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    Michel Winock, Les générations intellectuelles

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Michel Winock, Les générations intellectuelles Empty Michel Winock, Les générations intellectuelles

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 13 Jan 2020 - 17:39

    https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1989_num_22_1_2124

    "On peut parler d'événement dateur lorsque celui-ci frappe de plein fouet des jeunes gens en train de s'éveiller à la conscience politique." (p.18)

    "Quel que soit le sujet, [l'historien] fait métier d'abstraction, découpant dans la durée les objets de ses études." (p.19)

    "C'est pourquoi nous préférons à cette approche trop unanimiste la notion d'une communauté de système idéologique. Ce qui appartient à tous est la question dominante du moment, celle qui surgir à cette "période de réceptivité"." (p.19)

    "Ce que ces jeunes gens partagent, à l'orée des années 1930, c'est le mot "révolution". Tous l'utilisent pour signifier leur esprit de révolte contre une société qu'ils jugent indéfendable. […] Profondément antilibéraux, les non-conformistes étiquetés aussi bien que les marxistes rejettent le capitalisme et son masque politique: l'oligarchie parlementaire ; ils en appellent les uns et les autres à un monde plus fraternel, plus communautaire. Rejetant avec violence les délices de l'expansion à la fin des années 1920, ils voient leurs thèses antilibérales confirmées lorsque la crise économique mondiale atteint la France au début des années 1930. Dire qu'ils sont la génération "de la crise" pourrait abuser, dans la mesure où leurs jugements sur le régime économique et politique était, la plupart du temps, arrêté avant la catastrophe. L'affairisme, les scandales financiers, les fortunes ostentatoires, le boom des "années folles" avaient déjà aiguisé leurs griffes. Simplement, entre les uns et les autres il y a divergence sur les solutions. "Ni droite ni gauche", "révolution personnaliste", "troisième force", "fédéralisme", autant de slogans ou de mots d'ordre que ne peuvent admettre les jeunes communises, pénétrés d'une vérité qu'en face du capitalisme -qui est un- il ne saurait y avoir que la révolution et la dictature du prolétariat. La "révolution", ses formes, sa nature, son avenir, tel est l'axe d'une réflexion commune, autour duquel s'organise ce que nous avons appelé plus haut un système idéologique. N'insistons pas sur des analyses déjà faites ailleurs, mais précisons les données purement générationnelles de cette configuration nouvelle.
    Ces jeunes gens, nés grosso modo entre 1900 et 1910, ont vécu la Grande Guerre comme enfants ou adolescents. Leurs pères et leurs aînés longtemps absents ou morts au combat ou dans les suites de leurs blessures, ils ont formé une sorte de génération orpheline, tôt murie, tôt émancipée. "Nous nous félicitions, écrira Henri Lefebvre, d'avoir échappé à la boue des tranchées, qui ne cessait pas de maculer à nos yeux les pédants de la gloire, les rhéteurs de la victoire. Jamais peut-être un conflit de générations n'a été aussi aigu..." Les têtes de files de non-conformistes s'appellent Emmanuel Mounier (né en 1905), fondateur d'Esprit avec Georges Izard (1903), bientôt rejoint par Henri Marrou (1904), François Perroux (1903). Par parenthèse, on pourrait dessiner les contours d'une nouvelle génération catholique qui dépasse les limites réduites des comités de revues: qu'on songe à Hubert Beuve-Méry (1902), Joseph Folliet, Henri Guillemain (1903), Paul Vignaux (1904), Etienne Borne (1907), qui représente à eux seuls les sources de plusieurs courants chrétiens démocrate. Mais la droite traditionaliste a renouvelé, elle aussi, ses rangs: Jean de Fabrègues, directeur de Réaction, animateur de La Revue du siècle, est né en 1906 ; Gustave Thibon est de 1903, Maurras, Massis, Maritain (jusqu'en 1926) continuaient, notamment par "Le roseau d'or" (collection chrétienne des éditions Plon) à former des disciples dans la lignée de l'Action française. La condamnation pontificale des thèses maurrassiennes, en 1926, aura une portée considérable sur les milieux intellectuels catholiques, permettant un redéploiement des tendances au profit du pluralisme. Parmi les autres figures de proue des non-conformistes, les fondateurs de L'Ordre nouveau, Arnaud Dandieu (1897) et Robert Aron (1898), hors de la tradition chrétienne, se retrouvent aussi dans ce carrefour encombré où l'on défend la révolution contre le marxisme et la fraternité humaine contre la démocratie parlementaire.
    Cependant, ce rejet de la société contemporaine était partagé par des jeunes gens qui avaient adopté une position plus radicale: celle de la révolution prolétarienne. De façon éphémère mais significative, La Revue marxiste, conçue dans une turne (B56) de la Rue d'Ulm en 1928, fut le point de ralliement de jeunes intellectuels séduits par le communisme mais entendant garder un quant-à-soi philosophique. La revue était financée par Georges Friedman (1902) et animée par Henri Lefebvre (1903), Georges Politzer (1903), Paul Nizan (1905), Jean Bruhat (1905) et Georges Cogniot (1901) -phalange générationnelle qui se fera bientôt remettre à la raison par la direction du Parti communiste.
    Cette génération très riche des années 1930 émergea, cependant, en jaillissements successifs. Après la secousse du 6 février 1934, la problématique majeure tourna autour du fascisme, puis, après 1936 (Rhénanie et guerre d'Espagne), du double dilemme, pour les uns de l'antifascisme et du pacifisme, pour les autres de l' "anti-fascisme" et du nationalisme. Une nouvelle redistribution des cartes brassa plusieurs générations entre elles, comme ce fut le cas du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, mais on vit se perpétuer le phénomène générationnel dans quelques nouveaux groupes concrets entre lesquels nous retiendrons deux exemples: celui de Je suis partout et celui de Combat. Un hebdomadaire d'une influence relativement large et une revue théorique pour petit nombre. Tous deux publications d'extrême droite, comme si, dans les rangs de la gauche la génèse et la victoire du Front populaire avaient déterminé l'hégémonie de la notion de classe sur toute autre et tari du même coup les organes à définition générationnelle. Je suis partout, relancé en 1936, s'affirme nettement "fasciste". Ses principaux collaborateurs sont issus de deux générations successives, la génération du feu et celle de la crise. En fait, un examen rapide des noms les plus connus, les plus importants, révèle à quel point l'hebdomadaire en question est le produit d'une génération dominante. Ainsi, sont nés: en 1898, Alain Laubreaux ; en 1899, Jean Fontenoy ; en 1902, Claude Jeannet et Camille Fégy ; en 1903, Lucien Rebatet ; en 1904, André Nicolas et Ralph Soupault ; en 1906, Georges Blond et Pierre-Antoine Cousteau ; en 1909, Robert Brasillach et Maurice Bardèche. Comme les rédacteurs de Je suis partout (parfois ce sont les mêmes), les collaborateurs de Combat sont issus pour la plupart de l'Action française. Précisément, ils représentent les jeunes troupes intellectuelles qui reprochent à Maurras d'en rester à la problématique de l'affaire Dreyfus et de se montrer incapable d'agir. Cette revue a paru de janvier 1936 à juillet 1939. Outre Brasillach et Blond déjà cités, les principaux collaborateurs en ont été Thierry Maulnier (1909), Maurice Blanchot (1907), Pierre Andreu (1909). Jean de Fabrègues précisait, en 1939, la filiation: "Vers les années trente, nous commencions avec Réaction l'effort qui devait aboutir à Combat".
    Cette génération de la crise n'avait pas encore développé toutes ses potentialités puisqu'il faut attendre les lendemains de la seconde guerre mondiale pour assister à l'entrée dans l'arène de ses deux membres que l'on peut considérer aujourd'hui comme prééminents: Jean-Paul Sartre et Raymond Aron. Arrêtons-nous seulement à cette observation: les grands moyens d'expression intellectuelle de l'après-guerre sont dans une large mesure sous le contrôle ou sous l'influence décisive de cette génération: Le Monde avec Hubert Beuve-Méry (1903), Les Temps modernes avec Sartre (1905), Esprit avec Mounier (1905) et Preuves (à partir de 1950) avec Raymond Aron (1905)… A quoi l'on pourrait ajouter le Combat d'Albert Camus (1913), plus tard la revue et la tendance Reconstruction, qui allait conduire la CFTC à la CFDT sous la direction intellectuelle et morale de Paul Vignaux (1904)… Nous sommes frappé, en effet, par l'extraordinaire fécondité de cette génération intellectuelle, de ces enfants du siècle, nés avant la Grande Guerre, rebondissant d'événement en événement pour s'affirmer par de nouvelles voix. Nous n'avons mentionné que les groupes concrets les plus connus, mais qu'on songe à quelques autres noms: André Chamson, Armand Salacrou, Frédéric Joliot-Curie (millésime 1900), André Malraux, Claude Aveline, Benoist-Meschin (1901), Gabriel Péri, André Philip (1902), Jean Cavaillès, Pascal Pia, Philippe Lamour, Vladimir Jankélévitch (1903), Goerges Canguilhem (1904), Colette Audry (1906), Raymond Abellio, René Char, Roger Vailland, Jean Hyppolite (1907), Claude Lévi-Strauss, Maurice Merleau-Ponty, Simonde de Beauvoir (1908), Simone Weil, Claude Bourdet, Edith Thomas (1909)…
    Au total, une génération qui a traversé le siècle, expérimenté toutes les philosophies sociales et illustré plus que tout autre l'éthique de l'engagement, terme déjà employé par Mounier avant la guerre, et devenu un impératif catégorique sous la plume de Sartre au lendemain de la Libération. Génération moins littéraire que la précédente, plus philosophe et politique, fondatrice d'écoles et riche de disciples. Affirmée avant une guerre mondiale comme la génération d'Agaton, mais moins ravagée que celle-ci par des combats plus brefs ou plus sporadiques, elle domine l'après-guerre et exerce pendant longtemps son autorité sur ceux qui suivent. Elle est par excellence la grande génération du siècle." (pp.26-29)

    "GRECE, nouvel avatar du nationalisme, propre à la génération de 1968." (p.33)
    -Michel Winock, "Les générations intellectuelles", Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Année 1989, 22, pp. 17-38.

    "La génération forme un cercle assez étroit d'individus qui, malgré la diversité des autres facteurs entrant en ligne de compte, sont reliés en un tout homogène par le fait qu'ils dépendent des mêmes grands événements et changements survenus durant leur période de réceptivité."
    -Wilhem Dilthey, Le monde de l'esprit, tome 1, Histoire des sciences humaines, Aubier-Montaigne, 1947, p.42.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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