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    Gilbert Merlio, Sisyphe et le Surhomme. Les traces de Nietzsche chez Camus

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Gilbert Merlio, Sisyphe et le Surhomme. Les traces de Nietzsche chez Camus Empty Gilbert Merlio, Sisyphe et le Surhomme. Les traces de Nietzsche chez Camus

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 11 Fév - 15:35



    "L'élève Camus, selon son professeur de classe terminale Paul Mathieu, ne cessait de citer Nietzsche à tout bout de champ." (p.9)

    "Encore lycéen, Camus publie en 1932 dans la revue Sud un Essai sur la musique consacré à l'esthétique musicale de Schopenhauer et de Nietzsche. [...] En janvier 1950, alors qu'il élabore L'Homme révolté, Camus envisage un chapitre intitulé "Nous autres nietzschéens"." (p.10)

    "Dans la Facel-Vega accidentée dans laquelle Camus trouve la mort en 1960, on découvre le manuscrit du Premier Homme, une édition scolaire d'Othello et un exemplaire du Gai savoir." (p.11)

    "Pour ces deux auteurs [...] l'humanisme traditionnel, contaminé par la métaphysique et discrédité par les crimes commis en son nom ainsi que par la mécanisation du monde et l'instrumentalisation / aliénation de l'homme auquel la rationalisation moderne a abouti, s'est soldé par un échec. Un autre humanisme est-il possible ? Pouvons-nous encore avoir confiance en l'homme ? Le "surhumanisme" de Nietzsche reste peut-être un humanisme, mais un humanisme de la rupture et du dépassement. [...] Après un premier essai raté d'hominisation de l'homme sous le signe du judéo-christianisme, tentative qui a fini par engendrer ce spécimen fragmentaire et rabougri qu'est le "dernier homme" actuel, Nietzsche se propose dans sa philosophie d'indiquer les bases permettant de recommencer l'aventure humaine et de parvenir à un nouveau type d'homme dont les Grecs anciens préfigurent les traits. La témérité de cette entreprise, qui suppose le rejet des valeurs normatives d'un humanisme notamment corrompu à ses yeux par la religion morale qu'est le christianisme, l'exposait à bien des dérives. [...]

    Camus admirait et d'une certaine façon partageait l'ambition nietzschéenne. Mais il en a vu et dénoncé les dangers. Il part du même diagnostic, celui du nihilisme, et propose lui aussi les Grecs anciens pour modèles. Mais il fonde son nouvel humanisme sur une révolte "qui dit non à ce qui transgresse les frontières de l'humain et qui dit oui à la part précieuse de lui-même" [Jean-François Mattéi]. Cette part précieuse est ce par quoi l'homme échappe à l'histoire, aux oppressions et aux crimes qui y ont cours, ce en quoi réside son humanité permanente dont il faut à tout prix respecter en toute circonstance la liberté et la dignité." (pp.13-14)

    "Conduit par la raison abstraite, le système est une construction logique qui fige et donc trahit la réalité vivante tissée de contradictions et toujours en évolution. Camus répète sans arrêt qu'il n'est pas philosophe, que pour lui philosophie et littérature sont indissociables puisque l'on pense le mieux en images. D'où sa formule: "Si tu veux être philosophe, écris des romans" [...] Un bon roman n'est qu'une philosophie mise en images. L'image, comme la parabole, en dit plus que le concept. C'est qu'elle est plus concrète, porteuse d'une réalité individuelle qui illustre la condition humaine et atteint par ce moyen l'universalité." (p.20)

    "Pour Camus [...] la morale n'était pas un gros mot, ce en quoi il se différenciait de Nietzsche dont l'immoralisme bruyant, imité par certains de ses contemporains, ne devait guère lui agréer [...] Pour Nietzsche, l'aphorisme était l'instrument de son perspectivisme. A l'inverse de ce que pensait Hegel -et comme pour Adorno plus tard- la vérité ne se montre pas, selon lui, dans la saisie d'une totalité, sommet récapitulatif à partir duquel peut être comprise la diversité des phénomènes, mais par l'adoption de multiples points de vue. Il faut, nous dit-il dans un fragment posthume, nous débarrasser de l'idée qu'il y a une unité, un tout à partir de quoi s'expliquent tous les phénomènes. [...]
    Camus semble pourtant ne pas se satisfaire de cette multiplicité des points de vue qu'implique le perspectivisme et insiste sur "ce désir d'unité, cet appétit de résoudre, cette exigence de clarté" qui anime l'esprit. L'absurde de Camus désigne en effet moins l'absurdité du monde en soi que le sentiment d'absurdité que ressent devant son incohérence (apparente ?) un esprit épris d'unité et de sens. Cette nostalgie d'unité, Camus l'emprunte à Plotin qu'il a étudié dans son Diplôme d'Études Supérieures." (pp.22-23)

    "Chez Camus comme chez Nietzsche, la philosophie pratique l'emporte. La philosophie doit servir moins à la connaissance qu'à la vie. [...] La philosophie n'a donc aucun intérêt si elle ne livre pas "une règle de conduite". [...] Conception que la philosophie spéculative issue du christianisme avait estompée." (p.25)

    "Camus dit à propos de Socrate: "Nous savons qu'il est mort volontairement et c'est peut-être la preuve qu'il croyait plus à la vertu de l'exemple qu'à la démonstration par les mots." (note 39 p.26)

    "Chez Nietzsche, l'apollinisme doit moins cacher le tragique de l'existence que permettre de l'assumer en le sublimant. [Dans la tragédie], l'ivresse dionysiaque [...] nous plonge dans la déchirure et la cruauté du monde, dispense, malgré l'effroi qu'elle suscite, une "consolation métaphysique" dans la mesure où elle nous fait ressentir l'énergie éternellement destructrice mais aussi éternellement créatrice de la vie." (p.27)

    "Camus appartient à une génération particulièrement exposée aux brutalités de l'histoire. [...] L'absurde et la révolte n'auraient sans doute pas pris cette dimension dans sa pensée sans la mort précoce d'un père tombé au combat pendant la Première guerre mondiale, sans l'affreuse guerre civile d'Espagne, sans "l'étrange défaite" de 1940 décrite par Marc Bloch, sans l'occupation de la France et l'expérience du totalitarisme -tant sous la forme du national-socialisme que sous celle du bolchevisme-, sans l'échec de la politique imaginée par la Résistance et enfin, bien sûr, sans une guerre d'Algérie douloureusement ressentie qui renforcera son impression d'être un exilé -un étranger-, même chez soi." (p.29)

    "Bergson a déçu Camus [...] Dans son Diplôme d'Études Supérieures, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, Camus insiste sur la sensibilité artistique de Plotin et sur le fait que sa pensée se fonde sur une "raison mystique"." (p.32)

    "Ce qui est enseigné dans [ses premiers livres] qui, en pleine conscience de l'absence de finalité et du caractère éphémère de la vie, célèbrent le bonheur de l'instant présent, le plaisir païen des sens, la beauté de la nature et de l'amour, n'est au fond rien d'autre que cette volonté d'écouter la "grande raison du corps" et cette fidélité à la terre, qui sont au cœur de "l'évangile" de Zarathoustra." (p.36)

    "Il note dans ses Carnets en juin 1938: "Misère et grandeur de ce monde: il n'offre pas de vérité, mais des amours. L'absurdité règne et l'amour en sauve"." (p.37)

    "Camus placera lui-même les trois phases de son œuvre sous le parrainage de trois figures mythiques: Sisyphe, Prométhée et Némésis !" (p.39)

    "Camus dira que c'est le football (et secondairement le théâtre) qui, dans sa dimension collective, lui a enseigné la morale. L'origine sociale des philosophes marque aussi les philosophies [...] imagine-t-on Nietzsche dans une équipe de foot ?" (p.40)

    "Pour Nietzsche, le nihilisme [...] ressenti par l'homme moderne, résultait d'un processus décadentiel bimillénaire. Pour Camus, le sentiment de l'absurde provient d'une expérience existentielle marquée par une polarité, une expérience qui ne produit à vrai dire que dans un monde désenchanté, dépourvu de toute explication." (p.49)

    "Camus n'a cessé de dire qu'à la différence de Sartre, il n'était pas existentialiste. Chez lui, l'existence ne précède pas l'essence. [...] Camus postule en l'homme un "appel", qui l'incite à s'insurger contre l'absurdité du monde et de la vie." (p.51)

    "Dans Sisyphe, il condamne le "suicide philosophique", c'est-à-dire le "saut" -terme qu'il emprunte à Kierkegaard- que font les philosophes de l'existence quand, au bout du compte, ils renient [...] leur propre diagnostic sur l'absurdité de la vie [...] en cherchant à combler ce vide par la foi. Ce saut, c'est le "sacrifizio dell'intellectto" de saint Paul, de Ignace de Loyola, de Pascal [...] c'est le "credo quia absurdum" attribué faussement à Tertullien et repris par Kierkegaard, mais présent chez tous ceux que Camus nomme les "existentiels", dont il dénonce la "pensée humiliée": Jaspers, Chestov, Kierkegaard bien sûr, et même Dostoïevski. La phénoménologie n'échappe pas à cette déviance. Dans son souci d'aller droit aux choses, c'est-à-dire de les décrire dans leur diversité concrète, elle part certes d'un point de vue proche du perspectivisme nietzschéen et du raisonnement absurde: il n'y a pas une vérité mais des vérités. Mais en prétendant atteindre ainsi l'essence des choses, Husserl redevient platonicien." (p.52)

    "La joie s'accompagne toujours de l'amertume de sa fugacité. [...] Le destin de l'homme oscille entre "la mort dans l'âme" et "l'amour de vivre". Malgré la conscience de sa caducité subsiste le "devoir héroïque" du bonheur. Ce n'est qu'en assumant l'absurde que l'homme trouve sa vraie grandeur [...] Camus entend bien se plonger dans l'action immanente: "Si je choisis l'action, ne croyez pas que la contemplation me soit comme une terre inconnue. Mais elle ne peut point tout me donner et privé de l'éternel, je veux m'allier au temps"."(pp.55-56)

    "La lutte fait rencontrer à l'homme la "chair", c'est-à-dire les "relations humaines", la solidarité, qui promet le dépassement de l'absurde. Quant à l'acteur, il incarne lui aussi l'homme absurde car il fonde sa réputation sur des rôles ou des créations répétées et éphémères, il veut tout atteindre et tout vivre, et il sait que l'apparence est son être: "Créer, c'est ainsi donner une forme à son destin" [...] Sans doute faut-il entendre ici la notion de "vivacité" (Lebendigkeit) dans le sens de vitalité ou déjà au sens diltheyien du terme, c'est-à-dire comme capacité de vivre par soi-même, de faire sa propre histoire." (pp.58-59)

    "La révolte résulte de la conscience de l'absurde, la libération à l'égard de tout sens ou de toute finalité affranchit la liberté de l'homme et le conduit à vivre chaque instant avec passion. Pour employer une image que Nietzsche applique à l'art: la conscience de l'absurde ne doit pas être un calmant [...] mais un stimulant de la vie, un stimulant qui nous incite à vivre intensément et de façon créatrice. [...] Le oui à la création n'est rien d'autre qu'un non adressé au monde de l'absurde." (p.65)

    "Nietzsche [...] demandait le respect de la dignité du criminel et rejetait vigoureusement toute culture de la culpabilité et du châtiment." (p.70)

    " "Pour dire que la vie est absurde, la conscience a besoin d'être vivante", dit Camus au début de L'Homme révolté [...] La pensée de l'absurde exclut donc par principe aussi bien le meurtre que le suicide. [....] Selon ce qu'écrit Camus en 1943 à Pierre Bonnel: " [...] je crois parfaitement possible de lier à une philosophie absurde une pensée politique soucieuse de perfectionnement humain et plaçant son optimisme dans le relatif". [...]
    C'est donc déjà le thème de la mesure qui retentit ici: le nihilisme, c'est-à-dire le constat que le monde ou la vie n'ont pas de sens a priori, ne doit pas conduire à lâcher la bride à une action humaine délivrée de toutes règles et de toutes limites. [...]
    Après le mythe de Sisyphe, c'est le mythe de Prométhée qui doit être examiné." (pp.78-79)
    -Gilbert Merlio, Sisyphe et le Surhomme. Les traces de Nietzsche chez Camus, R&N Éditions, 2022, 235 pages.

    Le monde n'est pas absurde parce que le sens est déjà constitué dans la relation.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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