https://www.cairn.info/revue-historique-2011-3-page-637.htm
"L’horizon mythique indépassable de la France contemporaine, Charles de Gaulle, opère dans le même registre syncrétique : adulé à droite comme à gauche, il incarne tout à la fois le chef guerrier et l’homme d’État, la souveraineté populaire et la nation, le sauveur et l’homme qui dit non – bref, la réconciliation de l’ordre et du mouvement."
"L’idéal républicain a toujours privilégié la généralité aux dépens du particularisme, la concentration sur le fractionnement, la volonté générale plutôt que l’individualisme tocquevillien : c’est pour cela que le libéralisme a toujours été minoritaire comme culture politique en France."
-Sudhir Hazareesingh, « L'imaginaire républicain en France, de la Révolution française à Charles de Gaulle », Revue historique, 2011/3 (n° 659), p. 637-654. DOI : 10.3917/rhis.113.0637. URL : https://www.cairn-int.info/revue-historique-2011-3-page-637.htm
https://www.cairn.info/revue-annales-2010-5-page-1225.htm
"Son combat politique n’était pas dirigé contre les seuls bourgeois mais exprimait une critique sociale plus large qui était celle du despotisme et de l’inégalité et d’une société française radicalement divisée en deux camps : « le premier où siège l’oisiveté, l’orgueil et la richesse ; le second où habitent le travail et la souffrance, la misère et la vertu ». La vertu : terme sacré dans le lexique du jacobinisme et qui ouvre la porte à la dimension essentielle de la pensée politique de Laponneraye."
"La haine de la tyrannie était d’abord un discours politique, structuré autour d’une logique cohérente, qui exprimait une forme de patriotisme républicain. Il se manifesta notamment autour du régicide de Louis XVI, qui se joua sur le terrain de la vertu : c’est aussi dans cet esprit que les soldats de l’Armée révolutionnaire devaient jurer fidélité à la Constitution, ainsi que leur « haine implacable à tous les ennemis de la République ». La haine de la tyrannie était de ce point de vue un élément clé d’une doctrine de la vertu républicaine ; la célébration du tyrannicide et de la figure de Brutus sous la Révolution en témoignait."
"Elle était loin d’être l’apanage des seuls républicains français. On la retrouvait chez d’autres contemporains pendant le premier XIXe siècle, notamment outre-Manche (lord Byron, dans Don Juan, qualifiait ainsi le poète John Milton de tyrant-hater). Dans une perspective plus diachronique, la « haine de la tyrannie » est une figure constante d’un certain discours des Lumières, avec Voltaire, Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau, et plus en amont de la tradition républicaine romaine et de l’Antiquité grecque (notamment dans Hérodote, qui fut le premier à utiliser l’expression misoturannos, c’est-à-dire celui qui déteste la tyrannie ; on retrouve cette notion également dans Plutarque. Ajoutons également, pour compléter cette mise en perspective, que le mot « haine » était employé couramment, et de manière positive, par toutes les familles politiques dans le contexte discursif du premier XIXe siècle – ceci pour signaler que les républicains n’étaient pas les seuls pourvoyeurs de haine, comme on serait tenté de le croire par une lecture trop étroitement cloisonnée. Quelques exemples : Benjamin Constant, dans ses Principes de politique (1806), notait que « deux sentiments sont communs à l’immense majorité des Français : le désir de la liberté et la haine de la domination étrangère » (notons encore une fois l’association positive entre haine et patriotisme) ; François-René de Chateaubriand, dans son pamphlet De Buonaparte, des Bourbons (1814), parlait de l’usurpateur Napoléon dont « l’horreur est dans tous les cœurs » et qui « inspire tant de haine » et François Guizot, dans la quatrième leçon de son Cours d’histoire moderne (1828), évoquait « la haine vraiment prodigieuse du peuple des campagnes à l’égard du féodalisme ». On pouvait célébrer sa haine et en même temps se plaindre d’en être la victime : les catholiques avouaient volontiers « haïr le péché » mais regrettaient aussi, comme le disait avec désolation le journal L’Ami de la Religion, « la haine profonde du clergé » qui se propageait en France depuis la Révolution."
"Il était actif dans les milieux néo-babouvistes, et son nom fut cité dans plusieurs conspirations républicaines : il figurait dans la proclamation de la Société des Saisons, début 1839, comme membre d’un « gouvernement provisoire » parmi lesquels se retrouvaient également Auguste Blanqui, Marc-René Voyer d’Argenson et Hugues-Félicité Lamennais. Mais son combat politique fut surtout mené à travers ses conférences sur l’histoire de la Révolution française qu’il fonda à Paris, quelques mois après la révolution de juillet 1830 – d’abord dans une école gratuite pour ouvriers, puis dans le cadre d’une série de « Cours publics », dispensés à partir de novembre 1831 dans une salle qui réunissait environ 300 personnes 12 rue Thévenot. Pour atteindre un public encore plus large, Laponneraye fit distribuer gratuitement ces cours sous forme de brochures, ce qui attira également l’attention des autorités. Fermé par la police en décembre, le cours valut à son auteur des poursuites judiciaires : aux assises de la Seine, pendant son procès du 21 avril 1832, l’un des griefs essentiels retenus contre Laponneraye fut d’avoir « excité la haine des ouvriers contre les bourgeois ». Il écopa d’une peine de prison et il ne fut libéré que le 8 mai 1837, soit après cinq ans, trois mois, et dix-huit jours de captivité. Il purgea la majeure partie de sa peine à Sainte-Pélagie, ce qui ne fit qu’ajouter à sa célébrité."
"Le « bonheur public » était l’objet du combat politique républicain ; mais avant d’en arriver là, l’étape de la douleur et l’exclusion était nécessaire : « nous savons souffrir... le christianisme a eu ses martyrs, le républicanisme a les siens - Ibid., p. 10. », dit-il."
"L’antonyme de liberté, c’est l’esclavage : principe séculaire dans la tradition républicaine, qui était défini de manière compréhensive par Laponneraye pour inclure la dépendance sur la volonté arbitraire d’autrui, mais aussi l’absence de conditions matérielles d’existence : « L’homme qui a faim n’est pas libre et le prolétaire, sans cesse aux prises avec la faim, est nécessairement esclave. D’un point de vue théorique, cet ordre social esclavagiste reposait sur deux piliers. D’abord, la bourgeoisie, nouvelle caste née des cendres de la Révolution, au sein de laquelle Laponneraye identifiait une strate particulièrement néfaste : « les hauts et puissants financiers, aristocrates d’argent, êtres méprisables qui enfouissent leur honneur et leur conscience sous les triples verrous d’un coffre-fort. Deuxième pilier : la royauté et les aristocrates, qui étaient des « esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain »."
"Son parcours fut marqué par un combat incessant contre la monarchie de Juillet, légitimé à ses yeux par l’article 27 de la Déclaration de 1793, qui donnait à tout citoyen « le droit de résistance à l’oppression ». Combat livré dans ses écrits et ses cours de 1830-1831, où il revendiquait la « destruction du principe monarchique, combat de l’intérieur, pour libérer les prisonniers républicains de Sainte-Pélagie (Laponneraye fut l’un des dix organisateurs de la rébellion d’avril 1832 à être traduits en justice). Combat journalistique qu’il reprendra à sa sortie de prison en 1837 et où il se battra pour l’unité des républicains dont les « tristes divisions faisaient le jeu de l’ennemi, et qui s’acheva en 1840, après une série de heurts avec les autorités, par la fermeture de son journal et la « ruine personnelle » (dette de 20655 F). Et surtout combat à travers la conspiration politique : dès les premières années de la monarchie de Juillet, Laponneraye a été actif dans les cercles néo-babouvistes, et son nom fut cité dans plusieurs conspirations régicides, notamment celle du « coup de pistolet » en 1833 ainsi que celle du complot blanquiste de la Société des Saisons en 1839."
"Certains républicains célébraient aussi systématiquement, comme temps fort dans l’histoire de la lutte contre la tyrannie, l’anniversaire de la mort de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Proclamé comme jour de deuil en France sous la Restauration, et commémoré par les légitimistes, cet anniversaire du régicide donna lieu à de vigoureuses « anti-fêtes » républicaines, qui continuèrent pendant les années 1830 malgré l’abrogation officielle de l’anniversaire en 1833. À Sainte-Pélagie, en 1835, les prisonniers républicains se divisèrent sur l’opportunité de cette « anti-fête » : Armand Carrel, qui refusa de se joindre à la manifestation, se fit conspuer par ses camarades. La position que prit Laponneraye sur cette question n’est pas connue, mais il y a peu de doute qu’il était du côté des fêtards, car ses écrits célébraient la mémoire de la Terreur et de « ces terribles et indomptables montagnards qui, la hache à la main, détruisaient à grands coups l’édifice du passé »."
"La mémoire révolutionnaire de Laponneraye était en partie construite à travers les témoignages des survivants, au premier rang desquels figurait la sœur de Robespierre, Charlotte, qu’il semble avoir rencontrée au début des années 1830. En même temps, cette mémoire des années révolutionnaires était une arme stratégique pour faire face au présent. Laponneraye offrit une formulation saisissante de la présence de ce passé révolutionnaire dans son Cours public : « La Révolution française dure encore, et ne finira que lorsque les rois auront exterminé les peuples ou lorsque les peuples auront dévoré les rois ». Symbole incontestable de la grandeur et de l’actualité de la Révolution, Robespierre était l’un des piliers de l’entreprise mémorielle de Laponneraye. S’inspirant des écrits de Buonarroti et de Philippe Buchez, il présentait l’Incorruptible comme la figure centrale de la lutte révolutionnaire contre le despotisme monarchique."
"Loin d’offrir une apologie inconditionnelle de la Terreur, Laponneraye proposait toutefois une lecture contextualisée de la violence révolutionnaire, notant d’abord que la force n’avait été utilisée contre les dantonistes qu’à « la dernière extrémité », après que Robespierre eut plaidé vainement auprès de Camille Desmoulins pour un retour aux principes révolutionnaires. Il souligna également qu’alors que certains aspects de la Terreur avaient été « indispensables, d’autres avaient été « inutiles » et même néfastes – notamment les agissements de Jean-Baptiste Carrier, Joseph Fouché et Jean Tallien. Laponneraye faisait ici la distinction entre les vrais montagnards, regroupés autour de Robespierre, et les « opportunistes » qui l’abandonnèrent finalement – et c’étaient ces derniers qui avaient été les vrais responsables des excès inutiles de la Terreur."
"La France avait une vocation particulière (et même unique) dans le monde, celle d’incarner le progrès ; comme Jules Michelet, Laponneraye ne « séparait pas l’universalisme révolutionnaire de l’idée de nationalité française »."
"Comme beaucoup de ses contemporains, l’anglophobie de Laponneraye s’inspirait également du souvenir de Sainte-Hélène et de l’humiliation du souverain déchu par les Anglais ; il s’insurgeait également contre la politique étrangère de la monarchie de Juillet, qui cherchait à pacifier l’Angleterre à tout prix – même celui de l’avilissement national."
"Les écrits de Laponneraye montrent d’abord à quel point la force était un élément primordial, incontournable, de la vision républicaine du politique pendant le premier XIXe siècle."
"Sa vision du rôle historique de la France était ancrée dans une conception du patriotisme qui célébrait l’idée de la Grande Nation – célébration qui se manifestait dans les années 1840 par sa défense de la colonisation algérienne, et de la « juste et légitime » prééminence de la France dans la Méditerranée."
-Sudhir Hazareesingh & Karma Nabulsi, « Entre Robespierre et Napoléon : les paradoxes de la mémoire républicaine sous la monarchie de Juillet [*] », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/5 (65e année), p. 1225-1247. DOI : 10.3917/anna.655.1225. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-2010-5-page-1225.htm
"L’horizon mythique indépassable de la France contemporaine, Charles de Gaulle, opère dans le même registre syncrétique : adulé à droite comme à gauche, il incarne tout à la fois le chef guerrier et l’homme d’État, la souveraineté populaire et la nation, le sauveur et l’homme qui dit non – bref, la réconciliation de l’ordre et du mouvement."
"L’idéal républicain a toujours privilégié la généralité aux dépens du particularisme, la concentration sur le fractionnement, la volonté générale plutôt que l’individualisme tocquevillien : c’est pour cela que le libéralisme a toujours été minoritaire comme culture politique en France."
-Sudhir Hazareesingh, « L'imaginaire républicain en France, de la Révolution française à Charles de Gaulle », Revue historique, 2011/3 (n° 659), p. 637-654. DOI : 10.3917/rhis.113.0637. URL : https://www.cairn-int.info/revue-historique-2011-3-page-637.htm
https://www.cairn.info/revue-annales-2010-5-page-1225.htm
"Son combat politique n’était pas dirigé contre les seuls bourgeois mais exprimait une critique sociale plus large qui était celle du despotisme et de l’inégalité et d’une société française radicalement divisée en deux camps : « le premier où siège l’oisiveté, l’orgueil et la richesse ; le second où habitent le travail et la souffrance, la misère et la vertu ». La vertu : terme sacré dans le lexique du jacobinisme et qui ouvre la porte à la dimension essentielle de la pensée politique de Laponneraye."
"La haine de la tyrannie était d’abord un discours politique, structuré autour d’une logique cohérente, qui exprimait une forme de patriotisme républicain. Il se manifesta notamment autour du régicide de Louis XVI, qui se joua sur le terrain de la vertu : c’est aussi dans cet esprit que les soldats de l’Armée révolutionnaire devaient jurer fidélité à la Constitution, ainsi que leur « haine implacable à tous les ennemis de la République ». La haine de la tyrannie était de ce point de vue un élément clé d’une doctrine de la vertu républicaine ; la célébration du tyrannicide et de la figure de Brutus sous la Révolution en témoignait."
"Elle était loin d’être l’apanage des seuls républicains français. On la retrouvait chez d’autres contemporains pendant le premier XIXe siècle, notamment outre-Manche (lord Byron, dans Don Juan, qualifiait ainsi le poète John Milton de tyrant-hater). Dans une perspective plus diachronique, la « haine de la tyrannie » est une figure constante d’un certain discours des Lumières, avec Voltaire, Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau, et plus en amont de la tradition républicaine romaine et de l’Antiquité grecque (notamment dans Hérodote, qui fut le premier à utiliser l’expression misoturannos, c’est-à-dire celui qui déteste la tyrannie ; on retrouve cette notion également dans Plutarque. Ajoutons également, pour compléter cette mise en perspective, que le mot « haine » était employé couramment, et de manière positive, par toutes les familles politiques dans le contexte discursif du premier XIXe siècle – ceci pour signaler que les républicains n’étaient pas les seuls pourvoyeurs de haine, comme on serait tenté de le croire par une lecture trop étroitement cloisonnée. Quelques exemples : Benjamin Constant, dans ses Principes de politique (1806), notait que « deux sentiments sont communs à l’immense majorité des Français : le désir de la liberté et la haine de la domination étrangère » (notons encore une fois l’association positive entre haine et patriotisme) ; François-René de Chateaubriand, dans son pamphlet De Buonaparte, des Bourbons (1814), parlait de l’usurpateur Napoléon dont « l’horreur est dans tous les cœurs » et qui « inspire tant de haine » et François Guizot, dans la quatrième leçon de son Cours d’histoire moderne (1828), évoquait « la haine vraiment prodigieuse du peuple des campagnes à l’égard du féodalisme ». On pouvait célébrer sa haine et en même temps se plaindre d’en être la victime : les catholiques avouaient volontiers « haïr le péché » mais regrettaient aussi, comme le disait avec désolation le journal L’Ami de la Religion, « la haine profonde du clergé » qui se propageait en France depuis la Révolution."
"Il était actif dans les milieux néo-babouvistes, et son nom fut cité dans plusieurs conspirations républicaines : il figurait dans la proclamation de la Société des Saisons, début 1839, comme membre d’un « gouvernement provisoire » parmi lesquels se retrouvaient également Auguste Blanqui, Marc-René Voyer d’Argenson et Hugues-Félicité Lamennais. Mais son combat politique fut surtout mené à travers ses conférences sur l’histoire de la Révolution française qu’il fonda à Paris, quelques mois après la révolution de juillet 1830 – d’abord dans une école gratuite pour ouvriers, puis dans le cadre d’une série de « Cours publics », dispensés à partir de novembre 1831 dans une salle qui réunissait environ 300 personnes 12 rue Thévenot. Pour atteindre un public encore plus large, Laponneraye fit distribuer gratuitement ces cours sous forme de brochures, ce qui attira également l’attention des autorités. Fermé par la police en décembre, le cours valut à son auteur des poursuites judiciaires : aux assises de la Seine, pendant son procès du 21 avril 1832, l’un des griefs essentiels retenus contre Laponneraye fut d’avoir « excité la haine des ouvriers contre les bourgeois ». Il écopa d’une peine de prison et il ne fut libéré que le 8 mai 1837, soit après cinq ans, trois mois, et dix-huit jours de captivité. Il purgea la majeure partie de sa peine à Sainte-Pélagie, ce qui ne fit qu’ajouter à sa célébrité."
"Le « bonheur public » était l’objet du combat politique républicain ; mais avant d’en arriver là, l’étape de la douleur et l’exclusion était nécessaire : « nous savons souffrir... le christianisme a eu ses martyrs, le républicanisme a les siens - Ibid., p. 10. », dit-il."
"L’antonyme de liberté, c’est l’esclavage : principe séculaire dans la tradition républicaine, qui était défini de manière compréhensive par Laponneraye pour inclure la dépendance sur la volonté arbitraire d’autrui, mais aussi l’absence de conditions matérielles d’existence : « L’homme qui a faim n’est pas libre et le prolétaire, sans cesse aux prises avec la faim, est nécessairement esclave. D’un point de vue théorique, cet ordre social esclavagiste reposait sur deux piliers. D’abord, la bourgeoisie, nouvelle caste née des cendres de la Révolution, au sein de laquelle Laponneraye identifiait une strate particulièrement néfaste : « les hauts et puissants financiers, aristocrates d’argent, êtres méprisables qui enfouissent leur honneur et leur conscience sous les triples verrous d’un coffre-fort. Deuxième pilier : la royauté et les aristocrates, qui étaient des « esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain »."
"Son parcours fut marqué par un combat incessant contre la monarchie de Juillet, légitimé à ses yeux par l’article 27 de la Déclaration de 1793, qui donnait à tout citoyen « le droit de résistance à l’oppression ». Combat livré dans ses écrits et ses cours de 1830-1831, où il revendiquait la « destruction du principe monarchique, combat de l’intérieur, pour libérer les prisonniers républicains de Sainte-Pélagie (Laponneraye fut l’un des dix organisateurs de la rébellion d’avril 1832 à être traduits en justice). Combat journalistique qu’il reprendra à sa sortie de prison en 1837 et où il se battra pour l’unité des républicains dont les « tristes divisions faisaient le jeu de l’ennemi, et qui s’acheva en 1840, après une série de heurts avec les autorités, par la fermeture de son journal et la « ruine personnelle » (dette de 20655 F). Et surtout combat à travers la conspiration politique : dès les premières années de la monarchie de Juillet, Laponneraye a été actif dans les cercles néo-babouvistes, et son nom fut cité dans plusieurs conspirations régicides, notamment celle du « coup de pistolet » en 1833 ainsi que celle du complot blanquiste de la Société des Saisons en 1839."
"Certains républicains célébraient aussi systématiquement, comme temps fort dans l’histoire de la lutte contre la tyrannie, l’anniversaire de la mort de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Proclamé comme jour de deuil en France sous la Restauration, et commémoré par les légitimistes, cet anniversaire du régicide donna lieu à de vigoureuses « anti-fêtes » républicaines, qui continuèrent pendant les années 1830 malgré l’abrogation officielle de l’anniversaire en 1833. À Sainte-Pélagie, en 1835, les prisonniers républicains se divisèrent sur l’opportunité de cette « anti-fête » : Armand Carrel, qui refusa de se joindre à la manifestation, se fit conspuer par ses camarades. La position que prit Laponneraye sur cette question n’est pas connue, mais il y a peu de doute qu’il était du côté des fêtards, car ses écrits célébraient la mémoire de la Terreur et de « ces terribles et indomptables montagnards qui, la hache à la main, détruisaient à grands coups l’édifice du passé »."
"La mémoire révolutionnaire de Laponneraye était en partie construite à travers les témoignages des survivants, au premier rang desquels figurait la sœur de Robespierre, Charlotte, qu’il semble avoir rencontrée au début des années 1830. En même temps, cette mémoire des années révolutionnaires était une arme stratégique pour faire face au présent. Laponneraye offrit une formulation saisissante de la présence de ce passé révolutionnaire dans son Cours public : « La Révolution française dure encore, et ne finira que lorsque les rois auront exterminé les peuples ou lorsque les peuples auront dévoré les rois ». Symbole incontestable de la grandeur et de l’actualité de la Révolution, Robespierre était l’un des piliers de l’entreprise mémorielle de Laponneraye. S’inspirant des écrits de Buonarroti et de Philippe Buchez, il présentait l’Incorruptible comme la figure centrale de la lutte révolutionnaire contre le despotisme monarchique."
"Loin d’offrir une apologie inconditionnelle de la Terreur, Laponneraye proposait toutefois une lecture contextualisée de la violence révolutionnaire, notant d’abord que la force n’avait été utilisée contre les dantonistes qu’à « la dernière extrémité », après que Robespierre eut plaidé vainement auprès de Camille Desmoulins pour un retour aux principes révolutionnaires. Il souligna également qu’alors que certains aspects de la Terreur avaient été « indispensables, d’autres avaient été « inutiles » et même néfastes – notamment les agissements de Jean-Baptiste Carrier, Joseph Fouché et Jean Tallien. Laponneraye faisait ici la distinction entre les vrais montagnards, regroupés autour de Robespierre, et les « opportunistes » qui l’abandonnèrent finalement – et c’étaient ces derniers qui avaient été les vrais responsables des excès inutiles de la Terreur."
"La France avait une vocation particulière (et même unique) dans le monde, celle d’incarner le progrès ; comme Jules Michelet, Laponneraye ne « séparait pas l’universalisme révolutionnaire de l’idée de nationalité française »."
"Comme beaucoup de ses contemporains, l’anglophobie de Laponneraye s’inspirait également du souvenir de Sainte-Hélène et de l’humiliation du souverain déchu par les Anglais ; il s’insurgeait également contre la politique étrangère de la monarchie de Juillet, qui cherchait à pacifier l’Angleterre à tout prix – même celui de l’avilissement national."
"Les écrits de Laponneraye montrent d’abord à quel point la force était un élément primordial, incontournable, de la vision républicaine du politique pendant le premier XIXe siècle."
"Sa vision du rôle historique de la France était ancrée dans une conception du patriotisme qui célébrait l’idée de la Grande Nation – célébration qui se manifestait dans les années 1840 par sa défense de la colonisation algérienne, et de la « juste et légitime » prééminence de la France dans la Méditerranée."
-Sudhir Hazareesingh & Karma Nabulsi, « Entre Robespierre et Napoléon : les paradoxes de la mémoire républicaine sous la monarchie de Juillet [*] », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/5 (65e année), p. 1225-1247. DOI : 10.3917/anna.655.1225. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-2010-5-page-1225.htm