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    Karen Bretin-Maffiuletti, Les loisirs sportifs en milieu de grande industrie : sport, patronat et organisations ouvrières au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879-1939)

    Johnathan R. Razorback
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    Karen Bretin-Maffiuletti, Les loisirs sportifs en milieu de grande industrie : sport, patronat et organisations ouvrières au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879-1939) Empty Karen Bretin-Maffiuletti, Les loisirs sportifs en milieu de grande industrie : sport, patronat et organisations ouvrières au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879-1939)

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 3 Mai - 8:09

    https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2009-1-page-49.htm

    "Dès les premières années du XXe siècle, le sport constitue l’une des principales dimensions du temps libre des ouvriers. [...] Les cités du Creusot et de Montceau-les-Mines, toutes deux situées dans le bassin industriel de Saône-et-Loire, en Bourgogne, ont été retenues comme cadre d’investigation."

    "Nous suivons cette histoire de 1879 à 1939. La première borne correspond à la date de création de la plus ancienne société sportive de l’espace concerné."

    "Dans les années 1850, le bassin minier de Saône-et-Loire devient le centre français le plus important du capitalisme industriel. Implantées au cœur de cet espace, les cités du Creusot et de Montceau-les-Mines contribuent pour une large part à sa réussite économique. En effet, dès 1836, Le Creusot accueille avec les Établissements Schneider une importante société métallurgique. Parallèlement, la cité de Montceau-les-Mines, constituée officiellement en 1856, se développe autour de l’entreprise d’extraction minière Chagot, née en 1833 de la réorganisation d’anciennes houillères. Distantes d’une vingtaine de kilomètres seulement, les deux cités présentent alors le même profil résolument industriel. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, toutes deux connaissent un essor considérable : la Compagnie des mines Chagot jouit d’une grande prospérité, tandis que les Établissements Schneider, plus puissants encore, voient leur renommée dépasser les frontières nationales. Les travailleurs affluent toujours plus nombreux dans ces régions et, dès la fin du XIXe siècle, chacune des deux entreprises emploie environ dix mille ouvriers.

    C’est dans un tel contexte que s’engage, au Creusot et à Montceau-les-Mines, la mise en place d’un mouvement sportif. Le phénomène touche en effet les deux villes de façon presque simultanée, à la charnière des décennies 1870 et 1880. Au Creusot, la première société aurait ainsi été créée en 1879, tandis que la première association marquant l’histoire sportive montcellienne apparaît en 1881. Il s’agit de deux sociétés de tir. Celle du Creusot est nommée Société de tir du Creusot, et celle de Montceau-les-Mines Société de tir du Bois-du-Verne, en référence au nom du quartier dans lequel elle s’implante. Au-delà, et avant le tournant du XIXe et du XXe siècles, quatre organisations nouvelles voient le jour : une au Creusot et trois à Montceau-les-Mines. Le Vélo club creusotin est fondé en 1891, la société de gymnastique montcellienne Progrès et patrie en 1884, le Vélo club de Montceau-les-Mines en 1891 et la Société de joutes et de natation de Montceau-les-Mines en 1894. À une époque où le fait sportif diffuse en France par l’intermédiaire de sociétés le plus souvent « neutres », parfois dites « bourgeoises », il est important de remarquer que les ouvriers de la grande industrie bourguignonne découvrent les activités sportives dans le cadre de structures « affinitaires » de type patronal. En effet, toutes les associations évoquées jusqu’ici sont fondées sur l’initiative du patronat, dirigées par les industriels eux-mêmes (ou par des cadres et ingénieurs des entreprises) et fréquentées par les ouvriers . À titre d’exemple, les statuts du Vélo club creusotin indiquent que le président et le vice-président de la société sont tous deux employés de direction aux Etablissements Schneider"

    "Au Creusot, de 1871 jusqu’au tournant du XIXe et du XXe siècles, le patronat exerce son influence sans manifestation hostile de la part de la population ouvrière. À Montceau-les-Mines, en revanche [...] « la soumission n’est qu’apparente » et « l’esprit de révolte couve sous la cendre ». Le patronat n’est jamais gravement inquiété, mais il doit compter avec la présence dans la cité de diverses forces d’opposition, et s’organiser pour y faire face. Ainsi, dès les années 1870, quelques syndicalistes sont présents dans la cité et adhèrent secrètement à la Bourse du travail de Dijon. En février 1878, une première grève est déclenchée. Maîtrisée assez rapidement, la mobilisation des mineurs entraîne cependant dans les mois suivants la création d’une société clandestine, La Marianne, farouchement opposée au patronat local. En 1881, deux chambres syndicales sont formées : La Pensée du Bois-du-Verne et Les Justiciers du droit. Dès lors, et parce que les industriels refusent d’engager le dialogue avec les organisations de travailleurs, les esprits s’échauffent. La première moitié de la décennie 1880 est marquée par une série d’incidents qui, certes, sont le fait d’une minorité mais bousculent assez fortement le patronat. La cité vit dans la crainte : des rixes éclatent, des bâtiments industriels sont détruits, des cadres de l’usine sont agressés. De ce point de vue, l’émeute du quartier ouvrier du Bois-du-Verne est sans doute l’événement le plus violent de la période, et celui qui marque le plus vivement la mémoire collective. Dans la nuit du 15 au 16 août 1882, la chapelle du Bois-du-Verne est prise d’assaut par trois cents mineurs, pillée et incendiée.

    Les responsables de tels agissements appartiennent à une organisation connue sous le nom de la Bande noire, formée en 1877 ou 1878, qui rassemble environ huit cents hommes au début des années 1880. D’après les réflexions de Jean Maitron, si ce groupement ne constitue pas un mouvement anarchiste conscient, il en adopte néanmoins les pratiques. Le calme ne revient véritablement à Montceau-les-Mines que dans la seconde moitié des années 1880, après l’arrestation, le jugement et la condamnation des principales figures de la Bande noire. Au travers de ces événements, le patronat local prend conscience de la menace que représente le prolétariat. La politique d’encadrement des travailleurs se durcit. À partir de 1885, une police privée composée de « mouchards » à la solde de la Compagnie des mines est mise en place et s’emploie à faire taire le désir d’émancipation qui s’est insinué dans les esprits des travailleurs. Les fauteurs de trouble sont pourchassés, épiés et contraints pour beaucoup à s’exiler."

    "De même que l’emprise du patronat sur la cité n’est pas toujours bien acceptée, la mainmise de la famille Chagot sur les activités sportives des travailleurs soulève parfois la critique. Dès le début des années 1890, la mouvance républicaine montcellienne invite ainsi, par voie de presse, les travailleurs à une prise de conscience et les exhorte à fuir les structures sportives patronales. Dans les colonnes de L’Union républicaine, on peut lire que les associations patronales sont subventionnées « avec le produit de la sueur des ouvriers » et qu’elles ont pour fonction « d’isoler les ouvriers de la politique et de les endormir en portant atteinte à leurs libertés ». Par ailleurs, dans le cadre même des clubs de la Compagnie des mines, des incidents éclatent. Les archives d’une société savante locale relatent ainsi des heurts au sein de l’association Progrès et patrie. Des républicains anticléricaux, membres de la société de gymnastique, refusent d’accompagner leurs dirigeants chez le prêtre du quartier montcellien du Magny au nom de la neutralité inscrite dans les statuts de la structure."

    "Au Creusot comme à Montceau-les-Mines, c’est bien le patronat qui assure seul, avant 1899, l’encadrement des loisirs sportifs des travailleurs et maîtrise donc totalement la dimension sportive des loisirs des ouvriers."

    "Dans le fief des Schneider, quatre structures sportives importantes voient le jour durant l’année 1901. Il s’agit d’une société de natation, la Société nautique du Creusot, d’une société d’escrime, L’Espérance, d’une Société de quilles et boules, et enfin d’une Société de jeux divers, chargée de gérer les installations mises à la disposition des ouvriers par l’entreprise métallurgique. À ces associations il faut ajouter la formation en 1901 d’un Cercle sportif creusotin, qui se distingue par les activités qu’il organise. En effet, en proposant à ses membres la pratique de la course à pied et du rugby, qui est à l’époque typique des catégories sociales aisées, cette société s’adresse probablement davantage aux cadres et employés des établissements métallurgiques qu’aux ouvriers. Quoi qu’il en soit, tous ces groupements sont contrôlés par les établissements Schneider. Le financement de la construction de terrains et de salles d’entraînement est assuré par l’entreprise, de même notamment que la rémunération des entraîneurs. À la tête des associations sont placés des membres de la direction de l’usine. Extrêmement sévères, ils organisent « quasi militairement » les sociétés sportives qu’ils dirigent et « remplissent [ici] le même rôle […] que dans l’atelier qu’ils commandent »."

    "Toutefois, dans la cité montcellienne, l’année 1899 est également marquée par la naissance des premières structures sportives pouvant être qualifiées d’ouvrières, avant même que ne s’institutionnalisent, au plan national, les organisations sportives socialistes. Cinq groupements sportifs gérés et fréquentés par les ouvriers, et dont les appellations font référence de manière assez explicite à un idéal politique, voient le jour. Trois de ces sociétés, respectant ce qui apparaît déjà comme une tradition sportive locale, organisent la pratique de la gymnastique . Il s’agit de L’Avenir des enfants socialistes, implantée dans le quartier du Bois-du-Verne , de L’Alliance sociale et de la société Liberté et progrès . Ces associations côtoient un club de cyclisme, La Pédale sociale et une société de joutes et de natation, La Liberté sociale. La mise en place de sociétés sportives ouvrières doit être considérée comme une rupture importante dans l’histoire sportive montcellienne."

    "Le développement du sport ouvrier paraît exiger, au-delà d’un simple rassemblement de travailleurs, une présence assez forte du mouvement ouvrier politique et syndical."

    "La cité montcellienne constitue l’un des principaux bastions du mouvement ouvrier départemental. Lorsque les cheminots de Saône-et-Loire entrent en grève en 1919, les mineurs de Montceau-les-Mines sont parmi les premiers à les suivre. Jusqu’à la fin de l’année 1920, ils mènent une série d’actions de grande ampleur. De même, en 1936, les ouvriers montcelliens sont les principaux acteurs des grèves importantes, souvent très longues, qui touchent le bassin minier. À l’inverse, au Creusot, le mouvement syndical est décrit comme « faible […] et inconsistant », au moins jusque dans les années 1940. La peur de la répression patronale explique en grande partie cette situation. En 1907, la presse socialiste départementale indique ainsi à propos de la localité : « C’est un pays où il faut penser comme le patron, sans cela c’est la porte ». L’emprise patronale sur la vie des masses laborieuses se poursuit donc inexorablement au cours de la période. En 1919 et 1920, si quelques métallurgistes adhèrent aux mouvements de grève, ils représentent toutefois moins de 10 % des effectifs des ouvriers de l’usine et leur échec, prévisible, ne fait que conforter le pouvoir schneidérien. L’élection inattendue du socialiste Paul Faure à la mairie du Creusot en 1925, pour une durée de quatre ans, ne change rien à la donne. Durant ces années, devant l’impossibilité de pénétrer la forteresse de l’usine Schneider, « le socialisme local [n’apporte] aucun appui aux prolétaires dans le domaine de l’organisation ouvrière ». Enfin, en 1936, Le Creusot est la seule cité industrielle de Saône-et-Loire qui se maintient tout à fait en dehors des luttes sociales."
    -Karen Bretin-Maffiuletti, « Les loisirs sportifs en milieu de grande industrie : sport, patronat et organisations ouvrières au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879-1939) », Le Mouvement Social, 2009/1 (n° 226), p. 49-66. DOI : 10.3917/lms.226.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social1-2009-1-page-49.htm




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