« Les textes rassemblés ici ont été écrits du début des années 1960 jusqu'à sa mort en 1997, les premiers prenant comme point de départ ce qui a été fait avant, quitte à critiquer directement ou indirectement des positions antérieures - avec une véritable rup ture sur un point important. Rappelons très brièvement ce que furent ces positions. Le premier grand axe du travail de Casto riadis avant les années 60 a été l'analyse des divers aspects du phénomène bureaucratique : dans les pays de l'Est, dans l'usine capitaliste, dans les organisations «ouvrières». Il s'est aussi efforcé, dès 1953 et surtout à partir de 1955-1959, de décrire la dynamique réelle du capitalisme et de ses contradictions - et tout spécialement ce qu'il a appelé la contradiction fondamentale du système : le fait qu'il doit réduire ses sujets à de simples exécutants mais ne peut plus fonctionner s'il y parvient -, tout en dégageant des traits nouveaux essentiels, en particulier le retrait de plus en plus grand des citoyens des affaires publiques, phéno mène auquel il a donné le nom de privatisation. » (p.13)
« Castoriadis écrit explicitement, à rencontre de ce qu'il avançait encore dans MRCM (1959) , que la révolution à venir ne sera plus, ou pas essentiellement, une révolution prolétarienne. » (p.16)
« On entend dire parfois que si le capitalisme (occidental) est devenu fou, ce serait faute d'ennemi externe - entendez, après l'effondrement du système soviétique. C'est une pensée vin peu paresseuse qui glisse sur toute une décennie. Thatcher et Reagan n'ont pas attendu que le bloc de l'Est commence à s'effondrer en Europe pour faire des ravages dans les sociétés occidentales dès 1980. On oublie aussi le préalable: il a fallu la disparition d'un véritable ennemi, interne celui-là, celle d'une véritable oppo sition ouvrière et plus généralement populaire en Occident, pour que triomphe l'entreprise dont ces deux noms sont devenus les symboles. Pourquoi la contre-révolution « néolibérale » a-t-elle pu si facilement l'emporter ? Castoriadis y a insisté à de nombreuses reprises1 : essentiellement, parce que l'idée qu'il est possible de participer de façon efficace aux affaires communes s'est effacée (échec du mouvement ouvrier, bureaucratisation, privatisation) et que le destin de la révolution russe (la réalité des sociétés bureau cratiques et du totalitarisme) a rendu pour beaucoup l'idée d'un autre avenir impossible (ou redoutable). Ces deux facteurs, on n'y insistera jamais assez, continuent d'agir : ce sont en dernier ressort les principaux obstacles à la renaissance d'un mouvement d'émancipation. » (pp.24-25)
« Si les discussions sur la délimitation rigoureuse d'éventuelles « classes populaires » sont en général peu fécondes, celles qui portent sur l'importance numérique des véritables privilégiés du système (l'oligarchie1 ) ne le sont guère plus. Il est évident que ceux-ci, qu'il s'agisse de 1, 3 ou 5 % de la population, ne pourraient assurer leur pouvoir sans la participation active d'une partie non négligeable de cette population, jusqu'à 10% peut être, en dehors de leur cercle. Et sans l'acquiescement tacite, bien entendu, de la majorité. Mais Castoriadis observait, dès CS III (1958) et dans d'autres textes de la fin des années 60, que le pouvoir tend à transposer et à réfracter à l'infini en son propre sein la scission entre direction et exécution : à l'intérieur même de ces 10 %, le degré d'adhésion varie. » (p.33)
« À la question : pourquoi les populations ne participent pas, la réponse, observait Castoriadis, est pourtant simple : parce qu'elles ont constaté, décennie après décennie, que cette participation ne changeait pour l'essentiel rien à leur condition. » (p.37)
« La véritable voie d'accès au pouvoir passe par des institutions dans leur réalité non démocratiques, quels que soient les statuts et la définition qu'elles se donnent : les partis. » (p.38)
« On a du mal à imaginer, en particulier, comment les Conseils pourraient ne s'occuper aucunement de la « gestion des choses » ; ou quel serait le fonctionnement concret d'un système comme celui qu'elle a en vue, ou grâce aux Conseils se dégage une « élite politique » qui seule aurait droit à intervenir dans la « conduite des affaires », ceux qui ne s'intéressent pas à celle-ci « s'excluant d'eux-mêmes ». Les nombreux admirateurs de Hannah Arendt qui la citent à tout propos de nos jours négligent en général tout à fait ces questions. » (note 3 p.39)
« Constater sans plus […] que les gens ne veulent pas aujourd'hui être autonomes - que le poids de leur liberté leur semble trop lourd - n'est pas un argument dirimant, à moins d'affirmer qu'il en sera toujours ainsi. Or l'histoire montre que ces hommes conditionnés pour faire que la société se reproduise telle qu'elle est font tout à coup autre chose. » (pp.41-42)
« Signalons que quelques chapelles néo-marxistes, surtout en Allemagne et en France, continuent de servir imperturbablement aux amateurs des brouets à base d'immenses abstractions (« Valeur » ou « Critique de la Valeur », « Travail » ou « Critique du Travail », etc.) où, s'il est indispensable que chaque ingrédient soit plus ou moins directement relié à quelque ligne des Grundrisse, les rapports avec le monde réel peuvent être, eux, extrêmement ténus. Même si l'on y trouve parfois des observations intéressantes, il est permis d'être dubitatif quant à la pertinence politique de ce genre d'entreprise. » (p.50)
« Certains qui se voudraient cependant dans le camp de la critique sociale la plus intransigeante, et même par fois à prétentions «scientifiques», tendent à prendre pour argent comptant le discours que le capitalisme tient sur lui-même ; plus précisément , à croire que la nouvelle idéologie capitaliste qui s'est diffusée depuis trente ans environ peut être acceptée, sans autre forme de procès, comme un pur reflet de la réalité du capitalisme. Cette idéologie devient alors l'« esprit » du capitalisme, puis le système tout court.
[…] Ceux qui ont des vues moins sommaires sur le phé nomène bureaucratique demanderont à y regarder de plus près. L'observateur naïf lui-même pourrait se dire que pour comprendre le monde d'aujourd'hui il est à première vue plus utile d'essayer de savoir ce que sont l'Armée et le PC chinois, le FSB et autres « structures de force » russes, ou tout simplement l'Armée des Etats-Unis (et les immenses complexes économiques qui leur sont liés), que d'étudier de près les manuels de management des années 70 et 80, et que pour comprendre ces réalités ceux-ci ne sont peut-être pas d'un très grand secours. » (pp.54—56)
« L'atelier ou le bureau, cadre sombre où tout est négatif , serait remplacé dans certains rêves par un domicile ensoleillé abondamment équipé en matériel électronique. Faut-il rappeler que pendant tout le xixe siècle, et au-delà, les travailleurs à domicile - et pour des raisons évidentes, parfaitement transposables de nos jours - ont été de toutes les couches sociales la plus exploitée, avec des journées de travail allant parfois jusqu'à 18 heures encore au début du xx e siècle ? Et qu'il n'y a guère de chances pour que les nouveaux travailleurs à domicile connaissent un sort meilleur, à terme, si ce genre de situation se généralisait, avec tout ce qu'elle implique, en particulier les innombrables obstacles à l'organisation d'une défense collective de leur condition ? » (p.58)
« L'atelier ou le bureau, cadre sombre où tout est négatif, serait remplacé dans certains rêves par un domicile ensoleillé abondamment équipé en matériel électronique. Faut-il rappeler que pendant tout le xixe siècle, et au-delà, les travailleurs à domicile - et pour des raisons évidentes, parfaitement transposables de nos jours - ont été de toutes les couches sociales la plus exploitée, avec des journées de travail allant parfois jusqu'à 18 heures encore au début du xx e siècle ? Et qu'il n'y a guère de chances pour que les nouveaux travailleurs à domicile connaissent un sort meilleur, à terme, si ce genre de situation se généralisait, avec tout ce qu'elle implique, en particulier les innombrables obstacles à l'organisation d'une défense collective de leur condition ? » (note 1 p.66)
« L'affaiblissement et l'appauvrissement, qui semblent inexorables, des vieux pays européens frappent maintenant les esprits. Castoriadis, il y a une quinzaine d'années : « Alors que la Communauté européenne, entité économique presque autosuffisante, aurait pu utiliser le Tarif extérieur commun (TEC) pour permettre la survie d'une agriculture et d'une industrie européennes, on permet la désertification des campagnes et la destruction de branches entières de l'industrie et des régions correspondantes » (Entretien avec Jean Liberman publié dans Le Nouveau Politis, n°434, 6 mars 1997). » (note 2 p.69)
« Quels sont les facteurs de la crise (concentration inouïe des richesses à un pôle, circulation des capitaux sans restriction aucune et trou noir des paradis fiscaux, produits financiers agissant comme des bombes à retardement, automatisation extravagante des opérations boursières) qui ont été éliminés par l'action des gouverne ments depuis 2008 ? La réponse est bien entendu fort simple : aucun. » (note 1 p.72)
-E.E, « Castoriadis, écrivain politique II », préface à Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ? tome 1 (tome 3 des Écrits politiques, 1945-1997), Éditions du Sandre, 2013, 690 pages.
« Il n'y aura pas de renaissance d'un mouvement socialiste révolutionnaire si tout un ensemble organique d'idées, de principes, de valeurs, d'attitudes, de critères, ne sont pas établis et explicitement embrassés par un courant important de la population travailleuse. » (p.87)
« La propagation des conceptions nouvelles ne peut se faire que parallèlement à une élaboration idéologique continue. » (p.89)
« Nous devons donc marquer une rupture radicale avec l'idéologie et les valeurs de la société officielle et en fait partagées, avec des variantes mineures, par les organisations prétendument « ouvrières ». Le premier aspect, et le plus important actuellement, de cette rupture, c'est la rupture avec la « théorie » et l'« idéologie » des organisations « de gauche » : une conception économico-politique étroite exprimée dans un jargon inhumain. » (pp.89-90)
« Rompre avec l'idéologie bureaucratique, c'est d'abord rompre avec les thèmes de cette idéologie et de la propagande correspon dante. C'est élargir les sujets dont nous parlons à tous les aspects de la vie des hommes en société. C'est d'ailleurs le contenu le plus profond de nos idées qui nous y oblige. Si le problème dans le capitalisme moderne n'est pas celui de la stagnation du niveau de vie et le chômage, les seules questions qui deviennent importantes sont : qu'est-ce que le travail, qu'est-ce que la consommation, quels doivent être les rapports des hommes dans la production, dans la famille, dans la localité, etc. ? Si le socialisme ne se réduit pas à quelques transformations du système économique, si même ces transformations sont à la fois inconcevables et vides de contenu sans autre chose, sans un changement radical de l'attitude des hommes face à la société ; si ce changement ne peut se produire que parce que les hommes verront que leur gestion de la société concerne véritablement leur vie concrète - alors c'est cette vie concrète, dans l'infinité de ses aspects, qui doit être notre thème permanent. » (p.90)
« Les hommes feront une révolution pour changer radicalement de façon de vivre, et cela concerne le contenu de la révolution, ses fins et ses valeurs. Ce contenu, ces fins et ces valeurs, il faut déjà les pré-esquisser d'une certaine façon. Cela nous ne pouvons pas le faire tout seuls, car nous ne serions alors qu'un petit groupe pondant ses utopies personnelles. Mais nous pouvons le faire : d'abord, si nous savons voir, comprendre, interpréter et formuler ce que les gens eux-mêmes font, dans leur travail et dans leur vie ; en deuxième lieu, si nous savons discerner, au sein même de cette culture qui se décompose, les efforts et les tentatives d'individus et de penseurs qui ne sont pas forcément de notre bord mais dont les résultats sont utilisables par nous ; enfin, si nous savons accepter et susciter la collaboration et les contributions de gens extérieurs à l'organisation, dans le cadre d'un accord idéologique très large, quitte à marquer chaque fois que nous leur donnons la parole que ces idées ne sont pas nécessairement les nôtres et quitte à préciser nos différences lorsque nous l'estimons utile. Si nous sommes convaincus que nos idées sont vraies, nous n'avons aucune raison d'avoir peur de qui que ce soit. Notre perspective dans ce domaine doit être que nous devons devenir les animateurs et les guides d'un vaste courant idéologique, dont l'orientation générale est clairement et fermement établie, mais dans lequel coexistent (et peuvent coexister) une grande variété d'opinions et d'attitudes exprimant la richesse et la complexité du mouvement socialiste révolutionnaire. » (p.91)
« Il faut réfléchir le mieux que l'on peut avant de parler et d'écrire, mais il faut aussi dénoncer une censure stérile et comprendre que nous ne sommes pas, à chaque instant de notre vie, en train de légiférer sans appel pour les siècles futurs. » (p.92)
« Nous devons : 1. prati quer des interviews et des reportages, obtenir des témoignages sur les questions qui nous préoccupent ou qui préoccupent les gens ; 2. utiliser des documents de toute sorte, y compris ceux que publie souvent la presse bourgeoise; 3. exploiter la presse des organisa tions parentes, par exemple des camarades américains; 4. orga niser des discussions entre camarades du groupe, et entre ceux-ci et gens de l'extérieur. » (p.94)
« Texte sur la situation de la femme dans la société contemporaine (analyse des trois changements fondamentaux dans la situation de la femme : entrée des femmes dans le travail productif salarié ; effondrement de la morale sexuelle patriarcale ; accession de la femme à l'égalité formelle quant à l'éducation, les « droits » politiques et la responsabilité sociale. Maintien de l'oppression de fait, économique et sociale ; importance des restes de mentalité patriarcale et misère sexuelle des femmes. La responsabilité des enfants se concentre de plus en plus sur la femme. Comment les femmes essaient de faire quelque chose de leur vie dans cette situa tion. Qu'est-ce que le socialisme peut signifier pour les femmes). » (pp.95-96)
« Il y a actualité et actualité. Ce n'est pas parce qu'un événement fait « la une » des journaux qu'il est nécessairement a) celui qui préoccupe le plus les gens, b) celui dont nous devons inéluctablement parler. Il y a : l'actualité pour le gouvernement et les organisations politiques ; l'actualité au sens des véritables préoccupations des gens ; l'actualité au sens de nos préoccupations à nous. Pouvoir Ouvrier doit parler de l'actualité le deuxième et le troisième sens et non dans le premier, sauf dans les cas (rares) où cette actualité officielle devient effectivement préoccupation des gens. Pouvoir Ouvrier doit parler des choses qui nous importent ou sur lesquelles nous avons des choses spécifiques à dire. On oublie constamment qu'une de nos tâches, c'est d'imposer nos obsessions au public, et l'autre, de découvrir les obsessions du public, qui ne coïncident nullement avec les obsessions des journaux. » (pp.99-100)
« Pour les gens, qui dit une chose compte autant et plus que ce qu'il dit. Bref, nous ne pouvons pas envoyer une fois tous les cinq ans trois étudiants dans le Nord qui diraient aux mineurs comment organiser leur grève et en définir les objectifs. » (p.104)
-Cornelius Castoriadis, « Sur l’orientation de la propagande », octobre 1962, diffusé à l’intérieur de SouB, repris dans Quelle démocratie ? tome 1 (tome 3 des Écrits politiques, 1945-1997), Éditions du Sandre, 2013, 690 pages.
« Une situation pré-révolutionnaire ne surgit pas tous les jours. Dire qu'il n'y a pas de déterminisme dans l'histoire ne signifie pas que tout est possible, encore moins probable, à tout instant. » (p.105)
« Nous nous engageons dans des actions où participent des gens qui veulent lutter contre tel aspect de l'ordre établi, sans vouloir coûte que coûte en éclaircir d'avance, pour les autres ou même pour nous, tous les tenants et aboutissants idéologiques. » (p.106)
« Lors même que les gens pensent autrement que nous, les raisons qu'ils ont pour le faire doivent être intéressantes de notre point de vue et peuvent être de bonnes raisons. Ensuite il faut accepter, il faut même rechercher de parler avec les gens de leurs problèmes ; si ce que nous disons est vrai, ces problèmes reflètent fatalement, à un degré ou à un autre, le problème de la société. » (p.108)
-Cornelius Castoriadis, « Sur l’orientation des activités », mars 1963, diffusé à l’intérieur de SouB, repris dans Quelle démocratie ? tome 1 (tome 3 des Écrits politiques, 1945-1997), Éditions du Sandre, 2013, 690 pages.
« Castoriadis écrit explicitement, à rencontre de ce qu'il avançait encore dans MRCM (1959) , que la révolution à venir ne sera plus, ou pas essentiellement, une révolution prolétarienne. » (p.16)
« On entend dire parfois que si le capitalisme (occidental) est devenu fou, ce serait faute d'ennemi externe - entendez, après l'effondrement du système soviétique. C'est une pensée vin peu paresseuse qui glisse sur toute une décennie. Thatcher et Reagan n'ont pas attendu que le bloc de l'Est commence à s'effondrer en Europe pour faire des ravages dans les sociétés occidentales dès 1980. On oublie aussi le préalable: il a fallu la disparition d'un véritable ennemi, interne celui-là, celle d'une véritable oppo sition ouvrière et plus généralement populaire en Occident, pour que triomphe l'entreprise dont ces deux noms sont devenus les symboles. Pourquoi la contre-révolution « néolibérale » a-t-elle pu si facilement l'emporter ? Castoriadis y a insisté à de nombreuses reprises1 : essentiellement, parce que l'idée qu'il est possible de participer de façon efficace aux affaires communes s'est effacée (échec du mouvement ouvrier, bureaucratisation, privatisation) et que le destin de la révolution russe (la réalité des sociétés bureau cratiques et du totalitarisme) a rendu pour beaucoup l'idée d'un autre avenir impossible (ou redoutable). Ces deux facteurs, on n'y insistera jamais assez, continuent d'agir : ce sont en dernier ressort les principaux obstacles à la renaissance d'un mouvement d'émancipation. » (pp.24-25)
« Si les discussions sur la délimitation rigoureuse d'éventuelles « classes populaires » sont en général peu fécondes, celles qui portent sur l'importance numérique des véritables privilégiés du système (l'oligarchie1 ) ne le sont guère plus. Il est évident que ceux-ci, qu'il s'agisse de 1, 3 ou 5 % de la population, ne pourraient assurer leur pouvoir sans la participation active d'une partie non négligeable de cette population, jusqu'à 10% peut être, en dehors de leur cercle. Et sans l'acquiescement tacite, bien entendu, de la majorité. Mais Castoriadis observait, dès CS III (1958) et dans d'autres textes de la fin des années 60, que le pouvoir tend à transposer et à réfracter à l'infini en son propre sein la scission entre direction et exécution : à l'intérieur même de ces 10 %, le degré d'adhésion varie. » (p.33)
« À la question : pourquoi les populations ne participent pas, la réponse, observait Castoriadis, est pourtant simple : parce qu'elles ont constaté, décennie après décennie, que cette participation ne changeait pour l'essentiel rien à leur condition. » (p.37)
« La véritable voie d'accès au pouvoir passe par des institutions dans leur réalité non démocratiques, quels que soient les statuts et la définition qu'elles se donnent : les partis. » (p.38)
« On a du mal à imaginer, en particulier, comment les Conseils pourraient ne s'occuper aucunement de la « gestion des choses » ; ou quel serait le fonctionnement concret d'un système comme celui qu'elle a en vue, ou grâce aux Conseils se dégage une « élite politique » qui seule aurait droit à intervenir dans la « conduite des affaires », ceux qui ne s'intéressent pas à celle-ci « s'excluant d'eux-mêmes ». Les nombreux admirateurs de Hannah Arendt qui la citent à tout propos de nos jours négligent en général tout à fait ces questions. » (note 3 p.39)
« Constater sans plus […] que les gens ne veulent pas aujourd'hui être autonomes - que le poids de leur liberté leur semble trop lourd - n'est pas un argument dirimant, à moins d'affirmer qu'il en sera toujours ainsi. Or l'histoire montre que ces hommes conditionnés pour faire que la société se reproduise telle qu'elle est font tout à coup autre chose. » (pp.41-42)
« Signalons que quelques chapelles néo-marxistes, surtout en Allemagne et en France, continuent de servir imperturbablement aux amateurs des brouets à base d'immenses abstractions (« Valeur » ou « Critique de la Valeur », « Travail » ou « Critique du Travail », etc.) où, s'il est indispensable que chaque ingrédient soit plus ou moins directement relié à quelque ligne des Grundrisse, les rapports avec le monde réel peuvent être, eux, extrêmement ténus. Même si l'on y trouve parfois des observations intéressantes, il est permis d'être dubitatif quant à la pertinence politique de ce genre d'entreprise. » (p.50)
« Certains qui se voudraient cependant dans le camp de la critique sociale la plus intransigeante, et même par fois à prétentions «scientifiques», tendent à prendre pour argent comptant le discours que le capitalisme tient sur lui-même ; plus précisément , à croire que la nouvelle idéologie capitaliste qui s'est diffusée depuis trente ans environ peut être acceptée, sans autre forme de procès, comme un pur reflet de la réalité du capitalisme. Cette idéologie devient alors l'« esprit » du capitalisme, puis le système tout court.
[…] Ceux qui ont des vues moins sommaires sur le phé nomène bureaucratique demanderont à y regarder de plus près. L'observateur naïf lui-même pourrait se dire que pour comprendre le monde d'aujourd'hui il est à première vue plus utile d'essayer de savoir ce que sont l'Armée et le PC chinois, le FSB et autres « structures de force » russes, ou tout simplement l'Armée des Etats-Unis (et les immenses complexes économiques qui leur sont liés), que d'étudier de près les manuels de management des années 70 et 80, et que pour comprendre ces réalités ceux-ci ne sont peut-être pas d'un très grand secours. » (pp.54—56)
« L'atelier ou le bureau, cadre sombre où tout est négatif , serait remplacé dans certains rêves par un domicile ensoleillé abondamment équipé en matériel électronique. Faut-il rappeler que pendant tout le xixe siècle, et au-delà, les travailleurs à domicile - et pour des raisons évidentes, parfaitement transposables de nos jours - ont été de toutes les couches sociales la plus exploitée, avec des journées de travail allant parfois jusqu'à 18 heures encore au début du xx e siècle ? Et qu'il n'y a guère de chances pour que les nouveaux travailleurs à domicile connaissent un sort meilleur, à terme, si ce genre de situation se généralisait, avec tout ce qu'elle implique, en particulier les innombrables obstacles à l'organisation d'une défense collective de leur condition ? » (p.58)
« L'atelier ou le bureau, cadre sombre où tout est négatif, serait remplacé dans certains rêves par un domicile ensoleillé abondamment équipé en matériel électronique. Faut-il rappeler que pendant tout le xixe siècle, et au-delà, les travailleurs à domicile - et pour des raisons évidentes, parfaitement transposables de nos jours - ont été de toutes les couches sociales la plus exploitée, avec des journées de travail allant parfois jusqu'à 18 heures encore au début du xx e siècle ? Et qu'il n'y a guère de chances pour que les nouveaux travailleurs à domicile connaissent un sort meilleur, à terme, si ce genre de situation se généralisait, avec tout ce qu'elle implique, en particulier les innombrables obstacles à l'organisation d'une défense collective de leur condition ? » (note 1 p.66)
« L'affaiblissement et l'appauvrissement, qui semblent inexorables, des vieux pays européens frappent maintenant les esprits. Castoriadis, il y a une quinzaine d'années : « Alors que la Communauté européenne, entité économique presque autosuffisante, aurait pu utiliser le Tarif extérieur commun (TEC) pour permettre la survie d'une agriculture et d'une industrie européennes, on permet la désertification des campagnes et la destruction de branches entières de l'industrie et des régions correspondantes » (Entretien avec Jean Liberman publié dans Le Nouveau Politis, n°434, 6 mars 1997). » (note 2 p.69)
« Quels sont les facteurs de la crise (concentration inouïe des richesses à un pôle, circulation des capitaux sans restriction aucune et trou noir des paradis fiscaux, produits financiers agissant comme des bombes à retardement, automatisation extravagante des opérations boursières) qui ont été éliminés par l'action des gouverne ments depuis 2008 ? La réponse est bien entendu fort simple : aucun. » (note 1 p.72)
-E.E, « Castoriadis, écrivain politique II », préface à Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ? tome 1 (tome 3 des Écrits politiques, 1945-1997), Éditions du Sandre, 2013, 690 pages.
« Il n'y aura pas de renaissance d'un mouvement socialiste révolutionnaire si tout un ensemble organique d'idées, de principes, de valeurs, d'attitudes, de critères, ne sont pas établis et explicitement embrassés par un courant important de la population travailleuse. » (p.87)
« La propagation des conceptions nouvelles ne peut se faire que parallèlement à une élaboration idéologique continue. » (p.89)
« Nous devons donc marquer une rupture radicale avec l'idéologie et les valeurs de la société officielle et en fait partagées, avec des variantes mineures, par les organisations prétendument « ouvrières ». Le premier aspect, et le plus important actuellement, de cette rupture, c'est la rupture avec la « théorie » et l'« idéologie » des organisations « de gauche » : une conception économico-politique étroite exprimée dans un jargon inhumain. » (pp.89-90)
« Rompre avec l'idéologie bureaucratique, c'est d'abord rompre avec les thèmes de cette idéologie et de la propagande correspon dante. C'est élargir les sujets dont nous parlons à tous les aspects de la vie des hommes en société. C'est d'ailleurs le contenu le plus profond de nos idées qui nous y oblige. Si le problème dans le capitalisme moderne n'est pas celui de la stagnation du niveau de vie et le chômage, les seules questions qui deviennent importantes sont : qu'est-ce que le travail, qu'est-ce que la consommation, quels doivent être les rapports des hommes dans la production, dans la famille, dans la localité, etc. ? Si le socialisme ne se réduit pas à quelques transformations du système économique, si même ces transformations sont à la fois inconcevables et vides de contenu sans autre chose, sans un changement radical de l'attitude des hommes face à la société ; si ce changement ne peut se produire que parce que les hommes verront que leur gestion de la société concerne véritablement leur vie concrète - alors c'est cette vie concrète, dans l'infinité de ses aspects, qui doit être notre thème permanent. » (p.90)
« Les hommes feront une révolution pour changer radicalement de façon de vivre, et cela concerne le contenu de la révolution, ses fins et ses valeurs. Ce contenu, ces fins et ces valeurs, il faut déjà les pré-esquisser d'une certaine façon. Cela nous ne pouvons pas le faire tout seuls, car nous ne serions alors qu'un petit groupe pondant ses utopies personnelles. Mais nous pouvons le faire : d'abord, si nous savons voir, comprendre, interpréter et formuler ce que les gens eux-mêmes font, dans leur travail et dans leur vie ; en deuxième lieu, si nous savons discerner, au sein même de cette culture qui se décompose, les efforts et les tentatives d'individus et de penseurs qui ne sont pas forcément de notre bord mais dont les résultats sont utilisables par nous ; enfin, si nous savons accepter et susciter la collaboration et les contributions de gens extérieurs à l'organisation, dans le cadre d'un accord idéologique très large, quitte à marquer chaque fois que nous leur donnons la parole que ces idées ne sont pas nécessairement les nôtres et quitte à préciser nos différences lorsque nous l'estimons utile. Si nous sommes convaincus que nos idées sont vraies, nous n'avons aucune raison d'avoir peur de qui que ce soit. Notre perspective dans ce domaine doit être que nous devons devenir les animateurs et les guides d'un vaste courant idéologique, dont l'orientation générale est clairement et fermement établie, mais dans lequel coexistent (et peuvent coexister) une grande variété d'opinions et d'attitudes exprimant la richesse et la complexité du mouvement socialiste révolutionnaire. » (p.91)
« Il faut réfléchir le mieux que l'on peut avant de parler et d'écrire, mais il faut aussi dénoncer une censure stérile et comprendre que nous ne sommes pas, à chaque instant de notre vie, en train de légiférer sans appel pour les siècles futurs. » (p.92)
« Nous devons : 1. prati quer des interviews et des reportages, obtenir des témoignages sur les questions qui nous préoccupent ou qui préoccupent les gens ; 2. utiliser des documents de toute sorte, y compris ceux que publie souvent la presse bourgeoise; 3. exploiter la presse des organisa tions parentes, par exemple des camarades américains; 4. orga niser des discussions entre camarades du groupe, et entre ceux-ci et gens de l'extérieur. » (p.94)
« Texte sur la situation de la femme dans la société contemporaine (analyse des trois changements fondamentaux dans la situation de la femme : entrée des femmes dans le travail productif salarié ; effondrement de la morale sexuelle patriarcale ; accession de la femme à l'égalité formelle quant à l'éducation, les « droits » politiques et la responsabilité sociale. Maintien de l'oppression de fait, économique et sociale ; importance des restes de mentalité patriarcale et misère sexuelle des femmes. La responsabilité des enfants se concentre de plus en plus sur la femme. Comment les femmes essaient de faire quelque chose de leur vie dans cette situa tion. Qu'est-ce que le socialisme peut signifier pour les femmes). » (pp.95-96)
« Il y a actualité et actualité. Ce n'est pas parce qu'un événement fait « la une » des journaux qu'il est nécessairement a) celui qui préoccupe le plus les gens, b) celui dont nous devons inéluctablement parler. Il y a : l'actualité pour le gouvernement et les organisations politiques ; l'actualité au sens des véritables préoccupations des gens ; l'actualité au sens de nos préoccupations à nous. Pouvoir Ouvrier doit parler de l'actualité le deuxième et le troisième sens et non dans le premier, sauf dans les cas (rares) où cette actualité officielle devient effectivement préoccupation des gens. Pouvoir Ouvrier doit parler des choses qui nous importent ou sur lesquelles nous avons des choses spécifiques à dire. On oublie constamment qu'une de nos tâches, c'est d'imposer nos obsessions au public, et l'autre, de découvrir les obsessions du public, qui ne coïncident nullement avec les obsessions des journaux. » (pp.99-100)
« Pour les gens, qui dit une chose compte autant et plus que ce qu'il dit. Bref, nous ne pouvons pas envoyer une fois tous les cinq ans trois étudiants dans le Nord qui diraient aux mineurs comment organiser leur grève et en définir les objectifs. » (p.104)
-Cornelius Castoriadis, « Sur l’orientation de la propagande », octobre 1962, diffusé à l’intérieur de SouB, repris dans Quelle démocratie ? tome 1 (tome 3 des Écrits politiques, 1945-1997), Éditions du Sandre, 2013, 690 pages.
« Une situation pré-révolutionnaire ne surgit pas tous les jours. Dire qu'il n'y a pas de déterminisme dans l'histoire ne signifie pas que tout est possible, encore moins probable, à tout instant. » (p.105)
« Nous nous engageons dans des actions où participent des gens qui veulent lutter contre tel aspect de l'ordre établi, sans vouloir coûte que coûte en éclaircir d'avance, pour les autres ou même pour nous, tous les tenants et aboutissants idéologiques. » (p.106)
« Lors même que les gens pensent autrement que nous, les raisons qu'ils ont pour le faire doivent être intéressantes de notre point de vue et peuvent être de bonnes raisons. Ensuite il faut accepter, il faut même rechercher de parler avec les gens de leurs problèmes ; si ce que nous disons est vrai, ces problèmes reflètent fatalement, à un degré ou à un autre, le problème de la société. » (p.108)
-Cornelius Castoriadis, « Sur l’orientation des activités », mars 1963, diffusé à l’intérieur de SouB, repris dans Quelle démocratie ? tome 1 (tome 3 des Écrits politiques, 1945-1997), Éditions du Sandre, 2013, 690 pages.