"L’exercice spirituel est consécutif à la « naissance » de la philosophie. En effet celle-ci a eu pour enjeu d’interroger le monde et de le comprendre, mais dans l’objectif ultime de savoir comment y vivre compte tenu de ce que la vie peut apporter comme maux, souffrances, difficultés, vicissitudes. C’est pour cela qu’émerge alors dans l’Antiquité ce que Pierre Hadot a appelé des « exercices spirituels », expression qui désigne toute pratique destinée à transformer, en soi-même ou chez les autres, la manière de vivre, de voir les choses. C’est à la fois un discours, qu’il soit intérieur ou extérieur, et une mise en œuvre. Pour Pierre Hadot, toute la philosophie antique est une discipline destinée à aider l’homme à mieux vivre, à mieux être, à jouir de l’existence au lieu d’être soumis à ses passions, finalement jamais assouvies.
Cette notion d’exercice spirituel s’élabore au sein de différentes écoles de l’Antiquité, principalement chez les stoïciens, les épicuriens et les cyniques, qui vont développer techniques et méthodes pour que chacun puisse parvenir à un mieux-être. Toutes vont mettre en exergue l’homme et sa sérénité, l’homme en harmonie avec la conscience que la vie est courte et que le temps à vivre est incertain ; que l’existence est ponctuée quotidiennement de maux, de douleurs et d’obstacles qu’il s’agit de savoir surmonter.
Les exercices spirituels sont considérés comme des outils, des moyens, ils ne constituent pas, en eux-mêmes, une finalité. Les méthodes, les techniques de soi qui vont être utilisées comme l’ascèse et la méditation, la correspondance et la lecture, l’écriture et l’exercice physique, l’examen de conscience et l’attention portée à la diététique, etc., n’ont qu’un seul but : faire en sorte que celui qui s’exerce prenne soin de lui-même."
"L’utilisation du terme « conversion » pour évoquer la transformation de soi dans chacune des écoles de la philosophie antique apparaît sous la plume de Pierre Hadot. Ce dernier montre qu’il y a passage d’une vie soucieuse, anxieuse, à une vie où l’homme devient maître de soi, de sa conscience de soi et de sa place dans le monde."
"L’écrit philosophique antique n’est pas transposable au modèle de l’écrit philosophique moderne sans risque d’erreur ou de mauvaise interprétation. C’est pourquoi si, dans la philosophie moderne, le texte d’une œuvre est désormais cohérent, structuré, articulé, ce n’est pas ce que l’on doit rechercher dans la philosophie antique, où l’écrit est à comparer plutôt à une somme de thèmes et variations. Pour que la pensée antique soit comprise, il est fondamental qu’elle soit située dans la praxis vivante dont elle est issue. Autrement dit, indique Hadot : « À l’arrière-plan de l’écrit philosophique antique, il y a la vie d’une école, c’est-à-dire la communauté de disciples à laquelle le philosophe s’adresse en priorité ; et il y a un philosophe qui parle, non pas avant tout pour échafauder un édifice de concepts, mais pour former ce groupe de disciples, soit à l’aide de discussions avec eux, soit par un cours magistral. » Les philosophes antiques ne sont ni professeurs ni écrivains, ce sont des hommes avec un certain style de vie, choisi volontairement, et qui vivent avec leurs concitoyens sans pour autant vivre comme eux. Leur conduite, leur morale, leur franc-parler, leur manière de se nourrir et de se vêtir sont singuliers. Merleau-Ponty, que Hadot voit comme un philosophe contemporain mettant en œuvre des exercices spirituels, affirme également de son côté : « pour retrouver la fonction entière du philosophe, il faut se rappeler que même les philosophes-auteurs que nous lisons et que nous sommes n’ont jamais cessé de reconnaître pour patron un homme qui n’écrivait pas, qui n’enseignait pas, du moins dans des chaires d’État, qui s’adressait à ceux qu’il rencontrait dans la rue […], il faut se rappeler Socrate »."
"Jean Starobinski le souligne [dans « Psychanalyse et connaissance littéraire », La Relation critique, 1970, p. 279], vie et œuvre ne peuvent apparaître séparées, inextricables, l’une et l’autre se fondent pour révéler « une large mélodie ininterrompue qui est à la fois vie et œuvre, destin et expression »."
-Xavier Pavie, préface à Pierre Hadot, Discours et mode de vie philosophique, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
« L’unique critique possible d’une philosophie, ce serait celle qui consiste à essayer de voir si l’on peut vivre selon elle. »
-Nietzsche, « Schopenhauer éducateur », in Considérations inactuelles, chap. VIII, Œuvres philosophiques complètes, t. II, vol. II, Gallimard, 1988, p. 87.