. Le premier numéro de L’Humanité, fondé par Jaurès, paraît le 18 avril 1904. France, Renard, Halévy, Herr, Aulard collaborent à cet organe de la SFIO où se côtoient les tendances du parti. L’humanité tire entre 60 000 et 70 000 exemplaires.
    En province comme à Paris, un nouveau public assure le succès d’organes qui sont le support de la vie politique départementale ou régionale. » (p.187-189)
    « C’est sur le double épuisement du naturalisme et du symbolisme que s’ouvre la Belle Epoque : le dernier recueil parnassien, les Trophées de José Maria de Heredia, paraît en 1893, l’année où meurt Maupassant et où Zola, au faîte de sa gloire mais en butte aux attaques de certains de ses disciplines, clôt ses Rougon-Macquart avec Le Docteur Pascal. Leconste de Lisle meurt en 1894, Verlaine en 1896. Mallarmé en 1898. En 1897, Mallarmé, pour qui la poésie est l’aventure spirituelle par excellence, a publié Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, l’expérience la plus extrême du symbolisme.
    Le nombre d’écrivains croît considérablement. » (p.194)
    « André Gide réagit avec vigueur contre la thèse de l’enracinement et la valeur de la tradition. Ce sont pour lui l’ouverture et la disponibilité de l’individu qui font l’originalité : « le déracinement peut être une école de vertu ». Le héros de L’immoraliste (1902), qui doit au surhomme de Nietzsche, s’ouvre avec audace à ces Nourritures terrestres qu’il célébrait en 1897. Celui des Caves du Vatican (1914) cherche à se libérer par un acte gratuit. » (p.195-196)
    « La Belle Epoque est aussi un âge d’or pour les revues, qui expriment la vitalité d’une culture. Généralistes ou spécialisées, elles couvrent tous les domaines et sont souvent des lieux où se constitue une communauté. Brunetière règne sur l’académique Revue des Deux Mondes qui compte 28 000 abonnés et publie œuvres littéraires, études scientifiques, articles polémiques ; René Doumic tient à la critique littéraire, la vie politique est analysée par Francis Charmes. La Revue de Paris, où la littérature tient une place importante, est lancée en 1894 avec Lavisse pour directeur afin de concurrencer La Revue des Deux Mondes.
    Mais ce sont surtout les nombreuses petites revues littéraires qui marquent la période (plus de 250 naissent entre 1890 et 1914) ; ces lieux d’innovation, parisiens, ont souvent une vie brève. Quelques revues d’avant-garde se détachent. Le Mercure de France, créée par une dizaine d’écrivains (Dumur, de Gourmont, Renard…) réunis autour d’Alfred Valette en 1889, publie de la poésie, des nouvelles, s’intéresse à l’actualité culturelle ; les arts y tiennent une place de plus en plus grande. Prolongée en 1894 par une maison d’édition, elle fait connaître Rimbaud, Villiers de l’Isle-Adam, Laforgue, Moréas, Bloy, Duhamel, Louÿs, Valéry ainsi que Kipling, Wells, Tolstoï et elle introduit Nietzsche en France. » (p.197)
    « La Revue blanche est la concurrente du Mercure de France jusqu’en 1903. Fondée en 1899 à Liège par des jeunes gens fortunés et des poètes symbolistes, elle se transporte à Paris et devient le type même de la revue d’avant-garde éclectique. […] La revue, dont l’audience dépasse les 10 000 lecteurs, est dirigée par les frères Natanson et Lucien Muhlfeld, à qui succède l’écrivain anarchiste Félix Fénéon. Elle fusionne avec Le Banquet en 1893. […] Elle est célèbre par ses collaborateurs : Proust, Mallarmé, Benda, Renard, Péguy, Mirbeau. Tristan Bernard et Léon Blum tiennent la « critique du sport » ; Blum et Gide rendent compte des romans, Debussy des concerts, Gustave Kahn de la poésie. La Revue blanche soutient aussi bien Jarry et son Ubu roi que les œuvres d’Ibsen, Strindberg, Grieg ou de Nietzsche, Wilde, Twain. La maison d’édition dont elle se dote en 1897 publie Claudel, Sienkiewicz et Tchekhov. Revue symboliste, La Revue blanche vénère Verlaine et Mallarmé. Revue politique libertaire, elle publie sur la Commune une de ces enquêtes dont l’époque est friande ; activement dreyfusarde, elle rompt avec Barrès qu’elle admirait par la plume de Lucien Herr, le 15 février 1898, et rend un « Hommage à Zola ».
    Charles Péguy lance en janvier 1900 les Cahiers de la Quinzaine dont les numéros, à l’origine composés d’enquêtes, lettres, comptes rendus ou études, sont consacrés ensuite à la publication d’œuvres originakes ou à des textes du « gérant » sur de nombreux sujets contemporains. Péguy publie Crainquebille d’Anatole France, Jean-Christophe, roman-fleuve en dix volumes de Romain Rolland (1904-1912).
    La Nouvelle Revue Française, née en 1908, prend son vrai départ en 1909 ; créée par un groupe d’amis (Jean Schlumberger, Henri Ghéon, Jacques Copeau, André Ruyters, Marcel Drouin) regroupés autour d’André Gide, elle refuse le réalisme et l’académisme, juge incompatibles l’engagement et la littérature et donne la préférence aux créations littéraires originales : dès le premier numéro paraît La Porte étroite de Gide, qui refusera Proust. Giraudoux, Jaloux, Larbaud, Claudel, Alain-Fournier collaborent à une revue qui s’ouvre sur l’étranger. A partir de 1910, la NRF prend en charge la partie littéraire des « Décades de Pontigny » de Paul Desjardins, où se retrouve l’élite intellectuelle. En 1911 est crée le « Comptoir d’éditions » qui, géré par Gaston Gallimard, publie les auteurs de la maison.
    Les Soirées de Paris de Billy et Apollinaire, créée en 1912, « la plus moderne des revues actuelles », rend compte des œuvres de Matisse, Delaunay, Gleizes, Laurencin, Picabia, de la Fresnaye, du Douanier Rousseau, de Picasso, publie des poèmes d’Apollinaire, Max Jacob, Francis Carco, fait une large place à l’avant-garde française et étrangère.
    L’instance de consécration officielle et mondaine qu’est l’Académie française est un bastion antidreyfusard, vivier de la Ligue de la Patrie française. » (p.198-199)
    « Le salon de la comtesse de Loynes, où règne Jules Lemaître, évolue vers la droite nationaliste et antidreyfusarde, réunissant Barrès, Rochefort, Drumont, Daudet, Coppe, Déroulède. » (p.200)
    « Renan meurt en 1892, Taine en 1893 mais leur influence perdure. Barrès a sur son bureau les photographies des deux hommes et Péguy dit que sa génération s’est reconnue dans L’Avenir de la Science. Alors que le néokantisme domine, l’œuvre de Nietzsche commence à se répandre vers 1900. Le marxisme touche d’abord des hommes politiques ou des syndicalistes mais ni Jaurès, ni Herr, ni Andler ne viennent au socialisme par le marxisme. Georges Sorel, dont la pensée « fin de siècle » est hantée par la décadence, révise le marxisme et refuse le déterminisme du « socialisme scientifique » ; il fait l’apologie du syndicalisme révolutionnaire et voit dans la grève générale un « mythe mobilisateur ». Déçu de la « révolution dreyfusienne », il publie en 1908 les Réflexions sur la violence et en vient à contester la démocratie libérale, se rapprochant de l’extrême-droite.
    L’hostilité au matérialisme, manifeste sur les plans esthétique et spirituel chez Villiers de l’Isle-Adam ou Bloy, se cristallise avec Bergson : l’auteur des Données immédiates de la conscience (1889) oppose au rationalisme une connaissance immédiate qui permet d’atteindre la réalité du Moi et des choses hors de toute mesure objective, dans la saisie de la durée pure ; il poursuit son analyse dans Matière et Mémoire (1896), dans L’Evolution créatrice (1907), où la vie est présentée comme une création continue permettan d’échapper à tout déterminisme mécaniste. […] Bergson devient un véritable maître à penser à ses conférences au Collège de France suscitent un engouement mondain. Puis il a « contre lui tout le monde », dit Péguy : l’Action française, les positivistes, et des catholiques qui, tel Jacques Maritain, obtiennent en 1914 sa mise à l’Index.
    Des découvertes et des théories nouvelles –notamment celle de Darwin- révolutionnent la biologie au XIXe siècle mais sont indûment utilisées à des fins idéologiques et politiques. Le « darwinisme social » qui se développe à la fin du siècle et rejette les idéaux de 1789 met l’accent sur la lutte entre les groupes : les sociétés humaines font partie de la nature et les lois naturelles (la « lutte pour l’existence ») sélectionnent les plus aptes. Vacher de Lapouge –dont l’eugénisme n’acquiert pas droit de cité en France –développe une théorie de l’histoire fondée sur un racisme essentialiste : le mélange racial et le métissage, en dissolvant les qualités supposées des races supérieures, provoqueraient la décadence et il envisage une sélection systématique pour éviter « la destruction des meilleurs par les pires parmi les hommes vivant en société ». Jules Soury, maître à penser de Barrès, est un « médiateur entre le néo-darwinisme de la fin du siècle et le nationalisme musclé », note Pierre Milza dans Les Fascismes. Gustave Le Bon, vulgarisateur d’une branche des sciences sociales en dehors de l’université, légitime le nationalisme xénophobe et antisémite par des théories « scientifiques » de l’hérédité, de la race et de la sélection. En écho à Taine et à Tarde, l’auteur de la Psychologie des foules (1895) et de la Psychologie du socialisme (1898) désapprouve la démocratisation de la société et partage avec ses prédecesseurs une vision hiérarchisée de l’humanité […] Contestées par Durkheim, les théories de Le Bon trouvent un écho chez des militaires tels que Foch et, plus tard, chez Adolf Hitler. Le tournant du siècle remet en question le positivisme et le scientisme. Cette période est bien, selon l’expression d’Eric Hobsbawm dans L’Ere des Empires, « la fin des tranquilles certitudes ». » (p.203-205)
    « Une vague d’intellectuels revient au catholicisme entre 1886 et 1894 par goût de l’ordre et de la tradition (Bourget, Brunetière, Coppée, Lemaître, mais pas Barrès). » (p.207)
    « Gabriel Monod, directeur de la Revue historique, plus érudit que Lavisse, est également un homme influent ; par sa position universitaire et sociale, il joue un rôle de premier plan dans l’engagement dreyfusiste des historiens, qui contribue au renouvellement de la discipline (Madeleine Rebérioux). En novembre 1897, il pratique l’examen critique du bordereau qui avait fait condamner Dreyfus ; les chartistes Giry, Molinier, Meyer, Paris montrent que le document n’a pas été écrit par Dreyfus et que Henry a fabriqué un faux. » (p.209)
    « Alfred Fouillée, auteur de L’Evolutionnisme des idées-forces (1893), La Démocratie politique et sociale en France (1910) –et mari de l’auteur du Tour de la France par deux enfants-, concilie la tradition républicaine du droit « naturel » et du contrat social avec le raisonnement scientifique et il donne une assise à l’idéalisme. » (p.210-211)
    « En 1893 paraît une nouvelle revue, la Revue de métaphysique et de morale, concurrente de la Revue de métaphysique et de morale, concurrente de la Revue philosophique fondée par Ribot et de La Critique philosophique, foyer du néo-criticisme de Renouvier ; celui-ci publie en 1897 une Philosophie analytique de l’histoire qui s’achève sur la « question sociale ». La Revue de métaphysique et de morale, expression de l’émergence du néo-spiritualisme et du rationalisme universitaire, rassemble de jeunes philosophes (Elie Halévy, Xavier Léon, Léon Brunschvicg) autour de leur professeur du lycée Condorcet, Alphonse Darlu ; elle trouve un prolongement dans la création de la Société française de philosophie, dont la séance inaugurale a lieu en 1901 à la Sorbonne. » (p.211)
    « La République laïque subventionne les établissements religieux, agents du rayonnement de la France : l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation, et le « Bureau des Ecoles et des Œuvres » du Ministère des Affaires étrangères, créée en 1900, augmente les aides accordées aux « Œuvres françaises en Orient ». Des écoles non confessionnelles sont développées, comme l’ « Alliance française », créée en 1884, et ses 300 écoles au Proche-Orient, en Amérique latine, aux Etats-Unis, en Afrique. Des universités françaises participent à la création des Institus français à Florence (1908), Londres et Madrid (1913). Les « écoles françaises » de l’Empire ottoman regroupent plus de 87 000 élèves, dont la moitié en Syrie. L’Université Saint-Joseph de Beyrouth est active et l’Ecole française de droit du Caire forme des fonctionnaires égyptiens. Ce sont d’abord une culture et un patrimoine qui sont diffusés à l’étranger. » (p.238)
    « Un rapprochement s’opère entre la Russie tsariste et la France républicaine qui ont, eu égard aux différences entre leurs régimes, de forte préventions l’une contre l’autre. Les causes de ce rapprochement sont multiples et d’abord financières : la Russie, qui a besoin de capitaux extérieurs pour réaliser son industrialisation, n’en trouve plus assez en Allemagne car Bismarck fait interdire à la Reichsbank de procéder à des avances ; la France, intéressée par la recherche de placements et de débouchés, souscrit des emprunts russes pour 3.5 milliards de francs en 1888-1890. L’arme financière est ici au service des intérêts politiques : le gouvernement ouvre aux fonds d’Etats russes le marché financier français parce qu’il espère que ces facilités financières recevront une contrepartie politique.
    Les causes sont ensuite militaires et diplomatiques. Aux commandes de fusils Lebel succèdent des conversations d’état-major en 1890 et 1891 ; le 21 août 1891, un échange de notes établit la volonté commune de paix des deux pays et leur désir de concertation pour l’établir. Mais le processus de rapprochement est long : l’adversaire potentiel est l’Autriche pour les Russes alors qu’il demeure l’Allemagne pour la France. Le 17 août 1892 est signé à Saint-Pétersbourg une convention militaire : en cas d’attaque allemande contre la France ou en cas d’attaque italienne soutenue par l’Allemagne, la Russie soutiendra la France avec toutes ses forces disponibles ; réciproquement, si la Russie est attaquée par l’Allemagne, ou par l’Autriche appuyée par l’Allemagne, 1 300 00 Français et 800 000 Russes combattront contre l’Allemagne « à fond et en tout diligence ». La convention, qui exclut l’idée d’une paix séparée et durera aussi longtemps que la Triplice, doit demeurer secrète.
    Enfin, des rencontres officielles scellent l’alliance franco-russe : en juillet 1891, la flotte française est reçue à Cronstadt avec enthousiasme, le tsar écoute La Marseillaise au garde-à-vous. […] Une presse, largement corrompue afin de pourvoir aux emprunts russes, célèbre le nouvel allié. » (p.239-240)
    « Sur le plan militaire, un protocole signé en juillet 1900 prévoit, en cas de conflit anglo-russe, une concentration de 150 000 soldats français sur les côtes de la Manche. A partir de 1902, quand s’esquisse le rapprochement de la France avec l’Angleterre, ces dispositions deviennent caduques. » (p.242)
    « Le système d’isolement de la France, conçu par Bismarck, est révolu. » (p.246)
    « Léon Bloy fustige dans Le Sang du Pauvre (1909) les magistrats et sous-officiers « équarrisseurs d’indigènes ». » (p.260)
    -Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Librarie Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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