https://fr.book4you.org/book/12121506/7a3ab5
"Le panel électoral du CEVIPOF permet de comparer, de 2016 à 2019, l’évolution de l’opinion et de voir, de manière précise, le contenu des choix idéologiques de nos concitoyens. La vague de novembre 2017 prouve une fois encore que la summa divisio est loin d’être inopérante. La question sur l’autopositionnement est pourvue de dix cases, à partir desquelles sont regroupées d’un côté la gauche, de l’autre la droite. Je ne prends pas en compte ici un troisième groupe rassemblant le centre, les « ni droite ni gauche » et les sans-réponse. De gros écarts en termes d’approbation apparaissent sur des propositions comme « Reconduire à la frontière les étrangers en situation irrégulière » (4 % à gauche, 67 % à droite), « Baisser les allocations logement de 5 euros par mois » (9 % contre 60 %), « Plafonner les indemnités versées aux salariés licenciés de manière abusive » (11 % contre 59 %), « Remplacer l’impôt sur la fortune par un impôt sur la fortune immobilière » (15 % contre 54 %). [...]
Il en va de même quelques mois plus tard, comme l’atteste le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF. Voyons tout d’abord les indicateurs que j’appellerai « Lutte des classes », et qui montrent la préférence des uns pour les salariés, des autres pour les patrons. 30 % des personnes qui se situent à gauche (contre 59 % de celles qui se rangent à droite) sont d’accord (tout à fait ou plutôt) avec la proposition suivante : « Pour que les patrons n’aient pas peur d’embaucher, ils devraient avoir le droit de licencier plus facilement. » 45 % des premières et 25 % des secondes sont « tout à fait d’accord » avec l’idée selon laquelle « l’économie actuelle profite aux patrons aux dépens de ceux qui travaillent ». Elles estiment d’ailleurs, à raison respective de 87 % et de 57 %, que « pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres » (réponses tout à fait d’accord ou plutôt d’accord). Le service public est aussi moins contesté par la gauche que par la droite. Ainsi, 29 % dans le premier groupe mais 69 % dans le second voudraient réduire le nombre des fonctionnaires.
Différences sensibles également dans les propos tenus sur les immigrés, sujet au cœur des affrontements de ce XXIe siècle. Considèrent qu’il « y en a trop en France », 34 % dans la famille de gauche, 79 % dans celle de droite, quasiment les mêmes chiffres que dans l’enquête de 1995 (citée plus haut), présentée par Roland Cayrol. De même, on pense qu’« en matière d’emploi, on devrait donner la priorité à un Français sur un immigré » à 32 % dans le premier camp, à 69,5 % dans le second. [...]
En 2018, 24 % des personnes de gauche et 59 % de celles de droite sont « tout à fait d’accord ou plutôt d’accord » avec la proposition : « Il faudrait rétablir la peine de mort. » Elles sont respectivement 9 % et 36 % à droite à envisager favorablement la suppression de la loi autorisant le mariage homosexuel. La procréation médicalement assistée pour les femmes seules et pour les lesbiennes ne fait pas non plus l’unanimité : souhaitent l’autoriser 64 % de ceux qui se rattachent à la gauche, 35,5 % de ceux qui s’arriment à la droite."
"Selon qu’on se situe à gauche ou à droite, on ne partage pas les mêmes valeurs ni les mêmes points de vue sur la société dans laquelle on vit : inégalitaire et devant être changée pour la gauche, inégalitaire (mais pas tant que cela) et sans que l’on puisse (ou veuille), à droite, y remédier."
"Une enquêtrice dans un institut de sondages abonde en ce sens en déclarant que l’égalité n’est pas possible : « je n’ai pas cette idée de mettre tout le monde au même rang », préférant voir « des gens de tous niveaux » et trouvant « qu’il est plus réconfortant, même si [elle-même n’est] pas dans les hauts niveaux, de voir des gens au-dessus de [soi]. »."
"Ce goût de la hiérarchie et de l’autorité s’accompagne d’une demande de règles, destinées à préserver les citoyens du mal dont sont « naturellement » porteurs les hommes."
"Exigence de dépolitisation. Le commissaire de police trouve que « l’homme politique est indispensable et que les gens ne doivent pas être obligés de faire de la politique ». Il souhaite que cet homme ait « de grands pouvoirs », prenne toutes les décisions importantes et que le citoyen soit ainsi déchargé du soin d’infléchir dans un sens ou un autre la politique menée."
"En 1979, le sénateur Henriet, républicain indépendant, avait très explicitement donné le la. Au Sénat, lors du débat du 9 décembre, inquiet d’un prétendu déclin démographique de la France, il avait formulé cette recommandation : « Au lieu d’envoyer les femmes au travail, mieux vaut les envoyer au lit. »."
"Le passé, sorte d’âge d’or où primaient les vertus du travail et de la peine."
"Plusieurs points communs rassemblent en effet les gens de gauche, des traits qui renvoient à ce que l’on a vu dans les précédentes enquêtes présentées. Le premier est le souci de l’humain, le souhait que l’homme soit au centre des préoccupations, qui se traduit notamment par la référence pressante aux autres. Chacun se perçoit comme une partie d’une collectivité dont les membres ont autant, sinon plus, d’importance que soi.
[...] Autre trait commun : ces personnes ont presque toutes l’espoir chevillé au corps."
"« La gauche, c’est fait pour aider le peuple. C’est pas pour enfoncer, c’est pour aider donc, qu’on se sente moins seul. Et qu’on puisse se dire, qu’on se batte pour avoir quelque chose, pas rien que pour nous, pour nos enfants »."
"[Les personnes de droite interrogés jugent la gauche] trop favorables à la liberté, alors qu’une population a besoin de règles et de discipline."
"Une secrétaire dans l’administration universitaire ne souligne pas autre chose : « Je pense qu’à droite, ça veut faire de la thune. Être à gauche, c’est avoir un rapport à l’argent très distant, ne pas vouloir en faire."
"La proximité familiale est privilégiée, au détriment de celle qui pourrait exister avec des étrangers, des « différents », que ce soit par la nationalité, le statut, l’orientation sexuelle, etc."
-Janine Mossuz-Lavau, Le clivage droite-gauche, Presses de la Fondation nationale, 2020.
"Le panel électoral du CEVIPOF permet de comparer, de 2016 à 2019, l’évolution de l’opinion et de voir, de manière précise, le contenu des choix idéologiques de nos concitoyens. La vague de novembre 2017 prouve une fois encore que la summa divisio est loin d’être inopérante. La question sur l’autopositionnement est pourvue de dix cases, à partir desquelles sont regroupées d’un côté la gauche, de l’autre la droite. Je ne prends pas en compte ici un troisième groupe rassemblant le centre, les « ni droite ni gauche » et les sans-réponse. De gros écarts en termes d’approbation apparaissent sur des propositions comme « Reconduire à la frontière les étrangers en situation irrégulière » (4 % à gauche, 67 % à droite), « Baisser les allocations logement de 5 euros par mois » (9 % contre 60 %), « Plafonner les indemnités versées aux salariés licenciés de manière abusive » (11 % contre 59 %), « Remplacer l’impôt sur la fortune par un impôt sur la fortune immobilière » (15 % contre 54 %). [...]
Il en va de même quelques mois plus tard, comme l’atteste le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF. Voyons tout d’abord les indicateurs que j’appellerai « Lutte des classes », et qui montrent la préférence des uns pour les salariés, des autres pour les patrons. 30 % des personnes qui se situent à gauche (contre 59 % de celles qui se rangent à droite) sont d’accord (tout à fait ou plutôt) avec la proposition suivante : « Pour que les patrons n’aient pas peur d’embaucher, ils devraient avoir le droit de licencier plus facilement. » 45 % des premières et 25 % des secondes sont « tout à fait d’accord » avec l’idée selon laquelle « l’économie actuelle profite aux patrons aux dépens de ceux qui travaillent ». Elles estiment d’ailleurs, à raison respective de 87 % et de 57 %, que « pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres » (réponses tout à fait d’accord ou plutôt d’accord). Le service public est aussi moins contesté par la gauche que par la droite. Ainsi, 29 % dans le premier groupe mais 69 % dans le second voudraient réduire le nombre des fonctionnaires.
Différences sensibles également dans les propos tenus sur les immigrés, sujet au cœur des affrontements de ce XXIe siècle. Considèrent qu’il « y en a trop en France », 34 % dans la famille de gauche, 79 % dans celle de droite, quasiment les mêmes chiffres que dans l’enquête de 1995 (citée plus haut), présentée par Roland Cayrol. De même, on pense qu’« en matière d’emploi, on devrait donner la priorité à un Français sur un immigré » à 32 % dans le premier camp, à 69,5 % dans le second. [...]
En 2018, 24 % des personnes de gauche et 59 % de celles de droite sont « tout à fait d’accord ou plutôt d’accord » avec la proposition : « Il faudrait rétablir la peine de mort. » Elles sont respectivement 9 % et 36 % à droite à envisager favorablement la suppression de la loi autorisant le mariage homosexuel. La procréation médicalement assistée pour les femmes seules et pour les lesbiennes ne fait pas non plus l’unanimité : souhaitent l’autoriser 64 % de ceux qui se rattachent à la gauche, 35,5 % de ceux qui s’arriment à la droite."
"Selon qu’on se situe à gauche ou à droite, on ne partage pas les mêmes valeurs ni les mêmes points de vue sur la société dans laquelle on vit : inégalitaire et devant être changée pour la gauche, inégalitaire (mais pas tant que cela) et sans que l’on puisse (ou veuille), à droite, y remédier."
"Une enquêtrice dans un institut de sondages abonde en ce sens en déclarant que l’égalité n’est pas possible : « je n’ai pas cette idée de mettre tout le monde au même rang », préférant voir « des gens de tous niveaux » et trouvant « qu’il est plus réconfortant, même si [elle-même n’est] pas dans les hauts niveaux, de voir des gens au-dessus de [soi]. »."
"Ce goût de la hiérarchie et de l’autorité s’accompagne d’une demande de règles, destinées à préserver les citoyens du mal dont sont « naturellement » porteurs les hommes."
"Exigence de dépolitisation. Le commissaire de police trouve que « l’homme politique est indispensable et que les gens ne doivent pas être obligés de faire de la politique ». Il souhaite que cet homme ait « de grands pouvoirs », prenne toutes les décisions importantes et que le citoyen soit ainsi déchargé du soin d’infléchir dans un sens ou un autre la politique menée."
"En 1979, le sénateur Henriet, républicain indépendant, avait très explicitement donné le la. Au Sénat, lors du débat du 9 décembre, inquiet d’un prétendu déclin démographique de la France, il avait formulé cette recommandation : « Au lieu d’envoyer les femmes au travail, mieux vaut les envoyer au lit. »."
"Le passé, sorte d’âge d’or où primaient les vertus du travail et de la peine."
"Plusieurs points communs rassemblent en effet les gens de gauche, des traits qui renvoient à ce que l’on a vu dans les précédentes enquêtes présentées. Le premier est le souci de l’humain, le souhait que l’homme soit au centre des préoccupations, qui se traduit notamment par la référence pressante aux autres. Chacun se perçoit comme une partie d’une collectivité dont les membres ont autant, sinon plus, d’importance que soi.
[...] Autre trait commun : ces personnes ont presque toutes l’espoir chevillé au corps."
"« La gauche, c’est fait pour aider le peuple. C’est pas pour enfoncer, c’est pour aider donc, qu’on se sente moins seul. Et qu’on puisse se dire, qu’on se batte pour avoir quelque chose, pas rien que pour nous, pour nos enfants »."
"[Les personnes de droite interrogés jugent la gauche] trop favorables à la liberté, alors qu’une population a besoin de règles et de discipline."
"Une secrétaire dans l’administration universitaire ne souligne pas autre chose : « Je pense qu’à droite, ça veut faire de la thune. Être à gauche, c’est avoir un rapport à l’argent très distant, ne pas vouloir en faire."
"La proximité familiale est privilégiée, au détriment de celle qui pourrait exister avec des étrangers, des « différents », que ce soit par la nationalité, le statut, l’orientation sexuelle, etc."
-Janine Mossuz-Lavau, Le clivage droite-gauche, Presses de la Fondation nationale, 2020.