« Henri de Montherlant, dans ses Carnets, assène en 1932 qu’ « être patriote, et être français en 1932, c’est vivre crucifié », que « la France est en pleine décomposition », et qu’elle « va à l’abîme entre l’inconscience et la lâcheté » (jugement qu’il a maintes fois confirmé par la suite). [cf Montherlant, Carnets, années 1930 à 1944, Gallimard, 1957, p.81] » (p.1-2)
« Se défier de l’impasse effectuée sur les continuités existant entre les années vingt et les années trente et donnant à penser que les « non-conformistes » des années trente entreprennent dans l’ensemble une réflexion inédite par rapport à leurs devanciers immédiats. » (p.6)
« Le « non-conformisme » n’est alors, pris dans une perspective de moyenne durée, qu’une des voies et une des étapes de la rénovation projetée, ne constituant qu’un foyer certes incontournable mais limité, un contrepoint « spiritualiste » face au pôle « réaliste » qui a dominé les années vingt ». (p.6)
« Certes, la plupart des élites politiques ne voyagent pas et ne pratiquent pas les langues étrangères. Cela étant, il existe des exceptions célèbres dans le milieu politique (Paul Reynaud, André Tardieu) et les milieux qualifiés de « non-conformistes » sont largement tournés vers l’étranger. » (p.
« Existence, du milieu des années vingt jusqu’à la guerre d’une nébuleuse de groupements, souvent éphémères, parfois durables, qui brassent des hommes aux formations et aux profils professionnels bigarrés (si les juristes et les littéraires dominent, les scientifiques, via les ingénieurs font une entrée remarquée) et dont l’objectif est de porter des projets de rénovation du pays. Nous les qualifierions volontiers de nouvelles équipes mais comme le terme a déjà été employé durant l’entre-deux-guerres, nous lui préférerons l’expression inusitée de « nouvelles relèves ». Il faut l’entendre comme la volonté de figures, parfois agrégées en groupements (souvent instables), de proposer et de mettre en œuvre des projets afin de sortir la France d’un malaise ou d’une crise décrits et analysés différemment sur le plan des causes, ce qui entraîne une diversité, voire une opposition entre les solutions proposées. » (p.9)
« Si la première, tenue à Verdun le 21 février 1926 (assemblée des combattants), comme la seconde tenue à Reims le 27 juin 1926 (assemblée des producteurs) ont rencontré un certain succès, leurs mots d’ordre : déchéance du parlement, dictature nationale, organisation de la représentation des intérêts ou stabilisation financière sont complètement décalés une fois la confiance revenue en raison du préjugé favorable des droites à l’égard de Poincaré. Si Valois refuse d’avaliser la politique du nouveau président du Conseil et fustige dans le Nouveau Siècle les « mythes poincaristes », il se trouve isolé. Le Faisceau dès lors s’étiole, miné par ses divisions. » (p.32-33)
« A la différence des années trente, [la Jeune Droite des années vingt, unie autour de la revue La Gazette française] cherche moins à se construire une identité propre qu’à être digne d’une génération antérieure qui pour elle est la génération à la fois sanctifiée et martyre, celle qui a fait le sacrifice de son sang à l’occasion de la Première Guerre mondiale. […] Une seconde caractéristique renvoie au primat et du spirituel comme fondement et soubassement organisationnel de l’engagement. » (p.105-106)
« Ce n’est véritablement qu’autour de 1929 qu’Henri Massis, contre Jacques Maritain, fait dorénavant figure de sorte de chef de file des cadets désabusés du « Parti de l’Intelligence » qui lancent la Jeune Droite et que les considérations politiques l’emportent sur une dimension religieuse qui ne disparaît pas mais qui est reléguée dorénavant au second plan. » (p.110)
« En 1928, Maurice de Gandillac refuse de participer à une revue d’inspiration maurrassienne que Jean de Fabrègues songe alors à mettre sur pied : il met en avant les contraintes liées à la préparation de l’agrégation. » (p.112)
« Licencié en philosophie à l’été 1927, Jean de Fabrègues tarde à rédiger son diplôme d’études supérieures de philosophie [sujet : La notion de juste valeur chez Saint Thomas d’Aquin, sous la direction d’Étienne Gilson] (il ne l’a obtenu qu’en juin 1932). S’orientant vers une carrière de journaliste et de publiciste, il affermit au cours des années 1928-1929 son engagement au sein de l’AF, accentuant la dimension politique de ses écrits au détriment du religieux (sa seconde conférence prononcée le 26 mars 1928 à l’Union des corporations françaises est consacrée à « l’erreur communiste », qu’il dénonce en mobilisant des références et en invoquant des arguments de nature essentiellement politique et non plus spirituel). A la politique du propos s’ajoute, la violence du ton, la stigmatisation des juifs accusés d’être les fourriers de la révolution russe présentée comme « le fait d’intellectuels énervés, de juifs possédés de l’éternelle colère de leur race […] ». Cette pointe d’antisémitisme n’est alors nullement isolée et imprègne une série d’articles consacrés à stigmatiser la sociologie présentée comme le produit de l’individualisme, de la « métaphysique démocratique » et l’œuvre de « quelques juifs de Sorbonne nommés sociologues ».
Agé alors de 23 ans, Jean de Fabrègues qui vient d’achever son service militaire (il fut artilleur en garnison à Verdun) est en mesure de devenir un rédacteur appointé et permanent de la presse maurrassienne. Il publie ainsi le 23 janvier 1930 son premier article dans le quotidien monarchiste. » (p.116-117)
« Les réponses qu’apporte Charles Maurras à Jean de Fabrègues qui lui a montré le manifeste de « Réaction » laissent ce dernier insatisfait car là où son « Maître » se contente de rappeler la primauté du changement d’institutions sur toute autre considération et le refus de voir le camp nationaliste se diviser une nouvelle fois (« vous recommencez l’histoire de la guerre chouane ») Jean de Fabrègues pose la question de la « civilisation » et de la prise en compte des questions économiques et sociales. Si elle est profonde, la rupture reste courtoise. » (p.118)
« Revue vieillie appartenant à Alexis Rédier et disposant d’une clientèle d’abonnés provinciale et bien-pensante, la Revue française, qui compte alors 6000 à 7000 lecteurs, amorce à partir de l’automne 1930 une mutation importante puisque, sous la houlette de son nouveau directeur, Jean-Pierre Maxence, elle renouvelle ses rédacteurs et ses thématiques. Délaissant alors les Cahiers (dont il confie la direction à son frère, Robert Francis, qui prend en charge la troisième et dernière série), Jean-Pierre Maxence ne s’entoure pas moins de quelques-uns de ses proches qui écrivent dans les deux publications (Maurice Fombeure -issu du groupe des « écrivains prolétariens » réunis autour de la revue Nouvel Age d’Henry Poulaille -et Augustin Fransque) et accueille surtout la nouvelle équipe de L’Étudiant français que lui a présentée Henri Massis (Thierry Maulnier en premier lieu, mais aussi Robert Brasillach et Maurice Bardèche). Par-delà la mue dans laquelle s’engage rapidement la revue, cette dernière devient pour la première fois un pôle d’attraction important lorsqu’elle publie en janvier 1931, en réponse à un manifeste paru le 18 janvier 1931 dans Notre Temps sous le titre « Manifeste des jeunes intellectuels français contre l’esprit de guerre et les excès du nationalisme », un « Manifeste des jeunes intellectuels « mobilisables » contre la démission de la France ». » (p.123)
« Vers 1928-1929, les conditions permettant de parler d’une « Jeune Droite » ne sont pas réunies. […] Si un rameau de la future « Jeune Droite » personnifié par Jean de Fabrègues peut être identifié comme politiquement de « droite » (nationaliste), l’originalité du discours proposé par rapport aux aînés n’est pas évidente et permet donc difficilement de parler d’un renouvellement. » (p.124)
« Au tournant des années trente, c’est cette référence au spiritualisme beaucoup plus qu’au nationalisme qui traverse le discours de la « Jeune Droite » et en est véritablement le terreau commun. […] Nullement posée comme un absolu autocentré, la nation est entendue d’abord comme une ouverture sur l’universel et le lieu d’épanouissement privilégié d’une rénovation spirituelle indispensable. En écho à ce manifeste, on trouve celui des « jeunes intellectuels « mobilisables » contre la démission de la France ». Il ne s’agit pas là non plus d’une profession de foi nationaliste mais d’abord de la défense de la France au nom d’une « juste fierté » mais surtout comme « la seule nation qui puisse, entre l’impérialisme économique des Etats-Unis et l’impérialisme marxiste de Moscou, défendre et garder une notion de l’homme et un humanisme intégral sur quoi nous vivons depuis dix siècles ». L’axe majeur des doctrinaires de la « Jeune Droite » renvoie donc à la question des valeurs spirituelles jugées menacées et qu’il faudrait non seulement défendre mais s’efforcer de propager un bâtissant un nouvel humanisme prenant le contre-pied de la modernité.
Aux yeux de la « Jeune Droite », les valeurs spirituelles sont menacées à la fois par des idées et des discours d’essence matérialiste, des mutations en profondeur jugées insupportables (technicisation, machinisme), des modèles civilisationnels (Etats-Unis et Union soviétique) et des comportements individuels ou collectifs, ceux des chantres d’un avenir radieux qu’offrirait la modernité, parmi lesquels on trouve aux premières loges les « réalistes » de ce fait régulièrement fustigés par les publicistes « jeunes droitiers ». » (p.125-126)
« Faire le « procès de l’Amérique » comme y invite la revue Réaction à l’été 1930, c’est aussi lutter contre « l’Amérique intérieure » car, selon lui, « l’Amérique s’est installé dans nos institutions sociales, dans la mentalité ambiante, dans le cœur même d’une majorité de Français ». » (p.128)
« Trois éléments fondamentaux rattachent les projets de la « Jeune Droite » du début des années trente aux projets de l’Action française : des sympathies monarchistes affichées, des options corporatistes affirmées en matière économique et sociale et enfin un alignement sur les positions de la maison mère en matière de politique extérieure […] Ces positions singularisent la Jeune Droite par rapport aux « réalistes » mais aussi à l’autre mouvance, phare du spiritualisme, l’Ordre nouveau naissant. » (p.129)
« La « Jeune Droite » continue de raisonner alors à l’échelle de l’Etat-nation et s’efforce d’actualiser un discours nationaliste auquel elle reste alors fidèle dans ses grandes lignes même si l’appel au rôle de la jeunesse européenne porte la marque de l’air du temps. L’Ordre nouveau est alors engagé dans une démarche antinomique puisque l’Etat-nation est directement contesté au profit d’une réflexion à l’échelle européenne et de la construction d’un discours à base fédéraliste qui pourrait constituer une réponse à l’échelle locale et internationale. » (p.149)
« En avril 1933, paraît dans la Revue française un dossier préparé où voisinent les représentants de la Jeune Droite (Jean-Pierre Maxence, Robert Francis, Maurice Blanchot, Jean de Fabrègues et Thierry Maulnier) et ceux de l’Ordre nouveau (Daniel-Rops, Robert Aron, Arnaud Dandieu, René Dupuis, Jean Jardin et Alexandre Marc). » (p.162)
« Le lecteur est en effet frappé, à la lecture des textes émanant des « non-conformistes », de la généralité du propos, de la tension existant chez eux entre l’accent mis sur la gravité de la crise et l’urgence à agir, et, en même temps, de leur absence de propositions en la matière. » (p.163)
« Les années 1935-1939, dominés notamment par la bipolarisation de la vie politique autour de la question du Front populaire et les inquiétudes nées de tensions internationales […] Un second point de convergences réunit « réalistes » et « spiritualistes » : leurs échecs respectifs et leur désarroi commun et général à l’été 1938. C’est à ce moment-là qu’Alexandre Marc déplore la « carence des non-conformistes » et que des tentatives de confrontation et de regroupement entre les différents groupes sont mises en place : comme quatre ans plus tôt, on reparle d’une revue commune. Cet échec de toute la nébuleuse non conformiste illustre assurément le rendez-vous manqué entre les nouvelles relèves et leur temps. » (p.207)
« Chez l’essentiel des hommes de plume, trois options s’observent au cours des années 1935-1938 : l’inscription dans un des deux camps en présence, la persévérance, envers et contre tout, dans la quête d’une troisième voie, ou encore la mise en œuvre des actions extrapolitiques en investissant la sphère économique et sociale.
La première option renvoie au type d’action politique entrepris. Constater que la plupart des nouvelles relèves intègrent un camp n’épuisent nullement la question de leur rapport à l’action politique. Il faut, en effet, s’attacher à ses formes et se demander si on est en présence d’un processus d’intégration (voire de réintégration si les acteurs ont déjà milité dans un parti) au sens où des acteurs voire des groupements, se fondraient, sous une forme ou sous une autre dans des partis déjà existants ce qui signifierait leur absorption par ces derniers. Nous constaterons que ces cas sont peu nombreux et que le plus souvent, lorsqu’elles s’engagent dans des organisations déjà existantes, les nouvelles relèves militent dans des groupements qui sont en marge des partis institutionnels (c’est le cas des ligues pour certaines figures de la Jeune Droite) ou dans des formations qui cherchent à se tailler une place sur une scène politique déjà bien encombrée (le frontisme en particulier). » (p.209)
« En 1935-1936, les figures de proue de la Jeune Droite (Maxence, Maulnier, Fabrègues) sont clairement engagées dans une attitude hostile au Front populaire. » (p.216-217)
« Au printemps 1935, en conclusion du dîner de La Revue du XXe siècle, publication alors proche de l’agonie, il a conclu son allocution par une forte profession de foi monarchiste. Il voit dans la monarchie la « dernière chance de la liberté, contre la « dictature » et marque ses distances avec des militants des « ligues nationales » chez lesquels il déplore de constater que « la restauration nécessaire de l’autorité, de la nation, de l’Etat, prend trop aisément la forme d’un fascisme français, d’un hitlérisme français ». Les positions de Thierry Maulnier sont ouvertement exprimées : « Il y a dans le racisme allemand et surtout dans le fascisme italien, un souci de sauver certaines valeurs que nous respectons et que la démocratie détruit ». Mais, ajoute-t-il immédiatement, « il n’en reste pas moins qu’ils sont profondément démocratiques, par l’intérêt qu’ils portent aux valeurs de masse, par le consentement et l’exaltation collectifs sur lesquels ils se fondent et qui font d’eux des « démocraties unanimes ». […] La monarchie est au contraire pour Thierry Maulnier la « seule solution possible », étant le seul régime capable selon lui de déboucher sur une harmonie entre l’individu et l’Etat au sein d’une société où cohabitent « l’individu autonome (non souverain) dans l’Etat souverain (non totalitaire).
Ces convictions monarchistes, Thierry Maulnier les développe avec force et régularité dans le Courrier royal à partir d’octobre 1935, où il publie 68 articles. » (p.220-221)
« L’urgence est à l’action et à l’agitation puisque la priorité est dorénavant d’ « organiser l’insurrection » [Robert Francis, Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, Demain la France, Éditions Bernard Grasset, 1934, p.19]. » (p.222)
« Depuis janvier 1936, un nouveau mensuel a vu le jour : Combat. « Mi-revue d’idée, mi-pamphlet », selon les propres termes de Thierry Maulnier, Combat est le produit d’une réflexion conjuguée de Thierry Maulnier et de Jean de Fabrègues. Comptant comme rédacteur en chef René Vincent et comme administrateur Jean Le Marchand, agrégeant presque à parité anciens de la Revue française (Jean-Pierre Maxence, Robert Francis, Robert Brasillach, Georges Blond et Maurice Blanchot) comme de la Revue du siècle (Jean Saillenfest, Émile Vaast, Charles Mauban, Claude Roy et Jean Loisy), n’acceptant qu’exceptionnellement des invités (Bertrand de Jouvenel et Pierre Drieu la Rochelle). » (p.227)
« Le nouveau mensuel se présente comme ouvertement néo-maurrassien et monarchiste […] Au grand dam de Georges Calzant et des dirigeants d’Action française, les éléments les plus brillants des jeunes d’Action française se tournent vers Thierry Maulnier et son équipe, à l’instar de Pierre Monnier (autodidacte, venu de Bordeaux en 1935 où il militait aux étudiants d’Action française), du géographe Jean-François Gravier, et de Kléber Haedens, avant que n’arrivent Jacques Laurent et François Steintein. » (p.228)
« En 1935-1936, déçus par les suites du 6 février et les espoirs mis dans un Front national, ils sont revenus à une orthodoxie maurrassienne au moins affichée qui n’était plus la leur quelques années auparavant. L’arrivée au pouvoir du Front populaire, la dissolution des ligues comme la création de nouvelles forces politiques attractives à droite, Parti social français (PSF) et Parti populaire français (PPF) modifient cependant la donne et posent la question des repositionnements. » (p.229)
« La tentation fascise est forte sur fond de troubles hexagonaux et internationaux et d’une fascination exercée alors par certaines figures étrangères, de José Primo Antonio de Rivera, encensé par Claude Roy à Léon Degrelle (interrogé par Maxence pour le compte de L’Insurgé). » (p.230)
« Du côté spiritualiste, si l’Ordre nouveau est représenté par Robert Loustau, la Jeune Droite l’est par Jean de Fabrègues (Thierry Maulnier et Robert Brasillach ne sont réputés que « sympathisants »). Reste à interpréter le sens d’un tel rapprochement. L’explication par la tentation fasciste vient le plus spontanément à l’esprit. » (p.241)
« Les années 1937-1938 marquent un tournant pour les nouvelles relèves de plume qui, à l’exception d’Esprit, marquent le pas. De toutes les publications des années trente, la revue d’Emmanuel Mounier est la seule à être parvenue à s’imposer durablement dans le débat public. Les autres ont disparu ou sont entrés comme L’Ordre nouveau en agonie. » (p.265)
« La Jeune Droite est au cœur des tentatives d’élaboration idéologique d’un projet de révolution nationale (via notamment la revue Idées lancée par René Vincent en novembre 1941 et où écrivent notamment Jacques Laurent [sous le pseudonyme de Jacques Bostan] et Jean-François Gravier). » (pp.273-274)
« On se trouve en présence de deux projets distincts, l’un « réaliste », organisé autour d’un triptyque fondé sur la modernisation de l’économie, la réforme de l’Etat et l’intégration européenne, l’autre, « spiritualiste », axé au contraire sur une critique diversement formulée de la technique et de la modernité et aspirant à la recherche d’un nouvel humanisme fondé sur le primat du spirituel. » (p.284)
« Un rapport du ministère de l’Intérieur du 15 mars 1938 considère que 12% des étudiants inscrits sont membres du PSF. » (p.287)
-Olivier Dard, Le rendez-vous manqué des relèves des années trente, PUF, coll. Le nœud gorgien, 2002, 332 pages.
La notion de césure (p.11). La notion de moyenne durée.
« Se défier de l’impasse effectuée sur les continuités existant entre les années vingt et les années trente et donnant à penser que les « non-conformistes » des années trente entreprennent dans l’ensemble une réflexion inédite par rapport à leurs devanciers immédiats. » (p.6)
« Le « non-conformisme » n’est alors, pris dans une perspective de moyenne durée, qu’une des voies et une des étapes de la rénovation projetée, ne constituant qu’un foyer certes incontournable mais limité, un contrepoint « spiritualiste » face au pôle « réaliste » qui a dominé les années vingt ». (p.6)
« Certes, la plupart des élites politiques ne voyagent pas et ne pratiquent pas les langues étrangères. Cela étant, il existe des exceptions célèbres dans le milieu politique (Paul Reynaud, André Tardieu) et les milieux qualifiés de « non-conformistes » sont largement tournés vers l’étranger. » (p.
« Existence, du milieu des années vingt jusqu’à la guerre d’une nébuleuse de groupements, souvent éphémères, parfois durables, qui brassent des hommes aux formations et aux profils professionnels bigarrés (si les juristes et les littéraires dominent, les scientifiques, via les ingénieurs font une entrée remarquée) et dont l’objectif est de porter des projets de rénovation du pays. Nous les qualifierions volontiers de nouvelles équipes mais comme le terme a déjà été employé durant l’entre-deux-guerres, nous lui préférerons l’expression inusitée de « nouvelles relèves ». Il faut l’entendre comme la volonté de figures, parfois agrégées en groupements (souvent instables), de proposer et de mettre en œuvre des projets afin de sortir la France d’un malaise ou d’une crise décrits et analysés différemment sur le plan des causes, ce qui entraîne une diversité, voire une opposition entre les solutions proposées. » (p.9)
« Si la première, tenue à Verdun le 21 février 1926 (assemblée des combattants), comme la seconde tenue à Reims le 27 juin 1926 (assemblée des producteurs) ont rencontré un certain succès, leurs mots d’ordre : déchéance du parlement, dictature nationale, organisation de la représentation des intérêts ou stabilisation financière sont complètement décalés une fois la confiance revenue en raison du préjugé favorable des droites à l’égard de Poincaré. Si Valois refuse d’avaliser la politique du nouveau président du Conseil et fustige dans le Nouveau Siècle les « mythes poincaristes », il se trouve isolé. Le Faisceau dès lors s’étiole, miné par ses divisions. » (p.32-33)
« A la différence des années trente, [la Jeune Droite des années vingt, unie autour de la revue La Gazette française] cherche moins à se construire une identité propre qu’à être digne d’une génération antérieure qui pour elle est la génération à la fois sanctifiée et martyre, celle qui a fait le sacrifice de son sang à l’occasion de la Première Guerre mondiale. […] Une seconde caractéristique renvoie au primat et du spirituel comme fondement et soubassement organisationnel de l’engagement. » (p.105-106)
« Ce n’est véritablement qu’autour de 1929 qu’Henri Massis, contre Jacques Maritain, fait dorénavant figure de sorte de chef de file des cadets désabusés du « Parti de l’Intelligence » qui lancent la Jeune Droite et que les considérations politiques l’emportent sur une dimension religieuse qui ne disparaît pas mais qui est reléguée dorénavant au second plan. » (p.110)
« En 1928, Maurice de Gandillac refuse de participer à une revue d’inspiration maurrassienne que Jean de Fabrègues songe alors à mettre sur pied : il met en avant les contraintes liées à la préparation de l’agrégation. » (p.112)
« Licencié en philosophie à l’été 1927, Jean de Fabrègues tarde à rédiger son diplôme d’études supérieures de philosophie [sujet : La notion de juste valeur chez Saint Thomas d’Aquin, sous la direction d’Étienne Gilson] (il ne l’a obtenu qu’en juin 1932). S’orientant vers une carrière de journaliste et de publiciste, il affermit au cours des années 1928-1929 son engagement au sein de l’AF, accentuant la dimension politique de ses écrits au détriment du religieux (sa seconde conférence prononcée le 26 mars 1928 à l’Union des corporations françaises est consacrée à « l’erreur communiste », qu’il dénonce en mobilisant des références et en invoquant des arguments de nature essentiellement politique et non plus spirituel). A la politique du propos s’ajoute, la violence du ton, la stigmatisation des juifs accusés d’être les fourriers de la révolution russe présentée comme « le fait d’intellectuels énervés, de juifs possédés de l’éternelle colère de leur race […] ». Cette pointe d’antisémitisme n’est alors nullement isolée et imprègne une série d’articles consacrés à stigmatiser la sociologie présentée comme le produit de l’individualisme, de la « métaphysique démocratique » et l’œuvre de « quelques juifs de Sorbonne nommés sociologues ».
Agé alors de 23 ans, Jean de Fabrègues qui vient d’achever son service militaire (il fut artilleur en garnison à Verdun) est en mesure de devenir un rédacteur appointé et permanent de la presse maurrassienne. Il publie ainsi le 23 janvier 1930 son premier article dans le quotidien monarchiste. » (p.116-117)
« Les réponses qu’apporte Charles Maurras à Jean de Fabrègues qui lui a montré le manifeste de « Réaction » laissent ce dernier insatisfait car là où son « Maître » se contente de rappeler la primauté du changement d’institutions sur toute autre considération et le refus de voir le camp nationaliste se diviser une nouvelle fois (« vous recommencez l’histoire de la guerre chouane ») Jean de Fabrègues pose la question de la « civilisation » et de la prise en compte des questions économiques et sociales. Si elle est profonde, la rupture reste courtoise. » (p.118)
« Revue vieillie appartenant à Alexis Rédier et disposant d’une clientèle d’abonnés provinciale et bien-pensante, la Revue française, qui compte alors 6000 à 7000 lecteurs, amorce à partir de l’automne 1930 une mutation importante puisque, sous la houlette de son nouveau directeur, Jean-Pierre Maxence, elle renouvelle ses rédacteurs et ses thématiques. Délaissant alors les Cahiers (dont il confie la direction à son frère, Robert Francis, qui prend en charge la troisième et dernière série), Jean-Pierre Maxence ne s’entoure pas moins de quelques-uns de ses proches qui écrivent dans les deux publications (Maurice Fombeure -issu du groupe des « écrivains prolétariens » réunis autour de la revue Nouvel Age d’Henry Poulaille -et Augustin Fransque) et accueille surtout la nouvelle équipe de L’Étudiant français que lui a présentée Henri Massis (Thierry Maulnier en premier lieu, mais aussi Robert Brasillach et Maurice Bardèche). Par-delà la mue dans laquelle s’engage rapidement la revue, cette dernière devient pour la première fois un pôle d’attraction important lorsqu’elle publie en janvier 1931, en réponse à un manifeste paru le 18 janvier 1931 dans Notre Temps sous le titre « Manifeste des jeunes intellectuels français contre l’esprit de guerre et les excès du nationalisme », un « Manifeste des jeunes intellectuels « mobilisables » contre la démission de la France ». » (p.123)
« Vers 1928-1929, les conditions permettant de parler d’une « Jeune Droite » ne sont pas réunies. […] Si un rameau de la future « Jeune Droite » personnifié par Jean de Fabrègues peut être identifié comme politiquement de « droite » (nationaliste), l’originalité du discours proposé par rapport aux aînés n’est pas évidente et permet donc difficilement de parler d’un renouvellement. » (p.124)
« Au tournant des années trente, c’est cette référence au spiritualisme beaucoup plus qu’au nationalisme qui traverse le discours de la « Jeune Droite » et en est véritablement le terreau commun. […] Nullement posée comme un absolu autocentré, la nation est entendue d’abord comme une ouverture sur l’universel et le lieu d’épanouissement privilégié d’une rénovation spirituelle indispensable. En écho à ce manifeste, on trouve celui des « jeunes intellectuels « mobilisables » contre la démission de la France ». Il ne s’agit pas là non plus d’une profession de foi nationaliste mais d’abord de la défense de la France au nom d’une « juste fierté » mais surtout comme « la seule nation qui puisse, entre l’impérialisme économique des Etats-Unis et l’impérialisme marxiste de Moscou, défendre et garder une notion de l’homme et un humanisme intégral sur quoi nous vivons depuis dix siècles ». L’axe majeur des doctrinaires de la « Jeune Droite » renvoie donc à la question des valeurs spirituelles jugées menacées et qu’il faudrait non seulement défendre mais s’efforcer de propager un bâtissant un nouvel humanisme prenant le contre-pied de la modernité.
Aux yeux de la « Jeune Droite », les valeurs spirituelles sont menacées à la fois par des idées et des discours d’essence matérialiste, des mutations en profondeur jugées insupportables (technicisation, machinisme), des modèles civilisationnels (Etats-Unis et Union soviétique) et des comportements individuels ou collectifs, ceux des chantres d’un avenir radieux qu’offrirait la modernité, parmi lesquels on trouve aux premières loges les « réalistes » de ce fait régulièrement fustigés par les publicistes « jeunes droitiers ». » (p.125-126)
« Faire le « procès de l’Amérique » comme y invite la revue Réaction à l’été 1930, c’est aussi lutter contre « l’Amérique intérieure » car, selon lui, « l’Amérique s’est installé dans nos institutions sociales, dans la mentalité ambiante, dans le cœur même d’une majorité de Français ». » (p.128)
« Trois éléments fondamentaux rattachent les projets de la « Jeune Droite » du début des années trente aux projets de l’Action française : des sympathies monarchistes affichées, des options corporatistes affirmées en matière économique et sociale et enfin un alignement sur les positions de la maison mère en matière de politique extérieure […] Ces positions singularisent la Jeune Droite par rapport aux « réalistes » mais aussi à l’autre mouvance, phare du spiritualisme, l’Ordre nouveau naissant. » (p.129)
« La « Jeune Droite » continue de raisonner alors à l’échelle de l’Etat-nation et s’efforce d’actualiser un discours nationaliste auquel elle reste alors fidèle dans ses grandes lignes même si l’appel au rôle de la jeunesse européenne porte la marque de l’air du temps. L’Ordre nouveau est alors engagé dans une démarche antinomique puisque l’Etat-nation est directement contesté au profit d’une réflexion à l’échelle européenne et de la construction d’un discours à base fédéraliste qui pourrait constituer une réponse à l’échelle locale et internationale. » (p.149)
« En avril 1933, paraît dans la Revue française un dossier préparé où voisinent les représentants de la Jeune Droite (Jean-Pierre Maxence, Robert Francis, Maurice Blanchot, Jean de Fabrègues et Thierry Maulnier) et ceux de l’Ordre nouveau (Daniel-Rops, Robert Aron, Arnaud Dandieu, René Dupuis, Jean Jardin et Alexandre Marc). » (p.162)
« Le lecteur est en effet frappé, à la lecture des textes émanant des « non-conformistes », de la généralité du propos, de la tension existant chez eux entre l’accent mis sur la gravité de la crise et l’urgence à agir, et, en même temps, de leur absence de propositions en la matière. » (p.163)
« Les années 1935-1939, dominés notamment par la bipolarisation de la vie politique autour de la question du Front populaire et les inquiétudes nées de tensions internationales […] Un second point de convergences réunit « réalistes » et « spiritualistes » : leurs échecs respectifs et leur désarroi commun et général à l’été 1938. C’est à ce moment-là qu’Alexandre Marc déplore la « carence des non-conformistes » et que des tentatives de confrontation et de regroupement entre les différents groupes sont mises en place : comme quatre ans plus tôt, on reparle d’une revue commune. Cet échec de toute la nébuleuse non conformiste illustre assurément le rendez-vous manqué entre les nouvelles relèves et leur temps. » (p.207)
« Chez l’essentiel des hommes de plume, trois options s’observent au cours des années 1935-1938 : l’inscription dans un des deux camps en présence, la persévérance, envers et contre tout, dans la quête d’une troisième voie, ou encore la mise en œuvre des actions extrapolitiques en investissant la sphère économique et sociale.
La première option renvoie au type d’action politique entrepris. Constater que la plupart des nouvelles relèves intègrent un camp n’épuisent nullement la question de leur rapport à l’action politique. Il faut, en effet, s’attacher à ses formes et se demander si on est en présence d’un processus d’intégration (voire de réintégration si les acteurs ont déjà milité dans un parti) au sens où des acteurs voire des groupements, se fondraient, sous une forme ou sous une autre dans des partis déjà existants ce qui signifierait leur absorption par ces derniers. Nous constaterons que ces cas sont peu nombreux et que le plus souvent, lorsqu’elles s’engagent dans des organisations déjà existantes, les nouvelles relèves militent dans des groupements qui sont en marge des partis institutionnels (c’est le cas des ligues pour certaines figures de la Jeune Droite) ou dans des formations qui cherchent à se tailler une place sur une scène politique déjà bien encombrée (le frontisme en particulier). » (p.209)
« En 1935-1936, les figures de proue de la Jeune Droite (Maxence, Maulnier, Fabrègues) sont clairement engagées dans une attitude hostile au Front populaire. » (p.216-217)
« Au printemps 1935, en conclusion du dîner de La Revue du XXe siècle, publication alors proche de l’agonie, il a conclu son allocution par une forte profession de foi monarchiste. Il voit dans la monarchie la « dernière chance de la liberté, contre la « dictature » et marque ses distances avec des militants des « ligues nationales » chez lesquels il déplore de constater que « la restauration nécessaire de l’autorité, de la nation, de l’Etat, prend trop aisément la forme d’un fascisme français, d’un hitlérisme français ». Les positions de Thierry Maulnier sont ouvertement exprimées : « Il y a dans le racisme allemand et surtout dans le fascisme italien, un souci de sauver certaines valeurs que nous respectons et que la démocratie détruit ». Mais, ajoute-t-il immédiatement, « il n’en reste pas moins qu’ils sont profondément démocratiques, par l’intérêt qu’ils portent aux valeurs de masse, par le consentement et l’exaltation collectifs sur lesquels ils se fondent et qui font d’eux des « démocraties unanimes ». […] La monarchie est au contraire pour Thierry Maulnier la « seule solution possible », étant le seul régime capable selon lui de déboucher sur une harmonie entre l’individu et l’Etat au sein d’une société où cohabitent « l’individu autonome (non souverain) dans l’Etat souverain (non totalitaire).
Ces convictions monarchistes, Thierry Maulnier les développe avec force et régularité dans le Courrier royal à partir d’octobre 1935, où il publie 68 articles. » (p.220-221)
« L’urgence est à l’action et à l’agitation puisque la priorité est dorénavant d’ « organiser l’insurrection » [Robert Francis, Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, Demain la France, Éditions Bernard Grasset, 1934, p.19]. » (p.222)
« Depuis janvier 1936, un nouveau mensuel a vu le jour : Combat. « Mi-revue d’idée, mi-pamphlet », selon les propres termes de Thierry Maulnier, Combat est le produit d’une réflexion conjuguée de Thierry Maulnier et de Jean de Fabrègues. Comptant comme rédacteur en chef René Vincent et comme administrateur Jean Le Marchand, agrégeant presque à parité anciens de la Revue française (Jean-Pierre Maxence, Robert Francis, Robert Brasillach, Georges Blond et Maurice Blanchot) comme de la Revue du siècle (Jean Saillenfest, Émile Vaast, Charles Mauban, Claude Roy et Jean Loisy), n’acceptant qu’exceptionnellement des invités (Bertrand de Jouvenel et Pierre Drieu la Rochelle). » (p.227)
« Le nouveau mensuel se présente comme ouvertement néo-maurrassien et monarchiste […] Au grand dam de Georges Calzant et des dirigeants d’Action française, les éléments les plus brillants des jeunes d’Action française se tournent vers Thierry Maulnier et son équipe, à l’instar de Pierre Monnier (autodidacte, venu de Bordeaux en 1935 où il militait aux étudiants d’Action française), du géographe Jean-François Gravier, et de Kléber Haedens, avant que n’arrivent Jacques Laurent et François Steintein. » (p.228)
« En 1935-1936, déçus par les suites du 6 février et les espoirs mis dans un Front national, ils sont revenus à une orthodoxie maurrassienne au moins affichée qui n’était plus la leur quelques années auparavant. L’arrivée au pouvoir du Front populaire, la dissolution des ligues comme la création de nouvelles forces politiques attractives à droite, Parti social français (PSF) et Parti populaire français (PPF) modifient cependant la donne et posent la question des repositionnements. » (p.229)
« La tentation fascise est forte sur fond de troubles hexagonaux et internationaux et d’une fascination exercée alors par certaines figures étrangères, de José Primo Antonio de Rivera, encensé par Claude Roy à Léon Degrelle (interrogé par Maxence pour le compte de L’Insurgé). » (p.230)
« Du côté spiritualiste, si l’Ordre nouveau est représenté par Robert Loustau, la Jeune Droite l’est par Jean de Fabrègues (Thierry Maulnier et Robert Brasillach ne sont réputés que « sympathisants »). Reste à interpréter le sens d’un tel rapprochement. L’explication par la tentation fasciste vient le plus spontanément à l’esprit. » (p.241)
« Les années 1937-1938 marquent un tournant pour les nouvelles relèves de plume qui, à l’exception d’Esprit, marquent le pas. De toutes les publications des années trente, la revue d’Emmanuel Mounier est la seule à être parvenue à s’imposer durablement dans le débat public. Les autres ont disparu ou sont entrés comme L’Ordre nouveau en agonie. » (p.265)
« La Jeune Droite est au cœur des tentatives d’élaboration idéologique d’un projet de révolution nationale (via notamment la revue Idées lancée par René Vincent en novembre 1941 et où écrivent notamment Jacques Laurent [sous le pseudonyme de Jacques Bostan] et Jean-François Gravier). » (pp.273-274)
« On se trouve en présence de deux projets distincts, l’un « réaliste », organisé autour d’un triptyque fondé sur la modernisation de l’économie, la réforme de l’Etat et l’intégration européenne, l’autre, « spiritualiste », axé au contraire sur une critique diversement formulée de la technique et de la modernité et aspirant à la recherche d’un nouvel humanisme fondé sur le primat du spirituel. » (p.284)
« Un rapport du ministère de l’Intérieur du 15 mars 1938 considère que 12% des étudiants inscrits sont membres du PSF. » (p.287)
-Olivier Dard, Le rendez-vous manqué des relèves des années trente, PUF, coll. Le nœud gorgien, 2002, 332 pages.
La notion de césure (p.11). La notion de moyenne durée.