Sébastien Laurent, Daniel Halévy et le mouvement ouvrier. Libéralisme, christianisme social et socialisme + Daniel Halévy
Johnathan R. Razorback- Admin
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"Issu d'un milieu de grande bourgeoisie libérale de nuance orléaniste, admirateur de la monarchie constitutionnelle, convaincu que le seul gouvernement qui vaille est celui exercé par les élites compétentes et cultivées, Halévy va se trouver en porte-à-faux par rapport à l'évolution sociale et politique de son temps. Il se trouve que, comme nombre de jeunes intellectuels libéraux, Daniel Halévy est dreyfusard. Sans doute par mimétisme familial (après tout, les origines juives de la famille la désignent aux attaques des antisémites), mais aussi par réaction contre le déchaînement populiste des antidreyfusards et refus de se laisser emporter par les haines irrationnelles d'une populace pour laquelle il n'éprouve que mépris. Son idéal est ailleurs. Il est dans l'attachement sentimental à un socialisme humaniste, dans le devoir d'éducation populaire qui incombe aux élites et qui le conduit à fréquenter les milieux du christianisme social, à militer à la Ligue des Droits de l'Homme et à l'Union pour l'action morale, à tâter du socialisme à Versailles, à prononcer des conférences dans les Universités populaires, à collaborer aux Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy. Comme nombre d'intellectuels, en particulier Sorel, avec lequel il est lié, Halévy fait partie des déçus du dreyfusisme qui considèrent que les raisons morales qui les ont conduits à s'engager dans l'Affaire sont déviées par l'utilisation politique qui est faite de la victoire des dreyfusards. Le tournant démocratique pris par la vie politique française au début du XXe siècle heurte profondément ce libéral élitiste, méfiant envers le suffrage universel, et conservateur de tempérament. La brouille avec Péguy, consécutive à leurs différences de lecture sur l'Affaire, achève de le couper de ses anciens amis. C'est désormais, et de plus en plus, vers les adversaires de la République parlementaire et de l'évolution démocratique que se sent attiré Halévy. Dès avant la guerre de 1914, il se rapproche de Maurras, tout en pointant ses désaccords avec lui et en subissant de plein fouet l'antisémitisme des tenants du nationalisme intégral. Toutefois les critiques adressées aux dreyfusards par Halévy, instrumentalisées par l'Action Française, provoquent un rapprochement de fait, accentué par l'analyse très favorable que les fondateurs du Cercle Proudhon font des thèses de Daniel Halévy sur la décadence démocratique. Désormais, ce dernier, profondément convaincu que l'évolution politique de la France conduit celle-ci au désastre passe du dilettantisme qui a marqué sa jeunesse à un engagement qui lui fait considérer comme novice l'évolution de la société française au cours du XXe siècle. Le libéral est devenu traditionaliste pour retrouver le monde enfui de sa jeunesse dorée et l'amertume marque son œuvre, qu'il s'agisse du regret de la perte des racines rurales dans sa Visite aux paysans du Centre, de la description de l'âge d'or que fut à ses yeux la République des ducs ou de l'exécration du radicalisme et du parlementarisme qui sourd de la République des comités. L'écrivain encore modéré de Décadence de la liberté, paru en 1931, devient un pamphlétaire parfois violent après 1934, s'adaptant à la tonalité d'une vie politique où le manichéisme l'emporte sur la sérénité des analyses. Désormais identifié à la droite maurrassienne, il va en suivre l'évolution comme les dérapages. Coupé des milieux libéraux eux-mêmes qui le considèrent comme un "réactionnaire", isolé de ses anciens amis, il va pousser jusqu'au bout la logique de l'engrenage dans lequel il s'est piégé. Ce libéral, et qui se considère toujours comme tel, partage la "divine surprise" de Maurras devant l'effondrement de la "gueuse" en 1940, se montre pétainiste idolâtre, collabore à la propagande de l'Etat français et, comme ses nouveaux amis, trouve dans la défaite la justification de ses diagnostics pessimistes sur la décadence française. Comme eux encore, il juge qu'il faut accepter la loi du vainqueur. Suspect à la Libération, marqué par sa sympathie pour Vichy, même si aucun acte de collaboration ne peut lui être reproché, Daniel Halévy n'est plus au lendemain de la guerre qu'un marginal par rapport aux courants politiques et littéraires dominants. Il trouve refuge dans les milieux néo-maurrassiens, nouant des amitiés avec de jeunes écrivains issus des milieux d'Action Française comme Pierre Boutang, Pierre Andreu ou Philippe Ariès, collaborant à l'hebdomadaire Paroles Françaises, ouvrant son salon du quai de l'Horloge à d'anciens pétainistes et fréquentant la boutique des Amitiés françaises où se retrouvent autour d'Henri Massis des écrivains marginalisés à la Libération."
-Serge Berstein, préface à Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages, p.14-16.
"A l'été 1948, Charles Maurras, emprisonné à Clairvaux affirmait à son codétenu Xavier Vallat, ancien commissaire général aux questions juives, que Daniel Halévy -qui quelques mois plus tôt avait participé à un numéro d'Aspects de la France demandant "justice pour Maurras"- avait "toujours incliné vers les solutions nationalistes". Dès les années 1930, l'appartenance de Daniel Halévy à la droite littéraire était une évidence pour ses contemporains. Cependant quoi qu'en ait pensé le fondateur de l'Action Française, il n'en fut pas toujours ainsi, le même Maurras écrivant d'ailleurs en 1914 dans les colonnes du quotidien d'extrême droite qu'Halévy était un "critique adverse". La longue vie de Daniel Halévy (1872-1962), né quelques mois après la reddition de Napoléon III à Sedan, décédé peu de temps avant la fin de la guerre d'Algérie, offre la possibilité assez rare de suivre dans la longue durée un itinéraire intellectuel et une évolution qui l'ont mené du dreyfusisme à un nationalisme proche de celui de l'Action Française. Cette évolution ne serait pas exceptionnelle si le personnage ne présentait pas d'autres particularités qui rendent cette mutation plus curieuse encore. En effet, Daniel Halévy est issu d'une famille de juifs bavarois installée en France au moment de la Révolution française qui s'agrégea par le biais de mariages mixtes à la bourgeoisie protestante. Or, la situation minoritaire du judaïsme et du protestantisme dans la société française fut à l'origine du soutien durable porté par ces confessions aux idées et aux forces politiques démocratiques." (p.17)
"Ce livre, au-delà du cas personnel de Daniel Halévy est aussi l'occasion de réfléchir à la situation de l'écrivain dans la société du XXe siècle." (p.19)
"Les Juifs du royaume de France à la veille de la Révolution se répartissaient en quatre communautés distinctes entre lesquelles les relations étaient limitées, parfois conflictuelles. Les séfarades, sujets français depuis Henri II, représentant la "nation" portugaise, étaient des descendants des Marranes, communauté relativement intégrée, notamment dans le milieu des négociants bordelais. Les comtadins et niçois, "Juifs du pape", formaient une des plus petites, mais une des plus anciennes communautés juives de France. Les ashkénazes, rassemblés dans l'est de la France, essentiellement en Lorraine et en Alsace, composaient le troisième ensemble: ils se distinguaient de tous les autres non seulement par leur importance numérique mais plus encore par un ferme attachement à leurs traditions religieuses. Les Juifs parisiens, alors peu nombreux, constituaient le quatrième groupe." (p.24)
"Au lycée Charlemagne, établissement fréquenté par les enfants de la bourgeoisie parisienne, Léon Halévy (1802-1883) entouré de camarades non juifs pour la plupart, se lia avec Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869). Il est fort probable que Léon ait mis à profit ce séjour hors de la communauté pour nouer des relations avec des camarades non juifs. Son appartenance confessionnelle lui interdisant de présenter le concours de l'Ecole normale, il commença des études de droit. Le grand événement de sa vie survint en 1825, à l'âge de vingt-trois ans, lorsque l'un de ses amis Olinde Rodriguès (1795-1851), membre de la communauté juive portugaise, le présenta à Saint-Simon (1760-1825). Léon, immédiatement séduit, devint le dernier secrétaire du penseur vieillissant. Il entra ainsi dans la petite équipe de jeunes gens qui l'entouraient dont une partie, tels Olinde Rodriguès, Emile et Isaac Pereire, Gustave d'Eichtal, étaient de la même communauté. Léon n'assura pas longtemps cette fonction mais il contribua avec Enfantin, après la mort de Saint-Simon, à la diffusion de la pensée du maître. [...]
Hostile à l'évolution religieuse du saint-simonisme, qui devint une secte, Léon quitta assez rapidement le groupe, mais une étape fondamentale dans l'assimilation de sa famille avait été franchie. Sans position bien établie dans la société, il devint polygraphe, réalisant notamment des traductions grecques avant de se lancer dans deux œuvres plus importantes à caractère historique. Il fit ainsi paraître en 1825, un Résumé de l'histoire des Juifs anciens et trois ans plus tard, un Résumé de l'histoire des Juifs modernes. Dans celui-ci, il formulait ce qui allait constituer l'axiome de base du "franco-judaïsme": Léon Halévy appelait ses coreligionnaires à une "fusion complète" entre Juifs et Français, la seule distinction subsistant étant la religion, cantonnée à la vie privée. Cela signifiait qu'en aucun cas la dimension religieuse ne pouvait être un obstacle à l'assimilation, et que, le cas échéant, le judaïsme religieux devait évoluer afin de se conformer à la culture française. Son petit-fils Daniel Halévy, relisant cet ouvrage à la fin de l'année 1935, y voyait avec raison la trace d'une pensée assimilationniste." (p.26-27)
"Pour les Halévy, le mariage de Léon [avec la catholique Alexandrine Le Bas] fut une étape décisive, les mariages mixtes étant encore relativement peu nombreux: sous le second Empire, avance David Cohen, le taux d'endogamie dans les grandes villes était de 80%.
A la troisième génération -Geneviève Bizet-Straus, Anatole Prévost-Paradol, Ludovic Halévy- l'ascension sociale atteignait son plus niveau et la déjudaïsation était largement avancée. Il n'y eut pas de retour en arrière et la quatrième génération -Jacques Bizet, Daniel et Elie Halévy- confirma définitivement des tendances affirmées très tôt dans la famille, dès le régime de Juillet." (p.30)
"Au début de l'année 1865, [Anatole Prévost-Paradol] publiait ses Etudes sur les Moralistes français qui allaient grandement contribuer à son élection au mois d'avril à l'Académie française, refuge de l'orléanisme intellectuel. Il y fut reçu par Guizot et cet acte symbolisa le passage d'une génération libérale à une autre. Avec l'Académie et les Débats, Paradol disposait d'une forte légitimité intellectuelle qu'il mit au service de ses convictions politiques. La parution en 1868 de La France nouvelle, véritable bréviaire de la pensée libérale, connut un grand retentissement. Les grands thèmes du libéralisme y étaient largement présents: décentralisation, magistrature indépendante, liberté de la presse, encadraient des réflexions nouvelles qui illustrent les idées plus souples de la deuxième génération libérale, prêtes à des compromis avec les républicains. Paradol se montrait en effet indifférent à l'égard de la forme du régime pourvu que celui-ci respectât les principes du fonctionnement parlementaire. Contrairement à d'autres libéraux orléanistes, il ne souhaitait pas que la chambre haute soit héréditaire et était prêt à accepter l'élection de la chambre basse au suffrage universel. La France nouvelle montrait que le caractère "moral" plus que dogmatique ou affectif, de son libéralisme. Les concessions auxquelles il était disposé et qui annonçaient l'alliance de certains libéraux avec les opportunistes, démontraient qu'il n'était pas orléaniste par attachement dynastique mais parce qu'il tenait au régime parlementaire et à l'influence d'une bourgeoisie éclairée au sein de la société. Mais cet essai montrait également l'aveuglement de la pensée libérale à l'égard de l'évolution sociale contemporaine qui remettait profondément en cause la société libérale rêvée par les orléanistes. Incapable de prévoir la poussée démocratique qui en résulta, les élections de 1869 sonnèrent comme un premier avertissement. Il fut d'une certaine façon fatal à Paradol qui essuya à Nantes son second échec électoral. Ludovic a relaté dans ses Carnets l'abattement de son demi-frère et l'amertume qu'il retira définitivement du combat politique.
Paradol avait considéré avec circonspection les premières décisions de l'Empire libéral, craignant qu'elles n'entraînent un regain républicain, voire socialiste. Cependant la formation du ministère Ollivier le fit changer d'avis: lassé peut-être du journalisme, il discerna dans ce ministère le début de la construction d'un régime parlementaire tant attendu. Il refusa le ministère de l'Instruction publique mais accepta au début de l'année 1870 de siéger dans deux commissions extra-parlementaires, celle de la décentralisation et celle de l'enseignement supérieur. Reçu par l'Empereur le 1er juin 1870, il accepta deux semaines plus tard le poste d'ambassadeur à Washington que lui proposait Ollivier. Cette nomination fit scandale parmi les libéraux qui dénonçaient la trahison de celui qui avait été un critique subtil du régime ; il devint alors selon Pierre Guiral, le "bouc émissaire du ralliement". Il embarqua pour les Etats-Unis accablé par de violentes attaques. Apprenant avec désespoir la déclaration de guerre à son arrivée sur le sol américain, craignant probablement l'accusation de duplicité, il se tira le 18 juillet 1870 une balle dans la poitrine.
Cette fin dramatique donna plus encore d'éclat et de grandeur à sa rapide ascension. Il laissait derrière lui une œuvre importante de critique littéraire, un ton de publiciste particulier, critique -mais rarement polémique- et un ouvrage majeur de la pensée libérale française, La France nouvelle. A bien des égards, il a été un des inspirateurs de la Constitution de 1875 et du Sénat, une des références de la "République des ducs", étudiée par son neveu Daniel une soixantaine d'années plus tard." (p.41-42)
[je saute jusqu'à la page 53]
"Vers l'âge de dix ans, il entra rue d'Amsterdam au collège Fontanes, niveau primaire du lycée Condorcet." (p.53)
"Lors de son entrée en classe de troisième, à l'automne 1887, il fit la connaissance de son aîné, Marcel Proust (1871-1922) qui entrait en rhétorique et de Robert Dreyfus (1873-1939), qui venait d'arriver en seconde." (p.53-54)
"L'esthétique symboliste représentait pour ces bourgeois adolescents, élevés dans le culte des formes classiques -inévitablement associées par eux aux exercices scolaires- une occasion de rupture. Le caractère particulier des classes de Mallarmé, sa personnalité rompant avec l'ordre rigoureux du lycée, ajoutait à la séduction que pouvait exercer le symbolisme sur eux." (p.55)
"Son Journal, quoique tenu moins régulièrement en 1890 et 1891, reflète une très grande déception en matière de philosophie. Le contact malheureux avec cette discipline lui avait permis de mieux discerner le caractère particulier de sa forme d'esprit, étranger aux spéculations abstraites et mieux adapté à des expressions littéraires." (p.58-59)
"Comment ce jeune homme issu d'un grand lycée parisien, fils d'académicien, habitué des salons, fut-il amené sur le terrain social et souvent au plus près de forces politiques révolutionnaires ?" (p.64)
"L'année 1890 fut du point de vue de la découverte du socialisme une période de profond mûrissement." (p.67)
"Malgré les mesures préventives prises par les forces de police, le 1er mai 1890 fut à Paris et en province la première mobilisation de masse depuis la Commune." (p.68)
"Après trois années d'études, interrompues par le service militaire effectué en 1893-1894, il obtint le diplôme de l'Ecole en décembre 1896. Il fut durant ces trois années universitaires un élève peu assidu aux cours, venant moins d'une fois sur quatre rue de Lille. L'Ecole était peu exigeante: la chaire d'arabe, alors tenue par le professeur Hartwig Derenbourg (1844-1908), orientaliste connu de Ludovic Halévy, comportait un seul cours par semaine, et à cet enseignement hebdomadaire suivi par Daniel, s'ajoutait un cours supplémentaire de géographie, d'histoire et de législation des Etats musulmans. […] Plus jamais par la suite il ne manifesta d'intérêt pour l'arabe ou le monde musulman." (p.70)
"Ludovic versait à chacun de ses fils qui demeuraient chez lui une pension de 6000 francs par an en avance sur leur part d'héritage." (p.71)
"Le traitement annuel d'un professeur agrégé dans un lycée était à l'époque de 7000 francs, celui d'un professeur d'université de 10 000 francs." (p.71)
"En novembre 1891, D. Halévy avait fait la connaissance chez une amie de sa mère, Louise Read -secrétaire et légataire universelle de Barbey d'Aurevilly- d'Emmy de Néméthy qui, la première, lui parla de Nietzsche. D. Halévy entreprit de le lire et de son attrait pour ce penseur iconoclaste fut, semble-t-il, très rapide. Dès le mois suivant, il se mit à apprendre l'allemand et à traduire aussitôt ses premiers passages de Nietzsche. […]
La découverte de Nietzsche et les travaux sur le penseur allemand occupèrent les vingt premières années de la vie littéraire de D. Halévy, jusqu'à sa publication de la biographie du philosophe en France en 1909, premier grand succès littéraire de Daniel." (pp.76-77)
"La reconnaissance universitaire de Nietzsche ne vint que dans les années 1950." (p.80)
"Ses engagements à la même époque dans des œuvres d'éducation populaire d'origine protestante -à l'opposé des propos de Nietzsche sur la morale du christianisme-, comme son attrait pour le socialisme, sur lequel Nietzsche avait émis des jugements méprisants, montrent de toute évidence que D. Halévy n'était pas devenu nietzschéen. […] La sensibilité idéologique élitiste, qui peu à peu se forme et apparaît chez Daniel Halévy, présente certains traits dont l'origine n'est probablement pas totalement étrangère à la découverte du penseur allemand." (p.81)
"Entre 1865 et 1905, la majeure partie des écrivains sont issus de la petite bourgeoisie ou de la classe moyenne. C'est un milieu où la reproduction sociale est faible: sur l'ensemble, un nombre minime (6.2%) sont des fils d'écrivains, d'artistes ou de journalistes. […] L'étude des peintres au XIXe siècle montre que leur origine sociale est également très majoritairement modeste." (p.85)
"L'Affaire Dreyfus ouvrit une nouvelle période dans la vie de Daniel Halévy. En passant d'un engagement social et privé à un engagement civique et public, il manifesta un tempérament militant que le règlement judiciaire de l'Affaire n'interrompit pas." (p.95)
"L'Affaire Dreyfus eut pour conséquence importante que la majeure partie des libéraux conservateurs avait rallié le camp nationaliste, contribuant à l'éclatement de la famille libérale dont l'unité avait déjà été assez largement affaiblie par l'établissement de la République." (p.99)
"Le comportement de la classe politique républicaine lors de l'Affaire conforta chez lui un antiparlementarisme que l'hostilité de principe au suffrage universel avait antérieurement établi." (p.105)
"L'intérêt du mouvement ouvrier tenait d'abord pour lui à sa capacité à s'organiser de façon autonome, en dehors-hors du suffrage universel.
Son attirance pour le mouvement ouvrier s'inscrivait de façon plus générale dans son refus de la politique." (p.127)
"D. Halévy rédigea rn renouant avec sa vocation d'écrivain, de très nombreuses notes de lecture consacrées à des ouvrages littéraires, souvent publiés aux Cahiers de la Quinzaine ou susceptibles d'intéresser les lecteurs des Pages Libres. Mais les abonnés firent savoir par leur courrier qu'ils ne comprenaient pas la publication de ce type de contribution dans la revue et Daniel Halévy s'en étonnait. […] Daniel Halévy ressentait et exprimait dans les Pages Libres comme à l'Enseignement mutuel, la difficulté d'assurer la transmission de la littérature bourgeoise aux couches populaires." (p.156)
"La première mention de Péguy dans le Journal d'Halévy date de févier 1900. Elle indique que D. Halévy avait lu le premier des Cahiers de la Quinzaine, Daniel faisant partie des premiers abonnés, avec son frère Elie." (p.158)
"De 1901 à 1905, les Pages Libres et les Cahiers cohabitant, D. Halévy avait l'occasion de voir Péguy quotidiennement. Après cette date, D. Halévy se rendait de la rue Séguier à la rue de la Sorbonne et parfois, avec Sorel et Péguy, il se rendait aux cours de Bergson au Collège de France." (p.159)
"On retrouve un socialisme de même tonalité: tous deux l'ont découvert dans La Revue socialiste ; la dimension morale a joué un rôle important, kantienne chez Péguy, issue du protestantisme chez Halévy. De même, à l'origine avaient-ils une même estime pour Jaurès. […] Tous deux étaient hostiles à la lutte des classes et, sur le plan de l'action sociale, à la grève générale." (p.162)
"Esthétisme et éclectisme caractérisaient [la revue] Les Essais dont l'inspiration devait autant à Vaudoyer qu'à Anna de Noailles. La revue était en "[…] réaction contre "l'art social" " et "[…] les thèmes majeurs rejoignent ceux d'Anna de Noailles: le naturisme -le désir de conjuguer exotisme et tradition française, nietzschéisme et altruisme, paganisme dionysien et christianisme mystique". D. Halévy donna deux études." (p.171)
"En août 1898, il avait esquissé un premier projet de biographie de Nietzsche." (p.172)
"Il continua de procéder par pré-publications, en faisant paraître d'autres parties de son travail en 1908." (p.173)
[Daniel Halévy, "Nietzsche, Œuvres posthumes", La Grande France, 15 mars 1902 ; "Frédéric Nietzche (Œuvres posthumes)", Le Temps, 4 décembre 1902 ; "Faits et notices Nietzsche et Taine", La Grande France, juillet 1903, n°41 ; "L'enfance et la jeunesse de Nietzsche", Revue de Paris, 1er et 15 mars 1907 ; "Frédéric Nietzsche et l'empire allemand, Revue de Paris, 15 juillet 1908 ; "Overbeck et Nietzsche", Journal des Débats, 30 août 1908.
p.173]
"A la fin du mois de décembre 1903, Péguy publia aux Cahiers, l'Histoire de quatre ans. 1997-2001 de Daniel Halévy. […] En l'an 1997, la société européenne avait été profondément bouleversée par la découverte soixante-douze ans plus tôt de l'albumine qui servait à produire les aliments. Sous la pression des masses, l'albumine avait été distribuée gratuitement. Il s'en était suivi une transformation radicale de la vie sociale: comme il n'était plus nécessaire de travailler pour se nourrir, le travail avait quasiment disparu, la vie était devenue un loisir pour tous. La société était en train de sombrer dans la pornographie, l'euthanasie et le culte de la mort. Halévy la décrivait dans une situation paradoxale où la suppression de la misère avait aggravé les difficultés de la vie sociale […] Le collège de Tillier était une sorte d'abbaye de Thélème, un lieu de formation où les associations productrices et les syndicats ouvriers envoyaient leurs élites: la vie y était rigoureusement réglée entre l'étude, les travaux pratiques et les loisirs. […] La maladie semblait alors refluer et il recevait des différents noyaux sains de l'Occident des adhésions à son projet. La discipline était restaurée, les corrupteurs poursuivis: "[…] nul ne discutait les ordres donnés parce que réellement ils correspondaient à l'ordre des êtres et des choses." L'idéal d'une société nouvelle […] était en voie d'édification sur fond de Fédération européenne en cours de constitution. Le jour où les pays déclaraient un à un leur adhésion, l'Orient se soulevait, des hordes kurdes et cosaques franchissaient la frontière polonaise. Tillier était assassiné par un illuminé […]
L'idée en vint à Halévy à la suite d'une lecture et d'un voyage en Angleterre. C'est en lisant en 1902 Der Will zur Macht qu'il apprit de Nietzsche le mécanisme de naissance des aristocraties par rapport aux foules égalisées. […]
Péguy […] optimiste, avait […] tiré l'Histoire à trois mille exemplaires […]
A la fin de l'année 1903, Péguy n'en avait vendu que vingt exemplaires." (174-175)
"Dans l'entourage proche de D. Halévy, l'Histoire provoqua semble-t-il quelques surprises et il confessa dans son Journal que certains de ses amis le suspectaient d'être devenu réactionnaire." (p.181)
"Sorel, en revanche, avait apprécié l'Episode et l'avait recommandé à Maurras [lettre du 10 janvier 1908]: "M. Georges Valois vous a remis le conte de M. Daniel Halévy, qui me semble de nature à vous plaire." (p.185)
"Le Travail du Zarathoustra parut le 25 avril 1909 aux Cahiers. L'accueil de la critique fut tardif et discret." (p.202)
"La Vie de Frédéric Nietzsche [Paris, Calmann-Lévy, octobre 1909, 383 pages], première biographie française de Nietzsche, parut au début du mois. L'ouvrage de D. Halévy était une biographie ou indication d'archives. […] Le travail de D. Halévy s'inscrivait dans la lignée de Sainte-Beuve pour lequel l'étude de la vie permettait d'éclairer l'œuvre. Halévy à la sortie de l'ouvrage justifia auprès de Guy-Grand son choix de passer rapidement sur l'œuvre afin de pouvoir privilégier une trame biographique. […] D. Halévy envoya plus d'une centaine d'ouvrages à toute la critique française et italienne ainsi qu'aux principaux écrivains français. Le succès fut rapide cette fois: en un mois, trois éditions furent épuisées et au début du mois de novembre les frères Lévy procédèrent à un quatrième tirage puis à un cinquième avant la fin de l'année. […] L'ensemble des grands quotidiens nationaux et les revues littéraires importantes consacrèrent de longues études très favorables à l'ouvrage." (p.203)
"En dehors de la critique, D. Halévy recevait les éloges de Jérôme Tharaud et de Romain Rolland [et de Sorel]." (p.204-205)
"Dès 1911, il fut traduit en anglais et publié à Londres [et en italien]." (p.205)
"La note élogieuse de Schlumberger sur le Nietzsche parut à la NRF." (p.207)
"Il apprit ainsi au début de l'année 1910 par Sorel que Paul Bourget s'était enquis du jugement de D. Halévy sur la Jeanne d'Arc de Péguy. Dans la Revue critique des idées et des livres, Henry de Bruchard, loua en D. Halévy: "[…] ce philosophe qui sait écrire une bonne langue, discrète, élégante, avec de la tenue […]. [Bruchard, "Le Cas de M. Daniel Halévy", Revue critique des idées et des livres", 10 septembre 1910, n°58, p.421]." (p.209)
"Robert Escarpit qui s'est penché sur la question de la notoriété littéraire a relevé qu'au XXe siècle, l'âge moyen des romanciers lorsqu'ils étaient reconnus comme tels dans le champ littéraire, était de 25 à 30 ans. Il est intéressant de relever que le début de la notoriété pour D. Halévy fut atteint relativement tardivement, à l'âge de 38-40 ans." (p.209)
"Le cahier [contenant l'Apologie pour notre passé] fut achevé au mois de décembre [1909, publié le 5 avril 1910]. […] Son témoignage est nettement plus nuancé que la caricature faite par Péguy dans sa réponse. A diverses reprises dans son texte, Halévy a rappelé qu'il ne regrettait aucunement son engagement et il terminait son cahier en indiquant qu'il était prêt à reprendre les "campagnes" en faveur de Dreyfus". (pp.210-211)
"Il exprimait à la fois un attachement incontestable à la cause dreyfusarde et en même temps le profond regret que les orléanistes n'aient pas conservé le rôle qui était le leur: rester des "guides" pour la société libérale dont D. Halévy faisait partie. […] L'alliance avec les révolutionnaires, alliance contre nature imposée par les circonstances aux rares libéraux dreyfusards." (p.213)
"D. Halévy ne parvenait pas à comprendre que Péguy ait attendu la publication du cahier pour réagir alors qu'il en connaissait le contenu de longue date. Il décida alors de se retirer des Cahiers. […] Notre jeunesse était une triple réponse, à la droite, aux laudateurs de l'Apologie et à son auteur." (p.218)
"Les relations qui paraissaient alors en voie d'amélioration entre l'Action Française et D. Halévy furent perturbées par un article que Pierre Gilbert consacra au livre de son ami Bruchard. Gilbert dans sa note de lecture avait écrit en commentant Notre jeunesse: "Quant à M. Halévy, il s'est fait traiter de chien battu par un de ses meilleurs amis, sans qu'on pût dire qu'il l'eût volé le moins du monde […]." [RCIL, 25 août 1912] D. Halévy n'eut connaissance que tardivement de cet article mais il n'hésita pas un instant et se battit en duel avec son offenseur." (pp.228-229)
"S'achevait en janvier 1914 la tentative de récupération par la droite monarchiste [en particulier du Cercle Proudhon]." (p.232-233)
"René de Kérallain (1849-1928), un aristocrate breton légitimiste, descendant de Bougainville, foncièrement réactionnaire. […] Licencié, docteur en droit, ancien collaborateur de la Revue britannique et de la Réforme sociale de Le Play, il vivait oisivement retiré sur ses terres et passait ses journées à lire de multiples périodiques auxquels il était abonné, L'Action française […] Il adressa sa première lettre à D. Halévy le 16 mai 1911 et dès lors les deux hommes entretinrent une abondante correspondance qui ne s'acheva qu'avec la mort de Kérallain. […] D. Halévy lui envoya régulièrement ses ouvrages." (p.239)
"En Proudhon [qu'il biographe], Halévy rédigeait certes l'éloge d'un caractère individuel, mais il en faisait également l'emblème de la France pré-industrielle, celle de l'échoppe et de l'atelier." (p.254) [sensibilité ruraliste, régionaliste et anti-moderne]
"Le Proudhon étudié par Halévy n'était pas celui des libertaires, ni celui des socialistes mais se rapprochait nettement d'une lecture de droite." (p.255)
" "Vous devez avoir lu le feuilleton de Daniel Halévy sur Proudhon ; je ne comprends pas que Maurras ne se serve pas de tels documents […]." (Lettre de Sorel à Jean Bourdeau, 14 septembre 1913, p.255)
"[Après 1910, Halévy refuse deux invitations de Maurras, mais] En mars 1912, Daniel Halévy se rendit en compagnie de Guy-Grand et de Francis Delaisi à une réunion contradictoire organisée par l'Action Française." (p.264)
"Après la messe dite en mémoire de Péguy le 10 octobre à Saint-Aignan, il exprimait sa profonde tristesse: "Ce simple public dans cette simple église: quarante personnes. Une messe basse, à huit heures du matin. Pourquoi mon émotion fut-elle si violente ? Perdu, ce camarade, cet homme qui m'a fait du bien, du mal, éteint, ce magnifique esprit…" (p.274)
"Aucune de ces courtes publications ne s'inscrivait dans le ton dominant de l'heure, cocardier et belliciste, participant de la mobilisation des esprits. On n'y trouve pas d'écho des thèmes de circonstance, celui de la guerre pour le droit ou celui de la défense de la civilisation contre la barbarie." (p.275)
"L'analyse que D. Halévy faisait de la guerre permet de comprendre son hostilité à la position de Rolland: la France subissait une guerre de conquête face à laquelle elle devait se défendre, sans chercher des justifications idéologiques." (p.277)
"Au cours de la guerre, la nécessité de s'informer sur l'opinion étrangère et de l'influencer amena les autorités françaises à créer une structure de propagande auprès des pays neutres. Dès 1907, Philippe Berthelot avait créé un bureau des communications au quai d'Orsay, rattaché à la direction des affaires politiques. A la veille de la guerre, il comprenait un rédacteur et quelques attachés d'administration qui devaient chaque jour faire une analyse générale de la presse étrangère. Berthelot qui était devenu à la fin du mois d'octobre 1915 le directeur de cabinet du nouveau président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, réorganisa et développa profondément les services d'information et de propagande. Il fonda la "Maison de la presse" qui dépendait du quai d'Orsay, donnant une ampleur considérable au modeste bureau créé en 1907. La nouvelle institution, structure centralisant l'information et la propagande destinées aux pays neutres, fonctionna à partir du début de l'année 1916. Près de 300 personnes, essentiellement des civils mobilisés, en l'occurrence une grande majorité de journalistes, d'écrivains et d'essayistes de premier plan, travaillaient dans l'immeuble situé au 3, rue François Ier. […]
Sous-section italienne au sein de laquelle D. Halévy travailla jusqu'en octobre 1917." (pp.278-279)
"Henri Massis […] travaillait dans ce bureau, voisin de celui de D. Halévy." (p.280)
"Un des premiers lecteurs [de la biographie sur Wilson] fut Maurras qui y consacra -avant tous les autres critiques- une longue étude très favorable." (p.281)
"Massis […] mena, face à la mobilisation des forces progressistes et révolutionnaires, le rassemblement des écrivains et intellectuels conservateurs. Le manifeste "Pour un parti de l'intelligence" parut dans Le Figaro du 19 juillet 1919, signé par cinquante-quatre personnalités parmi lesquelles figurait la majeure partie de la droite maurrassienne et quelques marginaux à l'égard de cette mouvance, comme Daniel Halévy et son beau-frère Jean-Louis Vaudoyer." (p.289)
"Il signa également par la suite, aux côtés d'Henri Massis, le texte "les Intellectuels aux côtés de la Patrie" paru dans Le Figaro du 7 juillet 1925, réponse adressée au texte de Barbusse protestant contre la guerre du Rif. Daniel Halévy collabora dès 1920 à la Revue Universelle que venait de fonder Jacques Bainville -dont Daniel Halévy avait beaucoup apprécié les articles durant la guerre- avec Henri Massis comme rédacteur en chef." (p.290)
[je saute jusqu'à 353]
-Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages.
-Serge Berstein, préface à Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages, p.14-16.
"A l'été 1948, Charles Maurras, emprisonné à Clairvaux affirmait à son codétenu Xavier Vallat, ancien commissaire général aux questions juives, que Daniel Halévy -qui quelques mois plus tôt avait participé à un numéro d'Aspects de la France demandant "justice pour Maurras"- avait "toujours incliné vers les solutions nationalistes". Dès les années 1930, l'appartenance de Daniel Halévy à la droite littéraire était une évidence pour ses contemporains. Cependant quoi qu'en ait pensé le fondateur de l'Action Française, il n'en fut pas toujours ainsi, le même Maurras écrivant d'ailleurs en 1914 dans les colonnes du quotidien d'extrême droite qu'Halévy était un "critique adverse". La longue vie de Daniel Halévy (1872-1962), né quelques mois après la reddition de Napoléon III à Sedan, décédé peu de temps avant la fin de la guerre d'Algérie, offre la possibilité assez rare de suivre dans la longue durée un itinéraire intellectuel et une évolution qui l'ont mené du dreyfusisme à un nationalisme proche de celui de l'Action Française. Cette évolution ne serait pas exceptionnelle si le personnage ne présentait pas d'autres particularités qui rendent cette mutation plus curieuse encore. En effet, Daniel Halévy est issu d'une famille de juifs bavarois installée en France au moment de la Révolution française qui s'agrégea par le biais de mariages mixtes à la bourgeoisie protestante. Or, la situation minoritaire du judaïsme et du protestantisme dans la société française fut à l'origine du soutien durable porté par ces confessions aux idées et aux forces politiques démocratiques." (p.17)
"Ce livre, au-delà du cas personnel de Daniel Halévy est aussi l'occasion de réfléchir à la situation de l'écrivain dans la société du XXe siècle." (p.19)
"Les Juifs du royaume de France à la veille de la Révolution se répartissaient en quatre communautés distinctes entre lesquelles les relations étaient limitées, parfois conflictuelles. Les séfarades, sujets français depuis Henri II, représentant la "nation" portugaise, étaient des descendants des Marranes, communauté relativement intégrée, notamment dans le milieu des négociants bordelais. Les comtadins et niçois, "Juifs du pape", formaient une des plus petites, mais une des plus anciennes communautés juives de France. Les ashkénazes, rassemblés dans l'est de la France, essentiellement en Lorraine et en Alsace, composaient le troisième ensemble: ils se distinguaient de tous les autres non seulement par leur importance numérique mais plus encore par un ferme attachement à leurs traditions religieuses. Les Juifs parisiens, alors peu nombreux, constituaient le quatrième groupe." (p.24)
"Au lycée Charlemagne, établissement fréquenté par les enfants de la bourgeoisie parisienne, Léon Halévy (1802-1883) entouré de camarades non juifs pour la plupart, se lia avec Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869). Il est fort probable que Léon ait mis à profit ce séjour hors de la communauté pour nouer des relations avec des camarades non juifs. Son appartenance confessionnelle lui interdisant de présenter le concours de l'Ecole normale, il commença des études de droit. Le grand événement de sa vie survint en 1825, à l'âge de vingt-trois ans, lorsque l'un de ses amis Olinde Rodriguès (1795-1851), membre de la communauté juive portugaise, le présenta à Saint-Simon (1760-1825). Léon, immédiatement séduit, devint le dernier secrétaire du penseur vieillissant. Il entra ainsi dans la petite équipe de jeunes gens qui l'entouraient dont une partie, tels Olinde Rodriguès, Emile et Isaac Pereire, Gustave d'Eichtal, étaient de la même communauté. Léon n'assura pas longtemps cette fonction mais il contribua avec Enfantin, après la mort de Saint-Simon, à la diffusion de la pensée du maître. [...]
Hostile à l'évolution religieuse du saint-simonisme, qui devint une secte, Léon quitta assez rapidement le groupe, mais une étape fondamentale dans l'assimilation de sa famille avait été franchie. Sans position bien établie dans la société, il devint polygraphe, réalisant notamment des traductions grecques avant de se lancer dans deux œuvres plus importantes à caractère historique. Il fit ainsi paraître en 1825, un Résumé de l'histoire des Juifs anciens et trois ans plus tard, un Résumé de l'histoire des Juifs modernes. Dans celui-ci, il formulait ce qui allait constituer l'axiome de base du "franco-judaïsme": Léon Halévy appelait ses coreligionnaires à une "fusion complète" entre Juifs et Français, la seule distinction subsistant étant la religion, cantonnée à la vie privée. Cela signifiait qu'en aucun cas la dimension religieuse ne pouvait être un obstacle à l'assimilation, et que, le cas échéant, le judaïsme religieux devait évoluer afin de se conformer à la culture française. Son petit-fils Daniel Halévy, relisant cet ouvrage à la fin de l'année 1935, y voyait avec raison la trace d'une pensée assimilationniste." (p.26-27)
"Pour les Halévy, le mariage de Léon [avec la catholique Alexandrine Le Bas] fut une étape décisive, les mariages mixtes étant encore relativement peu nombreux: sous le second Empire, avance David Cohen, le taux d'endogamie dans les grandes villes était de 80%.
A la troisième génération -Geneviève Bizet-Straus, Anatole Prévost-Paradol, Ludovic Halévy- l'ascension sociale atteignait son plus niveau et la déjudaïsation était largement avancée. Il n'y eut pas de retour en arrière et la quatrième génération -Jacques Bizet, Daniel et Elie Halévy- confirma définitivement des tendances affirmées très tôt dans la famille, dès le régime de Juillet." (p.30)
"Au début de l'année 1865, [Anatole Prévost-Paradol] publiait ses Etudes sur les Moralistes français qui allaient grandement contribuer à son élection au mois d'avril à l'Académie française, refuge de l'orléanisme intellectuel. Il y fut reçu par Guizot et cet acte symbolisa le passage d'une génération libérale à une autre. Avec l'Académie et les Débats, Paradol disposait d'une forte légitimité intellectuelle qu'il mit au service de ses convictions politiques. La parution en 1868 de La France nouvelle, véritable bréviaire de la pensée libérale, connut un grand retentissement. Les grands thèmes du libéralisme y étaient largement présents: décentralisation, magistrature indépendante, liberté de la presse, encadraient des réflexions nouvelles qui illustrent les idées plus souples de la deuxième génération libérale, prêtes à des compromis avec les républicains. Paradol se montrait en effet indifférent à l'égard de la forme du régime pourvu que celui-ci respectât les principes du fonctionnement parlementaire. Contrairement à d'autres libéraux orléanistes, il ne souhaitait pas que la chambre haute soit héréditaire et était prêt à accepter l'élection de la chambre basse au suffrage universel. La France nouvelle montrait que le caractère "moral" plus que dogmatique ou affectif, de son libéralisme. Les concessions auxquelles il était disposé et qui annonçaient l'alliance de certains libéraux avec les opportunistes, démontraient qu'il n'était pas orléaniste par attachement dynastique mais parce qu'il tenait au régime parlementaire et à l'influence d'une bourgeoisie éclairée au sein de la société. Mais cet essai montrait également l'aveuglement de la pensée libérale à l'égard de l'évolution sociale contemporaine qui remettait profondément en cause la société libérale rêvée par les orléanistes. Incapable de prévoir la poussée démocratique qui en résulta, les élections de 1869 sonnèrent comme un premier avertissement. Il fut d'une certaine façon fatal à Paradol qui essuya à Nantes son second échec électoral. Ludovic a relaté dans ses Carnets l'abattement de son demi-frère et l'amertume qu'il retira définitivement du combat politique.
Paradol avait considéré avec circonspection les premières décisions de l'Empire libéral, craignant qu'elles n'entraînent un regain républicain, voire socialiste. Cependant la formation du ministère Ollivier le fit changer d'avis: lassé peut-être du journalisme, il discerna dans ce ministère le début de la construction d'un régime parlementaire tant attendu. Il refusa le ministère de l'Instruction publique mais accepta au début de l'année 1870 de siéger dans deux commissions extra-parlementaires, celle de la décentralisation et celle de l'enseignement supérieur. Reçu par l'Empereur le 1er juin 1870, il accepta deux semaines plus tard le poste d'ambassadeur à Washington que lui proposait Ollivier. Cette nomination fit scandale parmi les libéraux qui dénonçaient la trahison de celui qui avait été un critique subtil du régime ; il devint alors selon Pierre Guiral, le "bouc émissaire du ralliement". Il embarqua pour les Etats-Unis accablé par de violentes attaques. Apprenant avec désespoir la déclaration de guerre à son arrivée sur le sol américain, craignant probablement l'accusation de duplicité, il se tira le 18 juillet 1870 une balle dans la poitrine.
Cette fin dramatique donna plus encore d'éclat et de grandeur à sa rapide ascension. Il laissait derrière lui une œuvre importante de critique littéraire, un ton de publiciste particulier, critique -mais rarement polémique- et un ouvrage majeur de la pensée libérale française, La France nouvelle. A bien des égards, il a été un des inspirateurs de la Constitution de 1875 et du Sénat, une des références de la "République des ducs", étudiée par son neveu Daniel une soixantaine d'années plus tard." (p.41-42)
[je saute jusqu'à la page 53]
"Vers l'âge de dix ans, il entra rue d'Amsterdam au collège Fontanes, niveau primaire du lycée Condorcet." (p.53)
"Lors de son entrée en classe de troisième, à l'automne 1887, il fit la connaissance de son aîné, Marcel Proust (1871-1922) qui entrait en rhétorique et de Robert Dreyfus (1873-1939), qui venait d'arriver en seconde." (p.53-54)
"L'esthétique symboliste représentait pour ces bourgeois adolescents, élevés dans le culte des formes classiques -inévitablement associées par eux aux exercices scolaires- une occasion de rupture. Le caractère particulier des classes de Mallarmé, sa personnalité rompant avec l'ordre rigoureux du lycée, ajoutait à la séduction que pouvait exercer le symbolisme sur eux." (p.55)
"Son Journal, quoique tenu moins régulièrement en 1890 et 1891, reflète une très grande déception en matière de philosophie. Le contact malheureux avec cette discipline lui avait permis de mieux discerner le caractère particulier de sa forme d'esprit, étranger aux spéculations abstraites et mieux adapté à des expressions littéraires." (p.58-59)
"Comment ce jeune homme issu d'un grand lycée parisien, fils d'académicien, habitué des salons, fut-il amené sur le terrain social et souvent au plus près de forces politiques révolutionnaires ?" (p.64)
"L'année 1890 fut du point de vue de la découverte du socialisme une période de profond mûrissement." (p.67)
"Malgré les mesures préventives prises par les forces de police, le 1er mai 1890 fut à Paris et en province la première mobilisation de masse depuis la Commune." (p.68)
"Après trois années d'études, interrompues par le service militaire effectué en 1893-1894, il obtint le diplôme de l'Ecole en décembre 1896. Il fut durant ces trois années universitaires un élève peu assidu aux cours, venant moins d'une fois sur quatre rue de Lille. L'Ecole était peu exigeante: la chaire d'arabe, alors tenue par le professeur Hartwig Derenbourg (1844-1908), orientaliste connu de Ludovic Halévy, comportait un seul cours par semaine, et à cet enseignement hebdomadaire suivi par Daniel, s'ajoutait un cours supplémentaire de géographie, d'histoire et de législation des Etats musulmans. […] Plus jamais par la suite il ne manifesta d'intérêt pour l'arabe ou le monde musulman." (p.70)
"Ludovic versait à chacun de ses fils qui demeuraient chez lui une pension de 6000 francs par an en avance sur leur part d'héritage." (p.71)
"Le traitement annuel d'un professeur agrégé dans un lycée était à l'époque de 7000 francs, celui d'un professeur d'université de 10 000 francs." (p.71)
"En novembre 1891, D. Halévy avait fait la connaissance chez une amie de sa mère, Louise Read -secrétaire et légataire universelle de Barbey d'Aurevilly- d'Emmy de Néméthy qui, la première, lui parla de Nietzsche. D. Halévy entreprit de le lire et de son attrait pour ce penseur iconoclaste fut, semble-t-il, très rapide. Dès le mois suivant, il se mit à apprendre l'allemand et à traduire aussitôt ses premiers passages de Nietzsche. […]
La découverte de Nietzsche et les travaux sur le penseur allemand occupèrent les vingt premières années de la vie littéraire de D. Halévy, jusqu'à sa publication de la biographie du philosophe en France en 1909, premier grand succès littéraire de Daniel." (pp.76-77)
"La reconnaissance universitaire de Nietzsche ne vint que dans les années 1950." (p.80)
"Ses engagements à la même époque dans des œuvres d'éducation populaire d'origine protestante -à l'opposé des propos de Nietzsche sur la morale du christianisme-, comme son attrait pour le socialisme, sur lequel Nietzsche avait émis des jugements méprisants, montrent de toute évidence que D. Halévy n'était pas devenu nietzschéen. […] La sensibilité idéologique élitiste, qui peu à peu se forme et apparaît chez Daniel Halévy, présente certains traits dont l'origine n'est probablement pas totalement étrangère à la découverte du penseur allemand." (p.81)
"Entre 1865 et 1905, la majeure partie des écrivains sont issus de la petite bourgeoisie ou de la classe moyenne. C'est un milieu où la reproduction sociale est faible: sur l'ensemble, un nombre minime (6.2%) sont des fils d'écrivains, d'artistes ou de journalistes. […] L'étude des peintres au XIXe siècle montre que leur origine sociale est également très majoritairement modeste." (p.85)
"L'Affaire Dreyfus ouvrit une nouvelle période dans la vie de Daniel Halévy. En passant d'un engagement social et privé à un engagement civique et public, il manifesta un tempérament militant que le règlement judiciaire de l'Affaire n'interrompit pas." (p.95)
"L'Affaire Dreyfus eut pour conséquence importante que la majeure partie des libéraux conservateurs avait rallié le camp nationaliste, contribuant à l'éclatement de la famille libérale dont l'unité avait déjà été assez largement affaiblie par l'établissement de la République." (p.99)
"Le comportement de la classe politique républicaine lors de l'Affaire conforta chez lui un antiparlementarisme que l'hostilité de principe au suffrage universel avait antérieurement établi." (p.105)
"L'intérêt du mouvement ouvrier tenait d'abord pour lui à sa capacité à s'organiser de façon autonome, en dehors-hors du suffrage universel.
Son attirance pour le mouvement ouvrier s'inscrivait de façon plus générale dans son refus de la politique." (p.127)
"D. Halévy rédigea rn renouant avec sa vocation d'écrivain, de très nombreuses notes de lecture consacrées à des ouvrages littéraires, souvent publiés aux Cahiers de la Quinzaine ou susceptibles d'intéresser les lecteurs des Pages Libres. Mais les abonnés firent savoir par leur courrier qu'ils ne comprenaient pas la publication de ce type de contribution dans la revue et Daniel Halévy s'en étonnait. […] Daniel Halévy ressentait et exprimait dans les Pages Libres comme à l'Enseignement mutuel, la difficulté d'assurer la transmission de la littérature bourgeoise aux couches populaires." (p.156)
"La première mention de Péguy dans le Journal d'Halévy date de févier 1900. Elle indique que D. Halévy avait lu le premier des Cahiers de la Quinzaine, Daniel faisant partie des premiers abonnés, avec son frère Elie." (p.158)
"De 1901 à 1905, les Pages Libres et les Cahiers cohabitant, D. Halévy avait l'occasion de voir Péguy quotidiennement. Après cette date, D. Halévy se rendait de la rue Séguier à la rue de la Sorbonne et parfois, avec Sorel et Péguy, il se rendait aux cours de Bergson au Collège de France." (p.159)
"On retrouve un socialisme de même tonalité: tous deux l'ont découvert dans La Revue socialiste ; la dimension morale a joué un rôle important, kantienne chez Péguy, issue du protestantisme chez Halévy. De même, à l'origine avaient-ils une même estime pour Jaurès. […] Tous deux étaient hostiles à la lutte des classes et, sur le plan de l'action sociale, à la grève générale." (p.162)
"Esthétisme et éclectisme caractérisaient [la revue] Les Essais dont l'inspiration devait autant à Vaudoyer qu'à Anna de Noailles. La revue était en "[…] réaction contre "l'art social" " et "[…] les thèmes majeurs rejoignent ceux d'Anna de Noailles: le naturisme -le désir de conjuguer exotisme et tradition française, nietzschéisme et altruisme, paganisme dionysien et christianisme mystique". D. Halévy donna deux études." (p.171)
"En août 1898, il avait esquissé un premier projet de biographie de Nietzsche." (p.172)
"Il continua de procéder par pré-publications, en faisant paraître d'autres parties de son travail en 1908." (p.173)
[Daniel Halévy, "Nietzsche, Œuvres posthumes", La Grande France, 15 mars 1902 ; "Frédéric Nietzche (Œuvres posthumes)", Le Temps, 4 décembre 1902 ; "Faits et notices Nietzsche et Taine", La Grande France, juillet 1903, n°41 ; "L'enfance et la jeunesse de Nietzsche", Revue de Paris, 1er et 15 mars 1907 ; "Frédéric Nietzsche et l'empire allemand, Revue de Paris, 15 juillet 1908 ; "Overbeck et Nietzsche", Journal des Débats, 30 août 1908.
p.173]
"A la fin du mois de décembre 1903, Péguy publia aux Cahiers, l'Histoire de quatre ans. 1997-2001 de Daniel Halévy. […] En l'an 1997, la société européenne avait été profondément bouleversée par la découverte soixante-douze ans plus tôt de l'albumine qui servait à produire les aliments. Sous la pression des masses, l'albumine avait été distribuée gratuitement. Il s'en était suivi une transformation radicale de la vie sociale: comme il n'était plus nécessaire de travailler pour se nourrir, le travail avait quasiment disparu, la vie était devenue un loisir pour tous. La société était en train de sombrer dans la pornographie, l'euthanasie et le culte de la mort. Halévy la décrivait dans une situation paradoxale où la suppression de la misère avait aggravé les difficultés de la vie sociale […] Le collège de Tillier était une sorte d'abbaye de Thélème, un lieu de formation où les associations productrices et les syndicats ouvriers envoyaient leurs élites: la vie y était rigoureusement réglée entre l'étude, les travaux pratiques et les loisirs. […] La maladie semblait alors refluer et il recevait des différents noyaux sains de l'Occident des adhésions à son projet. La discipline était restaurée, les corrupteurs poursuivis: "[…] nul ne discutait les ordres donnés parce que réellement ils correspondaient à l'ordre des êtres et des choses." L'idéal d'une société nouvelle […] était en voie d'édification sur fond de Fédération européenne en cours de constitution. Le jour où les pays déclaraient un à un leur adhésion, l'Orient se soulevait, des hordes kurdes et cosaques franchissaient la frontière polonaise. Tillier était assassiné par un illuminé […]
L'idée en vint à Halévy à la suite d'une lecture et d'un voyage en Angleterre. C'est en lisant en 1902 Der Will zur Macht qu'il apprit de Nietzsche le mécanisme de naissance des aristocraties par rapport aux foules égalisées. […]
Péguy […] optimiste, avait […] tiré l'Histoire à trois mille exemplaires […]
A la fin de l'année 1903, Péguy n'en avait vendu que vingt exemplaires." (174-175)
"Dans l'entourage proche de D. Halévy, l'Histoire provoqua semble-t-il quelques surprises et il confessa dans son Journal que certains de ses amis le suspectaient d'être devenu réactionnaire." (p.181)
"Sorel, en revanche, avait apprécié l'Episode et l'avait recommandé à Maurras [lettre du 10 janvier 1908]: "M. Georges Valois vous a remis le conte de M. Daniel Halévy, qui me semble de nature à vous plaire." (p.185)
"Le Travail du Zarathoustra parut le 25 avril 1909 aux Cahiers. L'accueil de la critique fut tardif et discret." (p.202)
"La Vie de Frédéric Nietzsche [Paris, Calmann-Lévy, octobre 1909, 383 pages], première biographie française de Nietzsche, parut au début du mois. L'ouvrage de D. Halévy était une biographie ou indication d'archives. […] Le travail de D. Halévy s'inscrivait dans la lignée de Sainte-Beuve pour lequel l'étude de la vie permettait d'éclairer l'œuvre. Halévy à la sortie de l'ouvrage justifia auprès de Guy-Grand son choix de passer rapidement sur l'œuvre afin de pouvoir privilégier une trame biographique. […] D. Halévy envoya plus d'une centaine d'ouvrages à toute la critique française et italienne ainsi qu'aux principaux écrivains français. Le succès fut rapide cette fois: en un mois, trois éditions furent épuisées et au début du mois de novembre les frères Lévy procédèrent à un quatrième tirage puis à un cinquième avant la fin de l'année. […] L'ensemble des grands quotidiens nationaux et les revues littéraires importantes consacrèrent de longues études très favorables à l'ouvrage." (p.203)
"En dehors de la critique, D. Halévy recevait les éloges de Jérôme Tharaud et de Romain Rolland [et de Sorel]." (p.204-205)
"Dès 1911, il fut traduit en anglais et publié à Londres [et en italien]." (p.205)
"La note élogieuse de Schlumberger sur le Nietzsche parut à la NRF." (p.207)
"Il apprit ainsi au début de l'année 1910 par Sorel que Paul Bourget s'était enquis du jugement de D. Halévy sur la Jeanne d'Arc de Péguy. Dans la Revue critique des idées et des livres, Henry de Bruchard, loua en D. Halévy: "[…] ce philosophe qui sait écrire une bonne langue, discrète, élégante, avec de la tenue […]. [Bruchard, "Le Cas de M. Daniel Halévy", Revue critique des idées et des livres", 10 septembre 1910, n°58, p.421]." (p.209)
"Robert Escarpit qui s'est penché sur la question de la notoriété littéraire a relevé qu'au XXe siècle, l'âge moyen des romanciers lorsqu'ils étaient reconnus comme tels dans le champ littéraire, était de 25 à 30 ans. Il est intéressant de relever que le début de la notoriété pour D. Halévy fut atteint relativement tardivement, à l'âge de 38-40 ans." (p.209)
"Le cahier [contenant l'Apologie pour notre passé] fut achevé au mois de décembre [1909, publié le 5 avril 1910]. […] Son témoignage est nettement plus nuancé que la caricature faite par Péguy dans sa réponse. A diverses reprises dans son texte, Halévy a rappelé qu'il ne regrettait aucunement son engagement et il terminait son cahier en indiquant qu'il était prêt à reprendre les "campagnes" en faveur de Dreyfus". (pp.210-211)
"Il exprimait à la fois un attachement incontestable à la cause dreyfusarde et en même temps le profond regret que les orléanistes n'aient pas conservé le rôle qui était le leur: rester des "guides" pour la société libérale dont D. Halévy faisait partie. […] L'alliance avec les révolutionnaires, alliance contre nature imposée par les circonstances aux rares libéraux dreyfusards." (p.213)
"D. Halévy ne parvenait pas à comprendre que Péguy ait attendu la publication du cahier pour réagir alors qu'il en connaissait le contenu de longue date. Il décida alors de se retirer des Cahiers. […] Notre jeunesse était une triple réponse, à la droite, aux laudateurs de l'Apologie et à son auteur." (p.218)
"Les relations qui paraissaient alors en voie d'amélioration entre l'Action Française et D. Halévy furent perturbées par un article que Pierre Gilbert consacra au livre de son ami Bruchard. Gilbert dans sa note de lecture avait écrit en commentant Notre jeunesse: "Quant à M. Halévy, il s'est fait traiter de chien battu par un de ses meilleurs amis, sans qu'on pût dire qu'il l'eût volé le moins du monde […]." [RCIL, 25 août 1912] D. Halévy n'eut connaissance que tardivement de cet article mais il n'hésita pas un instant et se battit en duel avec son offenseur." (pp.228-229)
"S'achevait en janvier 1914 la tentative de récupération par la droite monarchiste [en particulier du Cercle Proudhon]." (p.232-233)
"René de Kérallain (1849-1928), un aristocrate breton légitimiste, descendant de Bougainville, foncièrement réactionnaire. […] Licencié, docteur en droit, ancien collaborateur de la Revue britannique et de la Réforme sociale de Le Play, il vivait oisivement retiré sur ses terres et passait ses journées à lire de multiples périodiques auxquels il était abonné, L'Action française […] Il adressa sa première lettre à D. Halévy le 16 mai 1911 et dès lors les deux hommes entretinrent une abondante correspondance qui ne s'acheva qu'avec la mort de Kérallain. […] D. Halévy lui envoya régulièrement ses ouvrages." (p.239)
"En Proudhon [qu'il biographe], Halévy rédigeait certes l'éloge d'un caractère individuel, mais il en faisait également l'emblème de la France pré-industrielle, celle de l'échoppe et de l'atelier." (p.254) [sensibilité ruraliste, régionaliste et anti-moderne]
"Le Proudhon étudié par Halévy n'était pas celui des libertaires, ni celui des socialistes mais se rapprochait nettement d'une lecture de droite." (p.255)
" "Vous devez avoir lu le feuilleton de Daniel Halévy sur Proudhon ; je ne comprends pas que Maurras ne se serve pas de tels documents […]." (Lettre de Sorel à Jean Bourdeau, 14 septembre 1913, p.255)
"[Après 1910, Halévy refuse deux invitations de Maurras, mais] En mars 1912, Daniel Halévy se rendit en compagnie de Guy-Grand et de Francis Delaisi à une réunion contradictoire organisée par l'Action Française." (p.264)
"Après la messe dite en mémoire de Péguy le 10 octobre à Saint-Aignan, il exprimait sa profonde tristesse: "Ce simple public dans cette simple église: quarante personnes. Une messe basse, à huit heures du matin. Pourquoi mon émotion fut-elle si violente ? Perdu, ce camarade, cet homme qui m'a fait du bien, du mal, éteint, ce magnifique esprit…" (p.274)
"Aucune de ces courtes publications ne s'inscrivait dans le ton dominant de l'heure, cocardier et belliciste, participant de la mobilisation des esprits. On n'y trouve pas d'écho des thèmes de circonstance, celui de la guerre pour le droit ou celui de la défense de la civilisation contre la barbarie." (p.275)
"L'analyse que D. Halévy faisait de la guerre permet de comprendre son hostilité à la position de Rolland: la France subissait une guerre de conquête face à laquelle elle devait se défendre, sans chercher des justifications idéologiques." (p.277)
"Au cours de la guerre, la nécessité de s'informer sur l'opinion étrangère et de l'influencer amena les autorités françaises à créer une structure de propagande auprès des pays neutres. Dès 1907, Philippe Berthelot avait créé un bureau des communications au quai d'Orsay, rattaché à la direction des affaires politiques. A la veille de la guerre, il comprenait un rédacteur et quelques attachés d'administration qui devaient chaque jour faire une analyse générale de la presse étrangère. Berthelot qui était devenu à la fin du mois d'octobre 1915 le directeur de cabinet du nouveau président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, réorganisa et développa profondément les services d'information et de propagande. Il fonda la "Maison de la presse" qui dépendait du quai d'Orsay, donnant une ampleur considérable au modeste bureau créé en 1907. La nouvelle institution, structure centralisant l'information et la propagande destinées aux pays neutres, fonctionna à partir du début de l'année 1916. Près de 300 personnes, essentiellement des civils mobilisés, en l'occurrence une grande majorité de journalistes, d'écrivains et d'essayistes de premier plan, travaillaient dans l'immeuble situé au 3, rue François Ier. […]
Sous-section italienne au sein de laquelle D. Halévy travailla jusqu'en octobre 1917." (pp.278-279)
"Henri Massis […] travaillait dans ce bureau, voisin de celui de D. Halévy." (p.280)
"Un des premiers lecteurs [de la biographie sur Wilson] fut Maurras qui y consacra -avant tous les autres critiques- une longue étude très favorable." (p.281)
"Massis […] mena, face à la mobilisation des forces progressistes et révolutionnaires, le rassemblement des écrivains et intellectuels conservateurs. Le manifeste "Pour un parti de l'intelligence" parut dans Le Figaro du 19 juillet 1919, signé par cinquante-quatre personnalités parmi lesquelles figurait la majeure partie de la droite maurrassienne et quelques marginaux à l'égard de cette mouvance, comme Daniel Halévy et son beau-frère Jean-Louis Vaudoyer." (p.289)
"Il signa également par la suite, aux côtés d'Henri Massis, le texte "les Intellectuels aux côtés de la Patrie" paru dans Le Figaro du 7 juillet 1925, réponse adressée au texte de Barbusse protestant contre la guerre du Rif. Daniel Halévy collabora dès 1920 à la Revue Universelle que venait de fonder Jacques Bainville -dont Daniel Halévy avait beaucoup apprécié les articles durant la guerre- avec Henri Massis comme rédacteur en chef." (p.290)
[je saute jusqu'à 353]
-Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages.
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« La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).
« Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.
« Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".
Johnathan R. Razorback- Admin
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"L'européanisme, terme qu'il empruntait sans lui donner la signification commune, avait pour lui une acceptation non politique, strictement culturelle: il s'agissait uniquement de relations individuelles entre écrivains et intellectuels. Dans ce contexte, les groupements et institutions mis en place en 1920 lui importaient peu. […] Présent en 1932 à Genève pour suivre une session consacrée au désarmement, son récit laisse transparaître un sentiment de profonde inutilité. […] La menace orientale et les relations franco-allemandes, soucis communs à de nombreux intellectuels français, furent les deux thèmes récurrents de ses écrits européens au cours des années 20." (p.354)
"En novembre 1932, Daniel Halévy fut invité à Rome au Convegno Vola organisé par Mussolini pour célébrer les dix ans du régime fasciste et réfléchir à l'avenir de l'Europe. Assistant à diverses cérémonies fascistes, il eut l'occasion de constater ce qu'il appelait le "dressage" du peuple italien. Deux aspects le marquèrent fortement: l'importance des foules qui donnaient à l'Italie un visage nouveau et la personnalité de Mussolini en qui il discernait un comédien plus qu'un dictateur. […]
Ce n'était pas le régime fasciste en tant que tel qui était en cause, mais le fait social du nombre, l'effet produit par la masse. Dressant un constant identique en France à la même époque, il raisonnait sur une analogie entre les deux situations nationales sans relever la différence des régimes politiques. Au cours de son séjour, il fut convié à une audience de Mussolini: Halévy eut ainsi au palais de Venise un tête-à-tête avec le Duce, dans le cadre d'une mise en scène théâtrale, Daniel Halévy vit, à la nature des questions posées par Mussolini, que celui-ci avait lu sa Vie de Nietzsche, traduite en Italie en 1910. Il fut également interrogé sur les ouvrages qu'il venait de publier, La Fin des notables et Décadence de la liberté. […]
Il se trouvait en présence de délégations étrangères composées essentiellement de conservateurs, de réactionnaires et de fascistes: Alfred Rosenberg, Hermann Goering, Werner Sombart représentaient l'Allemagne. Il y avait parmi les Français Pierre Gaxotte, Louis Bertrand, Jérôme Carcopino. Un peu à l'écart de la délégation française se trouvait Hubert Lagardelle, invité par les autorités fascistes parce qu'il était un ancien ami de Sorel. A la demande des autorités françaises, Lagardelle resta en Italie auprès de l'ambassadeur Henry de Jouvenel afin de favoriser les relations avec Mussolini. Stefan Zweig et Daniel Halévy constituait des exceptions dans cet aéropage." (pp.358-359)
"A son retour d'Italie, D. Halévy avait confié à Pierre-Antoine Cousteau son hostilité aux régimes modernes: "[…] il y a dans le communisme ou le fascisme quelque chose d'absolument incompatible avec notre civilisation. Pour ma part, je me refuse formellement à en accepter les principes." [A. Cousteau, "Un entretien avec M. Daniel Halévy courriériste désabusé de l'Europe moderne", Je suis partout, 25 mars 1933, n°122] (p.360)
"Alors que Daniel Halévy avait depuis toujours négligé la politique comme champ d'étude, les années 30 -marquées par une profonde crise intellectuelle des libéraux- suscitèrent chez lui une recrudescence d'écrits portant sur la politique. Parallèlement à cette évolution, D. Halévy achevait avec la droite maurrassienne un rapprochement intellectuel." (p.363)
[Daniel Halévy, "Réponse de M. Daniel Halévy", Réaction, avril 1930, n°1, p.28]
"Une césure chronologique -celle du 6 février 1934- distingue deux périodes: jusqu'à cette date, la critique fut vive mais s'exprima sur un ton relativement modéré à l'exemple des articles repris dans le volume Décadence de la liberté en 1931 ; après le 6 février, les articles, réédités dans La République des comités (1934), furent marqués par un ton différent, pamphlétaire et parfois violent [antiparlementarisme]." (p.365)
"Jean de Fabrègues dans Réaction louait l'ouvrage et invitait l'auteur à parachever son évolution politique." (p.369)
"[Halévy] donnait à cette occasion une définition nettement conservatrice de la liberté, comme une "tâche" et non comme une "latitude", prônant une société dont l'homme serait un "instrument de grandeur" et non une "fin" en soi." (p.371)
"Le 9 février [1934], Daniel Halévy publia en première page des Débats un article d'une rare violence où il se félicitait du départ du ministre socialiste de l'Intérieur, Eugène Frot, ainsi que de l'entourage de Daladier, composé de "Jeunes radicaux"." (p.373)
[La République des Comités (1934) loué par Daudet dans Candide ; par Daudet et Maurras et Jacques Peschard dans L'Action française ; par Jean-Pierre Maxence dans Gringoire ; par Pierre Gaxotte et André Bellessort dans Je Suis partout ; par Charles Benoist dans la Revue Universelle ; entretien avec Georges Blond pour Candide ; cf pp.377-378]
"Profond antimaçonnisme." [remontant à 1910, cf p.379]
"Il ne craignait pas de mettre au jour de façon extrêmement polémique les fondements protestants de l'école laïque. Il insistait sur le rôle majeur de Félix Pécaut, Ferdinand Buisson, et Jules Steeg à Saint-Cloud et Fontenay, et franchissant un pas supplémentaire de la critique: "A côté du groupe scolaire on apercevrait d'autres groupes, ses alliés pour le combat, occasionnels ou permanents: le groupe maçon, le groupe juif, le groupe protestant, ce que M. Charles Maurras appelle, dans sa classification politique, les Etats confédérés" [Halévy, "France. De Re Gallica", Revue de Genève, mars 1925, pp.353-354]." (p.381)
"L'élitisme de Daniel Halévy, réponse à la poussée des masses dès le début du siècle, s'exprima alors de façon beaucoup plus forte qu'auparavant et s'accompagna d'un vif passéisme." (p.383)
"Que ce soit dans les rangs de la Jeune Droite, d'Ordre nouveau ou à Esprit, les essais et pamphlets d'Halévy écrits dans les années 1930 furent attentivement lus et unanimement approuvés." (p.387)
"Il suivit et patronna les activités de cette mouvance, présidant après René Dommange, René Gillouin et Abel Bonnard les dîners de la Revue du XXe siècle, héritière de la Revue du siècle." (p.389)
[p.390: l'auteur utilise "conservateurs" et "libéraux" comme interchangeable]
"Alfred Fabre-Luce (1899-1983), dont Halévy avait édité Russie 1927 aux "cahiers verts", avait été diplomate et membre de différents cabinets ministériels dans les années 1920 et s'intéressait de près aux questions de politique extérieure. De formation libérale, il se rapprocha à la fin des années 1920 des "Jeunes Turcs" du parti radical. Pour lui, la guerre avait profondément destructuré la civilisation européenne et modifié en conséquence les conditions du libéralisme. Tout son effort consista à aménager le libéralisme afin d'éviter qu'il ne disparaisse: il prit position pour un aménagement du libéralisme économique en revendiquant notamment le planisme et réclama une augmentation de l'autorité de l'Etat. Il était dans l'ensemble favorable à un néo-libéralisme autoritaire face aux totalitarismes. Ainsi accepta-t-il de participer en 1937 au "Front de la Liberté" de Doriot." (p.392)
"A gauche, Pierre Paraf, Georges Mongredien, et André Ulmann dénoncèrent avec force la dimension politique de l'ouvrage. Jacques Ancel, professeur à la Sorbonne, écrivit au directeur de L'Ordre, pour dénoncer un livre "qui rejoint les philosophes de l'hitlérisme". L'essai d'Halévy fut accueilli par les plus grandes plumes d'extrême droite avec enthousiasme: par Daudet, par Maurras qui salua les "démonstrations éclatantes" de Daniel Halévy, par Gaxotte qui consacra une étude à ce livre d'un "intérêt capital". L'Action française prit la défense de Daniel Halévy face aux critiques d'André Ulmann. Pour Jean-Pierre Maxence dans Gringoire: "Le culte de la révolution représente un culte de mort. Le procès semble à cet égard définitivement jugé" et Pierre Varillon estimait que l'Histoire d'une histoire… plaçait son auteur "au premier rang des historiens de la contre-révolution". Selon l'historien Philippe Ariès qui fit la connaissance de Daniel Halévy peu de temps après la publication du texte, celui-ci permettait de comprendre le rapprochement de l'auteur avec Maurras." (p.423)
"A la suite de l'Anschluss, le quotidien communiste Ce soir avait publié le 20 mars 1938 un manifeste appelant à l'union et la fraternité "devant le menace qui pèse sur notre pays et sur l'avenir de la culture française", signé par treize écrivains dont Aragon, Bernanos, Chamson, Guéhenno, Malraux, Mauriac, Montherlant et Schlumberger. Une réplique fut organisée, notamment par deux intellectuels du Parti Populaire Français (P. P. F.), Ramon Fernandez et Drieu La Rochelle. Le manifeste, "Unissons-nous pour refaire la France", fut publié le 27 mars dans plusieurs quotidiens: L'Action Française, Le Figaro et L'Echo de Paris. […] Il avait été signé par une partie notable de la droite maurrassienne: Henri Massis, André Bellessort, Léon Bérard, Abel Bonnard, André Chaumeix, Robert Brasillach, Jean de La Varende, Thierry Maulnier et Daniel Halévy, qui avait été sollicité par Drieu La Rochelle." (p.426)
"Entre 1920 et 1925, D. Halévy rencontra plusieurs fois Maurras." (p.429)
"Daniel Halévy publia peu sous l'Occupation: il écrivit trois ouvrages et moins de dix articles et études par an: il écrivit un peu moins pendant ces quatre années que lors de la seule année 1936. Il délaissa également son Journal, tenu très irrégulièrement depuis le début des années 1930. La critique politique des années 1930 n'avait plus de raison d'être sous le nouveau régime. Après les deux premières années d'Occupation pendant lesquelles il appuya le gouvernement, la politique céda la place à la littérature. Il revint pendant la période 1942-1944 à des sujets purement littéraires, dans un contexte de forte diminution de sa production. La disparition de la politique n'est pas la seule explication de cette évolution quantitative. De nombreuses revues et quotidiens auxquels il était attaché avaient disparu, soit sous l'effet de la censure, soit de leur propre volonté. D'autres encore modifièrent leur ligne éditoriale. Ce fut le cas du Journal des Débats: François de Wendel quitta le journal en décembre 1940, contraignant Nalèche à faire vivre le quotidien du financement de l'Etat. Le Journal des Débats devint alors "très collaborationniste" et Daniel Halévy ne put continuer dans ces conditions sa participation commencée en 1908. Il collabora ainsi aux Voix françaises, hebdomadaire catholique de Bordeaux soutenant sans réserve le maréchal Pétain, et dirigé alors par le chanoine Peuch assisté de deux rédacteurs en chef, Paul Lesourd et Louis-Georges Planes. Il donna également en 1943 et 1944 quelques articles au Petit Journal, organe du parti social français depuis l'été 1937, de ligne à la fois maréchaliste et anti-allemande. Lors des deux dernières années de la guerre, il écrivit également dans Candide des contributions purement littéraires, sans aucune allusion à la situation politique nationale ou internationale. Il participa aussi à Hier et demain, publication à mi-chemin de l'ouvrage et de la collection, éditée par la maison Sequana de l'éditeur René Julliard. Hier et demain était animée par une équipe catholique composée de François Le Grix, ancien directeur de la Revue hebdomadaire, Jean Soulairol, Jean Daujat, Pierre Lafue et Emmanuel Beau de Loménie. L'unique revue à laquelle il s'associa pendant la guerre fut la Revue universelle de Massis, repliée à Vichy. Il y assura la pré-publication d'une nouvelle biographie de Nietzsche, délaissant la Revue des Deux Mondes qu'André Chaumeix tenait pourtant à sa disposition.
De retour à Paris en septembre 1940, Daniel Halévy, tout en achevant la révision de son ouvrage consacré à Péguy, soutint le gouvernement du maréchal Pétain. Ecrivant dans des journaux de province en zone occupée, dans laquelle la presse de Vichy était moins influente qu'en zone libre, Daniel Halévy à l'instar d'autres anciens libéraux, devint un relais du pétainisme." (pp.438-439)
"Outre le soutien individuel au maréchal et aux idées de la Révolution nationale, Daniel Halévy -qui avoua à Jean Paulhan en août 1941 qu'il se serait senti honoré d'avoir été nommé au Conseil national- participa aussi à son niveau littéraire à l'effort de propagande. Ainsi en 1942, le secrétariat d'Etat à l'Information publia un album illustré en couleurs, Nouveaux Destins de l'intelligence française, dont les textes avaient été rassemblés par Henri Massis et publiés par l'Union bibliophile de France dirigée par le graveur Maximilien Vox. L'ouvrage s'ouvrait sur une introduction de Paul Marion, secrétaire général adjoint à la vice-présidence du Conseil, chargé de l'information et de la Propagande, placé à Vichy sous le contrôle direct de deux personnes que D. Halévy connaissait, Lucien Romier et Henri Moysset. Daniel Halévy qui avait reçu la charge d'évoquer le renouveau de la "pensée", écrivit finalement un texte sur les lettres, intitulé "Paris et son arène". Comparant la situation sur la littérature à Paris et en province, il saluait le réveil catholique dans les provinces exprimé par des écrivains ruraux, et terminait par un éloge de Gustave Thibon et de son ouvrage Diagnostics, très apprécié dans l'entourage traditionnaliste du maréchal. Le premier chapitre, "Avenir de l'intelligence française", avait été confié à Maurras. Albert Rivaud, Gustave Thibon, Marcel Arland, Thierry Maulnier, Mario Meunier, Louis Madelin, Octave Aubry, Pierre Lafue, Bernard Faÿ, Henri Gouhier, le doteur Alexis Carrel, le duc de Broglie, Charles Dufraisse, Maurice Caullery, Pierre Pruvot, Jacques Copeau, Alfred Cortot, Pierre du Colombier, Albert Laprade, Maximilien Vox et René Benjamin avaient collaboré à ce livre de propagande. Il fut réédité l'année suivante en édition ordinaire chez Sequana sous le titre: La France de l'esprit 1940-1943. Enquête sur les nouveaux destins de l'intelligence française." (pp.440-441)
"L'auteur encourageait la politique de repli national […] Fait nouveau sur lequel il ne revint plus par la suite, une discrète xénophobie se manifestait [dans Trois Epreuves 1815-1871-1940] lorsqu'il évoquait la situation de la population française: " […] désaccordée par l'afflux des allogènes qu'attirent en France ses vides intérieurs". Même la paysannerie, selon lui, avait été meurtrie par l'immigration italienne et polonaise." (p.443)
"Au début de l'année 1941, il relut et corrigea les épreuves d'une brochure de Drieu La Rochelle, Ne plus attendre, parue chez Grasset." (p.445)
"Après les écrits pétainistes de 1940-1942, Daniel Halévy abandonna toute prise de position publique en faveur du régime. Au cours des deux années qui suivirent, il entreprit la refonte complète de sa Vie de Frédéric Nietzsche. Cinquante ans après ses premières traductions de Nietzsche, il revenait à un sujet qui lui avait valu en 1909 son premier succès littéraire. Après ce livre, D. Halévy avait entièrement abandonné Nietzsche dans l'entre-deux-guerres, période pendant laquelle Charles Andler acheva son importante œuvre en six volumes, Nietzsche, sa vie et sa pensée. Le travail de D. Halévy pendant les deux dernières années de la guerre consista donc à approfondir son ouvrage antérieur, afin de construire un nouveau livre dont les premiers chapitres parurent en 1943 et 1944 dans Hier et demain et dans la Revue Universelle. Mis à part un livre de Jean-Edouard Spenlé, Nietzsche et le problème européen s'inscrivant dans la propagande raciste et européiste allemande, les publications françaises sur Nietzsche, assimilé à l'occupant, furent peu nombreuses. Comme dans le cas de l'ouvrage consacré à Péguy, la comparaison entre le Nietzsche de 1944-1945 et La Vie de Frédéric Nietzsche de 1909 apporte un éclairage sur les méthodes de travail de D. Halévy. L'ouvrage de 1944-1945 est une biographie classique avec les mêmes caractéristiques qu'en 1909: D. Halévy s'intéresse essentiellement à la vie du penseur et à la génèse de ses écrits, délaissant l'analyse de la pensée. Par ailleurs, de nombreux passages du premier ouvrage sont repris in extenso. Sur le fond, un trait pourtant apparaissait plus nettement qu'en 1909, l'éloge en Nietzsche de l'intellectuel solitaire se retirant du monde. En outre, l'auteur réaffirme dans les dernières pages du livre sa position de 1937 sur l'impossibilité de réduire le nazisme à l'influence de Nietzsche. Les deux ouvrages consacrés à Péguy et à Nietzsche sont le fruit d'un approfondissement de sujets anciens de la part d'un auteur septuagénaire qui revient à des rencontres et des confrontations de la jeunesse et de la maturité. Ces deux livres indiquent également que Daniel Halévy, après l'investissement littéraire des années 1920, puis la période historique et politique des années 1930, peine à trouver de nouveaux objets de réflexion et à renouveler son inspiration.
Daniel Halévy resta tout au long de la guerre en région parisienne malgré la menace que ses origines juives faisaient peser sur lui." (pp.446-447)
"Au printemps 1937, G. Guy-Grand avait organisé un débat à l'Union pour la vérité sur "Nietzsche et la crise de l'esprit contemporain", avec un exposé du germaniste Edmond Vermeil suivi d'une réponse de D. Halévy." (note 2 p.447)
-Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages.
"En novembre 1932, Daniel Halévy fut invité à Rome au Convegno Vola organisé par Mussolini pour célébrer les dix ans du régime fasciste et réfléchir à l'avenir de l'Europe. Assistant à diverses cérémonies fascistes, il eut l'occasion de constater ce qu'il appelait le "dressage" du peuple italien. Deux aspects le marquèrent fortement: l'importance des foules qui donnaient à l'Italie un visage nouveau et la personnalité de Mussolini en qui il discernait un comédien plus qu'un dictateur. […]
Ce n'était pas le régime fasciste en tant que tel qui était en cause, mais le fait social du nombre, l'effet produit par la masse. Dressant un constant identique en France à la même époque, il raisonnait sur une analogie entre les deux situations nationales sans relever la différence des régimes politiques. Au cours de son séjour, il fut convié à une audience de Mussolini: Halévy eut ainsi au palais de Venise un tête-à-tête avec le Duce, dans le cadre d'une mise en scène théâtrale, Daniel Halévy vit, à la nature des questions posées par Mussolini, que celui-ci avait lu sa Vie de Nietzsche, traduite en Italie en 1910. Il fut également interrogé sur les ouvrages qu'il venait de publier, La Fin des notables et Décadence de la liberté. […]
Il se trouvait en présence de délégations étrangères composées essentiellement de conservateurs, de réactionnaires et de fascistes: Alfred Rosenberg, Hermann Goering, Werner Sombart représentaient l'Allemagne. Il y avait parmi les Français Pierre Gaxotte, Louis Bertrand, Jérôme Carcopino. Un peu à l'écart de la délégation française se trouvait Hubert Lagardelle, invité par les autorités fascistes parce qu'il était un ancien ami de Sorel. A la demande des autorités françaises, Lagardelle resta en Italie auprès de l'ambassadeur Henry de Jouvenel afin de favoriser les relations avec Mussolini. Stefan Zweig et Daniel Halévy constituait des exceptions dans cet aéropage." (pp.358-359)
"A son retour d'Italie, D. Halévy avait confié à Pierre-Antoine Cousteau son hostilité aux régimes modernes: "[…] il y a dans le communisme ou le fascisme quelque chose d'absolument incompatible avec notre civilisation. Pour ma part, je me refuse formellement à en accepter les principes." [A. Cousteau, "Un entretien avec M. Daniel Halévy courriériste désabusé de l'Europe moderne", Je suis partout, 25 mars 1933, n°122] (p.360)
"Alors que Daniel Halévy avait depuis toujours négligé la politique comme champ d'étude, les années 30 -marquées par une profonde crise intellectuelle des libéraux- suscitèrent chez lui une recrudescence d'écrits portant sur la politique. Parallèlement à cette évolution, D. Halévy achevait avec la droite maurrassienne un rapprochement intellectuel." (p.363)
[Daniel Halévy, "Réponse de M. Daniel Halévy", Réaction, avril 1930, n°1, p.28]
"Une césure chronologique -celle du 6 février 1934- distingue deux périodes: jusqu'à cette date, la critique fut vive mais s'exprima sur un ton relativement modéré à l'exemple des articles repris dans le volume Décadence de la liberté en 1931 ; après le 6 février, les articles, réédités dans La République des comités (1934), furent marqués par un ton différent, pamphlétaire et parfois violent [antiparlementarisme]." (p.365)
"Jean de Fabrègues dans Réaction louait l'ouvrage et invitait l'auteur à parachever son évolution politique." (p.369)
"[Halévy] donnait à cette occasion une définition nettement conservatrice de la liberté, comme une "tâche" et non comme une "latitude", prônant une société dont l'homme serait un "instrument de grandeur" et non une "fin" en soi." (p.371)
"Le 9 février [1934], Daniel Halévy publia en première page des Débats un article d'une rare violence où il se félicitait du départ du ministre socialiste de l'Intérieur, Eugène Frot, ainsi que de l'entourage de Daladier, composé de "Jeunes radicaux"." (p.373)
[La République des Comités (1934) loué par Daudet dans Candide ; par Daudet et Maurras et Jacques Peschard dans L'Action française ; par Jean-Pierre Maxence dans Gringoire ; par Pierre Gaxotte et André Bellessort dans Je Suis partout ; par Charles Benoist dans la Revue Universelle ; entretien avec Georges Blond pour Candide ; cf pp.377-378]
"Profond antimaçonnisme." [remontant à 1910, cf p.379]
"Il ne craignait pas de mettre au jour de façon extrêmement polémique les fondements protestants de l'école laïque. Il insistait sur le rôle majeur de Félix Pécaut, Ferdinand Buisson, et Jules Steeg à Saint-Cloud et Fontenay, et franchissant un pas supplémentaire de la critique: "A côté du groupe scolaire on apercevrait d'autres groupes, ses alliés pour le combat, occasionnels ou permanents: le groupe maçon, le groupe juif, le groupe protestant, ce que M. Charles Maurras appelle, dans sa classification politique, les Etats confédérés" [Halévy, "France. De Re Gallica", Revue de Genève, mars 1925, pp.353-354]." (p.381)
"L'élitisme de Daniel Halévy, réponse à la poussée des masses dès le début du siècle, s'exprima alors de façon beaucoup plus forte qu'auparavant et s'accompagna d'un vif passéisme." (p.383)
"Que ce soit dans les rangs de la Jeune Droite, d'Ordre nouveau ou à Esprit, les essais et pamphlets d'Halévy écrits dans les années 1930 furent attentivement lus et unanimement approuvés." (p.387)
"Il suivit et patronna les activités de cette mouvance, présidant après René Dommange, René Gillouin et Abel Bonnard les dîners de la Revue du XXe siècle, héritière de la Revue du siècle." (p.389)
[p.390: l'auteur utilise "conservateurs" et "libéraux" comme interchangeable]
"Alfred Fabre-Luce (1899-1983), dont Halévy avait édité Russie 1927 aux "cahiers verts", avait été diplomate et membre de différents cabinets ministériels dans les années 1920 et s'intéressait de près aux questions de politique extérieure. De formation libérale, il se rapprocha à la fin des années 1920 des "Jeunes Turcs" du parti radical. Pour lui, la guerre avait profondément destructuré la civilisation européenne et modifié en conséquence les conditions du libéralisme. Tout son effort consista à aménager le libéralisme afin d'éviter qu'il ne disparaisse: il prit position pour un aménagement du libéralisme économique en revendiquant notamment le planisme et réclama une augmentation de l'autorité de l'Etat. Il était dans l'ensemble favorable à un néo-libéralisme autoritaire face aux totalitarismes. Ainsi accepta-t-il de participer en 1937 au "Front de la Liberté" de Doriot." (p.392)
"A gauche, Pierre Paraf, Georges Mongredien, et André Ulmann dénoncèrent avec force la dimension politique de l'ouvrage. Jacques Ancel, professeur à la Sorbonne, écrivit au directeur de L'Ordre, pour dénoncer un livre "qui rejoint les philosophes de l'hitlérisme". L'essai d'Halévy fut accueilli par les plus grandes plumes d'extrême droite avec enthousiasme: par Daudet, par Maurras qui salua les "démonstrations éclatantes" de Daniel Halévy, par Gaxotte qui consacra une étude à ce livre d'un "intérêt capital". L'Action française prit la défense de Daniel Halévy face aux critiques d'André Ulmann. Pour Jean-Pierre Maxence dans Gringoire: "Le culte de la révolution représente un culte de mort. Le procès semble à cet égard définitivement jugé" et Pierre Varillon estimait que l'Histoire d'une histoire… plaçait son auteur "au premier rang des historiens de la contre-révolution". Selon l'historien Philippe Ariès qui fit la connaissance de Daniel Halévy peu de temps après la publication du texte, celui-ci permettait de comprendre le rapprochement de l'auteur avec Maurras." (p.423)
"A la suite de l'Anschluss, le quotidien communiste Ce soir avait publié le 20 mars 1938 un manifeste appelant à l'union et la fraternité "devant le menace qui pèse sur notre pays et sur l'avenir de la culture française", signé par treize écrivains dont Aragon, Bernanos, Chamson, Guéhenno, Malraux, Mauriac, Montherlant et Schlumberger. Une réplique fut organisée, notamment par deux intellectuels du Parti Populaire Français (P. P. F.), Ramon Fernandez et Drieu La Rochelle. Le manifeste, "Unissons-nous pour refaire la France", fut publié le 27 mars dans plusieurs quotidiens: L'Action Française, Le Figaro et L'Echo de Paris. […] Il avait été signé par une partie notable de la droite maurrassienne: Henri Massis, André Bellessort, Léon Bérard, Abel Bonnard, André Chaumeix, Robert Brasillach, Jean de La Varende, Thierry Maulnier et Daniel Halévy, qui avait été sollicité par Drieu La Rochelle." (p.426)
"Entre 1920 et 1925, D. Halévy rencontra plusieurs fois Maurras." (p.429)
"Daniel Halévy publia peu sous l'Occupation: il écrivit trois ouvrages et moins de dix articles et études par an: il écrivit un peu moins pendant ces quatre années que lors de la seule année 1936. Il délaissa également son Journal, tenu très irrégulièrement depuis le début des années 1930. La critique politique des années 1930 n'avait plus de raison d'être sous le nouveau régime. Après les deux premières années d'Occupation pendant lesquelles il appuya le gouvernement, la politique céda la place à la littérature. Il revint pendant la période 1942-1944 à des sujets purement littéraires, dans un contexte de forte diminution de sa production. La disparition de la politique n'est pas la seule explication de cette évolution quantitative. De nombreuses revues et quotidiens auxquels il était attaché avaient disparu, soit sous l'effet de la censure, soit de leur propre volonté. D'autres encore modifièrent leur ligne éditoriale. Ce fut le cas du Journal des Débats: François de Wendel quitta le journal en décembre 1940, contraignant Nalèche à faire vivre le quotidien du financement de l'Etat. Le Journal des Débats devint alors "très collaborationniste" et Daniel Halévy ne put continuer dans ces conditions sa participation commencée en 1908. Il collabora ainsi aux Voix françaises, hebdomadaire catholique de Bordeaux soutenant sans réserve le maréchal Pétain, et dirigé alors par le chanoine Peuch assisté de deux rédacteurs en chef, Paul Lesourd et Louis-Georges Planes. Il donna également en 1943 et 1944 quelques articles au Petit Journal, organe du parti social français depuis l'été 1937, de ligne à la fois maréchaliste et anti-allemande. Lors des deux dernières années de la guerre, il écrivit également dans Candide des contributions purement littéraires, sans aucune allusion à la situation politique nationale ou internationale. Il participa aussi à Hier et demain, publication à mi-chemin de l'ouvrage et de la collection, éditée par la maison Sequana de l'éditeur René Julliard. Hier et demain était animée par une équipe catholique composée de François Le Grix, ancien directeur de la Revue hebdomadaire, Jean Soulairol, Jean Daujat, Pierre Lafue et Emmanuel Beau de Loménie. L'unique revue à laquelle il s'associa pendant la guerre fut la Revue universelle de Massis, repliée à Vichy. Il y assura la pré-publication d'une nouvelle biographie de Nietzsche, délaissant la Revue des Deux Mondes qu'André Chaumeix tenait pourtant à sa disposition.
De retour à Paris en septembre 1940, Daniel Halévy, tout en achevant la révision de son ouvrage consacré à Péguy, soutint le gouvernement du maréchal Pétain. Ecrivant dans des journaux de province en zone occupée, dans laquelle la presse de Vichy était moins influente qu'en zone libre, Daniel Halévy à l'instar d'autres anciens libéraux, devint un relais du pétainisme." (pp.438-439)
"Outre le soutien individuel au maréchal et aux idées de la Révolution nationale, Daniel Halévy -qui avoua à Jean Paulhan en août 1941 qu'il se serait senti honoré d'avoir été nommé au Conseil national- participa aussi à son niveau littéraire à l'effort de propagande. Ainsi en 1942, le secrétariat d'Etat à l'Information publia un album illustré en couleurs, Nouveaux Destins de l'intelligence française, dont les textes avaient été rassemblés par Henri Massis et publiés par l'Union bibliophile de France dirigée par le graveur Maximilien Vox. L'ouvrage s'ouvrait sur une introduction de Paul Marion, secrétaire général adjoint à la vice-présidence du Conseil, chargé de l'information et de la Propagande, placé à Vichy sous le contrôle direct de deux personnes que D. Halévy connaissait, Lucien Romier et Henri Moysset. Daniel Halévy qui avait reçu la charge d'évoquer le renouveau de la "pensée", écrivit finalement un texte sur les lettres, intitulé "Paris et son arène". Comparant la situation sur la littérature à Paris et en province, il saluait le réveil catholique dans les provinces exprimé par des écrivains ruraux, et terminait par un éloge de Gustave Thibon et de son ouvrage Diagnostics, très apprécié dans l'entourage traditionnaliste du maréchal. Le premier chapitre, "Avenir de l'intelligence française", avait été confié à Maurras. Albert Rivaud, Gustave Thibon, Marcel Arland, Thierry Maulnier, Mario Meunier, Louis Madelin, Octave Aubry, Pierre Lafue, Bernard Faÿ, Henri Gouhier, le doteur Alexis Carrel, le duc de Broglie, Charles Dufraisse, Maurice Caullery, Pierre Pruvot, Jacques Copeau, Alfred Cortot, Pierre du Colombier, Albert Laprade, Maximilien Vox et René Benjamin avaient collaboré à ce livre de propagande. Il fut réédité l'année suivante en édition ordinaire chez Sequana sous le titre: La France de l'esprit 1940-1943. Enquête sur les nouveaux destins de l'intelligence française." (pp.440-441)
"L'auteur encourageait la politique de repli national […] Fait nouveau sur lequel il ne revint plus par la suite, une discrète xénophobie se manifestait [dans Trois Epreuves 1815-1871-1940] lorsqu'il évoquait la situation de la population française: " […] désaccordée par l'afflux des allogènes qu'attirent en France ses vides intérieurs". Même la paysannerie, selon lui, avait été meurtrie par l'immigration italienne et polonaise." (p.443)
"Au début de l'année 1941, il relut et corrigea les épreuves d'une brochure de Drieu La Rochelle, Ne plus attendre, parue chez Grasset." (p.445)
"Après les écrits pétainistes de 1940-1942, Daniel Halévy abandonna toute prise de position publique en faveur du régime. Au cours des deux années qui suivirent, il entreprit la refonte complète de sa Vie de Frédéric Nietzsche. Cinquante ans après ses premières traductions de Nietzsche, il revenait à un sujet qui lui avait valu en 1909 son premier succès littéraire. Après ce livre, D. Halévy avait entièrement abandonné Nietzsche dans l'entre-deux-guerres, période pendant laquelle Charles Andler acheva son importante œuvre en six volumes, Nietzsche, sa vie et sa pensée. Le travail de D. Halévy pendant les deux dernières années de la guerre consista donc à approfondir son ouvrage antérieur, afin de construire un nouveau livre dont les premiers chapitres parurent en 1943 et 1944 dans Hier et demain et dans la Revue Universelle. Mis à part un livre de Jean-Edouard Spenlé, Nietzsche et le problème européen s'inscrivant dans la propagande raciste et européiste allemande, les publications françaises sur Nietzsche, assimilé à l'occupant, furent peu nombreuses. Comme dans le cas de l'ouvrage consacré à Péguy, la comparaison entre le Nietzsche de 1944-1945 et La Vie de Frédéric Nietzsche de 1909 apporte un éclairage sur les méthodes de travail de D. Halévy. L'ouvrage de 1944-1945 est une biographie classique avec les mêmes caractéristiques qu'en 1909: D. Halévy s'intéresse essentiellement à la vie du penseur et à la génèse de ses écrits, délaissant l'analyse de la pensée. Par ailleurs, de nombreux passages du premier ouvrage sont repris in extenso. Sur le fond, un trait pourtant apparaissait plus nettement qu'en 1909, l'éloge en Nietzsche de l'intellectuel solitaire se retirant du monde. En outre, l'auteur réaffirme dans les dernières pages du livre sa position de 1937 sur l'impossibilité de réduire le nazisme à l'influence de Nietzsche. Les deux ouvrages consacrés à Péguy et à Nietzsche sont le fruit d'un approfondissement de sujets anciens de la part d'un auteur septuagénaire qui revient à des rencontres et des confrontations de la jeunesse et de la maturité. Ces deux livres indiquent également que Daniel Halévy, après l'investissement littéraire des années 1920, puis la période historique et politique des années 1930, peine à trouver de nouveaux objets de réflexion et à renouveler son inspiration.
Daniel Halévy resta tout au long de la guerre en région parisienne malgré la menace que ses origines juives faisaient peser sur lui." (pp.446-447)
"Au printemps 1937, G. Guy-Grand avait organisé un débat à l'Union pour la vérité sur "Nietzsche et la crise de l'esprit contemporain", avec un exposé du germaniste Edmond Vermeil suivi d'une réponse de D. Halévy." (note 2 p.447)
-Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages.
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« La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).
« Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.
« Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".