http://books.google.fr/books?id=qOzByDCIZqoC&pg=PT12&dq=spinoza+lib%C3%A9ralisme&hl=fr&sa=X&ei=eHNrVPeyOY3bao_jgfAO&ved=0CCAQ6AEwAA#v=onepage&q=spinoza%20lib%C3%A9ralisme&f=false
"On parle ici de "libéralisme", mais le mot est si ambigu, si polysémique qu'il vaut mieux commencer par en préciser les usages et dire ce que l'on entend par "individu libéral". Le libéralisme classique, inventé aux XVIIème et XVIIIème siècles par les grands philosophes de l'Europe moderne, recoupe plusieurs problématiques distinctes bien qu'étroitement liées.
En premier lieu, le libéralisme apparaît avec la poussée des nouvelles classes commerçantes et industrielles contre le système féodal et les entraves multiples qu'il impose à ce que les marxistes appelleraient le "développement des forces productives". C'est un libéralisme souvent réduit au simple libéralisme économique (liberté du marché ou le "laissez-faire"), mais qui englobe bien d'autres aspects.
Le respect du droit de propriété et la liberté de s'enrichir de son industrie, ce sont des thèmes que partagent Hobbes, Locke et leurs disciples, mais aussi Montesquieu et Turgot. On a toujours eu le droit de s'enrichir et la condamnation catholique de l'argent n'était qu'une tartufferie...qui permettait à l'Église d'en tirer de substantiels bénéfices ; mais dès que la Réforme eut légitimité la volonté de s'enrichir comme conforme aux desseins divins, les taxes perçues par un clergé improductif et la "protection" insistante offerte par les gens d'armes devinrent des fardeaux intolérables pour ceux qui se percevaient de plus en plus clairement comme les forces vives des nations européennes. Toute la philosophie de ces deux siècles est parcourue par la question de l'argent, de la légitimité de l'intérêt et de la défense du droit du propriétaire. En témoignent même les philosophes qu'on classe parmi les plus radicaux.
Spinoza construit sa politique en montrant comme on peut faire jouer l'ambition et l'amour de la richesse de manière à garantir la liberté, la concorde et la paix dans la république. Alexandre Matheron qualifie l'Etat idéal spinoziste d'Etat libéral et on doit entendre ce terme dans toutes ses acceptions. [...]
C'est d'ailleurs ce que Vico reproche à Spinoza quand il affirme que "Benoît Spinoza parle de la république comme s'il s'agissait d'une société de marchands."
Moraliste sévère -et nullement libertin-, Diderot, à bien des égards spinoziste, est non seulement un des représentants les plus décidés du matérialisme et de l'athéisme des Lumières, mais aussi un défenseur du "bon luxe"...et de la liberté du commerce, pourvu que l'échange reste loyal. La Lettre sur le commerce des livres est un plaidoyer pour la liberté de l'édition et pour la défense des droits d'auteur...
Cette première forme de libéralisme, qui veut dégager la société civile des entraves du système féodal, doit être comprise dans ses aspects complexes. Les marxistes considèrent généralement le développement des idées libérales comme l'expression de l'aspiration au pouvoir d'une nouvelle classe dominante qui gagne la domination idéologique avant de s'emparer directement du pouvoir politique. Le libéralisme s'expliquerait par la volonté de cette nouvelle classe de diriger la société selon son arbitre et de s'enrichir sans limite -l'enrichissement devenant la récompense de l'activité et du talent. Cet aspect est incontestable et il y a une part de vrai dans l'interprétation traditionnelle du "matérialisme historique". Mais dans le même temps et pour les mêmes raisons, le libéralisme doit se dresser contre toutes les formes d'activités parasitaires, contre les rentes de l'Église qui servent à nourrir des "moines paresseux", contre les taxes, droits d'octrois et mille et un moyens d'extorquer l'argent de ceux qui travaillent, qui commercent et finalement font vivre la nation. Ne pas vouloir être rançonné et ne payer des impôts qu'en contrôlant leur utilisation, c'est une revendication libérale, mais aussi une revendication de la liberté politique en général. Turgot, le grand libéral français, ne remet jamais en cause la monarchie absolue, mais il unit en un plan cohérent la libéralisation du marché des grains, la suppression des corporations, une réforme fiscale ambitieuse qui conduisait à liquider les privilèges fiscaux de la noblesse et du clergé, la corvée royale et une action en faveur de la tolérance religieuse. L'immense majorité de la nation eût gagné à l'application du projet de cet audacieux réformateur...mais les forces coalisées de la réaction nobilitaire eurent raison de lui."
"Il y a cependant des points communs entre libéraux et républicanistes: la méfiance à l'égard d'un pouvoir politique tout-puissant, y compris quand ce pouvoir est démocratique ; la tyrannie de la majorité est une tyrannie comme les autres -et parfois même bien plus terrible: les tyrans arrivés au pouvoir portés par des mouvements de masse ont généralement été bien plus cruels que ceux qui avaient dû se contenter d'un coup d'Etat ou d'une révolution de palais. Le principe de la séparation des pouvoirs, revendiqué par la grande majorité des libéraux, constitue un principe intangible pour les républicanistes."
-Denis Collin, La longueur de la chaîne: Essai sur la liberté au XXIe siècle.
"On parle ici de "libéralisme", mais le mot est si ambigu, si polysémique qu'il vaut mieux commencer par en préciser les usages et dire ce que l'on entend par "individu libéral". Le libéralisme classique, inventé aux XVIIème et XVIIIème siècles par les grands philosophes de l'Europe moderne, recoupe plusieurs problématiques distinctes bien qu'étroitement liées.
En premier lieu, le libéralisme apparaît avec la poussée des nouvelles classes commerçantes et industrielles contre le système féodal et les entraves multiples qu'il impose à ce que les marxistes appelleraient le "développement des forces productives". C'est un libéralisme souvent réduit au simple libéralisme économique (liberté du marché ou le "laissez-faire"), mais qui englobe bien d'autres aspects.
Le respect du droit de propriété et la liberté de s'enrichir de son industrie, ce sont des thèmes que partagent Hobbes, Locke et leurs disciples, mais aussi Montesquieu et Turgot. On a toujours eu le droit de s'enrichir et la condamnation catholique de l'argent n'était qu'une tartufferie...qui permettait à l'Église d'en tirer de substantiels bénéfices ; mais dès que la Réforme eut légitimité la volonté de s'enrichir comme conforme aux desseins divins, les taxes perçues par un clergé improductif et la "protection" insistante offerte par les gens d'armes devinrent des fardeaux intolérables pour ceux qui se percevaient de plus en plus clairement comme les forces vives des nations européennes. Toute la philosophie de ces deux siècles est parcourue par la question de l'argent, de la légitimité de l'intérêt et de la défense du droit du propriétaire. En témoignent même les philosophes qu'on classe parmi les plus radicaux.
Spinoza construit sa politique en montrant comme on peut faire jouer l'ambition et l'amour de la richesse de manière à garantir la liberté, la concorde et la paix dans la république. Alexandre Matheron qualifie l'Etat idéal spinoziste d'Etat libéral et on doit entendre ce terme dans toutes ses acceptions. [...]
C'est d'ailleurs ce que Vico reproche à Spinoza quand il affirme que "Benoît Spinoza parle de la république comme s'il s'agissait d'une société de marchands."
Moraliste sévère -et nullement libertin-, Diderot, à bien des égards spinoziste, est non seulement un des représentants les plus décidés du matérialisme et de l'athéisme des Lumières, mais aussi un défenseur du "bon luxe"...et de la liberté du commerce, pourvu que l'échange reste loyal. La Lettre sur le commerce des livres est un plaidoyer pour la liberté de l'édition et pour la défense des droits d'auteur...
Cette première forme de libéralisme, qui veut dégager la société civile des entraves du système féodal, doit être comprise dans ses aspects complexes. Les marxistes considèrent généralement le développement des idées libérales comme l'expression de l'aspiration au pouvoir d'une nouvelle classe dominante qui gagne la domination idéologique avant de s'emparer directement du pouvoir politique. Le libéralisme s'expliquerait par la volonté de cette nouvelle classe de diriger la société selon son arbitre et de s'enrichir sans limite -l'enrichissement devenant la récompense de l'activité et du talent. Cet aspect est incontestable et il y a une part de vrai dans l'interprétation traditionnelle du "matérialisme historique". Mais dans le même temps et pour les mêmes raisons, le libéralisme doit se dresser contre toutes les formes d'activités parasitaires, contre les rentes de l'Église qui servent à nourrir des "moines paresseux", contre les taxes, droits d'octrois et mille et un moyens d'extorquer l'argent de ceux qui travaillent, qui commercent et finalement font vivre la nation. Ne pas vouloir être rançonné et ne payer des impôts qu'en contrôlant leur utilisation, c'est une revendication libérale, mais aussi une revendication de la liberté politique en général. Turgot, le grand libéral français, ne remet jamais en cause la monarchie absolue, mais il unit en un plan cohérent la libéralisation du marché des grains, la suppression des corporations, une réforme fiscale ambitieuse qui conduisait à liquider les privilèges fiscaux de la noblesse et du clergé, la corvée royale et une action en faveur de la tolérance religieuse. L'immense majorité de la nation eût gagné à l'application du projet de cet audacieux réformateur...mais les forces coalisées de la réaction nobilitaire eurent raison de lui."
"Il y a cependant des points communs entre libéraux et républicanistes: la méfiance à l'égard d'un pouvoir politique tout-puissant, y compris quand ce pouvoir est démocratique ; la tyrannie de la majorité est une tyrannie comme les autres -et parfois même bien plus terrible: les tyrans arrivés au pouvoir portés par des mouvements de masse ont généralement été bien plus cruels que ceux qui avaient dû se contenter d'un coup d'Etat ou d'une révolution de palais. Le principe de la séparation des pouvoirs, revendiqué par la grande majorité des libéraux, constitue un principe intangible pour les républicanistes."
-Denis Collin, La longueur de la chaîne: Essai sur la liberté au XXIe siècle.