L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

Le Deal du moment : -21%
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, ...
Voir le deal
39.59 €

    Michel Beaud, Le socialisme à l'épreuve de l'histoire (1800-1981)

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19606
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Michel Beaud, Le socialisme à l'épreuve de l'histoire (1800-1981) Empty Michel Beaud, Le socialisme à l'épreuve de l'histoire (1800-1981)

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 22 Sep - 19:49

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Beaud

    https://fr.1lib.fr/book/12111667/597f43

    "[Chapitre 1: L'espérance d'une autre société]

    C’est une idée reçue, depuis la fin du XIXe
    siècle : le socialisme est l’idéologie du mouvement ouvrier. Dit autrement : la classe ouvrière, exploitée dans la société capitaliste, aspire à une société socialiste. A-t-on le droit de mettre en doute un dogme aussi universellement établi ?

    Et pourtant. Un simple regard historique est éclairant pour qui veut voir.

    Sans remonter au taoïsme ou à Platon, sans rechercher les résonances socialistes du christianisme et de l’islam primitifs, sans s’attarder sur les grands « précurseurs », il faut bien constater que ce sont principalement des membres de la moyenne bourgeoisie, voire de familles nobles déclassées, et de la petite-bourgeoisie qui énoncent les principales idées qui constitueront le fonds commun du socialisme. Et tout au long du XIXe siècle, c’est dans les couches populaires au sens large (artisans, boutiquiers, ouvriers de métier) et l’intelligentsia (souvent liée à la moyenne bourgeoisie) que se définissent les lignes de force de la pensée socialiste.

    Très tôt, avant qu’ait pu s’affirmer en tant que telle la classe ouvrière, avant que le mouvement ouvrier se soit donné son organisation, les éléments du corps de pensée socialiste – le mot n’a pas encore été forgé – sont mis en place : d’abord en Angleterre, face à l’impitoyable dureté du capitalisme industriel naissant, puis en France dans l’éblouissement de la Grande Révolution."

    "Dans les fabriques règne une discipline inflexible. Les travailleurs accoutumés à la souplesse du travail artisanal ne peuvent s’habituer au carcan qui rive chacun à une place pour d’interminables journées. Un véritable dressage collectif a lieu pour inculquer les horaires, la discipline, les cadences, l’effort ininterrompu : ruraux déracinés, femmes, enfants en sont l’objet. Les « apprentis des paroisses », enfants pauvres mis à la disposition des filatures, en sont les premières victimes : astreints à des journées de 14, 16 et parfois 18 heures, avec 20 minutes pour le repas et 20 minutes pour nettoyer la machine ; épuisés, ils sont la proie des accidents, mains ou membres broyés dans les engrenages ; ils sont surveillés, fouettés, battus, soumis parfois à de cruels sévices ; certains tentent de se suicider.

    Les conditions de travail sont profondément malsaines : poussières, humidité, fumées, manque d’air ; la « fièvre des fabriques » se répand : les premiers cas sont signalés dans la région de Manchester en 1784 ; la mortalité est élevée ; ceux qui parviennent à l’âge adulte sont profondément marqués (rachitisme, scolioses, mutilations, usure prématurée, à quoi s’ajoutent la déculturation et l’absence d’instruction) : ils n’ont d’autre perspective que de travailler sans relâche dans une fabrique. Prolétaires absolument dépendants de la classe capitaliste, un disciple d’A. Smith, Eden, écrit en 1797 à leur propos, dans son livre State of the poor : « L’homme qui, en échange des produits réels et visibles du sol, ne peut offrir que son travail, propriété immatérielle, et qui ne peut subvenir à ses besoins de chaque jour que par un effort de chaque jour, est condamné par la nature à se trouver presque absolument à la merci de celui qui l’emploie. »

    Des industriels charitables, comme David Dale et Robert Owen, ont le souci de traiter avec humanité les enfants, et même les adultes, qu’ils emploient. Des médecins rédigent des rapports, déjà en 1784 et 1796, avec l’espoir que les magistrats et la loi établiront dans ces fabriques « un régime raisonnable et humain ». Des protestations s’élèvent, avec William Godwin, Essai sur la justice politique et son influence sur la moralité et le bonheur de 1793 et son roman les Aventures de Caleb William de 1794 ; avec Thomas Spence, les Véritables Droits de l’homme de 1775 et le Soleil méridien de la liberté de 1796 ; avec Thomas Paine aussi et sa Justice agraire de 1796.

    Pasteur et prédicateur d’une petite église dissidente, W. Godwin dénonce avec vigueur l’injustice et met en avant l’idéal de l’égalité :

    « L’égalité des conditions ou, en d’autres termes, une égale admission de tous aux moyens de perfectionnement et de joie, c’est la loi que la voix de la justice impose rigoureusement à l’humanité. Tous les autres changements dans la société ne sont bons que s’ils sont des fragments de cet état idéal et des degrés pour y atteindre […]. L’égalité, pour laquelle nous plaidons, est une égalité qui se réalisera dans un état de grande perfection intellectuelle. Une révolution aussi heureuse ne peut se produire dans les affaires humaines que lorsque l’esprit public sera arrivé à un haut degré de lumière.

    Et comment les hommes à ce haut degré de lumière ne reconnaîtraient-ils point eux-mêmes qu’une vie alternée d’agréables repos et de saine activité est infiniment supérieure à une vie de paresse abjecte ? Supérieure, non seulement en dignité, mais en joie. »"

    "Dans ce concert tumultueux, est à peu près inaudible la voix étouffée des ouvriers : « On est frappé, à la lecture des innombrables Cahiers de doléances de 1789, d’en rencontrer si peu qui s’occupent des ouvriers, de leurs besoins ou de leurs droits. La raison principale, nous la connaissons, c’est que les ouvriers ne furent pas appelés à présenter leurs vœux et remontrances ; quelques-uns participèrent aux assemblées du tiers état des villes, mais leurs observations, à supposer qu’ils en aient jamais présenté, furent bien rarment enregistrées par les rédacteurs qui, dans les villes, appartenaient le plus souvent à la bourgeoisie cultivée. » Quelques rares cahiers posent le problème des bas salaires, celui du travail qui fait défaut, celui de la concurrence des machines : invention « préjudiciable en général » et qui « désœuvre beaucoup de monde » ; « ces belles machines enrichiront quelques particuliers et ruineront tout un pays » ; elles « préjudicieront considérablement le pauvre peuple ». Ce peut être là propos d’artisans ou de manufacturiers en difficulté, ou de notables à l’écoute du peuple.

    C’est en manifestant que s’expriment les ouvriers pauvres et les chômeurs : à Lyon, dans la rue, où « 30 000 spectres décharnés et livides promenaient leur inutilité et leur misère » ; à Paris, dans la rue aussi, où le petit peuple affamé réclame du pain : « Il faut que le peuple ait du pain, car là où il n’y a pas de pain, il n’y a plus de lois, plus de liberté, plus de République » ; le 4 septembre 1793, des milliers d’ouvriers sont rassemblés place de l’Hôtel-de-Ville ; un jeune ouvrier typographe, Christophe Tiger, s’adresse en leur nom au corps municipal, d’abord avec déférence : « Citoyens, la difficulté d’avoir du pain chez les boulangers est la cause pour laquelle nous venons interrompre un instant les travaux importants qui vous occupent. Depuis deux mois, nous avons souffert en silence dans l’espoir que cela finirait, mais, au contraire, le mal augmente tous les jours. Nous venons donc vous demander que vous vous occupiez des moyens que le salut public exige : faites en sorte que l’ouvrier qui a travaillé pendant le jour, et qui a besoin de reposer la nuit, ne soit pas obligé de veiller une partie de cette nuit et de perdre la moitié de la journée pour avoir du pain, et souvent sans en obtenir » ; puis avec véhémence : « Nous ne vous demandons pas […] si la loi du maximum a été exécutée ou non, mais seulement que vous répondiez à cette proposition : y a-t-il du pain, oui ou non ? »

    Face aux difficultés d’approvisionnement, aux prix élevés, aux bas salaires, des grèves éclatent : par exemple celle des bûcherons et des ouvriers assurant le flottage du bois, aux confins de la Nièvre et de l’Yonne en mars 1792 ; la garde nationale ayant pris les armes, les ouvriers la dispersent, poursuivent les gardes (dont beaucoup se jettent à la rivière pour se sauver) et promènent en triomphe les habits pris à la garde ; celle des ouvriers de la manufacture d’armes de Paris et des ouvriers papetiers de province en automne 1793. Le 12 décembre, le comité de Salut public arrête : « Toutes coalitions ou rassemblements d’ouvriers sont défendus ; les communications que le travail peut rendre utiles ou nécessaires entre les ouvriers de différents ateliers n’auront […] lieu que par l’intermédiaire ou avec la permission expresse de l’administration dont chaque atelier dépend. […] [Le] travail ne pourra être suspendu sous aucun prétexte. […] Dans aucun cas, les ouvriers ne pourront s’attrouper pour porter leurs plaintes ; les attroupements qui pourraient se former seront dissipés ; les auteurs et les instigateurs seront mis en état d’arrestation et punis suivant les lois. »

    Pourtant, de nombreuses grèves éclatent encore dans l’hiver et au printemps 1794."

    "C’est dans ce contexte que mûrit la pensée de l’Ange, dessinateur en soie à Lyon, condamné à mort en 1793, à cinquante ans. Il commence par demander l’élargissement du suffrage à tout le peuple : en 1789, dans ses Notions problématiques sur les États généraux, il préconise un système de vote par centurie. En 1790, dans les Plaintes et Représentations d’un citoyen décrété passif aux citoyens décrétés actifs, il élève cette protestation : « N’était-ce donc pas assez de restreindre la souveraineté de la nation au simple vote pour ses représentants ? Fallait-il encore nous faire l’outrage de nous exclure des assemblées primaires sous prétexte de notre laborieuse pauvreté dans laquelle vous puisez vos richesses ? » Il plaide contre le « brigandage » de ce que Jaurès nommera la « propriété oisive », pour le droit des travailleurs : « Les fainéants qui se disent propriétaires ne peuvent recueillir que l’excédent de notre subsistance ; cela prouve au moins notre copropriété. Mais si, naturellement, nous sommes copropriétaires et l’unique cause de tout revenu, le droit de borner notre subsistance et de nous priver du surplus est un droit de brigand » ; c’est, en quelques formules simples, une ardente dénonciation de l’exploitation.

    En 1792, face aux difficultés des approvisionnements, il présente ses Moyens simples et faciles de fixer l’abondance et le juste prix du pain : ce sont 30 000 « greniers d’abondance », financés par une souscription nationale ; un grenier pour cent familles, approvisionné à chaque récolte par les cultivateurs qui, en contrepartie, seraient assurés contre les fléaux qui peuvent les frapper. Il décrit son système avec minutie et n’hésite pas, si on l’adopte, à annoncer des lendemains qui chantent : « Alors les propriétés seront bien gardées, alors les dépenses pour les ponts et chaussées seront enfin vraiment profitables à la nation, alors tous les chemins seront beaux, les rivières et les canaux toujours navigables à fortes charges, les marais seront bientôt desséchés, les terres arides bientôt abreuvées, même les eaux des torrents seront bientôt contraintes à circuler doucement dans les prairies nouvelles : en un mot, du jour au lendemain, nous verrons la France devenir un paradis terrestre. »

    Il reprend et élargit ses propositions dans Remède à tout ou Constitution invulnérable de la félicité publique : sa réforme « s’inscrivait dans le champ idéologique général de l’époque. Il ne touchait pas à la propriété, se contentant d’en limiter les abus les plus criants. Il affirmait la priorité du droit à l’existence, et donc préconisait comme tant d’autres en son temps tout un système de nationalisation générale des subsistances ». Mais surtout, comme Godwin, il tente par ses propositions de satisfaire à la fois l’aspiration à la justice sociale et la préoccupation d’une réelle démocratie."

    "François Noël Babeuf est né d’une famille pauvre de Picardie ; il choisira ensuite le prénom romain de Camille, puis de Gracchus – et prénommera ses fils Émile, Camille et Caïus. Il connaît le besoin et ressent fortement l’inégalité : en 1779, apprenti chez un feudiste (notaire/greffier), il doit aller dans les châteaux et dans les demeures des riches avec une culotte déchirée ; plus tard, devenu « commissaire à terrier » (1785), il recherche les titres des propriétaires nobles et bourgeois et poursuit les débiteurs ; il aura jusqu’à 8 ou 10 commis, et côtoie quotidiennement les grandes fortunes et l’extrême misère paysanne. Il lit notamment Rousseau et Morelly ; il est attiré par la franc-maçonnerie, mais sa demande d’affiliation (1787) se heurte aux réticences des bourgeois de Roye qui tiennent la loge…

    En 1786, il est fortement impressionné par la lecture d’un prospectus : l’Avant-coureur du changement du monde entier par l’aisance, la bonne éducation et la prospérité de tous les hommes. L’année suivante, il écrit le Cadastre perpétuel qui sera publié en 1789 : il y préconise la création d’une « Caisse nationale pour la subsistance des pauvres », ainsi que le partage des terres, celles-ci ne devant pas être transmises par héritage, mais devant revenir à la communauté à la mort du détenteur.

    En 1791, dans une lettre à Coupé de l’Oise, récemment élu à l’Assemblée législative, Babeuf plaide avec force pour la loi agraire qui « assure l’équitable partage des propriétés foncières » ; car, sans sa mise en œuvre, « liberté, égalité, droits de l’homme seront toujours des paroles redoutables et des mots vides de sens ». Mais, et il le sait bien, « il n’est presque personne qui ne rejette fort loin la loi agraire ; le préjugé est bien pis encore que pour la royauté, et l’on a toujours pendu ceux qui se sont avisés d’ouvrir la bouche sur ce grand sujet ».

    Le mouvement paysan en Picardie en 1791-1792, la misère populaire et la radicalisation de la révolution, la rencontre de Buonarroti à la prison du Plessis, les manifestations populaires pour le pain amènent Babeuf sur des positions plus radicales. Dans le Tribun du peuple qu’il fonde avec Buonarroti à l’automne 1794, il écrit : « La propriété individuelle est la source principale de tous les maux qui pèsent sur la société… Les propriétés sont le partage des usurpateurs et les lois l’ouvrage du plus fort. Le soleil luit pour tout le monde, et la terre n’est à personne. Allez donc, ô mes amis, dérangez, bouleversez, culbutez cette société qui ne vous convient pas. Prenez partout ce qui vous conviendra. Ce superflu appartient de droit à celui qui n’a rien. »."

    "En 1795, Babeuf, Buonarroti et leurs disciples songent à renverser le Directoire et son régime censitaire ; dans toute la République, selon les rapports de police, « la faim et le désespoir ont couvert d’un voile épais les mots “respect aux propriétés” ». Le 30 novembre 1795, le Tribun du peuple publie le Manifeste des plébéiens : « Nous prouverons que le terroir n’est à personne, mais qu’il est à tous. Nous prouverons que tout ce qu’un individu en accapare au-delà de ce qui peut le nourrir est un vol social […]. Est-ce la loi agraire que vous voulez ? vont s’écrier mille voix d’honnêtes gens. Non ; c’est plus que cela […]. Le seul moyen […] est d’établir l’administration commune, de supprimer la propriété particulière ; d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun ; et d’établir une simple administration de distribution, une administration des subsistances qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité […]. » Et le Manifeste débouche sur cet appel : « Peuple ! réveille-toi à l’espérance […]. Épanouis-toi à la vue d’un futur heureux […]. Tous les maux sont à leur comble ; ils ne peuvent plus empirer ; ils ne peuvent plus se réparer que par un bouleversement total ! Que tout se confonde donc ! Que tous les éléments se brouillent, se mêlent et s’entrechoquent ! Que tout rentre dans le chaos et que du chaos sorte un monde nouveau et régénéré ! » Des affiches sont collées la nuit ; des soutiens et des sympathies fleurissent dans les milieux populaires, jusque dans l’armée et la police ; des chansons assurent une large diffusion aux idées des Égaux : elles donnent pour cible « le million d’opulents », dénoncent « l’asservissement des hommes aux hommes » et « l’inégalité meurtrière » ; elles prônent la « sainte et douce égalité », répétant avec force : « Le soleil luit pour tout le monde. »

    Au printemps 1796, la conjuration est dénoncée et les principaux dirigeants arrêtés, condamnés à mort, Babeuf et Darthé tentent de se suicider et sont portés en sang à l’échafaud. Dans sa défense face au tribunal, Babeuf avait eu ce cri : « Oui, il est une voix qui crie à tous : le but de la Société est le bonheur commun. Voilà le contrat primitif ; il n’a pas fallu plus de termes pour l’exprimer ; il est assez étendu, parce que toutes les institutions doivent découler de cette source et aucune n’en doit dégénérer. »."

    "Un médecin, qui deviendra avocat en 1795, Mackintosh, répond à Burke en 1791 en publiant une Apologie de la Révolution française ; il voit en elle la promesse de l’entière démocratie politique, que concrétisera, pour les élections, le suffrage universel ; il approuve l’abolition des privilèges, et voudrait que les lois limitent l’inégalité. Car, « quoique la propriété soit nécessaire, elle est, dans ses excès, la plus grande maladie de la société civile. L’accumulation du pouvoir conféré par la richesse aux mains d’un petit nombre est une source perpétuelle d’oppression et de dédain à l’égard de la masse de l’humanité. Le pouvoir des riches est concentré plus encore par leur tendance à la coalition, coalition qui est rendue impossible aux pauvres par leur nombre, leur dispersion, leur indigence et leur ignorance ».

    Actif soutien de la cause de l’indépendance américaine, auteur du Common Sense (1776), le publiciste Thomas Paine publie en 1791 Rights of Man et en 1796 Justice agraire. Pour lui, monarchie et démocratie sont inconciliables : « La monarchie et l’aristocratie sont des farces, et elles vont entrer au tombeau où entrent toutes les erreurs : M. Burke s’habille de deuil. » « Paix, désarmement, suffrage universel, éducation universelle contre tous les risques de la vie, voilà le programme net et grand de Paine » ; il prévoit notamment que la moitié du budget de l’État soit affecté « à l’organisation d’une vaste assurance qui, par les secours d’enfance et d’éducation, par les ateliers publics et par les pensions d’invalidité et de vieillesse, préserverait les travailleurs d’un bout à l’autre de la vie, de l’ignorance, du chômage et de la misère »."

    "Ni Saint-Simon, qui prône l’alliance des ouvriers, des savants et des hommes capables d’entreprendre, ni Fourier n’aspirent à l’égalité."

    "[Chapitre II: Claires visions du socialisme]

    "Enfantin, chef de la secte saint-simonienne, dressant, amer, le bilan des journées de 1830 : « Qui a vaincu ? c’est la classe pauvre, la classe la plus nombreuse, celle des prolétaires […] le peuple en un mot […] mais la révolte sainte qui vient de s’opérer ne mérite pas le nom de révolution ; rien de fondamental n’est changé dans l’organisation sociale actuelle ; quelques noms, des couleurs, le blason national, des titres, quelques modifications législatives […], telles sont les conquêtes de ces jours de deuil et de gloire » (l’Organisateur du 15 août 1830). Et Charles Béranger, ouvrier horloger, qui, début 1831, publie sa Pétition d’un prolétaire à la Chambre des députés : « J’entends par le peuple tout ce qui travaille, tout ce qui n’a pas d’existence sociale, tout ce qui ne possède rien : vous savez ce que je veux dire, les prolétaires. Vous avez entendu parler d’eux ; je n’en doute pas : ils ont fait assez de bruit dans le monde depuis un certain temps, et d’abord le 28 juillet » (le Globe du 3 février 1831)."

    "Victor Considérant, disciple de Fourier, auteur de Destinée sociale (1835-1844) : « La société, écrit-il, tend à se diviser de plus en plus distinctement en deux grandes classes : un petit nombre possédant tout ou presque tout dans le domaine de la propriété, du commerce et de l’industrie et le grand nombre ne possédant rien, vivant dans une dépendance collective absolue des détenteurs du capital et des instruments du travail, obligé de louer pour un salaire précaire et toujours décroissant ses bras, ses talents et ses forces aux seigneurs féodaux de la société moderne. »."

    "Blanqui, devant la cour d’assises de la Seine en 1832, demande que « les trente-trois millions de Français choisissent la forme de leur gouvernement, et nomment par le suffrage universel les représentants qui feront les lois. Cette réforme accomplie, les impôts qui dépouillent le pauvre au profit du riche seront promptement supprimés et remplacés par d’autres, établis sur des bases contraires […]. Voilà, messieurs, comment nous entendons la république ». Et, en 1841, l’ouvrier V absenter écrit à Flora Tristan : « Il nous faut, à toute force, réclamer la réforme politique ou, pour m’expliquer plus nettement, le vote universel ; tant que les nécessiteux n’auront aucun droit politique, ils seront dans l’impossibilité la plus complète d’obtenir aucune amélioration. »"

    "C’est vers l’Utopie que se tournera aussi le républicain Étienne Cabet. Fils d’artisan, avocat engagé dans les luttes pour la République, il s’exile en Angleterre en 1834, s’intéresse aux idées d’Owen et rédige un « roman philosophique », Voyage en Icarie, publié clandestinement en 1840 et ouvertement en 1842. En 1841, il revendique le titre de communiste : « Oui, je suis communiste ! Je ne l’ai jamais caché ; je l’ai proclamé depuis longtemps et je m’en fais honneur et gloire […]. Je suis communiste avec Socrate, Platon, Jésus-Christ […], avec les hommes qui sont la lumière et l’honneur de l’humanité. »

    "En 1836, des artisans, dont à nouveau Lowett, constituent l’Association des travailleurs (Working Men Association) ; sa section londonienne rédige la « Charte du peuple » en faveur d’une véritable démocratie politique, avec suffrage universel pour les hommes (il fut même un moment envisagé pour les femmes), scrutin secret, absence de tout cens électoral, refonte des districts électoraux, instauration d’une indemnité parlementaire (permettant aux travailleurs de se consacrer aux travaux parlementaires une fois élus), renouvellement annuel du Parlement. Le suffrage universel apparaît alors comme le moyen d’exprimer la volonté du peuple et donc d’assurer rapidement le relèvement des salaires, l’amélioration du logement, la réduction de la journée de travail.

    Entraînés par des tribuns tels que le parlementaire radical Feargus O’Connor et le révérend Stephens, les travailleurs pauvres du Yorkshire et du Lancashire s’enflamment. Lowett préconisait la voie pacifique de la pétition. O’Connor prône l’emploi de la force. Le révérend Stephens se laisse entraîner par son éloquence : « Si ceux qui produisent toute la richesse n’ont pas le droit, conformément à la parole de Dieu, de cueillir les doux fruits de la terre que, selon la parole de Dieu, ils ont récoltés à la sueur de leur front, alors qu’ils combattent au couteau leurs ennemis qui sont les ennemis de Dieu. Si le fusil et le pistolet, si l’épée et la pique ne suffisent pas, que les femmes prennent leurs ciseaux et les enfants l’épingle ou l’aiguille. Si tout échoue, alors le tison enflammé, oui, le tison enflammé [tonnerre d’applaudissements], le tison enflammé, je le répète, mettez les palais en flammes !… »

    Des meetings réunissent des dizaines de milliers de travailleurs. Une première pétition est déposée en 1839, une deuxième avec plus de trois millions de signatures en 1842, une troisième avec plus de six millions de signatures en 1848. Le pouvoir réprime (bannissement, prison), menace (envoi de la troupe), fait des concessions (lois votées sur le travail des femmes et des enfants dans les mines, sur la journée de 10 heures), use de la force (intervention de la troupe face aux rassemblements interdits) et bénéficie finalement des divisions et des erreurs des dirigeants : le mouvement chartiste sombrera, déconsidéré."

    "Le mouvement révolutionnaire de 1848, en Europe, fait reculer le servage et progresser les idéaux républicains. En France, il débouche sur la cassure entre les républicains et le mouvement ouvrier ; en témoigne cet échange entre le républicain François Arago et des ouvriers insurgés, après la fermeture des Ateliers nationaux, et qui tiennent la barricade de la rue Soufflot : « Pourquoi vous insurgez-vous contre la loi ? – On nous a déjà tant promis et l’on nous a si mal tenu parole que nous ne nous payons plus de mots. – Mais pourquoi faire des barricades ? Nous en élevions ensemble en 1832 ; vous ne vous souvenez donc plus du cloître Saint-Merri ?… – Mais, monsieur Arago, pourquoi nous faire des reproches, vous ne savez pas ce que c’est que la misère, vous n’avez jamais eu faim. »

    L’isolement, les poursuites policières, les arrestations et déportations du coup d’État du 2 décembre 1851, les formes multiples de répression affaiblissent le mouvement ouvrier français. En 1854, Louis Reybaud, ancien libéral ayant rallié le parti de l’Ordre, écrit : « Le socialisme est mort ; parler de lui, c’est faire son oraison funèbre » ; mais c’est oublier le courage obstiné, l’effort quotidien des ouvriers, des militants pour renouer les liens, reconstituer de multiples formes d’organisation."

    "Dans sa lettre à Kugelmann du 12 avril 1871, Marx écrivait déjà : « Comme tu le verras si tu le relis […] la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. »."

    "En 1891, dans l’introduction qu’il rédige pour la nouvelle édition de l’Adresse du Conseil général de l’Internationale sur la Guerre civile en France, pour le vingtième anniversaire de la Commune, Engels reprend les principaux points de l’analyse proposée par Marx en 1871 ; et il conclut par ces mots : « Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat. »."
    -Michel Beaud, Le socialisme à l'épreuve de l'histoire (1800-1981), Seuil, 1982.




    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Ven 26 Avr - 12:56