https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Noiriel#L'histoire_populaire_de_la_France
https://fr.1lib.fr/book/11254107/e41961
"[Howard] Zinn a écrit son Histoire populaire à la fin de la décennie qui a suivi les événements de mai-juin 1968. Ce fut une période heureuse, peut-être la plus heureuse que le monde ait connue. Les forces progressistes avaient alors le vent en poupe et elles étaient suffisamment unies pour favoriser la convergence des luttes et des bonnes causes. Pour des raisons que je tente d’expliquer dans le dernier chapitre, cette perspective s’est effondrée au cours des décennies suivantes. La crise du mouvement ouvrier a considérablement affaibli les luttes sociales au profit des conflits identitaires. Le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par les porte-parole des minorités (religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales, qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires.
Le présent livre s’inscrit dans le sillage d’Howard Zinn au sens où celui-ci s’est toujours efforcé, dans son œuvre, d’articuler les différentes formes de domination qu’ont subies les exclus de l’histoire en préservant le primat de la lutte des classes."
"L’identité collective des classes populaires a été en partie fabriquée par les dominants et, inversement, les formes de résistance développées au cours du temps par « ceux d’en bas » ont joué un rôle majeur dans les bouleversements de notre histoire commune.
Cette perspective m’a conduit à débuter cette histoire de France à la fin du Moyen Âge, c’est-à-dire au moment où l’État monarchique s’est imposé, dans le cadre de relations internationales qui ont constamment affecté son développement. Appréhendé sous cet angle, le « peuple français » désigne l’ensemble des individus qui ont été liés entre eux parce qu’ils ont été placés sous la dépendance de ce pouvoir souverain, d’abord comme sujets puis comme citoyens."
" [Chapitre I. Pourquoi Jeanne d’Arc, malgré tout ?]
La France occupe aujourd’hui le premier rang mondial dans l’industrie du tourisme et du luxe (la haute couture, les produits du terroir, le bon vin, etc.). La marque « France » se vend dans le monde entier grâce à son passé aristocratique. Ses châteaux, ses palais, ses églises sont devenus les meilleurs arguments publicitaires pour écouler des produits haut de gamme et pour attirer tous les étrangers du monde, à condition que leur compte en banque soit bien fourni.
Le retour en grâce [d'une] histoire monarchiste est en phase avec les développements récents du capitalisme patrimonial."
"Les efforts de l’extrême droite pour accaparer Jeanne d’Arc se sont heurtés dès le XIXe siècle à des entreprises concurrentes. Les mouvements politiques de tous bords ont tenté de rallier la « pucelle d’Orléans » à leur propre cause. Jules Michelet en fit une « sainte républicaine », « la mère de la nation française » ; Charles Péguy une héroïne socialiste ; Louis Aragon la présenta comme la grande figure d’un passé national rendu au peuple grâce au Parti communiste. Plus récemment, des philosophes marxistes (je pense à Daniel Bensaïd) ont comparé son destin à la tragique solitude du « Che » en Bolivie. Et des féministes comme Michèle Sarde ont célébré celle qui avait osé braver l’interdit sexiste en vertu duquel « nulle femme ne revêtira l’habit d’un homme »."
"Cet État français, toutes les études historiques récentes le confirment, s’est consolidé définitivement entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle ; l’épopée de Jeanne d’Arc ne représentant qu’un épisode dans un processus qui s’achèvera avec la fin de la guerre de Cent Ans, quelques décennies après sa mort. Les bouleversements historiques sont toujours des phénomènes collectifs et les grands personnages « font l’histoire » uniquement dans la mesure où ils saisissent les occasions qui s’offrent à eux. Ce fut le cas de Jeanne d’Arc.
On peut donc utiliser son nom comme repère mémoriel pour désigner le commencement de l’histoire de France."
"Dans les chroniques historiques rédigées par les clercs du haut Moyen Âge, l’identité des groupes sociaux est confondue avec celle de leurs chefs. Les concepts de « peuple », de « nation » et de « race » sont pensés à partir et en fonction de ces derniers. « Dans le contexte pré-moderne, le sentiment d’appartenance ne concerne que l’élite justement parce qu’elle seule possède une existence politique. » Plutôt que d’alimenter la métaphysique du « sentiment d’appartenance », d’autant plus célébrée qu’elle est indémontrable, mieux vaut reconnaître, plus modestement, que nous ne savons rien des sentiments que pouvaient éprouver « ceux d’en bas », car les masses populaires de cette époque étaient plongées dans une nuit dont elles ne sortiront jamais."
"Robert Fossier a conclu de ses recherches sur la Picardie qu’au XIIe siècle l’élite villageoise (seigneurs, paysans enrichis) représentait 3 % de la population ; 16 % étaient des « laboureurs », propriétaires d’exploitations supérieures ou égales à trois hectares ; 33 % cultivaient des lopins tout en complétant leurs ressources en travaillant au manoir seigneurial ; 36 % étaient des « manouvriers » plongés dans une pauvreté chronique. Un peu plus d’un individu sur dix vivait en marge de la société, n’ayant pas d’autres moyens pour survivre que de louer ses bras aux propriétaires des terres pendant les moissons.
Pour profiter pleinement des défrichements et pour augmenter leurs ressources, les seigneurs multiplièrent les chartes de franchise. Ils reconnaissaient l’autonomie des communautés villageoises, mais en échange celles-ci acceptaient de gérer elles-mêmes la répartition et l’encaissement des redevances dues au seigneur. Ce processus accéléra l’autonomisation des pouvoirs urbains, en donnant naissance à des institutions municipales appelées « échevinats » dans le Nord et « consulats » dans le Sud du royaume. Les habitants de ces bourgs concrétisèrent leur affranchissement en construisant des murs d’enceinte autour de leurs cités. Entre le XIe et le XIVe siècle, le développement de l’artisanat et du commerce entraîna la multiplication des corps de métiers, qui s’organisèrent pour s’assurer le monopole du travail dans un domaine précis et pour limiter la concurrence interne, mais aussi pour contrôler la qualité des produits, surveiller la formation des ouvriers et réguler la diffusion des inventions et des améliorations techniques. Ce fut le point de départ du système corporatiste, associant (et opposant) les maîtres et les compagnons."
"Le règne de Philippe Auguste, au début du XIIIe siècle, fut un moment décisif pour la renaissance de l’État royal. En multipliant les guerres de conquête et les alliances matrimoniales, il réussit à étendre très fortement les territoires annexés au royaume d’Île-de-France. À sa mort, le domaine capétien était quatre fois plus étendu que lors de son accession au trône."
"En 1209, les barons francs assiégèrent la ville de Béziers et, en dignes successeurs de leurs ancêtres qui avaient massacré les musulmans à Jérusalem, ils exterminèrent les habitants de la ville, puis s’emparèrent de Carcassonne."
"En 1215, le IVe concile œcuménique du Latran, organisé par le pape Innocent III, décida de s’en prendre également aux Juifs en demandant aux seigneurs de les traiter comme des « serfs perpétuels ». Mort en 1270 à la veille d’une nouvelle croisade contre les musulmans, le roi de France Louis IX, considéré comme un saint de son vivant et canonisé à peine trente ans après sa mort, s’illustra par la répression féroce qu’il mena contre les communautés juives du royaume. Dans sa monumentale biographie de saint Louis, Jacques Le Goff n’hésita pas à affirmer que ce monarque fut « un jalon sur la route de l’antisémitisme chrétien, occidental et français »."
"Les adeptes de l’histoire monarchique se contentent le plus souvent de raconter l’histoire de cette guerre en n’évoquant que les rivalités entre familles régnantes. En réalité, cette longue période de violences collectives résulta aussi de la grave crise économique qui secoua l’Europe dès le début du XIVe siècle. Les historiens ont expliqué cette dépression par plusieurs facteurs. Selon Édouard Perroy, la crise de subsistance de 1314-1316 agit comme un détonateur. Elle provoqua un effondrement démographique, un rétrécissement de l’espace cultivé et un recul de l’activité industrielle. Des travaux plus récents ont montré que la prospérité de la période précédente avait eu pour effet d’intégrer les paysans au sein des circuits monétaires. Un grand nombre d’entre eux complétaient les ressources tirées de leur terre par un salaire obtenu en travaillant sur une autre exploitation ou en exerçant une activité artisanale, comme le filage et le tissage qui étaient déjà répandus dans les campagnes du Nord et des Flandres. Ce développement des échanges les plaça dans une dépendance plus grande à l’égard des marchés et donc de la fluctuation des prix. Ce phénomène pourrait expliquer l’extension rapide de la crise économique dans une grande partie de l’Europe occidentale et le fait qu’elle ait affecté à la fois les paysans et le prolétariat urbain.
La récession ayant aussi réduit les ressources des seigneurs, ceux-ci réagirent en augmentant la pression fiscale, aggravant du même coup la misère paysanne. Ces facteurs économiques jouèrent un rôle déterminant dans les explosions de violence qui se multiplièrent sur tout le continent, et dont la guerre de Cent Ans fut l’expression la plus visible.
La récession atteignit son paroxysme au moment de l’épouvantable épidémie de peste noire. En cinq ans (1347-1352), le fléau provoqua plus de vingt-cinq millions de morts. On estime qu’au total un tiers de la population européenne disparut à ce moment-là. Le royaume de France, qui comptait seize millions d’habitants au début du XIIIe siècle, n’en comptait plus que douze millions un siècle plus tard. La crise toucha surtout l’économie rurale.
Les revenus seigneuriaux chutèrent fortement ; ce qui affecta le niveau de vie de la petite noblesse. Pour tenter de redresser leur situation, les propriétaires exploitèrent encore davantage, on l’a vu, la force de travail des paysans. Le XIIIe et le XIVe siècle furent donc marqués par une reprise en main de la gestion seigneuriale. Même si les situations pouvaient varier fortement d’une région à l’autre, dans beaucoup d’endroits on assista alors à un renforcement du servage. Ce fut le cas notamment sur les terres de l’abbaye de Saint-Claude – une grande seigneurie ecclésiastique située dans le Haut Jura – qui dépendait formellement du Saint-Empire germanique. Dans la thèse qu’il lui a consacrée, Vincent Corriol a constaté que le servage n’était apparu qu’au XIVe siècle dans cette région. Les petites communautés paysannes qui s’étaient constituées pour défricher des forêts jusque-là inexploitées perdirent alors leur autonomie et la société locale se reconstitua autour de deux statuts : le bourgeois et le serf.
Cependant, si la question du servage apparaît de plus en plus souvent dans les archives seigneuriales du bas Moyen Âge, c’est aussi parce que la reprise en main de la gestion de leurs terres par les propriétaires entraîna une forte diffusion de la culture écrite dans les campagnes. Pour rationaliser l’exploitation de leur domaine, les grandes seigneuries en confièrent l’administration à des « officiers » qui connaissaient bien le droit romain. Lors des litiges avec les paysans, ils mobilisèrent de plus en plus souvent des textes à titre de preuve. La pénétration de la culture écrite au sein de la classe seigneuriale eut aussi pour effet d’unifier des pratiques extrêmement diverses en les regroupant sous des appellations identiques."
"En 1351, Jean II dit « le Bon » prit la première ordonnance du royaume de France visant ceux qui « se tiennent oyseux par la ville de Paris ». Il interdit aux ouvriers de fréquenter les tavernes les jours ouvrables et de quitter leur atelier pour chercher un meilleur salaire. En 1367, une nouvelle ordonnance royale obligea les chômeurs à réparer les fossés, sous peine d’être fouettés. Le texte cité par José Cubero est très clair, bien qu’il soit écrit en ancien français : « Et se apres lesdits trois jours sont trouvez oyseux ou jouans aux dez ou mendiants, ilz seront prins et mis en prison et mis au pain et a l’eaue ; et ainsi tenuz par l’espace de quatre jours, et quand ilz auront esté delivrez de ladite prison, se ilz sont trouvez oyseux ou se ilz n’ont bien dont ilz puissent avoir leur vie, ou se ilz n’ont adveu de personnes souffisans, sans fraude a qui ilz facent besongnes ou qu’ilz servent, ilz seront mis au pilory et la tierce foiz ilz seront signez au front d’un fer chault et bannis desdits lieux. »
Ce texte montre bien le rôle majeur de la contrainte dans le règlement de la question sociale. Comme l’a souligné Bronislaw Geremek dans son étude sur la répression du vagabondage à Paris à la fin du Moyen Âge : « Le système judiciaire et l’appareil policier sont, avant tout, dirigés contre les échelons inférieurs de la hiérarchie sociale. » Il faut toutefois préciser que les forces de l’ordre étaient à cette époque encore embryonnaires et ne formaient pas un corps détaché de la société. À Paris, les effectifs de police étaient composés de deux cent vingt sergents, recrutés dans le milieu des artisans, auxquels s’ajoutaient les gardes personnels du prévôt, secondés par la garde royale. Néanmoins, la férocité de la répression fait frémir. Geremek estime que les plus pauvres furent alors placés « dans une situation terrifiante » : oreille coupée, femme enterrée vivante pour avoir volé son maître, etc."
"Le pouvoir fut ainsi contraint de faire appel périodiquement aux états généraux pour renouveler ces « aides », afin d’obtenir les moyens de faire face à la menace que faisaient peser les armées anglaises et bourguignonnes sur le royaume. En plus de la taille, les sujets du roi furent contraints de payer de nouvelles taxes sur les marchandises, notamment la gabelle, un impôt sur le sel prélevé dans une grande partie du royaume à partir de 1343.
Ces nouvelles exigences étaient insupportables pour des populations exténuées par les guerres, décimées par les épidémies et paupérisées par la crise économique. Dès la fin du XIIIe siècle, l’agitation devint chronique dans les campagnes situées entre Seine et Rhin. Au XIVe siècle, les soulèvements paysans se multiplièrent dans toute la partie occidentale de l’Europe. En Flandre éclata la « guerre des Karls », l’Angleterre fut secouée par le soulèvement des « Travailleurs » et en Île-de-France éclatèrent les premières « jacqueries ». Ces mouvements s’attaquaient à la fois aux seigneurs qui ne jouaient plus leur rôle protecteur traditionnel et à l’État royal naissant. Fait remarquable, ces mobilisations se produisirent à la fois dans les classes populaires rurales et urbaines. Dans le livre qu’ils leur ont consacré, Michel Mollat et Philippe Wolff ont noté que le mot « populares [populaire] » s’imposa à ce moment-là un peu partout pour désigner les révoltés, ceux qu’on appelait aussi le « commun », les « petits », les « maigres », les « gens mécaniques », « gent vile et de petit estat ». Dans ses Chroniques, rédigées à la fin du XIVe siècle, Jean Froissart résuma parfaitement le point de vue des dominants : « Les méchants gens commencèrent à s’agiter en disant qu’on les tenait en trop grande servitude. »"
"Les innovations techniques avaient abouti à des formes de travail préfigurant les usines du XIXe siècle. La division des tâches était déjà très avancée et les journées de travail parfois rythmées au son de la cloche, reflétant un monde où le rendement était indexé sur le temps de l’horloge. Dans ces villes textiles, les relations monétaires étaient déjà la règle. Les inégalités sociales s’étaient creusées rapidement, opposant les « gras » (une petite oligarchie qui détenait la richesse et le pouvoir) et les « menus » (la masse travailleuse). Les premières dynasties capitalistes s’étaient installées tout en haut de la pyramide sociale, comme Jehan Boinebroke, qui cumulait le pouvoir économique et politique local, en tant qu’échevin de la ville de Douai de 1243 à 1280.
La crise économique qui apparut dès les premières années du XIVe siècle réduisit les débouchés, provoquant la fermeture d’un grand nombre d’ateliers. Les ouvriers et les artisans réagirent en multipliant les grèves et les manifestations. La concentration de la population au sein de ces zones urbaines facilita les réactions collectives. Dans un monde encore dominé par les liens directs, le moindre incident, la moindre rumeur, se répandait comme une traînée de poudre et pouvait déboucher sur une explosion de colère. Ces mobilisations de masse permirent aux premiers leaders populaires de s’imposer comme porte-parole. Leur influence était due au fait qu’ils étaient issus du peuple au nom duquel ils parlaient, mais qu’ils s’en distinguaient par une facilité de parole hors du commun. Un exemple, parmi de nombreux autres, est celui de Pierre de Coninck, un tisserand décrit ainsi dans les Annales de Gand : « Petit de corps et de povre lignage, il avoit tant de paroles et il savoit si bien parler que c’estoit une fine merveille. Et pour cela, les tisserands, les foulons et les tondeurs le croyoient et aimoient tant qu’il ne sût chose dire ou commander qu’ils ne fissent. »
Le rejet de la fiscalité royale fut l’un des principaux motifs des révoltes de Flandre. Les classes populaires s’opposèrent en effet au roi de France parce qu’elles voulaient échapper aux taxes que celui-ci imposait aux sujets de son royaume. Le comte de Flandre, qui défendait de son côté son autonomie face aux prétentions royales, passa une alliance avec Pierre de Coninck pour fusionner la cause des classes populaires et celle de l’aristocratie flamande. Ce qui permit au mouvement de faire tache d’huile au point que l’insurrection populaire triompha de l’armée royale le 11 juillet 1302. Cet événement fit sensation : la piétaille avait triomphé d’une armée de chevaliers commandée par le monarque le plus puissant de l’époque !
Certes, cette victoire fut sans lendemain et le mouvement populaire finalement réprimé. Néanmoins, ces luttes eurent des conséquences durables, contribuant notamment à déplacer la frontière politique sur la frontière linguistique et à préparer ainsi la division de la Flandre entre la France et ce qui deviendra la Belgique."
"Sacré en 1364, Charles V voulut museler la population parisienne en construisant la forteresse de la Bastille et en contrôlant plus étroitement la prévôté des marchands."
"Domrémy, le village natal de Jeanne, situé aujourd’hui dans le département des Vosges, était placé sous la coupe de plusieurs pouvoirs. La partie du village où vivait sa famille appartenait au « Barrois mouvant », un fief concédé par le roi de France au duc de Bar. Située aux marches de la Lorraine, cette région était au cœur des rivalités qui opposaient l’empereur allemand, le duc de Bourgogne et le roi de France. L’autre partie du village dépendait de la châtellenie de Vaucouleurs, rattachée au royaume de France depuis 1365. La paroisse de Domrémy faisait, quant à elle, partie du diocèse de Toul, dépendant du Saint-Empire germanique.
On comprend, dans ces conditions, combien la vision d’une Jeanne d’Arc patriote sauvant la nation française est anachronique. Comme l’a souligné Jean-Philippe Genet, au début du XVe siècle, la monarchie française reposait encore sur un « féodalisme d’État » car les liens d’homme à homme structuraient toujours les rapports de domination.
Loin d’être une « pauvre paysanne » comme le raconte la légende, Jeanne d’Arc était née dans une famille de laboureurs aisés qui possédaient une maison, une ferme et quelques terres. Les paysans ayant survécu au désastre de la peste noire avaient pu acquérir les terres laissées vacantes par ceux qui avaient fui ou qui avaient disparu. Les échanges monétaires s’étaient intensifiés dans les campagnes, stimulés, notamment, par le développement de l’industrie rurale, qui bénéficia tout au long du XVe siècle d’un grand nombre d’innovations techniques (surtout dans le textile et dans la sidérurgie).
Les progrès des échanges et les contacts de plus en plus fréquents avec les agents du pouvoir royal contribuèrent à élargir l’horizon des classes populaires. Grâce au Livre des merveilles de Marco Polo, écrit au début du XIVe siècle et imprimé en 1477 dans un dialecte picard-champenois qui était la langue de communication internationale à l’époque, les Européens découvrirent l’existence de la Chine.
Le développement des migrations sur une large échelle joua aussi un rôle dans les transformations de leur perception du monde. Les guerres de conquête menées par Amir Temur (« l’émir du fer »), que les Européens appelaient « Tamerlan », bouleversèrent les équilibres sociaux et politiques dans l’espace turco-mongol, ce qui accéléra la migration des Roms vers l’ouest. Originaires de la péninsule indienne, beaucoup d’entre eux furent enrôlés par ce chef de guerre comme charriers, éleveurs de chevaux ou cavaliers, et se fixèrent ensuite dans l’Empire byzantin. C’est à ce moment-là qu’on commença à les désigner comme « Tsiganes » ou « Égyptiens ».
Poursuivant leur périple pour échapper aux préjugés et à la répression dont ils étaient partout les victimes, ils furent signalés dès le début du XVe siècle en Flandre, en Provence et en Bourgogne. Un témoignage, daté de 1429, montre l’extrême curiosité, teintée d’un fort mépris, que provoqua dans la population parisienne l’arrivée de ces étrangers venus, selon le chroniqueur, de la « basse Égypte »."
"Constitué par l’État, le peuple français commença à forger son identité collective non seulement par opposition à l’ennemi anglais, mais aussi en se distinguant de ces peuples venus de loin et qui leur semblaient terriblement étranges. Les sujets du roi de France s’étaient en effet définis comme des êtres humains à partir des physionomies, des coutumes, des croyances auxquelles ils étaient habitués depuis leur naissance. L’irruption brutale, dans leur univers quotidien, d’hommes et de femmes éloignés de ces figures familières, fut sans doute la manière la plus efficace pour faire comprendre aux classes populaires que le monde était bien plus vaste que ce qu’elles avaient cru jusque-là.
Pourtant, jusqu’à la fin du Moyen Âge, il n’y eut pas de changements majeurs dans les structures économiques et sociales des campagnes françaises. Malgré la violence de la crise, la seigneurie s’était maintenue, même si l’autorité et le prestige des seigneurs étaient en recul. La dépression se prolongea jusqu’au milieu du XVe siècle, pérennisant une situation très précaire pour la majorité des paysans. Le servage avait certes reculé, mais il n’avait pas disparu et la différenciation des situations s’était accentuée.
L’exemple du Bourbonnais, étudié par René Germain, montre qu’à la fin du XVe siècle encore, seuls 60 % des paysans possédaient une terre et pour la moitié d’entre eux, celle-ci était inférieure à un demi-hectare, ce qui les contraignait à chercher des ressources complémentaires. Les gros laboureurs représentaient moins de 10 % de la communauté paysanne, mais ils formaient une petite élite qui jouait aussi le rôle de porte-parole du village tout entier. Il semble que cela ait été le cas pour le père de Jeanne d’Arc.
Après une période d’accalmie, les violences de la guerre de Cent Ans reprirent de plus belle dans les premières années du XVe siècle. Dans son enfance, Jeanne entendit certainement les villageois évoquer les atrocités de la nouvelle guerre civile qui opposait les Bourguignons aux Armagnacs. Une fois de plus, le pouvoir royal était menacé par la conjugaison des deux facteurs que j’ai évoqués plus haut : une crise dynastique (le roi Charles VI ayant sombré dans la démence avait été écarté du trône) et une révolte contre l’impôt. En 1413, la puissante corporation des bouchers de Paris avait refusé de payer la nouvelle taxe que voulait leur imposer l’État royal. Leur chef, Simon Caboche, passa alors une alliance avec le duc de Bourgogne, qui prit le contrôle de la ville après avoir massacré une partie de la population. La guerre civile entre les partisans du duc et ceux du roi (surnommés les Armagnacs) fit le jeu des Anglais, qui remportèrent en 1415 à Azincourt une victoire décisive sur les troupes françaises. Cinq ans plus tard, le roi d’Angleterre s’empara de la couronne de France, mais le dauphin Charles (âgé de dix-sept ans), qui s’était réfugié à Bourges pour échapper aux Bourguignons, se proclama lui aussi roi de France, bien que son autorité n’ait pu s’exercer qu’au sud de la Loire.
Le traité de Troyes, signé en 1420, avait placé la châtellenie de Vaucouleurs sous la coupe des Bourguignons, mais le capitaine qui la dirigeait, resté fidèle au dauphin, avait refusé cette allégeance. La famille de Jeanne d’Arc fut alors directement confrontée aux violences de la guerre. En 1425, son père, qui était responsable de la maison forte de Domrémy, ne parvint pas à empêcher qu’une bande armée s’empare du bétail du village. Trois ans plus tard, une expédition bourguignonne contre la forteresse de Vaucouleurs obligea Jeanne et les autres villageois à s’enfuir pour se réfugier dans le bourg de Neufchâteau, situé à une vingtaine de kilomètres.
L’aggravation de la guerre eut alors des conséquences majeures dans la relation entre les paysans et leurs seigneurs. Appauvris ou vaincus par les armées adverses, ces derniers n’étaient souvent plus capables d’assurer la protection des communautés rurales. Certains d’entre eux finissaient même parfois par diriger des troupes de brigands écumant le pays pour leur propre compte. Cette situation incita les paysans à se défendre directement contre tous ceux qui les menaçaient. Ce phénomène atteignit son paroxysme en Normandie. Après la victoire anglaise à Azincourt, les troupes du duc de Bedford occupèrent la région, multipliant les exactions. Face à l’incurie des seigneurs locaux, les paysans se mobilisèrent contre l’envahisseur anglais, établissant une jonction avec les troupes françaises. En 1435, la prise de Dieppe par ces dernières provoqua un soulèvement populaire général dans tout le pays de Caux. Mais cette résistance se transforma rapidement en une lutte sociale contre le pouvoir seigneurial, ce qui poussa finalement la noblesse française à abandonner les paysans. Comme le souligne Guy Bois, la solidarité de classe l’emporta sur la solidarité nationale. Une terrible répression s’abattit alors sur les insurgés. Des villages entiers furent rasés et leur population fut décimée. Jeanne d’Arc connut finalement le même sort que ces paysans normands puisqu’elle périt sur le bûcher, abandonnée par le roi de France pour lequel elle avait combattu."
"Pour celles et ceux qui étaient dépossédés de la langue légitime, l’ironie, la satire, le grotesque furent autant de moyens pour résister à la culture officielle. À l’instar des Saturnales de l’époque romaine, le carnaval médiéval fut ainsi mis à profit pour inventer des formes de communication populaire inversant les relations de pouvoir qui dominaient leur vie quotidienne."
"L’histoire de France a donc bel et bien débuté à l’époque de Jeanne d’Arc puisque c’est à ce moment-là que l’État royal s’est vraiment imposé. Le double monopole de l’impôt et de la force publique transformèrent les liens d’homme à homme qui caractérisaient le féodalisme en une dépendance collective. Voilà pourquoi on peut affirmer que le XVe siècle fut aussi le moment où émergea le peuple français. Tous les sujets du roi étaient désormais liés entre eux parce qu’ils dépendaient du même pouvoir souverain."
"Bien que toutes les classes de la société française aient été impliquées dans ces révoltes, elles ne parvinrent jamais à s’allier durablement, car les groupes sociaux étaient séparés par des clivages trop profonds. Le pouvoir royal joua habilement sur ces antagonismes entre les nobles, le clergé, la bourgeoisie et les classes populaires. Toutefois, la raison majeure qui explique l’échec de ces rébellions réside dans la peur que la colère du peuple provoqua dans les rangs des privilégiés. À chaque fois, les élites en lutte contre le pouvoir d’État encouragèrent « ceux d’en bas » à se révolter car ils avaient besoin de cette violence de masse pour triompher des forces royales. Mais dès que cette violence se déchaîna, ils furent contraints, pour sauver leurs propres privilèges, de se soumettre à la loi du monarque en implorant sa protection, contribuant bien souvent à massacrer eux-mêmes ce peuple qu’ils avaient mobilisé.
Le rôle historique que jouèrent les classes populaires dans la consolidation de l’État français résulta finalement de la crainte qu’elles inspirèrent à ceux qui auraient pu détruire la monarchie. Jules Michelet n’eut donc pas tort de présenter Jeanne d’Arc comme l’incarnation du peuple devenu soudain acteur de l’histoire de France. Cette paysanne fit en effet irruption dans la cour des grands au point de changer le cours de leur histoire, mais dès qu’elle devint gênante elle fut impitoyablement éliminée."
-Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 2018.
https://fr.1lib.fr/book/11254107/e41961
"[Howard] Zinn a écrit son Histoire populaire à la fin de la décennie qui a suivi les événements de mai-juin 1968. Ce fut une période heureuse, peut-être la plus heureuse que le monde ait connue. Les forces progressistes avaient alors le vent en poupe et elles étaient suffisamment unies pour favoriser la convergence des luttes et des bonnes causes. Pour des raisons que je tente d’expliquer dans le dernier chapitre, cette perspective s’est effondrée au cours des décennies suivantes. La crise du mouvement ouvrier a considérablement affaibli les luttes sociales au profit des conflits identitaires. Le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par les porte-parole des minorités (religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales, qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires.
Le présent livre s’inscrit dans le sillage d’Howard Zinn au sens où celui-ci s’est toujours efforcé, dans son œuvre, d’articuler les différentes formes de domination qu’ont subies les exclus de l’histoire en préservant le primat de la lutte des classes."
"L’identité collective des classes populaires a été en partie fabriquée par les dominants et, inversement, les formes de résistance développées au cours du temps par « ceux d’en bas » ont joué un rôle majeur dans les bouleversements de notre histoire commune.
Cette perspective m’a conduit à débuter cette histoire de France à la fin du Moyen Âge, c’est-à-dire au moment où l’État monarchique s’est imposé, dans le cadre de relations internationales qui ont constamment affecté son développement. Appréhendé sous cet angle, le « peuple français » désigne l’ensemble des individus qui ont été liés entre eux parce qu’ils ont été placés sous la dépendance de ce pouvoir souverain, d’abord comme sujets puis comme citoyens."
" [Chapitre I. Pourquoi Jeanne d’Arc, malgré tout ?]
La France occupe aujourd’hui le premier rang mondial dans l’industrie du tourisme et du luxe (la haute couture, les produits du terroir, le bon vin, etc.). La marque « France » se vend dans le monde entier grâce à son passé aristocratique. Ses châteaux, ses palais, ses églises sont devenus les meilleurs arguments publicitaires pour écouler des produits haut de gamme et pour attirer tous les étrangers du monde, à condition que leur compte en banque soit bien fourni.
Le retour en grâce [d'une] histoire monarchiste est en phase avec les développements récents du capitalisme patrimonial."
"Les efforts de l’extrême droite pour accaparer Jeanne d’Arc se sont heurtés dès le XIXe siècle à des entreprises concurrentes. Les mouvements politiques de tous bords ont tenté de rallier la « pucelle d’Orléans » à leur propre cause. Jules Michelet en fit une « sainte républicaine », « la mère de la nation française » ; Charles Péguy une héroïne socialiste ; Louis Aragon la présenta comme la grande figure d’un passé national rendu au peuple grâce au Parti communiste. Plus récemment, des philosophes marxistes (je pense à Daniel Bensaïd) ont comparé son destin à la tragique solitude du « Che » en Bolivie. Et des féministes comme Michèle Sarde ont célébré celle qui avait osé braver l’interdit sexiste en vertu duquel « nulle femme ne revêtira l’habit d’un homme »."
"Cet État français, toutes les études historiques récentes le confirment, s’est consolidé définitivement entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle ; l’épopée de Jeanne d’Arc ne représentant qu’un épisode dans un processus qui s’achèvera avec la fin de la guerre de Cent Ans, quelques décennies après sa mort. Les bouleversements historiques sont toujours des phénomènes collectifs et les grands personnages « font l’histoire » uniquement dans la mesure où ils saisissent les occasions qui s’offrent à eux. Ce fut le cas de Jeanne d’Arc.
On peut donc utiliser son nom comme repère mémoriel pour désigner le commencement de l’histoire de France."
"Dans les chroniques historiques rédigées par les clercs du haut Moyen Âge, l’identité des groupes sociaux est confondue avec celle de leurs chefs. Les concepts de « peuple », de « nation » et de « race » sont pensés à partir et en fonction de ces derniers. « Dans le contexte pré-moderne, le sentiment d’appartenance ne concerne que l’élite justement parce qu’elle seule possède une existence politique. » Plutôt que d’alimenter la métaphysique du « sentiment d’appartenance », d’autant plus célébrée qu’elle est indémontrable, mieux vaut reconnaître, plus modestement, que nous ne savons rien des sentiments que pouvaient éprouver « ceux d’en bas », car les masses populaires de cette époque étaient plongées dans une nuit dont elles ne sortiront jamais."
"Robert Fossier a conclu de ses recherches sur la Picardie qu’au XIIe siècle l’élite villageoise (seigneurs, paysans enrichis) représentait 3 % de la population ; 16 % étaient des « laboureurs », propriétaires d’exploitations supérieures ou égales à trois hectares ; 33 % cultivaient des lopins tout en complétant leurs ressources en travaillant au manoir seigneurial ; 36 % étaient des « manouvriers » plongés dans une pauvreté chronique. Un peu plus d’un individu sur dix vivait en marge de la société, n’ayant pas d’autres moyens pour survivre que de louer ses bras aux propriétaires des terres pendant les moissons.
Pour profiter pleinement des défrichements et pour augmenter leurs ressources, les seigneurs multiplièrent les chartes de franchise. Ils reconnaissaient l’autonomie des communautés villageoises, mais en échange celles-ci acceptaient de gérer elles-mêmes la répartition et l’encaissement des redevances dues au seigneur. Ce processus accéléra l’autonomisation des pouvoirs urbains, en donnant naissance à des institutions municipales appelées « échevinats » dans le Nord et « consulats » dans le Sud du royaume. Les habitants de ces bourgs concrétisèrent leur affranchissement en construisant des murs d’enceinte autour de leurs cités. Entre le XIe et le XIVe siècle, le développement de l’artisanat et du commerce entraîna la multiplication des corps de métiers, qui s’organisèrent pour s’assurer le monopole du travail dans un domaine précis et pour limiter la concurrence interne, mais aussi pour contrôler la qualité des produits, surveiller la formation des ouvriers et réguler la diffusion des inventions et des améliorations techniques. Ce fut le point de départ du système corporatiste, associant (et opposant) les maîtres et les compagnons."
"Le règne de Philippe Auguste, au début du XIIIe siècle, fut un moment décisif pour la renaissance de l’État royal. En multipliant les guerres de conquête et les alliances matrimoniales, il réussit à étendre très fortement les territoires annexés au royaume d’Île-de-France. À sa mort, le domaine capétien était quatre fois plus étendu que lors de son accession au trône."
"En 1209, les barons francs assiégèrent la ville de Béziers et, en dignes successeurs de leurs ancêtres qui avaient massacré les musulmans à Jérusalem, ils exterminèrent les habitants de la ville, puis s’emparèrent de Carcassonne."
"En 1215, le IVe concile œcuménique du Latran, organisé par le pape Innocent III, décida de s’en prendre également aux Juifs en demandant aux seigneurs de les traiter comme des « serfs perpétuels ». Mort en 1270 à la veille d’une nouvelle croisade contre les musulmans, le roi de France Louis IX, considéré comme un saint de son vivant et canonisé à peine trente ans après sa mort, s’illustra par la répression féroce qu’il mena contre les communautés juives du royaume. Dans sa monumentale biographie de saint Louis, Jacques Le Goff n’hésita pas à affirmer que ce monarque fut « un jalon sur la route de l’antisémitisme chrétien, occidental et français »."
"Les adeptes de l’histoire monarchique se contentent le plus souvent de raconter l’histoire de cette guerre en n’évoquant que les rivalités entre familles régnantes. En réalité, cette longue période de violences collectives résulta aussi de la grave crise économique qui secoua l’Europe dès le début du XIVe siècle. Les historiens ont expliqué cette dépression par plusieurs facteurs. Selon Édouard Perroy, la crise de subsistance de 1314-1316 agit comme un détonateur. Elle provoqua un effondrement démographique, un rétrécissement de l’espace cultivé et un recul de l’activité industrielle. Des travaux plus récents ont montré que la prospérité de la période précédente avait eu pour effet d’intégrer les paysans au sein des circuits monétaires. Un grand nombre d’entre eux complétaient les ressources tirées de leur terre par un salaire obtenu en travaillant sur une autre exploitation ou en exerçant une activité artisanale, comme le filage et le tissage qui étaient déjà répandus dans les campagnes du Nord et des Flandres. Ce développement des échanges les plaça dans une dépendance plus grande à l’égard des marchés et donc de la fluctuation des prix. Ce phénomène pourrait expliquer l’extension rapide de la crise économique dans une grande partie de l’Europe occidentale et le fait qu’elle ait affecté à la fois les paysans et le prolétariat urbain.
La récession ayant aussi réduit les ressources des seigneurs, ceux-ci réagirent en augmentant la pression fiscale, aggravant du même coup la misère paysanne. Ces facteurs économiques jouèrent un rôle déterminant dans les explosions de violence qui se multiplièrent sur tout le continent, et dont la guerre de Cent Ans fut l’expression la plus visible.
La récession atteignit son paroxysme au moment de l’épouvantable épidémie de peste noire. En cinq ans (1347-1352), le fléau provoqua plus de vingt-cinq millions de morts. On estime qu’au total un tiers de la population européenne disparut à ce moment-là. Le royaume de France, qui comptait seize millions d’habitants au début du XIIIe siècle, n’en comptait plus que douze millions un siècle plus tard. La crise toucha surtout l’économie rurale.
Les revenus seigneuriaux chutèrent fortement ; ce qui affecta le niveau de vie de la petite noblesse. Pour tenter de redresser leur situation, les propriétaires exploitèrent encore davantage, on l’a vu, la force de travail des paysans. Le XIIIe et le XIVe siècle furent donc marqués par une reprise en main de la gestion seigneuriale. Même si les situations pouvaient varier fortement d’une région à l’autre, dans beaucoup d’endroits on assista alors à un renforcement du servage. Ce fut le cas notamment sur les terres de l’abbaye de Saint-Claude – une grande seigneurie ecclésiastique située dans le Haut Jura – qui dépendait formellement du Saint-Empire germanique. Dans la thèse qu’il lui a consacrée, Vincent Corriol a constaté que le servage n’était apparu qu’au XIVe siècle dans cette région. Les petites communautés paysannes qui s’étaient constituées pour défricher des forêts jusque-là inexploitées perdirent alors leur autonomie et la société locale se reconstitua autour de deux statuts : le bourgeois et le serf.
Cependant, si la question du servage apparaît de plus en plus souvent dans les archives seigneuriales du bas Moyen Âge, c’est aussi parce que la reprise en main de la gestion de leurs terres par les propriétaires entraîna une forte diffusion de la culture écrite dans les campagnes. Pour rationaliser l’exploitation de leur domaine, les grandes seigneuries en confièrent l’administration à des « officiers » qui connaissaient bien le droit romain. Lors des litiges avec les paysans, ils mobilisèrent de plus en plus souvent des textes à titre de preuve. La pénétration de la culture écrite au sein de la classe seigneuriale eut aussi pour effet d’unifier des pratiques extrêmement diverses en les regroupant sous des appellations identiques."
"En 1351, Jean II dit « le Bon » prit la première ordonnance du royaume de France visant ceux qui « se tiennent oyseux par la ville de Paris ». Il interdit aux ouvriers de fréquenter les tavernes les jours ouvrables et de quitter leur atelier pour chercher un meilleur salaire. En 1367, une nouvelle ordonnance royale obligea les chômeurs à réparer les fossés, sous peine d’être fouettés. Le texte cité par José Cubero est très clair, bien qu’il soit écrit en ancien français : « Et se apres lesdits trois jours sont trouvez oyseux ou jouans aux dez ou mendiants, ilz seront prins et mis en prison et mis au pain et a l’eaue ; et ainsi tenuz par l’espace de quatre jours, et quand ilz auront esté delivrez de ladite prison, se ilz sont trouvez oyseux ou se ilz n’ont bien dont ilz puissent avoir leur vie, ou se ilz n’ont adveu de personnes souffisans, sans fraude a qui ilz facent besongnes ou qu’ilz servent, ilz seront mis au pilory et la tierce foiz ilz seront signez au front d’un fer chault et bannis desdits lieux. »
Ce texte montre bien le rôle majeur de la contrainte dans le règlement de la question sociale. Comme l’a souligné Bronislaw Geremek dans son étude sur la répression du vagabondage à Paris à la fin du Moyen Âge : « Le système judiciaire et l’appareil policier sont, avant tout, dirigés contre les échelons inférieurs de la hiérarchie sociale. » Il faut toutefois préciser que les forces de l’ordre étaient à cette époque encore embryonnaires et ne formaient pas un corps détaché de la société. À Paris, les effectifs de police étaient composés de deux cent vingt sergents, recrutés dans le milieu des artisans, auxquels s’ajoutaient les gardes personnels du prévôt, secondés par la garde royale. Néanmoins, la férocité de la répression fait frémir. Geremek estime que les plus pauvres furent alors placés « dans une situation terrifiante » : oreille coupée, femme enterrée vivante pour avoir volé son maître, etc."
"Le pouvoir fut ainsi contraint de faire appel périodiquement aux états généraux pour renouveler ces « aides », afin d’obtenir les moyens de faire face à la menace que faisaient peser les armées anglaises et bourguignonnes sur le royaume. En plus de la taille, les sujets du roi furent contraints de payer de nouvelles taxes sur les marchandises, notamment la gabelle, un impôt sur le sel prélevé dans une grande partie du royaume à partir de 1343.
Ces nouvelles exigences étaient insupportables pour des populations exténuées par les guerres, décimées par les épidémies et paupérisées par la crise économique. Dès la fin du XIIIe siècle, l’agitation devint chronique dans les campagnes situées entre Seine et Rhin. Au XIVe siècle, les soulèvements paysans se multiplièrent dans toute la partie occidentale de l’Europe. En Flandre éclata la « guerre des Karls », l’Angleterre fut secouée par le soulèvement des « Travailleurs » et en Île-de-France éclatèrent les premières « jacqueries ». Ces mouvements s’attaquaient à la fois aux seigneurs qui ne jouaient plus leur rôle protecteur traditionnel et à l’État royal naissant. Fait remarquable, ces mobilisations se produisirent à la fois dans les classes populaires rurales et urbaines. Dans le livre qu’ils leur ont consacré, Michel Mollat et Philippe Wolff ont noté que le mot « populares [populaire] » s’imposa à ce moment-là un peu partout pour désigner les révoltés, ceux qu’on appelait aussi le « commun », les « petits », les « maigres », les « gens mécaniques », « gent vile et de petit estat ». Dans ses Chroniques, rédigées à la fin du XIVe siècle, Jean Froissart résuma parfaitement le point de vue des dominants : « Les méchants gens commencèrent à s’agiter en disant qu’on les tenait en trop grande servitude. »"
"Les innovations techniques avaient abouti à des formes de travail préfigurant les usines du XIXe siècle. La division des tâches était déjà très avancée et les journées de travail parfois rythmées au son de la cloche, reflétant un monde où le rendement était indexé sur le temps de l’horloge. Dans ces villes textiles, les relations monétaires étaient déjà la règle. Les inégalités sociales s’étaient creusées rapidement, opposant les « gras » (une petite oligarchie qui détenait la richesse et le pouvoir) et les « menus » (la masse travailleuse). Les premières dynasties capitalistes s’étaient installées tout en haut de la pyramide sociale, comme Jehan Boinebroke, qui cumulait le pouvoir économique et politique local, en tant qu’échevin de la ville de Douai de 1243 à 1280.
La crise économique qui apparut dès les premières années du XIVe siècle réduisit les débouchés, provoquant la fermeture d’un grand nombre d’ateliers. Les ouvriers et les artisans réagirent en multipliant les grèves et les manifestations. La concentration de la population au sein de ces zones urbaines facilita les réactions collectives. Dans un monde encore dominé par les liens directs, le moindre incident, la moindre rumeur, se répandait comme une traînée de poudre et pouvait déboucher sur une explosion de colère. Ces mobilisations de masse permirent aux premiers leaders populaires de s’imposer comme porte-parole. Leur influence était due au fait qu’ils étaient issus du peuple au nom duquel ils parlaient, mais qu’ils s’en distinguaient par une facilité de parole hors du commun. Un exemple, parmi de nombreux autres, est celui de Pierre de Coninck, un tisserand décrit ainsi dans les Annales de Gand : « Petit de corps et de povre lignage, il avoit tant de paroles et il savoit si bien parler que c’estoit une fine merveille. Et pour cela, les tisserands, les foulons et les tondeurs le croyoient et aimoient tant qu’il ne sût chose dire ou commander qu’ils ne fissent. »
Le rejet de la fiscalité royale fut l’un des principaux motifs des révoltes de Flandre. Les classes populaires s’opposèrent en effet au roi de France parce qu’elles voulaient échapper aux taxes que celui-ci imposait aux sujets de son royaume. Le comte de Flandre, qui défendait de son côté son autonomie face aux prétentions royales, passa une alliance avec Pierre de Coninck pour fusionner la cause des classes populaires et celle de l’aristocratie flamande. Ce qui permit au mouvement de faire tache d’huile au point que l’insurrection populaire triompha de l’armée royale le 11 juillet 1302. Cet événement fit sensation : la piétaille avait triomphé d’une armée de chevaliers commandée par le monarque le plus puissant de l’époque !
Certes, cette victoire fut sans lendemain et le mouvement populaire finalement réprimé. Néanmoins, ces luttes eurent des conséquences durables, contribuant notamment à déplacer la frontière politique sur la frontière linguistique et à préparer ainsi la division de la Flandre entre la France et ce qui deviendra la Belgique."
"Sacré en 1364, Charles V voulut museler la population parisienne en construisant la forteresse de la Bastille et en contrôlant plus étroitement la prévôté des marchands."
"Domrémy, le village natal de Jeanne, situé aujourd’hui dans le département des Vosges, était placé sous la coupe de plusieurs pouvoirs. La partie du village où vivait sa famille appartenait au « Barrois mouvant », un fief concédé par le roi de France au duc de Bar. Située aux marches de la Lorraine, cette région était au cœur des rivalités qui opposaient l’empereur allemand, le duc de Bourgogne et le roi de France. L’autre partie du village dépendait de la châtellenie de Vaucouleurs, rattachée au royaume de France depuis 1365. La paroisse de Domrémy faisait, quant à elle, partie du diocèse de Toul, dépendant du Saint-Empire germanique.
On comprend, dans ces conditions, combien la vision d’une Jeanne d’Arc patriote sauvant la nation française est anachronique. Comme l’a souligné Jean-Philippe Genet, au début du XVe siècle, la monarchie française reposait encore sur un « féodalisme d’État » car les liens d’homme à homme structuraient toujours les rapports de domination.
Loin d’être une « pauvre paysanne » comme le raconte la légende, Jeanne d’Arc était née dans une famille de laboureurs aisés qui possédaient une maison, une ferme et quelques terres. Les paysans ayant survécu au désastre de la peste noire avaient pu acquérir les terres laissées vacantes par ceux qui avaient fui ou qui avaient disparu. Les échanges monétaires s’étaient intensifiés dans les campagnes, stimulés, notamment, par le développement de l’industrie rurale, qui bénéficia tout au long du XVe siècle d’un grand nombre d’innovations techniques (surtout dans le textile et dans la sidérurgie).
Les progrès des échanges et les contacts de plus en plus fréquents avec les agents du pouvoir royal contribuèrent à élargir l’horizon des classes populaires. Grâce au Livre des merveilles de Marco Polo, écrit au début du XIVe siècle et imprimé en 1477 dans un dialecte picard-champenois qui était la langue de communication internationale à l’époque, les Européens découvrirent l’existence de la Chine.
Le développement des migrations sur une large échelle joua aussi un rôle dans les transformations de leur perception du monde. Les guerres de conquête menées par Amir Temur (« l’émir du fer »), que les Européens appelaient « Tamerlan », bouleversèrent les équilibres sociaux et politiques dans l’espace turco-mongol, ce qui accéléra la migration des Roms vers l’ouest. Originaires de la péninsule indienne, beaucoup d’entre eux furent enrôlés par ce chef de guerre comme charriers, éleveurs de chevaux ou cavaliers, et se fixèrent ensuite dans l’Empire byzantin. C’est à ce moment-là qu’on commença à les désigner comme « Tsiganes » ou « Égyptiens ».
Poursuivant leur périple pour échapper aux préjugés et à la répression dont ils étaient partout les victimes, ils furent signalés dès le début du XVe siècle en Flandre, en Provence et en Bourgogne. Un témoignage, daté de 1429, montre l’extrême curiosité, teintée d’un fort mépris, que provoqua dans la population parisienne l’arrivée de ces étrangers venus, selon le chroniqueur, de la « basse Égypte »."
"Constitué par l’État, le peuple français commença à forger son identité collective non seulement par opposition à l’ennemi anglais, mais aussi en se distinguant de ces peuples venus de loin et qui leur semblaient terriblement étranges. Les sujets du roi de France s’étaient en effet définis comme des êtres humains à partir des physionomies, des coutumes, des croyances auxquelles ils étaient habitués depuis leur naissance. L’irruption brutale, dans leur univers quotidien, d’hommes et de femmes éloignés de ces figures familières, fut sans doute la manière la plus efficace pour faire comprendre aux classes populaires que le monde était bien plus vaste que ce qu’elles avaient cru jusque-là.
Pourtant, jusqu’à la fin du Moyen Âge, il n’y eut pas de changements majeurs dans les structures économiques et sociales des campagnes françaises. Malgré la violence de la crise, la seigneurie s’était maintenue, même si l’autorité et le prestige des seigneurs étaient en recul. La dépression se prolongea jusqu’au milieu du XVe siècle, pérennisant une situation très précaire pour la majorité des paysans. Le servage avait certes reculé, mais il n’avait pas disparu et la différenciation des situations s’était accentuée.
L’exemple du Bourbonnais, étudié par René Germain, montre qu’à la fin du XVe siècle encore, seuls 60 % des paysans possédaient une terre et pour la moitié d’entre eux, celle-ci était inférieure à un demi-hectare, ce qui les contraignait à chercher des ressources complémentaires. Les gros laboureurs représentaient moins de 10 % de la communauté paysanne, mais ils formaient une petite élite qui jouait aussi le rôle de porte-parole du village tout entier. Il semble que cela ait été le cas pour le père de Jeanne d’Arc.
Après une période d’accalmie, les violences de la guerre de Cent Ans reprirent de plus belle dans les premières années du XVe siècle. Dans son enfance, Jeanne entendit certainement les villageois évoquer les atrocités de la nouvelle guerre civile qui opposait les Bourguignons aux Armagnacs. Une fois de plus, le pouvoir royal était menacé par la conjugaison des deux facteurs que j’ai évoqués plus haut : une crise dynastique (le roi Charles VI ayant sombré dans la démence avait été écarté du trône) et une révolte contre l’impôt. En 1413, la puissante corporation des bouchers de Paris avait refusé de payer la nouvelle taxe que voulait leur imposer l’État royal. Leur chef, Simon Caboche, passa alors une alliance avec le duc de Bourgogne, qui prit le contrôle de la ville après avoir massacré une partie de la population. La guerre civile entre les partisans du duc et ceux du roi (surnommés les Armagnacs) fit le jeu des Anglais, qui remportèrent en 1415 à Azincourt une victoire décisive sur les troupes françaises. Cinq ans plus tard, le roi d’Angleterre s’empara de la couronne de France, mais le dauphin Charles (âgé de dix-sept ans), qui s’était réfugié à Bourges pour échapper aux Bourguignons, se proclama lui aussi roi de France, bien que son autorité n’ait pu s’exercer qu’au sud de la Loire.
Le traité de Troyes, signé en 1420, avait placé la châtellenie de Vaucouleurs sous la coupe des Bourguignons, mais le capitaine qui la dirigeait, resté fidèle au dauphin, avait refusé cette allégeance. La famille de Jeanne d’Arc fut alors directement confrontée aux violences de la guerre. En 1425, son père, qui était responsable de la maison forte de Domrémy, ne parvint pas à empêcher qu’une bande armée s’empare du bétail du village. Trois ans plus tard, une expédition bourguignonne contre la forteresse de Vaucouleurs obligea Jeanne et les autres villageois à s’enfuir pour se réfugier dans le bourg de Neufchâteau, situé à une vingtaine de kilomètres.
L’aggravation de la guerre eut alors des conséquences majeures dans la relation entre les paysans et leurs seigneurs. Appauvris ou vaincus par les armées adverses, ces derniers n’étaient souvent plus capables d’assurer la protection des communautés rurales. Certains d’entre eux finissaient même parfois par diriger des troupes de brigands écumant le pays pour leur propre compte. Cette situation incita les paysans à se défendre directement contre tous ceux qui les menaçaient. Ce phénomène atteignit son paroxysme en Normandie. Après la victoire anglaise à Azincourt, les troupes du duc de Bedford occupèrent la région, multipliant les exactions. Face à l’incurie des seigneurs locaux, les paysans se mobilisèrent contre l’envahisseur anglais, établissant une jonction avec les troupes françaises. En 1435, la prise de Dieppe par ces dernières provoqua un soulèvement populaire général dans tout le pays de Caux. Mais cette résistance se transforma rapidement en une lutte sociale contre le pouvoir seigneurial, ce qui poussa finalement la noblesse française à abandonner les paysans. Comme le souligne Guy Bois, la solidarité de classe l’emporta sur la solidarité nationale. Une terrible répression s’abattit alors sur les insurgés. Des villages entiers furent rasés et leur population fut décimée. Jeanne d’Arc connut finalement le même sort que ces paysans normands puisqu’elle périt sur le bûcher, abandonnée par le roi de France pour lequel elle avait combattu."
"Pour celles et ceux qui étaient dépossédés de la langue légitime, l’ironie, la satire, le grotesque furent autant de moyens pour résister à la culture officielle. À l’instar des Saturnales de l’époque romaine, le carnaval médiéval fut ainsi mis à profit pour inventer des formes de communication populaire inversant les relations de pouvoir qui dominaient leur vie quotidienne."
"L’histoire de France a donc bel et bien débuté à l’époque de Jeanne d’Arc puisque c’est à ce moment-là que l’État royal s’est vraiment imposé. Le double monopole de l’impôt et de la force publique transformèrent les liens d’homme à homme qui caractérisaient le féodalisme en une dépendance collective. Voilà pourquoi on peut affirmer que le XVe siècle fut aussi le moment où émergea le peuple français. Tous les sujets du roi étaient désormais liés entre eux parce qu’ils dépendaient du même pouvoir souverain."
"Bien que toutes les classes de la société française aient été impliquées dans ces révoltes, elles ne parvinrent jamais à s’allier durablement, car les groupes sociaux étaient séparés par des clivages trop profonds. Le pouvoir royal joua habilement sur ces antagonismes entre les nobles, le clergé, la bourgeoisie et les classes populaires. Toutefois, la raison majeure qui explique l’échec de ces rébellions réside dans la peur que la colère du peuple provoqua dans les rangs des privilégiés. À chaque fois, les élites en lutte contre le pouvoir d’État encouragèrent « ceux d’en bas » à se révolter car ils avaient besoin de cette violence de masse pour triompher des forces royales. Mais dès que cette violence se déchaîna, ils furent contraints, pour sauver leurs propres privilèges, de se soumettre à la loi du monarque en implorant sa protection, contribuant bien souvent à massacrer eux-mêmes ce peuple qu’ils avaient mobilisé.
Le rôle historique que jouèrent les classes populaires dans la consolidation de l’État français résulta finalement de la crainte qu’elles inspirèrent à ceux qui auraient pu détruire la monarchie. Jules Michelet n’eut donc pas tort de présenter Jeanne d’Arc comme l’incarnation du peuple devenu soudain acteur de l’histoire de France. Cette paysanne fit en effet irruption dans la cour des grands au point de changer le cours de leur histoire, mais dès qu’elle devint gênante elle fut impitoyablement éliminée."
-Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 2018.