"L'histoire de la « philosophie » ne se confond pas avec l'histoire des philosophies, si l'on entend par «philosophies» les discours théoriques et les systèmes des philosophes. À côté de cette histoire, il y a place en effet pour une étude des comportements et de la vie philosophiques." (p.16)
" [Chez les Anciens] : il n'y a jamais ni philosophie ni philosophes en dehors d'un groupe, d'une communauté, en un mot d'une « école» philosophique et, précisément, une école philosophique correspond alors avant tout au choix d'une certaine manière de vivre, à un certain choix de vie, à une certaine option existentielle, qui exige de l'individu un changement total de vie, une conversion de tout l'être, finalement à un certain désir d'être et de vivre d'une certaine manière. Cette option existentielle implique à son tour une certaine vision du monde, et ce sera la tâche du discours philosophique de révéler et de justifier rationnellement aussi bien cette option existentielle que cette représentation du monde. Le discours philosophique théorique naît donc de cette option existentielle initiale et il y reconduit, dans la mesure où, par sa force logique et persuasive, par l'action qu'il veut exercer sur l'interlocuteur, il incite maîtres et disciples à vivre réellement en conformité avec leur choix initial, ou bien: il est en quelque sorte la mise en application d'un certain idéal de vie." (p.18)
"La philosophie n'est qu'exercice préparatoire à la sagesse. Il ne s'agit pas d'opposer d'une part la philosophie comme un discours philosophique théorique et d'autre part la sagesse comme le mode de vie silencieux, qui serait pratiqué à partir du moment où le discours aurait atteint son achèvement et sa perfection ; c'est le schéma que propose É. Weil [...]
Il y aurait là une situation analogue à celle du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein, où le discours philosophique du Tractatus se dépasse finalement dans une sagesse silencieuse. La philosophie antique admet bien, d'une manière ou d'une autre, depuis le Banquet de Platon, que le philosophe n'est pas sage, mais elle ne se considère pas comme un pur discours qui s'arrêterait au moment où la sagesse apparaîtrait, elle est à la fois et indissolublement discours et mode de vie, discours et mode de vie qui tendent vers la sagesse sans jamais l'atteindre." (pp.19-20)
-Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique ?, Gallimard, 1995, 461 pages.