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    Christiane Arbaret-Schulz, La question du continu et du discontinu à l’épreuve de la dimension technique des sociétés

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Lun 8 Mar - 11:00

    https://books.openedition.org/pufr/2405

    "On s’accorde à peu près sur le fait que la technique et le langage sont les éléments constitutifs d’une discontinuité forte entre l’espèce humaine, homo faber-sapiens, et les autres espèces vivantes."

    "Frontière réticulaire."

    "Le réseau est une figure de la continuité au sens où il ne fait qu’ouvrir des accès. Un réseau n’a pas de destination finale et ne possède aucun terme. Au double sens du mot, un réseau est sans fin. Il n’a d’autre fin que celle de se connecter toujours et encore. Une connexion en appelle toujours une autre et le réseau ouvre, de proche en proche, à tous les autres réseaux.

    Inversement, la frontière est d’abord une figure de la discontinuité : elle sépare et arrête, contrôle et filtre, parce qu’elle a pour caractéristique de protéger un intérieur contre des agressions de tous ordres. Son franchissement présente un caractère plutôt exceptionnel, associé à l’idée d’épreuve, de danger mais aussi de défi pour celui qui, malgré tout, brave et transgresse l’interdit.

    En tant qu’objets géographiques, le réseau et la frontière sont deux modalités de spatialisation humaine inverses et exclusives l’une de l’autre :

    -Le réseau crée artificiellement de la proximité là où il y a de la distance,
    -Inversement la frontière crée artificiellement de la distance, là où il y a de la proximité.

    En tant que faits sociaux enfin, maints exemples ordinaires témoignent du caractère antinomique de la frontière et du réseau :

    -en Europe occidentale, par exemple, et jusqu’à aujourd’hui, les frontières étatiques ont toujours tenu les réseaux à distance. En témoigne le manque d’accessibilité des régions frontalières qui le déplorent, telle Strasbourg qui inaugure à peine son deuxième pont sur le Rhin, et dont les TGV n’en finissent pas de ne pas arriver. En témoigne plus généralement la nécessité de politiques incitatives et le besoin d’aides européennes pour combler les manques d’accessibilité des régions frontalières d’Europe en réalisant des connexions transfrontalières souvent difficiles, coûteuses et pas forcément rentables,
    -à l’inverse, les discours s’accordent pour qualifier les réseaux “d’effaceurs” de frontières. Quand ils ne les effacent pas, dit-on, ils les vident de leur substance, les périment ou bien les brouillent. Autre expression encore de la continuité des réseaux, exclusive de la discontinuité frontalière : les discours anti-mondialisation qui dénoncent leurs effets destructeurs de toutes spécificités, particularismes ou discontinuités."

    "Les frontières réticulaires se nichent au cœur des grands réseaux de transports de marchandises, d’hommes ou d’informations, en s’y invisibilisant au point de se faire presque oublier comme frontières. Elles se greffent sur leurs principaux nœuds, aéroports ou ports, maritimes ou fluviaux, plates-formes logistiques, gares routières ou ferroviaires, portails informatiques sous la forme de codes, et en définitive elles se localisent là où se concentrent aussi tous ces “terminaux” : dans les principales concentrations urbaines. Ainsi les frontières se réseautisent tandis que les réseaux se métropolisent.

    À l’image des réseaux et des flux qu’ils mettent en mouvement, ces frontières sont très spécialisées et technicisées. Comme eux et avec eux, elles s’inventent depuis un demi-siècle sur fond de mondialisation de l’économie et de libéralisation des échanges, eux-mêmes portés par les mutations dans les technologies de transport et de communications. Pour toutes ces raisons, les frontières réticulaires sont des artefacts qui sont appelés à se généraliser, elles sont des frontières d’avenir. Elles révèlent qu’en réalité, frontières et réseaux, loin de s’exclure, aujourd’hui s’attirent."

    "Avions, bateaux, TGV sont autant de véhicules qui actualisent - ou réalisent - la continuité réticulaire. Pour autant, ils ont la capacité d’actualiser aussi les discontinuités frontalières : le simple fait d’immobiliser les appareils suffit par exemple à rendre une frontière parfaitement infranchissable. Ce qui ne les empêche pas par ailleurs de construire aussi de la continuité, non seulement par leur mobilité et leur vitesse, mais encore par leur corps double, compatible avec au moins deux éléments qu’ils mettent en relation compatible avec la terre et le ciel pour l’avion, avec la grande vitesse et la petite pour les TGV, avec la vie sur terre et sur mer pour le bateau. Ces appareils matérialisent ainsi l’alliage du continu et du discontinu, l’inséparabilité de ces deux dimensions. Ils définissent en fait une interface entre elles.

    Poursuivons leur examen : appareiller veut dire qu’on largue les amarres, que l’on quitte un monde pour un autre, et que pour franchir une telle discontinuité, un appareil est nécessaire. Dire que les frontières réticulaires sont appareillées, c’est reconnaître que leur franchissement est associé à l’idée d’épreuve et de danger. Pourtant les risques ne sont plus d’origine politique, étatique ou militaire comme au temps des anciennes frontières d’État. Il s’agit des risques physiques ou technologiques auxquels l’appareillage expose : en ce lieux à très hauts risques, l’erreur ne pardonne pas."

    "De même qu’un véhicules “réalise” la continuité dans un réseau de transport, de même les services douaniers sont ce qui “réalise” la discontinuité d’une frontière d’état. Or, l’évolution actuelle des services douaniers rend compte elle aussi de jeux mimétiques entre frontière et réseau, entre logique de discontinuité et logique de continuité au sein des frontières réticulaires. Ainsi, par les prestations qu’elles fournissent, elles se transforment aujourd’hui en de véritables partenaires des opérateurs privés que pourtant elles contrôlent, mais elles intègrent leurs exigences de vitesse, de régularité, de compétitivité, de continuité."
    -Christiane Arbaret-Schulz, "La question du continu et du discontinu à l’épreuve de la dimension technique des sociétés", in Alexandre Fréderic et Alain Génin (dir.), Continu et discontinu dans l'espace géographique, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2008, 442 pages, p. 409-416.



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