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    Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe Empty Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 24 Oct - 17:40

    "Il existe une très importante tradition libérale en France, ignorée ou minorée de nos jours." (p.21)

    "[Benjamin Constant] a repris toutes les thèses du libéralisme classique en leur donnant une clarté et un caractère systématique jusque-là inégalés, réalisant la première grande synthèse du libéralisme depuis Locke. [...] Il a eu le mérite supplémentaire de dire sur Rousseau et sur le jacobinisme tout le mal qui (pour un libéral) s'impose." (p.32)

    "Laboulaye, l'un des rédacteurs de la "Constitution" de 1875, avait d'ailleurs été l'éditeur des oeuvres de Constant ; ses travaux au Collège de France portaient sur le droit constitutionnel américain." (p.34)
    -Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages.

    "Je propose d'identifier, parmi les fondements antiques et médiévaux solides sur lesquels ont bâti les doctrines libérales modernes, les huit éléments de doctrine suivants: I / La "liberté sous la loi" dans la Cité grecque ; II / La théorie stoïcienne du droit naturel ; III Le droit romain comme droit scientifique ; IV / Le droit romain comme émergence de la propriété privée ; V / La Bible, une révolution morale annonciatrice de transformations sociétales majeures ; VI / Le rationalisme de la "Révolution papale" et le thomisme ; VII / La tradition de la Common law ; VIII / La tradition démocratique de l'Église, depuis la Règle de saint Benoît jusqu'au conciliarisme." (p.67)

    "Les Grecs ont inventé la Cité, type nouveau d'Etat où le pouvoir n'est plus détenu par une puissance sacrée, tirant sa légitimité des mythes, et gouvernant de façon centralisée, secrète et discrétionnaire, mais par la loi élaborée dans l'espace public, sur l'agora. Or, dès lors que la loi est publique, puis, très vite (les deux choses se confondent presque), écrite, la liberté civique au sens moderne est possible. L'Etat ne peut exercer la coercition qu'en vertu de la loi ; il ne peut attenter qu'à la liberté de celui qui viole la loi. Mais, si celle-ci est générale et anonyme, qu'elle s'applique à tous et que tous sont égaux devant elle (le principe de l'isonomia est dégagé par les Grecs dès l'époque de Solon et des "Sept Sages"), si, d'autre part, elle est publique, et donc, par définition, non rétroactive, il en résulte que le citoyen sait toujours à l'avance ce qu'il lui est permis et ce qu'il lui est interdit de faire. Dès lors, il ne dépend que de lui de ne pas encourir la coercition. La loi est pour lui un "guide cognitif". Il lui suffit d'en tenir compte rationnellement pour disposer de sa vie comme il l'entend. Il est libre.
    Il doit obéissance non pas à personne d'une étoffe supérieure, roi, noble ou chef de génè, mais au magistrat, homme semblable à lui, mais qui a été investi d'une charge publique par la loi. Par conséquent, ce n'est pas à sa personne qu'il obéit, mais à la loi dont il est provisoirement la représentant. Situation complètement nouvelle par rapport à celle du sujet des monarchies sacrées proche-orientales, même de condition "libre", qui, de même que l'esclave et le serviteur, est soumis à l'autorité arbitraire du monarque ou du maître, ne sait jamais à l'avance ce qu'on lui interdira ou lui ordonnera de faire, ne peut donc faire de projet ni construire librement sa vie. Hérodote se moque cruellement de ce type d'homme qui ne s'appartient pas, qui est donc passif et fataliste, et que les Grecs -civilisés depuis déjà plus de deux siècles à l'époque où Hérodote écrit- perçoivent comme "barbare", par opposition au libre citoyen grec. [...]
    En d'autres termes, les Grecs, des "Sept Sages" à Clisthène et à Périclès, ont inventé la
    rule of law. Si c'est cette expression anglaise qui convient le mieux pour décrire l'idéal type grec, ce n'est certes pas un hasard, c'est simplement parce que les Anglais du XVIIe siècle qui ont forgé l'expression de rule of law se sont inspirés explicitement des modèles grecs antiques. Les Grecs ont inventé le système même de "liberté sous la loi" dont la logique sera remarquablement explicitée par Locke, mais est déjà clairement perçue par Aristote. Dans la Cité, c'est la loi qui gouverne, non des hommes, et les hommes ne gouvernent que par la loi. S'il y a liberté sous un tel règne de la règle, c'est que le citoyen, qui certes ne peut tout faire (la loi lui interdit expressément certains comportements), n'est jamais soumis à l'arbitraire délibéré de personne. La liberté sous la loi consiste en l'absence de coercition, c'est-à-dire en la garantie qu'on ne sera pas soumis à la volonté arbitraire d'autrui. Les Grecs classiques ont connu et voulu cet idéal type de la liberté. Cela ressort clairement de ce qu'on lit, après Hérodote, chez Thucydide, Aristote, Xénophon, Isocrate, Lysias, Démosthène... Ils ont inventé le citoyen et la liberté civique, et le type d'homme dans lequel ces notions s'incarnent.
    Il faut signaler à cet égard un point déjà noté par Hayek, à savoir le relatif faux-sens qu'a commis Benjamin Constant en opposant trop fortement, dans son fameux opuscule, la "liberté des Anciens" à celle des "Modernes". La liberté des Anciens serait seulement politique, ce serait la liberté, collectivement possédé par les citoyens d'une cité, de faire la loi, au lieu de la recevoir d'un tyran ou d'une puissance étrangère. Mais cette loi pourrait être très peu favorable en elle-même aux libertés civiles individuelles que seuls les "Modernes" auraient fait prévaloir. Or Hayek note que les décrets d'affranchissement d'esclaves -qu'on a trouvés en grand nombre, par exemple, dans les ex-votos de Delphes- nous enseignent tout autre chose. Quand un esclave est affranchi dans la Grèce ancienne, le décret précise qu'il pourra aller où bon lui semble, s'installer là où il veut, choisir le métier qui lui convient, faire librement du commerce. Que sont ces libertés, sinon des libertés "modernes" ? La lecture des auteurs est plus révélatrice encore. Quand on lit le discours de Périclès rapporté par Thucydide, quand on lit Aristophane et les auteurs ci-dessus nommés, on la sentiment irréfragable que les citoyens grecs, du moins ceux de l'Athènes classique, n'étaient en aucune façon des "sujets", mais que chacun menait sa vie librement et avait parfaitement intériorisé le fait qu'il pouvait légitimement le faire, et que quiconque lui contestait ce droit était un tyran et un sauvage.
    " (p.67-69)

    "A partir du moment où existe la liberté de parole sur l'agora, la critique devient possible, la rationalité se développe. L'idée même de loi est transposée de la Cité à la nature: c'est parce que les "Sages" ont compris que l'ordre social pouvait résulter de l'obéissance de tous les citoyens à une même loi, sans qu'il soit nécessaire qu'ils fussent tous soumis à la volonté discrétionnaire d'un monarque, que certains d'entre eux (et parfois les mêmes, comme les physiciens de Milet) ont pensé que les divers éléments de la nature pouvaient aussi se maintenir en ordre non pas par l'action intentionnelle d'une puissance sacrée anthropomorphique, mais par l'obéissance de tous ces éléments à des lois égales pour tous, des "lois de la nature". La science, dorénavant, consistera à rechercher ces lois, et elle ne fera plus appel au mythe ("science" et "mythe" sont explicitement pensés, dorénavant, comme des notions antagonistes).
    On sait que c'est à ce renversement des mentalités du magico-religieux vers le rationnel que les Grecs doivent d'avoir inventé et substantiellement développé, outre les mathématiques, les grandes sciences de la nature -physique, astronomie, zoologie, médecine...- et aussi les grandes sciences humaines et sociales -grammaire, rhétorique, politique, histoire, et même, à certains égards, sociologie et psychologie. Ce processus d'invention est aussi celui d'où devaient résulter les écoles, les "universités", ainsi que les bibliothèques et les "musées" -toutes institutions qui n'ont de sens que dès lors qu'il existe une science objective et universelle, susceptible d'être transmise à tous, sans ésotérisme, et qu'on peut et doit augmenter par une recherche scientifique méthodique.
    Or il est clair que la liberté joue un rôle majeur dans ce processus. De même que les citoyens grecs ont droit, sur l'agora, à la parole, à la critique, au libre choix des magistrats à élire (pour ceux qui sont élus) ou des textes à voter, les savants ont droit à l'hypothèse, à la critique, aux remises en cause même les plus radicales (on en a des témoignages nombreux et précis à propos, par exemple, des hypothèses astronomiques). On sait que Socrate a été condamné pour motifs religieux (insincères, puisqu'il s'agissait en réalité d'une vengeance politique), mais Aristophane, juste avant ce début de décadence de la démocratie athénienne dont Socrate est victime, peut dire à peu près n'importe quoi, aux applaudissements d'un public "affranchi". Thucydide est absolument libre de pensée et d'expression, lui aussi, et s'il a été salué comme le premier historien scientifique, c'est bien parce qu'il n'accorde aucune importance, ni même aucune attention, dans ses explications du déroulement des événements, aux mythes, croyances et "pensées uniques" d'alors. Les cyniques, les sceptiques, les matérialistes comme Démocrite ou Épicure feront sur le
    cosmos et sur la vie des hypothèses tellement radicales qu'elles nous impressionnent, voire nous choquent encore aujourd'hui. Tous ces gens sont des "libres penseurs", plus libres que les générations ultérieures de l'Antiquité, et a fortiori que la plus grande partie du Moyen Age chrétien ou musulman.
    Ainsi, les Grecs ont inventé la liberté de recherche, la liberté d'hypothèse, caractéristiques du
    libéralisme intellectuel. L'Europe ne retrouvera cet esprit que très tard et au prix des plus pénibles efforts. Dans une large mesure, le génie et l'héroïsme des Nicolas de Cues, Bodin, Montaigne, Milton, Locke, Leibniz, Bayle, Voltaire, Diderot et autres John Stuart Mill, ne serviront qu'à retrouver la liberté de penser déjà rendue naturelle aux intellectuels grecs par quelques siècles de libre Cité. Ce qui donne à réfléchir sur la fragilité de la liberté..." (p.70-71)

    "[La doctrine stoïcienne du droit naturel] On la retrouve chez Pufendorf et Grotius, qui en parlent comme d'une doctrine classique parmi les juristes. Ils ont pu la lire dans les oeuvres de la Seconde scolastique, et notamment celle de Suarez et de Vittoria." (p.72)

    "Le libéralisme de Locke est présent in ovo dans ce traité de jeunesse de Grotius." (note 2 p.72)

    "Il est faux que l'ordre social, comme le penseront Machiavel ou Hobbes, soit un artefact, qu'on ne puisse maintenir la paix sociale que par la contrainte et une organisation délibérée." (p.74)

    "C'est précisément parce que les juristes romains avaient reçu du stoïcisme et de la philosophie grecque récente en général l'idée du cosmopolitisme, c'est-à-dire de l'université de la nature humaine, qu'ils pouvaient entreprendre de rechercher des "formules" de droit convenant aux hommes des différentes ethnies qui se croisaient à Rome. Ces hommes pouvaient avoir diverses religions, diverses coutumes, divers "droits positifs" dans leurs contrées respectives ; ils n'en avaient pas moins même nature. Donc, en trouvant des formules toujours plus proches de ce droit naturel commun, on devait, par nécessité, rapprocher ces hommes et faciliter l'entente entre eux. Pour cela, il fallait que les formules fussent toujours plus abstraites, c'est-à-dire dénuées de traits trop liés à des coutumes ethniques précises qui seraient acceptés par les uns mais rejetés par les autres.
    Le travail des jurisconsultes romains eut cette "idée régulatrice" pendant les quelque trois siècles et demi que dura le processus qui devait aboutir au
    corpus de droit recueilli dans les grandes codifications. Ils ont donc travaillé en ayant en vue, non pas le passé (c'est-à-dire la coutume des ancêtres, le mos majorum, ou le Code existant de droit positif, la Loi des XII Tables) ni le transcendant (c'est-à-dire une quelconque Révélation), mais, tout à la fois, le présent et l'intemporel, puisqu'ils tenaient compte de ce que leur apprenaient, dans le présent, les leçons du contentieux, et visaient à poser des règles qui fussent valables dans un avenir indéfini, aussi longtemps qu'elles ne seraient pas démenties par l'expérience. Ils se sont gardés des deux excès inverses du "respect aveugle pour une loi sacrée", paralysant et réactionnaire, et du "positivisme juridique" arbitraire et despotique. C'est en ce sens qu'on peut affirmer qu'ils ont été de véritables prédécesseurs des doctrines libérales modernes.
    C'est aussi ce qui permet de comprendre pourquoi leur œuvre a été redécouverte et étudiée avec passion par les hommes du Moyen Age classique, à partir de la fin du XIe siècle, et surtout aux XIIe et XIIIe siècle. C'est que ceux-ci prenaient de plus en plus leurs distances tant avec les différents littéralismes religieux qu'avec l'arbitraire des révolutionnarismes millénaristes et des absolutismes royaux naissants." (p.81-82)

    "Le principal résultat du travail véritablement rationnel des juristes romains fut de dégager la notion de propriété privée. C'est là un fait capital, bien qu'encore largement méconnu ou mésestimé aujourd'hui dans la littérature des sciences sociales et de l'histoire.
    Ce qu'apprenaient les essais et erreurs du contentieux, c'est que les hommes s'entendent mieux entre eux lorsqu'ils savent sans ambiguïté à quoi s'en tenir en ce qui concerne ce qui est
    mien et ce qui est tien. Ou, si l'on préfère, que les litiges naissent presque toujours de la confusion qui permet à deux personnes de revendiquer des droits également légitimes sur un même objet. C'est cela que l'expérience enseignait aux préteurs année après année, et ce quelle que fût l'origine ethnique des justiciables. Si la fonction du droit et de la loi est de permettre la coexistence et la coopération pacifiques des membres d'une société, le programme que pouvaient se donner les juristes, et qu'ils se sont donné effectivement au fil des décennies, devait être de dessiner toujours plus exactement les frontières des "domaines propres" de chacun. Ils furent largement conscient de ce fait, puisque c'est le Digeste qui a défini la justice comme le fait de suum cuique tribuere, "rendre à chacun le sien".
    Les jurisconsultes romains définirent la propriété privée non seulement dans le cas simple des choses matérielles meubles, mais aussi dans le cas de la propriété immobilière, et dans celui de la propriété de choses immatérielles (comme les servitudes, ou les créances) ou d'êtres vivants (animaux et leur descendance). Ils élaborèrent des outils intellectuels de plus en plus raffinés permettant de garder une trace exacte des frontières de ces propriétés quand des processus complexes les modifient, les divisent et risquent de les confondre, par exemple en cas de vente, d'achat, d'emprunt, de dépôt, d'hypothèque, également de mariage, de divorce, d'héritage... Ils définirent l'achat et la vente, distinguèrent ces situations de celles de possession, de règlement financier ; ils élaborèrent la notion même de contrat, avec le régime des droits et obligations qui en découlent.
    La propriété et les contrats ayant reçu ces définitions juridiques précises, l'usage de la propriété, sous toutes ses formes, matérielles et immatérielles, devint, à Rome, plus facile et plus sûr. Les échanges économiques purent se développer avec une sécurité juridique inédite, sans commune mesure, sans doute, avec ce que nous connaissons dans les Etats de droit modernes, mais sans commune mesure non plus avec ce que pouvaient connaître les autres sociétés antiques. Il en a résulté une supériorité économique éclatante de la société moderne. Le monde romain a pu être un monde "capitaliste" avant l'heure. Il a été capable de diviser le travail et de produire plus que toutes les sociétés voisines. C'est là, à n'en pas douter, la cause profonde et décisive de la conquête romaine. Les Romains ont vaincu les armées étrangères par les vertus militaires, certes, mais, dans un monde voué à la guerre et où toutes les ethnies voisines de Rome pratiquaient la guerre, ce n'est pas de là que pouvait venir la différence. La différence est venue de la logistique, de l'abondance des ressources fournies aux légions et à l'Etat en général par l'économie, et aussi de l'adhésion des populations colonisées, qui a fait que même des pays limitrophes des colonies appelaient Rome à leur aide et aspiraient à être intégrés à sa "zone de prospérité". Or cette supériorité sociétale fut l’œuvre du droit, de la sécurité des échanges et de l'augmentation de la productivité que cette organisation supérieure permettait.
    Ajoutons un point capital. En distinguant ainsi les avoir de chaque personne, et en garantissant par le droit que ces avoirs resteraient en permanence distincts, les Romains ont contribué à distinguer les
    êtres humains, en tant qu'ego, personnalités originales. En promouvant ainsi l'idée même de "personne" humaine individuelle, distincte de toute autre, ils ont fait sortir définitivement l'humanité du tribalisme. C'est à Rome, et comme prolongement du droit romain de la propriété privée, qu'a pu naître l'humanisme. Cette promotion de la personne devait passer ensuite à tout l'Occident, et c'est dans une civilisation où l'espace privé de la personne était reconnu depuis des siècles que pourront tout naturellement être proposés et appliqués les idéaux du libéralisme." (p.82-84)
    -Philippe Nemo, "Les sources du libéralisme dans la pensée antique et médiévale", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.65-111.

    "Turgot pense réellement qu'il y a un droit naturel de chaque individu d'être propriétaire de sa force de travail et d'en disposer comme il l'entend pour la poursuivre de ses intérêts, pourvu qu'il ne nuise pas aux droits équivalents d'autrui. Il est extrêmement attaché à ce qu'il appelle très souvent, dans les textes mêmes des édits royaux qu'il a rédigés, le droit naturel de propriété. Chacun est par nature bien meilleur juge que n'importe qui d'autre pour juger de son intérêt. Il est clair pour Turgot, par ailleurs, que les corporations, jurandes, etc., sont une entrave à la prospérité économique. Ainsi, aussi bien du point de vue de l'individu que de celui de la collectivité, il est nécessaire de supprimer les corporations. Il y a chez Turgot une radicalité qui explique d'ailleurs les oppositions auxquelles il a eu à faire face quand il est arrivé aux affaires." (p.307)

    "Il est arbitraire de faire une césure entre un prétendu libéralisme économique et un prétendu libéralisme politique. Pourquoi, à ce compte, ne distinguerait-on pas aussi socialisme politique et socialisme économique ?" (p.310)
    -Alain Laurent, discussion faisant suite à Loïc Charles, "L'économie politique française et le politique", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.279-312.

    "Argument similaire [chez Malesherbes] à celui de Diderot dans sa Lettre sur le commerce de librairie: pour garantir la qualité des débats et l'émergence d'une véritable opinion publique, il faut contrôler et limiter la concurrence au niveau économique." (p.311)
    -Yves Citton, discussion faisant suite à Loïc Charles, "L'économie politique française et le politique", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.279-312.

    "Tandis que la pensée physiocratique se réfère à un "ordre naturel" statique privilégiant de manière presque exclusive une économie essentiellement agricole servant de base à un régime politique fortement hiérarchisé, déjà dépassé par le cours des choses, celle de Turgot, au contraire, prend en compte l'irruption des droits de l'homme tout autant que de l'industrie et de la finance. [...] Turgot est d'ailleurs le premier à être conscient de cette distance qui le sépare de l'approche réductrice, dogmatique et autoritaire de la Physiocratie, n'hésitant pas à critiquer son "esprit de secte" dans une lettre adressée à Dupont de Nemours en 1774, ni à parler à son sujet de la "secte économistique". Alors que, comme l'indique leur nom (attribué justement par Dupont de Nemours), les Physiocrates s'en tiennent aux mécanismes d'une "nature" qui surplombe et régit les humains, Turgot prend appui avant tout sur le "système de la liberté" (une expression matricielle qui scande son célèbre texte, Réflexions sur la formation et la distribution des richesses). Une liberté qui, pour être "naturelle", est d'abord celle des individus et qui s'avère porteuse de créativité et de responsabilité sous la règle du droit. C'est la liberté du libéralisme, dont Turgot apparaît bien être en France le premier véritable accoucheur théorique -mais aussi agissant..." (p.314)

    "La liberté économique dont doit bénéficier l'individu de l'échange est, à la fois, la conséquence de la jouissance de ses droits naturels, et ce qui soutient concrètement l'exercice de ceux-ci. L'évidence de cette étroite connexion dément totalement la fable colportée par Michel Foucault [...] dans sa Naissance de la biopolitique [...]
    La pensée de Turgot se fonde sur l'affirmation d'une nécessaire réciprocité de perspective entre la logique de la liberté économique et celle, d'ordre juridico-politique, de la liberté de l'individu selon le jusnaturalisme moderne
    ." (p.317)

    "Turgot et sa mouvance libérale ont été des sympathisants déclarés et souvent très agissants de la cause de la Révolution américaine." (p.321)
    -Alain Laurent, "Lumières et laissez-faire: Turgot, entre les Physiocrates et un "moment américain" ", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.313-322.

    "Les "Idéologues" sont un groupe d'intellectuels et de savants français de l'époque de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration, qui assurent la continuité entre l'esprit des Lumières et le rationalisme et le républicanisme du XIXe siècle. Ils appartiennent essentiellement à l'histoire de la démocratie libérale, comme il est naturel pour les continuateurs de Turgot et des Physiocrates, pour les prédécesseurs de Dunoyer, Bastiat ou Laboulaye. Ils seront la référence intellectuelle obligée des fondateurs des IIe et IIIe Républiques.
    Quiconque fait l'histoire des sciences et l'histoire politique de la France de cette époque ne peut manquer de les croiser. Ils ont joué un rôle crucial dans le développement des sciences, notamment chimiques, biologiques et médicales, mais aussi dans l'apparition de ce qu'on appellera bientôt les "sciences humaines". [...] Ils sont à l'origine des études philologiques et grammaticales modernes. Sur le plan tant théorique que pratique, ils appartiennent à l'histoire des institutions scolaires et scientifiques du pays ; ils jouent le premier rôle dans les discussions théoriques à ce sujet sous la Révolution, puis dans les réalisations pratiques au moment où ils ont une part de pouvoir politique, c'est-à-dire sous la Convention thermidorienne, sous le Directoire et pendant les premiers mois du Consulat. Ils sont les créateurs des Écoles centrales, ancêtres des lycées modernes, de l'Institut (notamment de sa fameuse deuxième classe, celle des sciences morales et politiques) et des "écoles spéciales", c'est-à-dire les futures Grandes Écoles.
    Un groupe aussi important n'aurait jamais dû être oublié ni cesser d'être étudié, comme le sont, par exemple, les Philosophes du XVIIIe siècle, les Encyclopédistes ou encore les représentants de l' "idéalisme allemand". Les Idéologues ont cependant subi une singulière occultation de la part de l'historiographie française officielle, et il semble bien que ce soit du fait de leur libéralisme. D'une façon générale, on en parle peu ; quand on en parle, c'est pour célébrer leur [...] action dans la construction des institutions scientifiques et scolaires du pays, mais sans mettre en relief le fait qu'ils étaient opposés à toute forme de monopole éducatif de l'Etat, projet qu'ils identifiaient avec le despotisme (celui des Jacobins d'abord, de Napoléon ensuite).
    " (p.324)

    "La principale revue des Idéologues a pour titre La Décade philosophique. Elle est le reflet de leurs activités et de leurs réflexions. Le rédacteurs en chef en est Jean-Baptise Say." (p.330)

    "Les Idéologues sont et se veulent les adversaires, dès l'époque du Génie du christianisme de Chateaubriand (1802), de tous les "réactionnaires" qu'ils soupçonnent de vouloir restaurer l'esprit dogmatique et antiscientifique de l'Ancien Régime. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, ils polémiquent contre les "théocrates" Maistre ou Bonald, et même contre les éclectiques comme Victor Cousin." (p.331)
    -Philippe Nemo, "Les Idéologues et le libéralisme" ", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.323-367.

    "Nous développerons les trois propositions suivantes:

    1/ Le libéralisme est la philosophie politique qui a pour premier principe la liberté individuelle.
    2/ La liberté individuelle est garantie par la responsabilité, qui suppose la libre disposition de son corps et de ses extensions (la propriété et le capital) et la liberté d'échanger toute production matérielle et immatérielle.
    3/ Ces principes heuristiques précèdent toute théorie libérale du droit et la justice.

    L'idée que l'on pourrait souscrire au libéralisme politique tout en écartant le libéralisme économique [...] compromet la cohérence intime du libéralisme.
    " (p.431)

    "En dissociant conceptuellement le libéralisme économique et le libéralisme économique au nom d'une prétendue spécifique française, on maintient dans le champ du libéralisme des penseurs qui développent un discours contraire, en réalité, à ses principes fondamentaux." (p.435)

    "Dès 1830, Bastiat pouvait donc prévoir le maelström de février 1848. Car, contrairement à ce que suggère Larousse, la monarchie de Juillet ne s'éloignait pas du libéralisme en vertu de la traditionnelle usure du pouvoir, mais parce que ceux qui allaient s'imposer auprès de Louis-Philippe et qui avaient déjà goûté au pouvoir sous la Restauration n'étaient pas philosophiquement libéraux mais appartenaient à une dissidence historiciste du libéralisme. Le doctrinarisme part d'une confusion typiquement française entre la modération en politique et l'éclectisme du juste milieu. Loin de s'appuyer sur les acquis libéraux de la Révolution, notamment sur la liberté du travail, la politique du juste milieu consiste à s'opposer à la fois aux principes de la Révolution et aux traditions de la monarchie d'Ancien Régime, à la souveraineté du peuple et au droit divin. Dans cet intervalle où l'Etat repose sur du sable, ce sont donc les intérêts privés qui vont prendre le pas sur l'intérêt général défendu par les libéraux.
    La doctrine protectionniste dominante sous la Restauration est reconduite sous la monarchie de Juillet. La victoire de juillet 1830 marque donc l'éclatement du front libéral. L'émergence de l'école de Paris, dans les années 1840, va confirmer le fossé profond qui se creuse alors entre libéraux de circonstance et libéraux philosophiques. Ceux-ci sont rejetés à l'extrême gauche de l'échiquier politique, espace qu'ils partageront avec les sociétés secrètes républicaines avant que les socialistes ne leur contestent cette position
    ." (p.444)

    "Héritière indirecte, par les Idéologues, de l'école des "économistes" (dite "physiocratiques") du XVIIIe siècle, l'école de Paris a rassemblé les publicistes qui, sous la monarchie de Juillet, sont restés fidèles à la philosophie libérale alors que triomphait la lecture doctrinaire de la Charte de 1830 et que les ministères orléanistes, portés au pouvoir par une révolution libérale, s'étaient figés peu à peu dans les camps conservateurs en politique et protectionniste en économie.
    L'école de Paris va se cristalliser, hors de l'Université, autour du
    Journal des économistes, fondé en 1841, et de la Société d'économie politique, fondée en 1842. A compter de cette dernière date, elle sera le fer de lance de l'opposition libérale, essentiellement républicaine, qui grandira face au conservatisme institutionnel -désormais incarné par Guizot- et luttera contre le lobby protectionniste, dont Thiers prend la tête à la Chambre dans les années 1840, et également contre la prétendu intérêt national de la colonisation de l'Algérie défendue par Tocqueville. Elle sera la seule force intellectuelle à combattre rationnellement les doctrines qui, après l'impensable effondrement de février 1848, alimenteront pour la première fois un socialisme d'Etat." (p.444-445)

    "Dans les années 1847-1848, moment d'efflorescence de la presse française, ce groupe de jeunes économistes lance Jacques Bonhomme, Le Libre-échange et La République française." (p.462)

    "En dépit de l'activité inlassable déployée par Frédéric Bastiat au sein de l'association centrale pour la liberté des échanges, ce n'est pas lui qui fait la plus forte impression sur Cobden, mais Adolphe Blanqui, frère d'Auguste, le socialiste, et élève de Say à l'École de commerce de Paris où il a repris sa chaire, ainsi qu'au Conservatoire des arts et métiers. Tout plaide pour Blanqui, que Cobden juge le plus aguerri pour combattre Thiers et les protectionnistes. Il n'est certes que de quatre ans l'aîné de Bastiat, mais il enseigne déjà l'économie depuis 1825 à l'École de commerce de Paris et, depuis 1833, au Conservatoire des arts et métiers, devant des ouvriers, alors que le premier texte économique de Frédéric Bastiat ne date que de 1834." (p.464)

    "Entre 1841 et 1846, l'école va être principalement engagée sur trois fronts:
    a) celui de la critique du
    "système protecteur", manifestation la plus injuste de la "spoliation légale" [...]
    b) celui de l'
    anticolonialisme, où l'école met en cause le principe même de la colonisation de l'Algérie [...]
    c) celui du
    pacifisme, avec pour point d'orgue le congrès des amis de la paix, qui se tient à Paris, en 1849, sous la présidence de Victor Hugo, et dont l'école de Paris est la cheville ouvrière." (p.465)

    "Dunoyer [...] ne craint pas de corriger Adam Smith qui admettait que l'Etat puisse fournir directement un certain nombre de services publics comme l'éducation." (p.475)

    "La formulation employée par Guizot indique clairement qu'il ne se voit pas appartenir à la famille libérale. [...] S'il faut classer Guizot dans une famille politique, c'est donc bien, à l'entendre dans celle des "conservateurs"." (p.483)
    -Michel Leter, "Éléments pour une étude de l'école de Paris (1803-1852)", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.429-509.

    On trouve une définition sous la plume de Leter.

    chercher si l'ouvrage de Nemo est cité dans les articles de l'Histoire de l'Europe libérale

    Au risque d'être accusé de soutenir une position "maximaliste", nous pensons qu'il n'y a libéralisme digne de ce nom que chez les hommes où toutes ces convictions [du Lalande] sont réunis.
    le parti-pris terminologique et conceptuel le plus à même d'amener de la clarté sur ce sujet.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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