https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/histoire-des-condamnations-du-liberalisme-par-l-eglise
La condamnation du socialisme et du communisme par l’Église catholique est régulièrement rappelée, et à raison. On oublie cependant trop souvent qu’une autre idéologie est condamnée par l’Église : le libéralisme.
Grégoire XVI, encyclique Mirari Vos (1832)
Grégoire XVI, dans son encyclique Mirari Vos, condamne l’indifférentisme religieux et les idées libérales de Lamennais et du journal l’Avenir :
« Nous venons maintenant à une cause, hélas ! trop féconde des maux déplorables qui affligent à présent l’Église. Nous voulons dire l’indifférentisme, ou cette opinion funeste répandue partout par la fourbe des méchants, qu’on peut, par une profession de foi quelconque, obtenir le salut éternel de l’âme, pourvu qu’on ait des mœurs conformes à la justice et à la probité. [...] De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’Église et de l’État, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. » [1].
Pie IX, Syllabus (1864)
Rédigé pour accompagner son encyclique Quanta Cura, et publié le 8 décembre 1864, le Syllabus dresse la liste des principales erreurs que condamne l’Église en ce temps. Les quatre dernières sont rangées sous le titre « Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne » :
« LXXVII. A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.
LXXVIII. Aussi c’est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers.
LXXIX. Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l’esprit, et propagent la peste de l’Indifférentisme.
LXXX. Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. » [2].
Léon XIII, encyclique Libertas praestantissimum (1888)
Le concept de liberté fit l’objet d’une encyclique publiée en 1888 par le pape Léon XIII (1878-1903). Elle y aborde, entre autre, les vices qui découlent du libéralisme.
« [...] il en est un grand nombre qui, à l’exemple de Lucifer, de qui est ce mot criminel : « Je ne servirai pas », entendent par le nom de liberté ce qui n’est qu’une pure et absurde licence. Tels sont ceux qui appartiennent à cette école si répandue et si puissante et qui, empruntant leur nom au mot de liberté, veulent être appelés Libéraux.
Et, en effet, ce que sont les partisans du Naturalisme et du Rationalisme en philosophie, les fauteurs du Libéralisme le sont dans l’ordre moral et civil, puisqu’ils introduisent dans les mœurs et la pratique de la vie les principes posés par les partisans du Naturalisme. Or, le principe de tout rationalisme, c’est la domination souveraine de la raison humaine, qui , refusant l’obéissance due à la raison divine et éternelle, et prétendant ne relever que d’elle-même, ne se reconnaît qu’elle seule pour principe suprême, source et juge de la vérité. Telle est la prétention des sectateurs du Libéralisme dont Nous avons parlé ; selon eux, il n’y a dans la pratique de la vie aucune puissance divine à laquelle on soit tenu d’obéir, mais chacun est à soi-même sa propre loi. De là, procède cette morale que l’on appelle indépendante et qui, sous l’apparence de la liberté, détournant la volonté de l’observation des divins préceptes, conduit l’homme à une licence illimitée. [...]
[...] Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Église ceux qui professent le Libéralisme. [...]
[...] Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la liberté et révolte ; et c’est précisément d’une telle disposition d’âme que se constitue et que naît le vice capital du Libéralisme. On peut, du reste, en distinguer plusieurs espèces ; car il y a pour la volonté plus d’une forme et plus d’un degré dans le refus de l’obéissance due à Dieu ou à ceux qui participent à son autorité divine. [...]
[...] S’insurger complètement contre l’empire suprême de Dieu et lui refuser absolument toute obéissance, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée et domestique, c’est à la fois, sans nul doute, la plus grande dépravation de la liberté et la pire espèce de Libéralisme. C’est sur elle que doivent tomber sans restriction tous les blâmes que nous avons jusqu’ici formulés.[...] » [3].
Saint Pie X (1907)
A deux reprises au court de l’année 1907, le pape saint Pie X condamnait les erreurs du libéralisme et du modernisme. Une première fois dans son allocution "Accogliamento" du 17 avril 1907, une seconde lors de la promulgation du décret "Lamentabili sane exitu" le 4 juillet 1907.
« [...] Et rebelles ne sont que trop ceux qui professent et répètent, sous des formes subtiles, des erreurs monstrueuses sur l’évolution du dogme, sur le retour au pur Évangile - c’est-à-dire à l’Évangile émondé, comme ils disent, des explications de la théologie, des définitions des Conciles, des maximes de l’ascétisme, - sur l’émancipation de l’Église, à leur manière nouvelle, sans se révolter afin de ne pas être chassé, sans se soumettre néanmoins pour ne point manquer à ses propres convictions ; enfin, sur l’adaptation aux temps présents, en tout, dans la manière de parler, d’écrire et de prêcher une charité sans foi, très indulgente envers les incroyants, mais qui ouvre à tous la voie de la ruine éternelle. [...] » [4]
Les trois dernières des quarante-cinq erreurs principales du modernisme dont le pape saint Pie X a voulu rappeler la condamnation par l’Église :
« LXIII. - L’Église se montre incapable de défendre efficacement la morale évangélique, parce qu’elle se tient obstinément attachée à des doctrines immuables qui ne peuvent se concilier avec les progrès actuels.
LXIV. - Le progrès des sciences exige que l’on réforme les concepts de la doctrine chrétienne sur Dieu, sur la Création, sur la Révélation, sur la Personne du Verbe Incarné, sur la Rédemption.
LXV. - Le catholicisme d’aujourd’hui ne peut se concilier avec la vraie science à moins de se transformer en un certain christianisme non dogmatique, c’est-à-dire en un protestantisme large et libéral. » [5]
Pie XI, encyclique Quadragesimo anno (1931)
Dans son encyclique Divini Redemptoris condamnant une nouvelle fois le communisme athée, Pie XI, fustigeant « le libéralisme amoral » déclarait : « Le libéralisme a frayé la voie au communisme » [6].
Quelques années auparavant, en mai 1931, le pape Pie XI publiait l’encyclique Quadragesimo Anno, 40 ans après Rerum Novarum (d’où son nom : « dans la quarantième année ») sur l’ordre économique et social. Il y préconise l’établissement d’un ordre social basé sur le principe de subsidiarité et dénonce les « fausses maximes » et les « postulats trompeurs » du libéralisme.
« [...] l’admirable doctrine qui fait de l’encyclique Rerum Novarum un document inoubliable. Le grand Pape [...] ne demande rien au libéralisme, rien non plus au socialisme, le premier s’étant révélé totalement impuissant à bien résoudre la question sociale, et le second proposant un remède pire que le mal, qui eût fait courir la société humaine de plus grands dangers. [...]
[...] la réalité, il est vrai, n’a pas toujours et partout exactement répondu à ces postulats du libéralisme manchesterien ; on ne peut toutefois nier que le régime économique et social n’ait incliné d’un mouvement constant dans le sens qu’ils préconisaient. Aussi, personne ne s’étonnera de la vive opposition que ces fausses maximes et ces postulats trompeurs ont rencontrée, même ailleurs que parmi ceux auxquels ils contestaient le droit naturel de s’élever à une plus satisfaisante condition de fortune. [...]
[...] Ayant, dans Notre encyclique Divini illus Magistri, longuement enseigné sur quels principes repose et quel but poursuit l’éducation chrétienne, Nous pouvons ici Nous dispenser de montrer, ce qui est clair et évident, combien l’action et les vues du ’socialisme éducateur’ vont à l’encontre de ces principes et de ce but. Mais ceux-là semblent ou ignorer ou sous-estimer les terribles dangers que ce socialisme porte avec lui, qui ne se préoccupent en rien de leur opposer avec courage et zèle infatigable une résistance proportionnée à leur gravité. C’est Notre devoir pastoral de les avertir du péril redoutable qui les menace : qu’ils se souviennent tous que ce socialisme éducateur a pour père le libéralisme et pour héritier le bolchevisme. [....] » [7].
Paul VI, encyclique « Populorum Progressio (1967) et lettre apostolique « Octogesima adveniens » (1971)
« [...] un système s’est malheureusement édifié sur ces conditions nouvelles de la société, qui considérait le profit comme motif essentiel du progrès économique, la concurrence comme loi suprême de l’économie, la propriété privée des biens de production comme un droit absolu, sans limites ni obligations sociales correspondantes. Ce libéralisme sans frein conduisait à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de "l’impérialisme international de l’argent". On ne saurait trop réprouver de tels abus, en rappelant encore une fois solennellement que l’économie est au service de l’homme. [...]
[...] la règle de libre échange ne peut plus - à elle seule - régir les relations internationales. Ses avantages sont certes évidents quand les partenaires ne se trouvent pas en conditions trop inégales de puissance économique : elle est un stimulant au progrès et récompense l’effort. C’est pourquoi les pays industriellement développés y voient une loi de justice. Il n’en est plus de même quand les conditions deviennent trop inégales de pays à pays : les prix qui se forment "librement" sur le marché peuvent entraîner des résultats iniques. Il faut le reconnaître : c’est le principe fondamental du libéralisme comme règle des échanges commerciaux qui est ici mis en question. [...] » [8].
« [...] Aussi le chrétien qui veut vivre sa foi dans une action politique conçue comme un service, ne peut-il, sans se contredire, adhérer à des systèmes idéologiques qui s’opposent radicalement, ou sur des points substantiels, à sa foi et à sa conception de l’homme : ni à l’idéologie marxiste, à son matérialisme athée, à sa dialectique de violence et à la manière dont elle résorbe la liberté individuelle dans la collectivité, en niant en même temps toute transcendance à l’homme et à son histoire, personnelle et collective ; ni à l’idéologie libérale, qui croit exalter la liberté individuelle en la soustrayant à toute limitation, en la stimulant par la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance, et en considérant les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles et non pas comme un but et un critère majeur de la valeur de l’organisation sociale. [...]
D’autre part, on assiste à un renouveau de l’idéologie libérale. Ce courant s’affirme, soit au nom de l’efficacité économique, soit pour défendre l’individu contre les emprises de plus en plus envahissantes des organisations, soit contre les tendances totalitaires des pouvoirs politiques. Et certes l’initiative personnelle est à maintenir et à développer. Mais les chrétiens qui s’engagent dans cette voie n’ont-ils pas tendance à idéaliser, à leur tour, le libéralisme qui devient alors une proclamation en faveur de la liberté ? Ils voudraient un modèle nouveau, plus adapté aux conditions actuelles, en oubliant facilement que, dans sa racine même, le libéralisme philosophique est une affirmation erronée de l’autonomie de l’individu, dans son activité, ses motivations, l’exercice de sa liberté. C’est dire que l’idéologie libérale requiert, également, de leur part, un discernement attentif. [....] » [9].
Jean-Paul II, encycliques Centesimus Annus (1991) et Veritatis Splendor (1993)
Jean-Paul II, dans Centesimus Annus rappelle de nouveau la condamnation du libéralisme proclamée dans l’encyclique Rerum Novarum :
« [...] Rerum novarum critique les deux systèmes sociaux et économiques, le socialisme et le libéralisme. Elle consacre au premier la partie initiale qui réaffirme le droit à la propriété privée. Au contraire, il n’y a pas de section spécialement consacrée au second système, mais — et ceci mérite que l’on y porte attention — les critiques à son égard apparaissent lorsqu’est traité le thème des devoirs de l’Etat. L’Etat ne peut se borner à « veiller sur une partie de ses citoyens », celle qui est riche et prospère, et il ne peut « négliger l’autre », qui représente sans aucun doute la grande majorité du corps social. [...]
[...] les capacités d’innovation de l’économie libérale finissent par être mises en œuvre de manière unilatérale et inappropriée. La drogue, et de même la pornographie et d’autres formes de consommation, exploitant la fragilité des faibles, cherchent à remplir le vide spirituel qui s’est produit. [...] » [10]
Il s’élève aussi, dans Veritatis Splendor, contre l’érection de la “liberté” comme absolu moral :
« Dans certains courants de la pensée moderne, on en est arrivé à exalter la liberté au point d’en faire un absolu, qui serait la source des valeurs. C’est dans cette direction que vont les doctrines qui perdent le sens de la transcendance ou celles qui sont explicitement athées. On a attribué à la conscience individuelle des prérogatives d’instance suprême du jugement moral, qui détermine d’une manière catégorique et infaillible le bien et le mal. A l’affirmation du devoir de suivre sa conscience, on a indûment ajouté que le jugement moral est vrai par le fait même qu’il vient de la conscience. Mais, de cette façon, la nécessaire exigence de la vérité a disparu au profit d’un critère de sincérité, d’authenticité, d’« accord avec soi-même », au point que l’on en est arrivé à une conception radicalement subjectiviste du jugement moral. [...] » [11]
Benoît XVI, encyclique Caritas in veritate (2009)
Plus récemment, Benoît XVI a souligné les effets délétères de la logique marchande du capitalisme libéral :
« [...] L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique d’abord doit aussi prendre en charge. C’est pourquoi il faut avoir présent à l’esprit que séparer l’agir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de l’agir politique, à qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres. [...]
[...] Paul VI invitait à évaluer sérieusement le préjudice que le transfert de capitaux à l’étranger exclusivement en vue d’un profit personnel, peut causer à la nation elle-même. Jean-Paul II observait qu’investir, outre sa signification économique, revêt toujours une signification morale. Tout ceci – il faut le redire – est valable aujourd’hui encore, bien que le marché des capitaux ait été fortement libéralisé et que les mentalités technologiques modernes puissent conduire à penser qu’investir soit seulement un fait technique et non pas aussi humain et éthique. Il n’y a pas de raison de nier qu’un certain capital, s’il est investi à l’étranger plutôt que dans sa patrie, puisse faire du bien. Cependant les requêtes de la justice doivent être sauvegardées, en tenant compte aussi de la façon dont ce capital a été constitué et des préjudices causés aux personnes par leur non emploi dans les lieux où ce capital a été produit. [...] » [12]
La liberté ne peut être l’unique boussole
De même qu’à travers le socialisme ce n’est pas la solidarité et la charité qui sont condamnés, à travers le libéralisme, ce n’est ni la liberté ni l’autonomie individuelle qui sont l’objet de condamnation.
Toutes ces condamnations ont en point commun le reproche fait par l’Église à la pensée libérale de l’exaltation absolue de la liberté au détriment de la vérité. L’Église a souhaité rappeler à chaque fois cette vérité : cette liberté ne peut-être vue comme l’objectif ultime à atteindre (cette liberté s’exprimant alors bien souvent comme la volonté de s’affranchir de l’autorité de l’Église et de la loi divine), mais comme un moyen permettant à l’homme d’accomplir le bien, en accord avec les principes de prudence morale enseignés par l’Église, et pour le bien de tous.
-Henri de Begard, Histoire des condamnations du libéralisme par l’Église, 19 juillet 2014: https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/histoire-des-condamnations-du-liberalisme-par-l-eglise
La condamnation du socialisme et du communisme par l’Église catholique est régulièrement rappelée, et à raison. On oublie cependant trop souvent qu’une autre idéologie est condamnée par l’Église : le libéralisme.
Grégoire XVI, encyclique Mirari Vos (1832)
Grégoire XVI, dans son encyclique Mirari Vos, condamne l’indifférentisme religieux et les idées libérales de Lamennais et du journal l’Avenir :
« Nous venons maintenant à une cause, hélas ! trop féconde des maux déplorables qui affligent à présent l’Église. Nous voulons dire l’indifférentisme, ou cette opinion funeste répandue partout par la fourbe des méchants, qu’on peut, par une profession de foi quelconque, obtenir le salut éternel de l’âme, pourvu qu’on ait des mœurs conformes à la justice et à la probité. [...] De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’Église et de l’État, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. » [1].
Pie IX, Syllabus (1864)
Rédigé pour accompagner son encyclique Quanta Cura, et publié le 8 décembre 1864, le Syllabus dresse la liste des principales erreurs que condamne l’Église en ce temps. Les quatre dernières sont rangées sous le titre « Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne » :
« LXXVII. A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.
LXXVIII. Aussi c’est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers.
LXXIX. Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l’esprit, et propagent la peste de l’Indifférentisme.
LXXX. Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. » [2].
Léon XIII, encyclique Libertas praestantissimum (1888)
Le concept de liberté fit l’objet d’une encyclique publiée en 1888 par le pape Léon XIII (1878-1903). Elle y aborde, entre autre, les vices qui découlent du libéralisme.
« [...] il en est un grand nombre qui, à l’exemple de Lucifer, de qui est ce mot criminel : « Je ne servirai pas », entendent par le nom de liberté ce qui n’est qu’une pure et absurde licence. Tels sont ceux qui appartiennent à cette école si répandue et si puissante et qui, empruntant leur nom au mot de liberté, veulent être appelés Libéraux.
Et, en effet, ce que sont les partisans du Naturalisme et du Rationalisme en philosophie, les fauteurs du Libéralisme le sont dans l’ordre moral et civil, puisqu’ils introduisent dans les mœurs et la pratique de la vie les principes posés par les partisans du Naturalisme. Or, le principe de tout rationalisme, c’est la domination souveraine de la raison humaine, qui , refusant l’obéissance due à la raison divine et éternelle, et prétendant ne relever que d’elle-même, ne se reconnaît qu’elle seule pour principe suprême, source et juge de la vérité. Telle est la prétention des sectateurs du Libéralisme dont Nous avons parlé ; selon eux, il n’y a dans la pratique de la vie aucune puissance divine à laquelle on soit tenu d’obéir, mais chacun est à soi-même sa propre loi. De là, procède cette morale que l’on appelle indépendante et qui, sous l’apparence de la liberté, détournant la volonté de l’observation des divins préceptes, conduit l’homme à une licence illimitée. [...]
[...] Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Église ceux qui professent le Libéralisme. [...]
[...] Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de s’y soumettre, ce n’est pas la liberté, c’est abus de la liberté et révolte ; et c’est précisément d’une telle disposition d’âme que se constitue et que naît le vice capital du Libéralisme. On peut, du reste, en distinguer plusieurs espèces ; car il y a pour la volonté plus d’une forme et plus d’un degré dans le refus de l’obéissance due à Dieu ou à ceux qui participent à son autorité divine. [...]
[...] S’insurger complètement contre l’empire suprême de Dieu et lui refuser absolument toute obéissance, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée et domestique, c’est à la fois, sans nul doute, la plus grande dépravation de la liberté et la pire espèce de Libéralisme. C’est sur elle que doivent tomber sans restriction tous les blâmes que nous avons jusqu’ici formulés.[...] » [3].
Saint Pie X (1907)
A deux reprises au court de l’année 1907, le pape saint Pie X condamnait les erreurs du libéralisme et du modernisme. Une première fois dans son allocution "Accogliamento" du 17 avril 1907, une seconde lors de la promulgation du décret "Lamentabili sane exitu" le 4 juillet 1907.
« [...] Et rebelles ne sont que trop ceux qui professent et répètent, sous des formes subtiles, des erreurs monstrueuses sur l’évolution du dogme, sur le retour au pur Évangile - c’est-à-dire à l’Évangile émondé, comme ils disent, des explications de la théologie, des définitions des Conciles, des maximes de l’ascétisme, - sur l’émancipation de l’Église, à leur manière nouvelle, sans se révolter afin de ne pas être chassé, sans se soumettre néanmoins pour ne point manquer à ses propres convictions ; enfin, sur l’adaptation aux temps présents, en tout, dans la manière de parler, d’écrire et de prêcher une charité sans foi, très indulgente envers les incroyants, mais qui ouvre à tous la voie de la ruine éternelle. [...] » [4]
Les trois dernières des quarante-cinq erreurs principales du modernisme dont le pape saint Pie X a voulu rappeler la condamnation par l’Église :
« LXIII. - L’Église se montre incapable de défendre efficacement la morale évangélique, parce qu’elle se tient obstinément attachée à des doctrines immuables qui ne peuvent se concilier avec les progrès actuels.
LXIV. - Le progrès des sciences exige que l’on réforme les concepts de la doctrine chrétienne sur Dieu, sur la Création, sur la Révélation, sur la Personne du Verbe Incarné, sur la Rédemption.
LXV. - Le catholicisme d’aujourd’hui ne peut se concilier avec la vraie science à moins de se transformer en un certain christianisme non dogmatique, c’est-à-dire en un protestantisme large et libéral. » [5]
Pie XI, encyclique Quadragesimo anno (1931)
Dans son encyclique Divini Redemptoris condamnant une nouvelle fois le communisme athée, Pie XI, fustigeant « le libéralisme amoral » déclarait : « Le libéralisme a frayé la voie au communisme » [6].
Quelques années auparavant, en mai 1931, le pape Pie XI publiait l’encyclique Quadragesimo Anno, 40 ans après Rerum Novarum (d’où son nom : « dans la quarantième année ») sur l’ordre économique et social. Il y préconise l’établissement d’un ordre social basé sur le principe de subsidiarité et dénonce les « fausses maximes » et les « postulats trompeurs » du libéralisme.
« [...] l’admirable doctrine qui fait de l’encyclique Rerum Novarum un document inoubliable. Le grand Pape [...] ne demande rien au libéralisme, rien non plus au socialisme, le premier s’étant révélé totalement impuissant à bien résoudre la question sociale, et le second proposant un remède pire que le mal, qui eût fait courir la société humaine de plus grands dangers. [...]
[...] la réalité, il est vrai, n’a pas toujours et partout exactement répondu à ces postulats du libéralisme manchesterien ; on ne peut toutefois nier que le régime économique et social n’ait incliné d’un mouvement constant dans le sens qu’ils préconisaient. Aussi, personne ne s’étonnera de la vive opposition que ces fausses maximes et ces postulats trompeurs ont rencontrée, même ailleurs que parmi ceux auxquels ils contestaient le droit naturel de s’élever à une plus satisfaisante condition de fortune. [...]
[...] Ayant, dans Notre encyclique Divini illus Magistri, longuement enseigné sur quels principes repose et quel but poursuit l’éducation chrétienne, Nous pouvons ici Nous dispenser de montrer, ce qui est clair et évident, combien l’action et les vues du ’socialisme éducateur’ vont à l’encontre de ces principes et de ce but. Mais ceux-là semblent ou ignorer ou sous-estimer les terribles dangers que ce socialisme porte avec lui, qui ne se préoccupent en rien de leur opposer avec courage et zèle infatigable une résistance proportionnée à leur gravité. C’est Notre devoir pastoral de les avertir du péril redoutable qui les menace : qu’ils se souviennent tous que ce socialisme éducateur a pour père le libéralisme et pour héritier le bolchevisme. [....] » [7].
Paul VI, encyclique « Populorum Progressio (1967) et lettre apostolique « Octogesima adveniens » (1971)
« [...] un système s’est malheureusement édifié sur ces conditions nouvelles de la société, qui considérait le profit comme motif essentiel du progrès économique, la concurrence comme loi suprême de l’économie, la propriété privée des biens de production comme un droit absolu, sans limites ni obligations sociales correspondantes. Ce libéralisme sans frein conduisait à la dictature à bon droit dénoncée par Pie XI comme génératrice de "l’impérialisme international de l’argent". On ne saurait trop réprouver de tels abus, en rappelant encore une fois solennellement que l’économie est au service de l’homme. [...]
[...] la règle de libre échange ne peut plus - à elle seule - régir les relations internationales. Ses avantages sont certes évidents quand les partenaires ne se trouvent pas en conditions trop inégales de puissance économique : elle est un stimulant au progrès et récompense l’effort. C’est pourquoi les pays industriellement développés y voient une loi de justice. Il n’en est plus de même quand les conditions deviennent trop inégales de pays à pays : les prix qui se forment "librement" sur le marché peuvent entraîner des résultats iniques. Il faut le reconnaître : c’est le principe fondamental du libéralisme comme règle des échanges commerciaux qui est ici mis en question. [...] » [8].
« [...] Aussi le chrétien qui veut vivre sa foi dans une action politique conçue comme un service, ne peut-il, sans se contredire, adhérer à des systèmes idéologiques qui s’opposent radicalement, ou sur des points substantiels, à sa foi et à sa conception de l’homme : ni à l’idéologie marxiste, à son matérialisme athée, à sa dialectique de violence et à la manière dont elle résorbe la liberté individuelle dans la collectivité, en niant en même temps toute transcendance à l’homme et à son histoire, personnelle et collective ; ni à l’idéologie libérale, qui croit exalter la liberté individuelle en la soustrayant à toute limitation, en la stimulant par la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance, et en considérant les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles et non pas comme un but et un critère majeur de la valeur de l’organisation sociale. [...]
D’autre part, on assiste à un renouveau de l’idéologie libérale. Ce courant s’affirme, soit au nom de l’efficacité économique, soit pour défendre l’individu contre les emprises de plus en plus envahissantes des organisations, soit contre les tendances totalitaires des pouvoirs politiques. Et certes l’initiative personnelle est à maintenir et à développer. Mais les chrétiens qui s’engagent dans cette voie n’ont-ils pas tendance à idéaliser, à leur tour, le libéralisme qui devient alors une proclamation en faveur de la liberté ? Ils voudraient un modèle nouveau, plus adapté aux conditions actuelles, en oubliant facilement que, dans sa racine même, le libéralisme philosophique est une affirmation erronée de l’autonomie de l’individu, dans son activité, ses motivations, l’exercice de sa liberté. C’est dire que l’idéologie libérale requiert, également, de leur part, un discernement attentif. [....] » [9].
Jean-Paul II, encycliques Centesimus Annus (1991) et Veritatis Splendor (1993)
Jean-Paul II, dans Centesimus Annus rappelle de nouveau la condamnation du libéralisme proclamée dans l’encyclique Rerum Novarum :
« [...] Rerum novarum critique les deux systèmes sociaux et économiques, le socialisme et le libéralisme. Elle consacre au premier la partie initiale qui réaffirme le droit à la propriété privée. Au contraire, il n’y a pas de section spécialement consacrée au second système, mais — et ceci mérite que l’on y porte attention — les critiques à son égard apparaissent lorsqu’est traité le thème des devoirs de l’Etat. L’Etat ne peut se borner à « veiller sur une partie de ses citoyens », celle qui est riche et prospère, et il ne peut « négliger l’autre », qui représente sans aucun doute la grande majorité du corps social. [...]
[...] les capacités d’innovation de l’économie libérale finissent par être mises en œuvre de manière unilatérale et inappropriée. La drogue, et de même la pornographie et d’autres formes de consommation, exploitant la fragilité des faibles, cherchent à remplir le vide spirituel qui s’est produit. [...] » [10]
Il s’élève aussi, dans Veritatis Splendor, contre l’érection de la “liberté” comme absolu moral :
« Dans certains courants de la pensée moderne, on en est arrivé à exalter la liberté au point d’en faire un absolu, qui serait la source des valeurs. C’est dans cette direction que vont les doctrines qui perdent le sens de la transcendance ou celles qui sont explicitement athées. On a attribué à la conscience individuelle des prérogatives d’instance suprême du jugement moral, qui détermine d’une manière catégorique et infaillible le bien et le mal. A l’affirmation du devoir de suivre sa conscience, on a indûment ajouté que le jugement moral est vrai par le fait même qu’il vient de la conscience. Mais, de cette façon, la nécessaire exigence de la vérité a disparu au profit d’un critère de sincérité, d’authenticité, d’« accord avec soi-même », au point que l’on en est arrivé à une conception radicalement subjectiviste du jugement moral. [...] » [11]
Benoît XVI, encyclique Caritas in veritate (2009)
Plus récemment, Benoît XVI a souligné les effets délétères de la logique marchande du capitalisme libéral :
« [...] L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser la recherche du bien commun, que la communauté politique d’abord doit aussi prendre en charge. C’est pourquoi il faut avoir présent à l’esprit que séparer l’agir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de l’agir politique, à qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres. [...]
[...] Paul VI invitait à évaluer sérieusement le préjudice que le transfert de capitaux à l’étranger exclusivement en vue d’un profit personnel, peut causer à la nation elle-même. Jean-Paul II observait qu’investir, outre sa signification économique, revêt toujours une signification morale. Tout ceci – il faut le redire – est valable aujourd’hui encore, bien que le marché des capitaux ait été fortement libéralisé et que les mentalités technologiques modernes puissent conduire à penser qu’investir soit seulement un fait technique et non pas aussi humain et éthique. Il n’y a pas de raison de nier qu’un certain capital, s’il est investi à l’étranger plutôt que dans sa patrie, puisse faire du bien. Cependant les requêtes de la justice doivent être sauvegardées, en tenant compte aussi de la façon dont ce capital a été constitué et des préjudices causés aux personnes par leur non emploi dans les lieux où ce capital a été produit. [...] » [12]
La liberté ne peut être l’unique boussole
De même qu’à travers le socialisme ce n’est pas la solidarité et la charité qui sont condamnés, à travers le libéralisme, ce n’est ni la liberté ni l’autonomie individuelle qui sont l’objet de condamnation.
Toutes ces condamnations ont en point commun le reproche fait par l’Église à la pensée libérale de l’exaltation absolue de la liberté au détriment de la vérité. L’Église a souhaité rappeler à chaque fois cette vérité : cette liberté ne peut-être vue comme l’objectif ultime à atteindre (cette liberté s’exprimant alors bien souvent comme la volonté de s’affranchir de l’autorité de l’Église et de la loi divine), mais comme un moyen permettant à l’homme d’accomplir le bien, en accord avec les principes de prudence morale enseignés par l’Église, et pour le bien de tous.
-Henri de Begard, Histoire des condamnations du libéralisme par l’Église, 19 juillet 2014: https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/histoire-des-condamnations-du-liberalisme-par-l-eglise