https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Lefebvre
"La désaliénation, Hegel la concevait unilatéralement et spéculativement. Il l'attachait à la seule activité de la conscience philosophique. Pour Marx, les hommes se reprennent sur les aliénations au cours de luttes réelles, c'est-à-dire pratiques, la théorie étant un moyen (un élément, une étape, un intermédiaire) nécessaire et insuffisant dans ces luttes multiples et multiformes. Une aliénation ne se définit clairement pour Marx que par rapport à sa désaliénation possible : par la possibilité pratique, effective, de la désaliénation." (p.10)
"La philosophie libère les hommes de la non-philosophie, c'est-à-dire des représentations fantastiques, acceptées sans critique fondamentale. La philosophie est donc la quintessence spirituelle de son époque. Prométhéenne par essence, elle cherche la vérité de l'histoire et du développement des sociétés prométhéennes." (pp.11-12)
"Les tendances philosophiques qui représentent les intérêts, les buts, les perspectives des opprimés ont toujours été faibles et vaincues." (p.13)
"La pensée marxiste maintient l'unité du réel et de la connaissance, de la nature et de l'homme, des sciences de la matière et des sciences sociales. Elle explore une totalité dans le devenir et dans l'actuel, totalité comprenant des niveaux et aspects tantôt complémentaires, tantôt distincts, tantôt contradictoires. Elle n'est donc en elle-même, ni histoire, ni sociologie, ni psychologie, etc., mais elle comprend ces points de vue, ces aspects, ces niveaux. C'est là son originalité, sa nouveauté et son intérêt durable.
Depuis la fin du XIXe siècle, on tend à penser l'œuvre de Marx et notamment le Capital en fonction de sciences parcellaires qui se sont spécialisées depuis lors et dont Marx aurait refusé le cloisonnement. On réduit cet ensemble théorique, le Capital, à un traité d'histoire ou d'économie politique ou de sociologie ou encore de philosophie. La pensée marxiste ne peut entrer dans ces catégories étroites : philosophie, économie politique, histoire, sociologie. Elle ne relève pas davantage de la conception « interdisciplinaire » qui essaie de corriger, non sans risque de confusion, les inconvénients de la division parcellaire du travail dans les sciences sociales. L'investigation marxiste porte sur une totalité différenciée, en centrant la recherche et les concepts théoriques autour d'un thème : le rapport dialectique entre l'homme social actif et ses œuvres (multiples, diverses, contradictoires)." (p.22)
"Connaître l'humain, c'est dégager ce qui naît de lui et en lui dans le devenir." (p.26)
"Les Manuscrits de 1844 critiquent et rejettent les catégories et notions fondamentales de la philosophie, y compris les concepts de matérialisme et d'idéalisme. Qu'est la « substance » au sens philosophique ? C'est la nature métaphysiquement travestie dans sa séparation d'avec l'homme. Inversement, qu'est-ce que la conscience ? C'est l'esprit humain métaphysiquement travesti dans sa séparation d'avec la nature.
Les deux interprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis révolutionnaire. Elles perdent leur opposition et par suite leur existence. La spécificité du marxisme, son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) ne proviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractère pratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme comme l'idéalisme. Les interprétations du monde se retrouvent dans la pensée antérieure, notamment dans la pensée (bourgeoise) du XVIII E siècle. S'il est vrai que le matérialisme a été dans l'ensemble la philosophie des classes opprimées et révolutionnaires, y compris la bourgeoisie, la fonction de la classe ouvrière est radicalement nouvelle. En explicitant la praxis (la pratique de la société basée sur l'industrie, laquelle permet de prendre conscience de la pratique humaine en général), elle dépasse définitivement et renvoie dos à dos les interprétations antérieures, correspondant à des stades dépassés de la lutte des classes.
Le marxisme (qui théoriquement éclaircit la situation de la classe ouvrière et lui apporte une conscience de classe élevée au niveau de la théorie) n'est pas une philosophie matérialiste, parce que ce n'est pas une philosophie. Il n'est plus ni idéaliste, ni matérialiste, parce qu'il est profondément historique. Il explicite l'historicité de la connaissance ; il déploie l'historicité de l'être humain, la formation économique-sociale. Non seulement la philosophie n'explique rien, mais elle est elle-même expliquée par le matérialisme historique. La philosophie, attitude contemplative, accepte l'existant. Elle ne transforme pas le monde, mais les interprétations du monde. L'attitude contemplative, conséquence lointaine de la division du travail, est une activité mutilée, partielle. Or le vrai, c'est le tout. La philosophie ne peut prétendre au titre d'activité suprême et totale. Les résultats obtenus par cette activité contemplative vont contre les faits empiriquement observés. Il n'y a pas d'absolus immobiles, pas d'au-delà spirituel. Tout absolu se révèle comme un masque justifiant l'exploitation de l'homme par l'homme. Les abstractions philosophiques telles qu'elles n'ont aucune valeur, aucune signification précise. Le vrai c'est aussi le concret. Les propositions de la philosophia perennis ? Ou bien ce ne sont que des tautologies sans contenu, ou bien elles reçoivent un sens concret par un contenu historique, empiriquement vérifiable. S'élever au-dessus du monde par la réflexion pure, c'est en réalité rester enfermé dans la pure réflexion. Cela ne veut pas dire qu'on aboutit au nominalisme ; les universaux sont fondés dans la praxis, elle-même objective.
Y aurait-il plusieurs sortes, qualitativement diverses et distinctes, de connaissance, par exemple la connaissance philosophique et la connaissance scientifique ? Non. La pensée philosophique abstraite n'est justifiée que comme abstraction des connaissances scientifiques particulières, ou plus exactement comme résumé des résultats les plus généraux de l'étude du développement historique." (pp.28-29)
-Henri Lefebvre, Sociologie de Marx, PUF, coll. SUP, 1974 (1966 pour la première édition), 176 pages.
"La désaliénation, Hegel la concevait unilatéralement et spéculativement. Il l'attachait à la seule activité de la conscience philosophique. Pour Marx, les hommes se reprennent sur les aliénations au cours de luttes réelles, c'est-à-dire pratiques, la théorie étant un moyen (un élément, une étape, un intermédiaire) nécessaire et insuffisant dans ces luttes multiples et multiformes. Une aliénation ne se définit clairement pour Marx que par rapport à sa désaliénation possible : par la possibilité pratique, effective, de la désaliénation." (p.10)
"La philosophie libère les hommes de la non-philosophie, c'est-à-dire des représentations fantastiques, acceptées sans critique fondamentale. La philosophie est donc la quintessence spirituelle de son époque. Prométhéenne par essence, elle cherche la vérité de l'histoire et du développement des sociétés prométhéennes." (pp.11-12)
"Les tendances philosophiques qui représentent les intérêts, les buts, les perspectives des opprimés ont toujours été faibles et vaincues." (p.13)
"La pensée marxiste maintient l'unité du réel et de la connaissance, de la nature et de l'homme, des sciences de la matière et des sciences sociales. Elle explore une totalité dans le devenir et dans l'actuel, totalité comprenant des niveaux et aspects tantôt complémentaires, tantôt distincts, tantôt contradictoires. Elle n'est donc en elle-même, ni histoire, ni sociologie, ni psychologie, etc., mais elle comprend ces points de vue, ces aspects, ces niveaux. C'est là son originalité, sa nouveauté et son intérêt durable.
Depuis la fin du XIXe siècle, on tend à penser l'œuvre de Marx et notamment le Capital en fonction de sciences parcellaires qui se sont spécialisées depuis lors et dont Marx aurait refusé le cloisonnement. On réduit cet ensemble théorique, le Capital, à un traité d'histoire ou d'économie politique ou de sociologie ou encore de philosophie. La pensée marxiste ne peut entrer dans ces catégories étroites : philosophie, économie politique, histoire, sociologie. Elle ne relève pas davantage de la conception « interdisciplinaire » qui essaie de corriger, non sans risque de confusion, les inconvénients de la division parcellaire du travail dans les sciences sociales. L'investigation marxiste porte sur une totalité différenciée, en centrant la recherche et les concepts théoriques autour d'un thème : le rapport dialectique entre l'homme social actif et ses œuvres (multiples, diverses, contradictoires)." (p.22)
"Connaître l'humain, c'est dégager ce qui naît de lui et en lui dans le devenir." (p.26)
"Les Manuscrits de 1844 critiquent et rejettent les catégories et notions fondamentales de la philosophie, y compris les concepts de matérialisme et d'idéalisme. Qu'est la « substance » au sens philosophique ? C'est la nature métaphysiquement travestie dans sa séparation d'avec l'homme. Inversement, qu'est-ce que la conscience ? C'est l'esprit humain métaphysiquement travesti dans sa séparation d'avec la nature.
Les deux interprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis révolutionnaire. Elles perdent leur opposition et par suite leur existence. La spécificité du marxisme, son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) ne proviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractère pratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme comme l'idéalisme. Les interprétations du monde se retrouvent dans la pensée antérieure, notamment dans la pensée (bourgeoise) du XVIII E siècle. S'il est vrai que le matérialisme a été dans l'ensemble la philosophie des classes opprimées et révolutionnaires, y compris la bourgeoisie, la fonction de la classe ouvrière est radicalement nouvelle. En explicitant la praxis (la pratique de la société basée sur l'industrie, laquelle permet de prendre conscience de la pratique humaine en général), elle dépasse définitivement et renvoie dos à dos les interprétations antérieures, correspondant à des stades dépassés de la lutte des classes.
Le marxisme (qui théoriquement éclaircit la situation de la classe ouvrière et lui apporte une conscience de classe élevée au niveau de la théorie) n'est pas une philosophie matérialiste, parce que ce n'est pas une philosophie. Il n'est plus ni idéaliste, ni matérialiste, parce qu'il est profondément historique. Il explicite l'historicité de la connaissance ; il déploie l'historicité de l'être humain, la formation économique-sociale. Non seulement la philosophie n'explique rien, mais elle est elle-même expliquée par le matérialisme historique. La philosophie, attitude contemplative, accepte l'existant. Elle ne transforme pas le monde, mais les interprétations du monde. L'attitude contemplative, conséquence lointaine de la division du travail, est une activité mutilée, partielle. Or le vrai, c'est le tout. La philosophie ne peut prétendre au titre d'activité suprême et totale. Les résultats obtenus par cette activité contemplative vont contre les faits empiriquement observés. Il n'y a pas d'absolus immobiles, pas d'au-delà spirituel. Tout absolu se révèle comme un masque justifiant l'exploitation de l'homme par l'homme. Les abstractions philosophiques telles qu'elles n'ont aucune valeur, aucune signification précise. Le vrai c'est aussi le concret. Les propositions de la philosophia perennis ? Ou bien ce ne sont que des tautologies sans contenu, ou bien elles reçoivent un sens concret par un contenu historique, empiriquement vérifiable. S'élever au-dessus du monde par la réflexion pure, c'est en réalité rester enfermé dans la pure réflexion. Cela ne veut pas dire qu'on aboutit au nominalisme ; les universaux sont fondés dans la praxis, elle-même objective.
Y aurait-il plusieurs sortes, qualitativement diverses et distinctes, de connaissance, par exemple la connaissance philosophique et la connaissance scientifique ? Non. La pensée philosophique abstraite n'est justifiée que comme abstraction des connaissances scientifiques particulières, ou plus exactement comme résumé des résultats les plus généraux de l'étude du développement historique." (pp.28-29)
-Henri Lefebvre, Sociologie de Marx, PUF, coll. SUP, 1974 (1966 pour la première édition), 176 pages.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 25 Juil - 11:33, édité 7 fois